Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Seconde partie/12

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Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 83-86).


CHAPITRE XII

DE LA RETRAITE SPIRITUELLE


C’est ici, chère Philothée, où je vous souhaite fort affectionnée à suivre mon conseil ; car en cet article consiste l’un des plus assurés moyens de votre avancement spirituel.

Rappelez le plus souvent que vous pourrez parmi la journée votre esprit en la présence de Dieu par l’une des quatre façons que je vous ai remarquées ; regardez ce que Dieu fait et ce que vous faites : vous verrez ses yeux tournés de votre côté, et perpétuellement fichés sur vous par un amour incomparable. O Dieu, ce direz-vous, pourquoi ne vous regardé-je toujours, comme toujours vous me regardez ? Pourquoi pensez-vous en moi si souvent, mon Seigneur, et pourquoi pensé-je si peu souvent en vous ? Où sommes-nous, o mon âme ? notre vraie place, c’est Dieu, et où est-ce que nous nous trouvons ?

Comme les oiseaux ont des nids sur les arbres pour faire leur retraite quand ils en ont besoin, et les cerfs ont leurs buissons et leurs forts dans lesquels ils se recèlent et mettent à couvert, prenant la fraîcheur de l’ombre en été ; ainsi, Philothée, nos cœurs doivent prendre et choisir quelque place chaque jour, ou sur le mont de Calvaire, ou ès plaies de Notre Seigneur, ou en quelque autre lieu proche de lui, pour y faire leur retraite à toutes sortes d’occasions, et là s’alléger et recréer entre les affaires extérieures, et pour y être comme dans un fort, afin de se défendre des tentations. Bienheureuse sera l’âme qui pourra dire en vérité à Notre Seigneur : « Vous êtes ma maison de refuge, mon rempart assuré, mon toit contre la pluie et mon ombre contre la chaleur ».

Ressouvenez-vous donc, Philothée, de faire toujours plusieurs retraites en la solitude de votre cœur, pendant que corporellement vous êtes parmi les conversations et affaires ; et cette solitude mentale ne peut nullement être empêchée par la multitude de ceux qui vous sont autour, car ils ne sont pas autour de votre cœur, ains autour de votre corps, si que votre cœur demeure lui tout seul en la présence de Dieu seul. C’est l’exercice que faisait le roi David parmi tant d’occupations qu’il avait, ainsi qu’il le témoigne par mille traits de ses psaumes, comme quand il dit : « O Seigneur, et moi je suis toujours avec vous. Je vois mon Dieu toujours devant moi. J’ai élevé mes yeux à vous, o mon Dieu, qui habitez au ciel. Mes yeux sont toujours à Dieu ». Et aussi les conversations ne sont pas ordinairement si sérieuses qu’on ne puisse de temps en temps en retirer le cœur pour le remettre en cette divine solitude.

Les père et mère de sainte Catherine de Sienne lui ayant ôté toute commodité du lieu et de loisir pour prier et méditer, Notre Seigneur l’inspira de faire un petit oratoire intérieur en son esprit, dedans lequel se retirant mentalement, elle pût parmi les affaires extérieures vaquer à cette sainte solitude cordiale. Et depuis, quand le monde l’attaquait, elle n’en recevait nulle incommodité, parce, disait-elle, qu’elle s’enfermait dans son cabinet intérieur, où elle se consolait avec son céleste Époux. Aussi dès lors elle conseillait à ses enfants spirituels de se faire une chambre dans le cœur et d*y demeurer.

Retirez donc quelquefois votre esprit dedans votre cœur, où, séparée de tous les hommes, vous puissiez traiter cœur à cœur de votre âme avec son Dieu, pour dire avec David : « J’ai veillé et ai été semblable au pélican de la solitude ; j’ai été fait comme le chat-huant ou le hibou dans les masures, et comme le passereau solitaire au toit ». Lesquelles paroles, outre leur sens littéral (qui témoigne que ce grand roi prenait quelques heures pour se tenir solitaire en la contemplation des choses spirituelles), nous montrent en leur sens mystique trois excellentes retraites et comme trois hermitages, dans lesquels nous pouvons exercer notre solitude à l’imitation de notre Sauveur, lequel sur le mont de Calvaire fut comme le pélican de la solitude, qui de son sang ravive ses poussins morts ; en sa Nativité dans une établerie déserte, il fut comme le hibou dedans la masure, plaignant et pleurant nos fautes et péchés ; et au jour de son Ascension, il fut comme le passereau, se retirant et volant au ciel qui est comme le toit du monde ; et en tous ces trois lieux, nous pouvons faire nos retraites emmi le tracas des affaires. Le bienheureux Elzéar, comte d’Arian en Provence, ayant été longuement absent de sa dévote et chaste Delfine, elle lui envoya un homme exprès pour savoir de sa santé, et il lui fît réponse : « Je me porte fort bien, ma chère femme ; que si vous me voulez voir, cherchez-moi en la plaie du côté de notre doux Jésus, car c’est là où j’habite et où vous me trouverez ; ailleurs, vous me chercherez pour néant ». C’était un chevalier chrétien, celui-là !