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Instruction concernant la propagation, la culture en grand et la conservation des pommes de terre/Troisième partie - Chapitre I

La bibliothèque libre.
Société royale et centrale d’agriculture
Madame Huzard (née Vallat la Chapelle) (p. 96-123).


TROISIÈME PARTIE.

CONSERVATION DES POMMES DE TERRE PAR VOIE DE DESSICCATION.




On a exposé, dans la première partie de cette Instruction, la manière de cultiver et de multiplier les pommes de terre ; dans la seconde, on a fait connaître comment il était possible, pendant un certain temps, de les conserver dans leur état de fraîcheur ; dans cette troisième, on va s’occuper des moyens de profiter encore après ce terme des produits de ce végétal.

La cuisson, cette manipulation domestique si simple, a été le premier pas qui a conduit des hommes zélés et bienfaisans vers les nombreux procédés qui permettent aujourd’hui de ranger parmi les substances nutritives la Solanée parmentière, que l’art modifie au point de ne plus craindre les mauvais effets de son eau de végétation, et de manière à rendre ses produits inaltérables et faciles à transporter.


CHAPITRE PREMIER.

EXTRACTION DE LA FÉCULE, ET CONVERSION DU PARENCHYME EN FARINE.


§ 1. Extraction de la fécule.


Pour obtenir la fécule sans altération, la chair ou pulpe doit être divisée le plus possible, sans toutefois lui faire subir aucune cuisson, qui amollirait les tubercules, lesquels doivent être crus et conserver toute leur fermeté.

La simplicité des instrumens dont on se sert met tous les ménages à portée d’extraire de la fécule à peu de frais.

Laver d’abord les pommes de terre, afin de les dégager du sable qui les couvre, les réduire en pulpe en les frottant sur une râpe de tôle ou de fer-blanc, recevoir cette pulpe, à mesure qu’elle s’échappe de la râpe, dans deux fois son volume d’eau, l’y bien délayer, puis verser le tout sur un tamis placé au dessus d’une terrine, dans laquelle l’eau entraîne la plus grande partie de la fécule et laisse sur le tamis les parties les plus grossières de la pulpe. On relave de nouveau ce résidu en ajoutant de l’eau par petites portions jusqu’à ce qu’elle sorte claire, ce qui annonce qu'elle n'entraîne plus de fécule.

Telles sont les opérations préliminaires, après lesquelles on rassemble dans un vase conique tout le liquide dans lequel la fécule est mêlée; on l'y laisse reposer et elle se précipite au fond, et l'eau qui surnage n'est plus que légèrement trouble; on la décante, et le dépôt blanc de fécule est de nouveau délayé dans une eau claire; on le laisse se précipiter, et on répète ce lavage deux ou trois fois jusqu'à ce que l'on juge que la fécule est suffisamment purifiée.

Si une petite quantité de parenchyme échappée au tamis salit encore cette fécule, on la débarrasse aisément de ces taches par des lotions partielles faites à la superficie ; 'et dans le cas où elles entraîneraient Une certaine portion de fécule, on repasserait les eaux sur les tamis et les nouveaux dépôts seraient réunis aux anciens.

La masse de fécule s'égoutte aisément en inclinant doucement les vases qui là contiennent; ensuite, Oh l'étend sur des plateaux, des claies, du papier, et on laisse la dessiccation s'opérer dans une chambre échauffée, dans une étuve, même à l'air libre lorsque le temps est sec[1]. Cette manipulation suffit pour des provisions médiocres. Mais lorsque la consommation exige de grands approvisionnemens, on doit recourir aux instrumens les plus actifs et à la main d’œuvre la moins coûteuse.

Plusieurs mécaniciens et plusieurs fabricans sont parvenus à améliorer ce genre d’industrie, qui sans doute est encore susceptible de perfectionnement.

Parmi les inventions diverses qui ont pour but d’abréger le travail, la Société royale et centrale en a distingué plusieurs ; elles seront citées à mesure que les opérations en nécessiteront l’emploi.

