Introduction du Buddhisme dans le Kashmir

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Société asiatique (Paris, France)
Journal asiatiqueSérie 6, tome 5 et 6 (p. 477-549).

INTRODUCTION DU BUDDHISME

DANS LE KASHMIR,

PAR M. LÉON FEER.

Le premier livre buddhique[1] que la science contemporaine ait révélé à l’Europe, la Chronique cingalaise, rédigée en pâli, sous le titre de Mahâvanso, nous présente dans son XIIe chapitre un grand et solennel spectacle. On y voit tout un ensemble de missions organisées sous le règne du grand roi Dharma-Açôka pour porter de tous côtés dans les pays étrangers les doctrines et les institutions buddhiques.

« Le thérô, fils de Moggali, dit l’auteur de ce livre, celui qui fait briller l’enseignement du Jina, après avoir tenu l’assemblée (le 3e concile), envisageant l’avenir, considéra que le moment était venu d’établir la loi dans les pays étrangers, et, dans le mois de kattika, il envoya des thêrôs, les uns d’un côté, les autres d’un autre.

« À Kasmîra et Gandhâra, il envoya le thêrô Majjhantika ; dans le Mahisamandala, le thêrô Mahâdêva ; à Vanavasi, il envoya le thêrô nommé Rakkita, et à Aparantaka, celui qui s’appelait Yonadhammarakkita ; dans le Mahârattha, il envoya le thêrô Mahâdhammarakkila ; quant au thêrô Mahârakkita, il l’envoya dans la contrée de Yôna. Il envoya le thêrô Majjhima dans le territoire de l’Himavat, et dans la terre de Suvaṇṇa les deux thêrôs Sôna et Uttara. Il envoya le thêrô Mahâmabinda avec les autres disciples Itthiya, Vuttiya, Sambala, Bhaddasala, en tout cinq thêrôs, en leur disant : « Établissez dans la délicieuse île de Lanka la délicieuse doctrine du Jina. » Ce tableau intéressant, que je ne me propose pas d’analyser dans son entier, frappe surtout par deux traits, celui du commencement et celui de la fin, la conversion des pays de Kasmîra et de Gandhâra, et celle de l’île de Lanka ou de Ceylan. Ce n’est pas seulement la vaste extension du buddhisme qui est indiquée dans cette simple énumération, c’est encore sa division en deux fractions : car, de même que la conversion de l’île de Ceylan a été l’origine du buddhisme du Sud, celle de la vallée de Kashmir a été le point de départ du buddhisme du Nord. Cette vallée est, sinon l’unique, au moins la principale voie de communication de l’Inde avec les contrées centrales de l’Asie ; c’est le chemin du commerce ; et, comme les idées suivent d’ordinaire le même chemin que les marchandises (bien que parfois il leur arrive de suivre celui des armées), c’est par cette voie-là surtout que le buddhisme a été porté dans le pays limitrophe de l’Inde, qui est devenu le centre du buddhisme septentrional, le Tibet. Aussi peut-on dire que, sauf la conversion de Ceylan, il n’y a pas, dans l’histoire du buddhisme, depuis Çâkyamuni, d’événement aussi considérable et aussi fécond en résultats que l’introduction du buddhisme dans le Kashmir.

Il existe, à notre connaissance quatre récits de cet événement : le xiie chapitre du Mahâvanso en contient un qui fait immédiatement suite au texte cité tout à l’heure ; le xie volume du Kandjur, consacré presque tout entier aux derniers événements de la vie de Çâkyamuni, à sa mort, à ses premiers successeurs, à la compilation de sa doctrine, nous offre la version officielle des buddhistes du Nord. Enfin Hiouen-Thsang recueillit à Kashmir même la tradition locale sur cet événement, dont le récit se trouve aussi dans l’histoire du buddhisme de Târânâtha, auteur tibétain qui écrivait dans le premier quart du xviie siècle[2]. Les renseignements fournis par Hiouen-Thsang nous sont connus par la traduction que nous devons à M. Stanislas Julien. Quant à Târânâtha, nous ne possédons pas son livre ; mais M. Wassilief l’a traduit, et, en attendant qu’il publie ce travail, il nous donne dans le premier volume de son ouvrage sur le buddhisme, le seul qui soit encore venu jusqu’à nous, une précieuse analyse du livre de Târânâtha. J’invoquerai sans les reproduire les récits de Hiouen-Thsang et de Târânâtha ; mais je veux donner d’abord intégralement le récit du Mahâvanso et celui du Kandjur.

Voici d’abord le récit du Mahâvanso, depuis longtemps connu par la publication que G. Turnour a faite du texte pâli d’une portion de cet ouvrage en l’accompagnant d’une traduction anglaise :

« Alors dans les pays de Kasmîra et de Gandhâra, le redoutable Aravâlô, roi des Nâgas, doué d’une grande puissance surnaturelle, faisant tomber une pluie mêlée de grêle, submergea dans une véritable mer toutes les moissons mûres[3]. Le thêrô Majjhantikô s’y rendit promptement à travers les airs, s’abattit sur le lac d’Aravâlô[4], et se tint à la surface de l’eau, marchant et absorbé dans la méditation. Les Nâgas, furieux à cette vue, le firent savoir au roi. Alors, le roi des Nâgas, furieux à son tour, employa tous les moyens d’épouvante : les nuages grondèrent, envoyèrent la pluie ; les Nâgas, prenant des formes hideuses, essayèrent de toutes parts de l’épouvanter. Lui-même (le roi) exhala de la fumée et du feu, lançant mille imprécations contre lui. Le thêrô ayant, par sa puissance surnaturelle, repoussé tous ces épouvantails, s’adressa au roi des Nâgas en lui manifestant sa force supérieure :

« Le monde avec tous les dieux aurait beau réunir tous ses efforts, il ne serait pas capable de faire naître en moi la crainte. Tu pourrais, ô grand Nâga, lancer sur moi la terre avec ses mers et ses montagnes, tu ne parviendrais pas à faire naître en moi la crainte. Cesse donc, ô roi des serpents, de causer la destruction des moissons. » Ces paroles l’ayant fait rentrer dans le calme, le thêrô lui enseigna la loi. Alors le roi des Nâgas fut établi dans la règle morale des (trois) refuges. Il en fut de même de quatre-vingt-quatre mille serpents et de bon nombre de Gandabbas, de Yakkas et de Kumbhandakas de l’Himavat.

« Un Yakka, nommé Panchakô, avec sa Yakkî Harîtâ et leurs cinq cents fils, obtinrent le premier degré (çrôta âpatti) : « Ne vous livrez plus désormais comme autrefois à la colère et à l’orgueil ; ne détruisez plus les moissons ; cherchez le bien-être des créatures, soyez compatissants pour tous les êtres ; que les hommes habitent en paix. » Telle fut l’exhortation qu’il leur adressa, et ils s’y conformèrent.

Alors le roi des serpents, ayant établi le thêrô sur un trône de pierres précieuses, se tint tremblant (et respectueux) en sa présence.

En ce temps-là, les hommes qui habitent Kasmîra et Gandhâra étaient venus rendre leurs hommages au roi des Nâgas. Ayant salué humblement le thêrô comme un thêrô doué d’une grande puissance surnaturelle, ils s’assirent à l’un de ses côtés ; le thêrô leur enseigna la loi intitulée Asivisôpama. Quatre-vingt mille personnes acceptèrent la loi ; cent mille autres entrèrent dans la prêtrise en présence du thêrô.