On a déjà vu que la première consistait à bien dessabler les pommes de terre;en fabrique, on y parvient en les faisant passer plusieurs fois dans une suite de baquets pleins d'eau ; on les y remue avec des pelles de bois percées, puis on les y brosse avec des balais. Au fond de ces baquets et à une distance convenable, est un grillage par les intervalles duquel la terre et les parties hétérogènes s'échappent, au lieu de se rattacher aux tubercules.

Dans la même intention, quelques fabricans font usage d'un cylindre de grande dimension, percé de trous, et tournant sur son axe, au moyen d'une manivelle, dans un cuvier rempli d'eau [2]. On introduit les pommes de terre dans ce cylindre par une trappe, à l'aide d'un entonnoir mobile. Elles y sont agitées par la rotation jusqu'à ce que le nettoyage soit effectué. Alors ou enlève le cylindre avec une grue, si son poids l'exige; on ouvre la trappe et on vide les pommes de terre ; on change l'eau de la cuve, si elle est trop bourbeuse, et on recommence.

Malgré la célérité que présente ce mode de lavage, il est des fabricans qui continuent de se servir des baquets et des balais ; selon eux, lorsque les yeux des pommes de terre sont très renfoncés, jamais le sable ne se détache complètement, et la fécule croque ; de plus, les tubercules, dans le choc se meurtrissent, et la fécule qui en provient est moins blanche.

Après le lavage, dont l’importance doit être bien sentie, on réduit les pommes de terre en pulpe, et la machine qui déchire avec le plus de célérité les fibres du réseau dont les grains de fécule sont enveloppés mérite la préférence. Celle de M. Burette [3] est une des meilleures ; toutes ses parties sont élevées à hauteur convenable sur un bâtis solide en chêne. Elle se compose d’un cylindre de deux pieds (soixante-quatre centimètres) de diamètre et de huit pouces (vingt-et-un centimètres) de hauteur, d’un seul bloc de pierre dure, traversé d’un axe en fer dont les extrémités reposent sur les deux côtés long du bâtis ; la circonférence de ce cylindre est garnie de lames de scies de sept pouces (dix-huit centimètres) de longueur, au nombre de cent vingt-huit, parallèles à l’axe, et séparées par des t asseaux en bois qui rie s’élèvent que jusqu’à la denture. Les lames et les tasseaux sont fortement fixés sur le cylindre à l’aide de vis enfer, reçues dans deux cercles dé plomb, coulés dans des rainures taillées exprès dans la pierre. Tout ce système est maintenu par deux cercles de fer qui serrent en même temps les tasseaux, les lames et la pierre. Le poids de celle-ci évite l’embarras d’un volant et régularise le mouvement, ainsi que la pression. L’axe du cylindre porte, à l’un de ses bouts, un pignon en fer de seize dents, qui engrènent dans celles d’une roue pareillement en fer entaillée de cent vingt dents.

Une manivelle adaptée à chacune des extrémitées de l’essieu de cette roue permet à deux hommes de mettre lé cylindre en mouvement [4]. Une auge en bois placée en pente sous le cylindre reçoit la pulpe et la conduit dans un baquet ou dans tout autre récipient analogue.

Sur la face antérieure du bâtis, et près de la circonférence du cylindre, est ajusté un volet en bois ; il est mobile sur deux tourillons, et en taillé par bas de manière à figurer en creux la forme du cylindre et à le toucher presque par sa partie inférieure ; il reçoit de l’axe du pignon, au moyen d’un excentrique et de contre-poids suspendus à des cordes qui l’attirent, un mouvement de va-et-vient, dont l’effet est d’ouvrir alternativement une plus grande entrée aux tubercules, et de les presser contre le cylindre dévorateur.

L’écartement de ce volet est limité, ainsi que l’ouverture offerte aux pommes de terre, par une traverse en bois, contre laquelle il vient s’appuyer dans son recul.

Toutes les parties de cette machine qui surmontent le bâtis sont recouvertes d’une enveloppe en planches légères, laquelle, divisée en deux par des cloisons, forme à l’arrière une caisse propre à recevoir cinquante kilogrammes de pommes de terre, que l’enfant qui sert la râpe prend une à une pour les jeter dans l’ouverture de l’autre caisse, d’où elles tombent sur le cylindre. Cette ingénieuse disposition a cependant quelques inconvéniens, comme celui d’obliger à jeter les tubercules l’un après l’autre ; ce qui ralentit le travail et laisse toujours subsister la crainte de rencontrer un.tubercule d’un gros volume, ou un corps étranger qui peut s’engager entre le volet et le cylindre, lequel arrêterait le mouvement de la machine ou même la briserait.

Ce double inconvénient n'a point échappé à M. Mullot, serrurier mécanicien à Épinay, près Paris [5], et il a évité l'engorgement en donnant une nouvelle forme à la trémie, et une autre disposition à la planche qui reçoit le mouvement de va-et-vient.

La trémie est alors placée sur le devant, et contient trois boisseaux de pommes de terre, lesquelles, en s'échappant successivement sans qu'il soit besoin d'engrener, ne tombent que sur la septième partie du cylindre. Une planche inclinée et mobile fermé la trémie d'un côté, et cette planche est seulement soutenue vers son milieu par deux tasseaux: de sorte qu'elle se rapproche et se recule au moyen d'une barre de fer atta-1chée avec des vis à son extrémité supérieure, de façon que cette barre porte eu même temps sur le dessus de la trémie, et que deux cordes attachées aux yeux qui la terminent, passent aisément sur des poulies, en soutenant deux contrepoids, qui se prêtent au mouvement de pression et ramènent toujours la planche au point convenable.

L’extrémité de cette planche, enfin, porte sur une tringle de bois un peu forte, prolongée hors la largeur de la trémie, et sous cette tringle est un petit levier de fer en tiers-point dont l’appui est sur une espèce de poupée tenant au bâtis de la machine : de sorte que si, malgré les précautions prises, quelque obstacle s’oppose au mouvement de rotation, ou que quelque pierre force de vider promptement la trémie (ce que les ouvriers appellent débrayer), on presse sur la queue du levier, dont l’autre extrémité soulève la tringle : alors la planche sortant de place, elle laisse échapper les pommes de terre, et avec elles le corps dur qui aurait brisé les lames des scies.

Quel que soit, au surplus, le mode préservatif que l’on admette, la râpe qui vient d’être décrite, mue par deux hommes relayés par un troisième, peut réduire en pulpe deux mille cinq cents à trois mille kilogrammes de pommes de terre en douze heures de travail ; toutefois elle fait plus ou moins d’ouvrage selon que les pommes de terre sont venues dans un terrain plus ou moins humide, ou pendant une saison plus ou moins pluvieuse.

Dans tous les cas, la pulpe qui en provient est toujours extrêmement fine, condition essentielle pour tout bon travail.

Enfin les réparations à faire à cette râpe sont faciles, puisqu’elles se bornent ordinairement au remplacement et à l’affutage des lames dentées.

A mesure que les pommes de terre sont réduites en pulpe, il faut séparer la fécule du parenchyme, qui est encore confondu avec elle ; à cet effet, on porte la masse commune sur des paniers et mieux encore sur des tamis cylindriques de crin de deux pieds (soixante-quatre centimètres) de diamètre et d’environ dix pouces (vingt-quatre centimètres) de hauteur, posés, à l’aide de traverses, au dessus des baquets qui doivent recevoir la fécule. Chaque charge doit occuper au moins la moitié, et au plus les deux tiers de la hauteur du tamis.

Un ouvrier malaxe vivement la pulpe entre ses mains, afin de renouveler sans cesse les surfaces exposées à un filet d’eau continu, d’environ deux lignes de diamètre ; l’eau, en passant à travers du tamis, entraîne la fécule avec elle et forme une sorte d’émulsion opaque, qui s’éclaircit à mesure que l’on renouvelle les lavages de la fécule, et ce n’est que lorsque l’eau qui surnage devient parfaitement : liquide, que la fécule est suffisamment purifiée et que tous ses grains sont séparés du parenchyme.

Quelquefois pour économiser l’eau on tient le tamis plongé en partie dans le baquet rempli d’eau aux trois quarts, alors on agite la pulpe avec les mains, et la fécule est entraînée, pour la plus grande partie, au fond du baquet ; il suffira ensuite de faire couler le filet d’eau pendant quelques instans sur le tamis pour achever d‘extraire la fécule restante.