Depuis lors, dans les pays de Kasmîra et de Gandhâra, on vit briller les habits jaunes des religieux, et l’on fut adonné aux principes de la triple base. » De ce récit, écrit en pâli pour les buddhistes du Sud, je rapproche la narration tibétaine suivie par les buddhistes du Nord : elle se trouve dans le XIe volume de la Ire partie du Kandjur intitulée Dulva ou la discipline, et fait partie d’une section du Dulva qui occupe les volumes X et XI, et porte le nom de Vinaya-xudraka-vastu, en tibétain Hdul-va-phran-tsêgs-kyi-gyi, recueil des minuties de la Discipline. On ne voit pas bien en quoi cette section est plus minutieuse que les autres, car il y est question de choses graves et importantes, et il semble même qu’il y ait plus de minuties dans les livres dont le titre n’en annonce point ; mais nous n’avons pas ici à discuter ces titres. Le Vinaya-xudraka-vastu, comme tout le reste du Dulva tibétain, est traduit du sanscrit ; on donne même le nom des traducteurs : ce sont les pandits indiens Vidya-kara-prabha, et Dharma-çri-prabha, et le lotsava (interprète) tibétain Ban-dhe-dpal-hbyor. L’épisode de la conversion du Kashmir n’a pas encore été traduit, que je sache ; seulement Csoma de Körös en a fait[5] dans son analyse du Kandjur un résumé très-fidèle, mais très-bref. Je le donne intégralement, le faisant précéder du récit des derniers moments d’Ananda et le faisant suivre de la liste des chefs spirituels du buddhisme, pour rendre l’exposé plus complet et plus intelligible.

« Dans le temps où arriva pour le sthavira[6] Ananda le moment d’entrer dans le nirvana complet (parinirvana)[7], cette grande terre trembla de six manières. En ce temps-là, quelques autres rishis[8] s’étant réunis jusqu’à former un groupe de cinq cents personnes, se rendirent, au moyen de leur puissance surnaturelle, au lieu où était l’âyushmat[9] Ananda, et, ayant réuni les paumes de leurs mains, ils dirent à l’âyushmat Ananda : « Pour apprendre la loi et la discipline (Dharma et Vinaya)[10] bien enseignées, nous avons quitté notre demeure et nous sommes devenus des upâsakas[11] (auditeurs laïques) accomplis : nous demandons maintenant à être élevés à l’état de bhixus (moines mendiants). » En tout autant de temps, l’âyushmat Ananda produisit cette pensée : « Disciples, venez ici tous ensemble près de moi. » Quand il eut produit cette pensée, incontinent, conformément à ce qu’il avait dit, les cinq cents disciples se rendirent près de lui.

« Le sthavira Ananda, ayant accompli des transformations surnaturelles sur la terre ferme, au milieu de l’eau, ferma tout accès jusqu’à lui[12]. En tout autant de temps, l’assemblée de rishis, composée de cinq cents personnes qui avaient adopté la vie religieuse, obtint la demande[13], faite par ceux qui la composaient, d’être reçus religieux ; puis les membres de cette assemblée arrivèrent à l’état d’anâgami (qui ne revient pas à la vie), et, quand la troisième opération eut été exposée[14], ayant rejeté loin d’eux toute la corruption naturelle, ils obtinrent l’état d’arhat (digne, méritant). Ceux-là donc étant devenus religieux au milieu de la Gangâ (du Gange) et au milieu du jour : « L’un d’eux sera appelé « Milieu de l’eau (ou l’île, de l’île), l’autre sera appelé « Milieu du jour (midi, Ñi-ma-i-gung, Madhyântika)[15] ; » voilà ce qui fut proclamé.

« Ceux-là donc, ayant accompli ce qu’ils avaient à faire, ayant honoré avec la tête les pieds de l’âyushmat Ananda, dirent : « Puisque Bhagavat, arrivé au terme de toutes ses bonnes actions, est entré antérieurement dans le nirvana complet, que le précepteur donne une instruction, car nous devons entrer les premiers[16] dans le nirvana complet, nous désirons ne point voir le précepteur entrer dans le nirvana complet. » — Le sthavira repartit : « Mon fils[17], Bhagavat, après avoir remis le dépôt de son enseignement à l’âyushmat Mahâkaçyapa, est entré dans le nirvana complet. Le sthavira Mahâkaçyapa à son tour, me l’ayant remis, me dit : Maintenant, quand je serai entré dans le nirvana complet, surveille avec soin cet enseignement. — Bhagavat a dit : Le pays de Kashmir[18] est le meilleur séjour pour le dhyâna (l’extase) et le recueillement parfait (hthun-samagra)[19] ; tel a été son oracle sur le pays de Kashmir. Et après le nirvâna complet de Bhagavat, après un laps de cent ans, il existera un bhixu, nommé le Milieu du jour (Ni-ma-i gung, Madhyântika), par lequel on sera, ici[20], établi dans la doctrine. — Telle a été sa prédiction. D’après cela, mon fils, à toi d’affermir ce pays dans la doctrine. — Je le ferai ainsi, » répondit-il.