On a aussi essayé de remplacer les tamis par des bluteaux de toile métallique, séparés dans l’intérieur par plusieurs cloisons disposées en hélices formant une sorte de vis d’Archimède ; la pulpe était introduite par une de ses extrémités, alors un tube perforé de trous et servant d’axe au bluteau cylindrique distribuait l’eau dans toutes les parties et le liquide chargé de fécule tombait dans un vase disposé pour le recevoir, tandis que la pulpe épuisée sortait par l’autre bout du bluteau.

L’usage de cette méthode ne s’est pas cependant répandu ; au contraire il parait que quelques fabricans ont employé avec plus de succès des blutoirs à huit pans, dont chaque face est recouverte d’une toile de crin, attachée sur des châssis que portent huit branches de fer fixées à l’axe qui les traverse.

Dans un des pans est une porte, qui sert à réparer et à nettoyer le blutoir dans l’intérieur ; aux deux bouts est une embouchure de douze pouces (trente-deux centimètres), garnie d’une gorge en tôle saillante de quatre pouces (dix centimètres), qui reçoit un entonnoir dont l’ouverture évasée a quinze pouces (quarante centimètres) ; il sert à introduire la pulpe que l’on veut laver et tamiser. L’axe du blutoir est prolongé de manière à pouvoir être mis en mouvement par deux manivelles, et tourner dans des coches arrondies, pratiquées aux dosserets élevés sur les bords d’une cuve oblongue [6], dans laquelle on introduit de l’eau nouvelle au fur et à mesure avec une pompe. Ces coches sont à différentes hauteurs, pour que le blutoir plonge plus ou moins dans l’eau claire dont la cuve est remplie.

A l’une des extrémités opposées à l’entrée du blutoir, est un tonneau qui reçoit les eaux grasses et rousses, surnageant à la surface à mesure que la fécule se détache de la pulpe et se précipite au fond de la cuve.

On fait ensuite écouler le reste des eaux, lorsqu’elles sont devenues claires, par des cannelles placées à plusieurs hauteurs ou à l’aide de siphons, comme les amidoniers [7].

On n’a pas besoin de dire que la fécule est agitée et lavée, autant de fois qu’il en est besoin, dans différens bluteaux, selon le degré de blancheur et de finesse que l’on veut obtenir. Après ces lavages réitérés, un simple balai de crin suffit pour enlever le peu de gras qui pourrait rester sur la masse de fécule déposée au fond de la cuve.

Enfin, on enlève ce dépôt avec une bêche de fer, et on a l’attention de couper le dessus de chaque tranche enlevée qui touche au fond de la cuve, car c’est là que le sable plus lourd se précipite avant la fécule. Ces soustractions sont soumises à de nouveaux lavages, pour qu’il y ait le moins de déchet possible. La fécule qui a acquis le degré de pureté convenable est mise dans des paniers d'osier garnis de toile : on l'y laisse égoutter pendant trois heures, et on la porte ensuite dans des greniers bien aérés, dont les planchers sont enduits de plâtre et sur lesquels on l'étend [8]; elle y reste également trois heures, pendant lesquelles on la remue à la pelle; enfin, après une heure de repos, on la porte à l'étuve.


§ 2. Dessiccation de la fécule.


Tous les moyens qui peuvent procurer une prompte dessiccation de la fécule sont admissibles : ainsi, l'ardeur du soleil, la chaleur modérée d'un four peuvent servir dans certaines circonstances; mais il n'est point de procédé dont on puisse mieux graduer l'effet que l'usage d'une étuve. Ses dimensions dépendent de la quantité de matière sur laquelle on doit opérer.

Le principal est que la chaleur s'y distribue également; que jamais l'humidité qui s'évapore ne puisse retomber sur la fécule en dessiccation : dès lors, on conçoit la nécessité d’établir un courant d’air très actif. On peut échauffer l’étuve par du charbon de terre ou au moyen de tout autre combustible ; on peut se servir d’un poêle de quinze pouces de diamètre et de vingt pouces de haut, le garnir même de tuyaux faisant plusieurs détours avant de laisser échapper la fumée. Au reste, toutes ces constructions sont subordonnées à la nature du combustible que l’on emploie, et à l’étendue de la pièce qui sert d’étuve [9].

L’étuve est encore entourée de tablettes placées au dessus les unes des autres à la distance d’un pied : elles sont recouvertes d’un enduit de plâtre, sur lequel la fécule se dépose par raies, et présente en petit l’aspect d’un champ labouré.

A chacun des tuyaux sont des clefs servant à graduer la chaleur, que l’on porte d’abord de vingt à trente degrés ; puis on remue la fécule, ce qui est facile, en renversant le sommet de chaque raie dans le creux du sillon, et en sillonant de nouveau avec une spatule; après, quoi, on fait monter la chaleur à cent degrés.

Lorsque la fécule est entièrement séchée, on l'enlève de l'étuve, et on la reporte sur un plancher pour refroidir : on l'y écrase avec un rouleau, puis on la passe au moulin [10].

La fabrique dans laquelle on a puisé ces renseignemens avait vingt-deux ouvriers, deux râpes, deux blutoirs ou cylindres à tamiser et deux étuves. On confectionnait par jour trois mille cinq cents livres de fécule, extraite de quatre-vingts à quatre-vingt-cinq setiers de pommes de terre.

On sait qu'il n'est pas possible de proposer à tous les cultivateurs, et encore moins aux particuliers, de créer des fabriques dans lesquelles on suivrait minutieusement tous les détails qui viennent d'être tracés : mais il doit être permis de rappeler qu'avec deux ouvriers, une râpe cylindrique et quelques tonneaux; qu'en se servant d'un four ou d'une simple chambre échauffée qui lui servaient d’étuve, le curé de Meudon est parvenu à fournir aux besoins de son existence, à soulager les pauvres de sa commune, et à propager la culture des pommes de terre dans un village qui s’en est bien trouvé. Or, après cet exemple, auquel on en pourrait joindre beaucoup d’autres, on ne doit pas craindre d’en conseiller l’imitation dans la proportion de ses besoins, de ses moyens et de son intelligence.


§ 5. Du parenchyme et de sa conservation en farine.


Quel que soit le bénéfice que l’on puisse obtenir de la fécule, toujours est-il vrai que l’on ne profiterait qu’en partie des avantages offerts par les produits des pommes de terre, si le parenchyme resté après l’extraction de la fécule était perdu. Cette perte serait d’autant plus fâcheuse, que ces résidus, loin d’être sans valeur, comme on l’a cru long-temps, contiennent presque autant de matière nutritive que la pomme de terre entière,’

Toutefois, cette observation n’a pas pour but de laisser croire que l’extraction préalable de la fécule soit une opération superflue : elle est au contraire indispensable, si l’on ne veut pas en perdre beaucoup, et si on veut l’obtenir de bonne qualité ainsi que la farine ; car sans cette extraction préliminaire, on ne parviendrait ni à dégraisser, ni à blanchir l’une ou l’autre ; et ce n’est qu’après des préparations séparées que l’on peut réunir les deux produits, si on le juge convenable.

La conversion des résidus en farine ne donne pas plus d’embarras et même moins que l’extraction de la fécule, puisque déjà ils ont subi de nombreux lavages ; néanmoins, il est nécessaire de nettoyer encore le parenchyme que l’on veut réduire en farine. À cet effet, on l’introduit au fur et à mesure dans un bluteau à six pans [11], garni de treillis en fil de fer, dont les mailles ont quatre lignes. Ce bluteau tourne et baigne dans une cuve remplie d’eau claire : alors les filamens ou fibres sortent par les mailles, tandis que les copeaux restent dedans [12]. Après, avoir laissé reposer le parenchyme ainsi dégagé au fond de la cuve environ un quart d’heure, on fait écouler l’eau, puis on le met dans un sac de forte toile, ayant la forme d’une chausse plus ou moins grande, dont l’ouverture est maintenue par un cerceau de bois, lequel sert en même temps à le suspendre. Enfin, le parenchyme contenu dans la chausse est arrosé trois ou quatre fois par jour, jusqu’à ce que l’eau qui en égoutte n’ait plus cette teinte rousse, qu’il faut absolument faire disparaître si l’on veut que le produit n’ait pas de mauvais goût.

Lorsque le parenchyme est dégagé de tout ce qui pouvait altérer sa bonne qualité, on en remplit à moitié des sacs de treillis de la grandeur de ceux dont on fait usage pour transporter le plâtre ; on les soumet à une forte pression, et après que l’eau en est sortie, on les vide sur le plancher du grenier, puis on remue à la pelle, pour opérer une première dessiccation ; et enfin on porte le parenchyme à l’étuve, ainsi que l’on a fait pour la fécule.

Si l’on destine ce produit à la consommation des animaux, on peut employer ce gruau tel qu’il est ; mais si l’on veut le réduire en farine, on doit le faire moudre ; et les moulins ordinaires, surtout ceux qui n’ont pas été piqués depuis long-temps, que l’on fera marcher avec peu d’eau, sont très propres à ce genre de mouture, dans lequel on éprouvera même moins de déchet, si l’on a soin de couvrir les caisses avec des couvertures ; Au surplus, en temps égal, ces moulins confectionneront quatre sacs de pommes de terre contre un sac de blé.

La farine dont il s’agit a souvent un œil un peu bis, parce qu’il échappe toujours au bluteau hexagonal une partie des pellicules, qui toutefois ne lui donnent aucune saveur désagréable ; d’ailleurs, on peut la blanchir, et avoir de plus belle farine en faisant bien bluter, et restituant au parenchyme moulu une portion de la fécule précédemment extraite : alors cette farine approche, à l’œil, plus ou moins de celle du froment, en proportion de la quantité ajoutée.

On objectera peut-être que la préparation des résidus demande du temps, et qu’il sera souvent difficile de la faire marcher de pair avec celle de la fécule. Il serait sans doute mieux de ne pas différer ; mais il est des moyens de suspendre la fermentation, et de conserver quelque temps leur fraîcheur à ces résidus, destinés à être convertis en farine. A cet effet, on établit, dans un lieu aéré, dans une cour, par exemple, un plan incliné environné d’un mur de deux à quatre pieds de haut, dans le bas duquel et au niveau du sol on laisse plusieurs ouvertures de six pouces carrés, espacées de pied en pied. C’est dans cette enceinte que l’on met en réserve les résidus, à mesure qu’on les sépare de la fécule.

Si chaque jour on a une suffisante quantité de masse fraîche à mettre sur l’ancienne, d’autres soins ne sont pas nécessaires, la nouvelle portion rafraîchira suffisamment les précédens dépôts ; sinon il sera indispensable d’y suppléer en jetant dessus six à huit seaux d’eau, suivant la quantité que l’on a besoin d’abreuver [13].


§ 4— Réduction des pommes de terre en farine par voie de macération.


Cette méthode peut surtout être employée lorsque l’on a des pommes de terre gelées (pourvu que l’on opère avant le dégel) ou lorsque l’on est dépourvu des instrumens propres au râpage et aux travaux qui eu sont la suite. Ce procédé de M. Clouet[14] paraît n’avoir été appliqué par son auteur qu’à la fabrication de l’amidon ; M. de Lasteyrie, en publiant antérieurement le sien, a eu en vue la conservation de toutes les parties alimentaires contenues dans les pommes de terre qu’il convertit en farine [15].

Il propose trois manières d’opérer, qui, toutes, selon lui, ont un égal succès.

Dans la première, on pelle les pommes de terre sans les couper.

Dans la deuxième, on les coupe par rouelles à peu près de l’épaisseur d’une pièce de 5 francs, et cette opération peut se faire à la main ; mais il est plus expéditif de les trancher avec le coupe-racine.

Dans la troisième, on les laisse entières [16] : on les jette à mesure dans l’eau ; car il ne faut teinte grisâtre qui se communiquerait à la farine.

Les pommes de terre ne doivent pas non plus occuper plus des deux tiers du vase dans lequel on les met en macération, le surplus sera constamment rempli d’eau, et cette eau sera changée, le premier jour, deux fois ; on pourra s’épargner cette peine les jours suivans ; mais lorsque l’on verra paraître une espèce d’écume sur l’eau, ou que l’on sentira une légère odeur acidule, il faudra changer l’eau deux fois en vingt-quatre heures.

La macération dure ordinairement de six à dix jours, selon la température du lieu dans lequel on a placé les vases, la quantité et la fréquence du changement d’eau ; on reconnaîtra, d’ailleurs, le moment de retirer le produit à la décomposition de la partie extérieure des pommes de terre et à l’état de bouillie dans lequel il tombe [17].

Lorsque la matière est suffisamment macérée, on la met dans des sacs de grosse toile, et on la presse pour en faire sortir l’eau plus promptement.

On l’étendra ensuite sur des toiles ou sur des claies couvertes de papier gris, que l’on exposera à un courant d’air au soleil, dans un grenier s’il pleut, dans un four après le pain tiré, et, mieux encore, dans une étuve ; car plus la dessiccation se fait rapidement, plus la farine est belle. Cependant si elle était saisie par un degré de chaleur trop ardent, au lieu d’être friable et farineuse, elle deviendrait semblable à de la corne.

Mais, pour cela, le travail ni les matières premières ne seraient pas perdus ; seulement, pour en faire usage, il faudrait les réduire de nouveau en farine à l’aide du moulin, ou bien les

concasser à la grosseur d’un grain de blé, et, suivant leurs formes ou leurs dimensions, elles seraient désignées dans le commerce sous le nom de riz, de semoule, de gruau, qu sous d’autres noms qu’on voudrait leur donner ; et peut-être ces expériences accidentelles ont — elles amené le perfectionnement pour lequel Mme. Chauveau prit un brevet d’invention en 1824 [18], dont il va être parlé dans le paragraphe suivant.


§ 5. Préparation du riz de pommes de terre selon la méthode de Madame Chauveau.


Les procédés de Mme. Chauveau ne sont fondés que sur un seul principe, c’est celui de saisir la pomme de terre crue par la chaleur, et les résultats sont toujours les mêmes, quoiqu’ils semblent très variés par les dénominations que l’on donne à chaque genre, qui ne diffère que par la grosseur du grain offert à la fantaisie des consommateurs.

On lave d’abord la pomme de terre, on la coupe par morceaux, et on divise encore ces morceaux en les faisant passer de force à travers un tarais de laiton placé au dessus d’un moule de fer-blanc à bords relevés ; le tubercule, ainsi pressé sur le tamis, tombe, divisé et blanc comme de la neige, sur le plateau ; on emplit celui-ci jusqu’à la hauteur des bords.

Le plateau étant rempli, on le porte dans un four, qui doit être aussi chaud que pour la cuisson du pain ; on connaît que la matière a été assez chauffée lorsqu’elle se détache du plateau ; on la tire alors du four, et on la concasse de suite dans un grand mortier lorsqu’on l’a réduite en morceaux de la grosseur d’un petit œuf ou même plus petits ; on la réduit encore dans un moulin à noix semblable à ceux employés à la mouture du tabac.

Lorsque la matière a subi cette mouture, elle présente des morceaux inégaux, que l’on fait passer dans des tamis plus ou moins serrés, qui donnent ordinairement trois espèces de grosseur, et, du surplus, on fait de la farine.

La première grosseur est appelée riz

La seconde sagou

La troisième semoule

Et la quatrième fleur de riz [19]

de pommes de terre.



  1. On peut difficilement râper sur une surface plate le tubercule entier, et il y a perte, puisque l’on est forcé de rejeter l’extrémité tenue dans la main. Baumé, qui s’en était aperçu, fit construire une râpe conique, posée verticalement au centre d’un vase de même forme. Voyez Mémoires de l’Académie des sciences, année 1786.

    Parmentier eut la pensée d’établir des râpes cylindriques, mues par une manivelle, et elles conviennent mieux ; telles étaient aussi celles de M. Mergoux, curé de Beson. On peut consulter, à ce sujet, sa description et une planche-en bois, publiées, par ordre du Ministre de l’Intérieur, dans le Journal des maires, n°. 166, année 1817, et le Rapport fait à la Société royale et centrale, le 20 mars 1818.

  2. Pour le même usage, M. Delessert avait fait construire un cylindre avec des tringles de bois mises en mouvement au milieu d'un courant d'eau. Cet instrument est déposé au Conservatoire des arts et métiers, n°. 66.
  3. Mécanicien à Paris.

    Voyez le Bulletin de la Société d’encouragement. n°. 153.

  4. On pourrait, dans un grand établissement, se servir, pour moteur, d’un manège, d’un courant d’eau ou d’une machine à vapeur.
  5. Voyez le Rapport fait à la Société royale et centrale d’agriculture; par MM. Sageret, Silvestre et Challan, le 21 juillet 1817.
  6. De pareilles coches existent aussi derrière les dosserets, pour les recevoir lorsque l’on veut les enlever tout à fait.
  7. On croit, dans les ateliers, que ce procédé procure l’avantage de mieux dégraisser la fécule et-de l’extraire plus vite.
  8. S'il est possible de les faire participer à une portion de la chaleur qui s'échappe de l'étuve, on fera bien d'en profiter au moyen de tuyaux établis exprès, ou par l'ouverture qui forme le courant d'air.
  9. Pour la construction d’une étuve, voir plus bas, page 135, la description de l’étuve de M. Ternaux.
  10. Ce moulin est celui des parfumeurs; seulement, on augmente le nombre des lames, qui sont de tôle au lieu de fer-blanc; on augmente aussi le nombre des tamis, et à la soie dont est ordinairement recouvert le bluteau on substitue une toile de Quintin fine, comme plus solide.
  11. On doit prévenir ceux qui voudraient opérer d’après ces notions que ce qui se fait avec les instrumens désignés peut aussi s’exécuter, mais moins promptement, avec des claies, des tamis de différentes grosseurs, des baquets et des tonneaux. L’intelligence du manipulateur suppléera aisément à tout ce qui n’a pu être énoncé.
  12. Ce sont ces résidus plus grossiers dont les animaux s’accommodent fort bien.
  13. Outre cet emploi des résidus, on sait que les animaux en font une grande consommation, même dans leur état de crudité, et lorsque la fermentation est commencée, l’expérience à cet égard ne laisse rien à désirer ; et l’on verra bientôt comment le parenchyme desséché peut remplacer avantageusement, pendant l’hiver, le son et les grenailles.
  14. Voyez l’ouvrage de MM. Payen et Chevalier, page 43.
  15. Voyez Décade de l’an 4, troisième trimestre, et le numéro 7 du Moniteur, année 1813.
  16. Bien entendu, quel que soit le mode que l’on emploie, qu’il faut, avant tout, bien laver les tubercules, et que s’ils sont gelés, on doit les faire dégeler dans l’eau froide.
  17. On pourra toutefois laisser macérer encore plusieurs jours, pourvu que l’on ait soin de changer l’eau trois ou quatre fois les deux derniers jours, afin d’enlever la saveur désagréable que le dépôt aurait contractée, et dont la farine pourrait se ressentir. Pour changer l’eau, il faut pratiquer un robinet ou seulement un trou avec une cheville à la hauteur d’un pouce environ du fond ; sans cela, l’eau en s écoulant entraînerait une partie de la fécule, qui, au contraire, par cette précaution, se précipite dans l’espace qui se trouve entre le fond et la hauteur du trou, devant lequel il est encore bon d’appliquer un peu de paille, pour que l’écoulement soit moins rapide.
  18. Brevet 763, tome 9.

    Beaucoup d’autres font de ces semoules et toutes émanent du même principe.

  19. Le riz peut servir à faire une espèce de riz au gras. et au lait : on emploie, dans ce dernier cas, sept parties de lait et une de riz ; lorsque le lait commence à bouillir, on ajoute le riz ; on le laisse cuire pendant vingt-cinq ou trente minutes ; on peut ensuite le sucrer, l’aromatiser, etc.

    Le sagou est préféré pour les potages : il exige huit parties de liquide pour une de sagou ; il cuit plus rapidement que le riz. La semoule exige neuf parties de liquide pour une partie de semoule ; elle cuit plus facilement encore que les deux espèces précédentes ; on l’emploie particulièrement pour préparer des bouillies.

    Enfin, la fleur de riz, qui ne diffère des préparations précédentes que par la finesse, ne doit pas être confondue avec la fécule ; elle exige dix parties de liquide pour une partie de fleur.