Ensuite l’âyushmat Ananda commença à manifester toutes sortes de transformations surnaturelles. Or, un habitant du pays de Magadha[21], pleurant de tendresse, lui cria : « Maître, viens ici. » — Un habitant de Vriji[22] (Spong-byed), pleurant de tendresse, l’appela aussi, en disant : « Maître, viens ici. » Telle fut l’invitation que, de chacune des rives du fleuve, deux hommes lui adressèrent. Ayant entendu ces appels et agissant avec sagesse, il partagea son corps vieilli en deux parties.

Puis l’âyushmat Ananda, ayant béni son corps, ayant fait apparaître des transformations merveilleuses de toute espèce, semblable à la vapeur produite par l’eau dans le feu[23], entra dans le nirvâna complet. Une moitié de son corps fut remise aux habitants de Vaïçâlî, l’autre moitié au roi Ajâtaçatru ; ce qui fit dire : « Le prince, la tête de la science, ayant disposé des parties de son corps[24], en a donné une moitié à l’Indra des hommes (au roi), l’autre moitié, il l’a donnée, ce muni[25], à tout un peuple[26]. » — Ensuite les Lichavyi, ayant bâti à Vaïçâlî un chaitya (ou stûpa)[27], y mirent la moitié du corps d’Ananda, et le roi Ajâtaçatru aussi, ayant bâti un chaitya dans la ville de Pataliputra, y mit l’autre moitié.

Ensuite, Madhyântika produisit cette pensée : Mon précepteur m’a donné cet ordre : Introduis la doctrine dans le pays de Kashmir, car Bhagavat a fait cette prédiction : Il y aura un bhixu du nom de Madhyântika (Ni-ma-i-gung « midi ») qui, après avoir vaincu le méchant Nâga Hu-lun-ta[28], introduira la doctrine dans le pays de Kashmir. Eh bien ! je me pénétrerai à fond de l’esprit de la doctrine. C’est ainsi qu’il pensa. L’âyushmat Madhyântika se rendit donc dans le pays de Kashmir et s’assit les jambes croisées : puis Madhyântika fit cette réflexion : Pour triompher de ces Nâgas du pays de Kashmir, je mettrai ces Nâgas dans le trouble, et, par là, je les surmonterai. — Telles furent ses réflexions, puis il resta ainsi, absorbé dans la contemplation (samâdhi), plongé dans le recueillement complet. Ainsi, le pays de Kashmir trembla de six manières : pour lors, les Nâgas troublés soufflèrent avec violence, et, faisant tomber des pluies abondantes et impétueuses, commencèrent à maltraiter le sthavira. Mais le sthavira restait assis plongé dans la contemplation de maitrêya (ou de l’amour, Maitrêya ou Maitrî samâdhi[29]), et les Nâgas ne furent pas capables d’agiter même le bord de son vêtement de religieux. Ensuite, ces Nâgas firent tomber une pluie de flèches ; mais le sthavira les fit arriver en fleurs éclatantes, en lotus, en lotus bleus, en lotus rouges[30], en lotus blancs. Ces Nâgas se mirent alors à lancer sur lui des amas[31] de pointes de rochers, de grandes flèches, des amas d’armes aiguës, des haches d’armes : le tout tomba près du sthavira en pluie de fleurs. Alors ils dirent : « Cet être semblable au sommet d’une montagne couverte de neige, et comme brillant de l’éclat du soleil, en restant fermement assis, anéantit et rend invisibles, à mesure qu’elles arrivent, toutes ces pointes de rochers[32] ; quand tombe une averse qui balaye tout, il la fait arriver en pluie de fleurs de toutes sortes ; s’il tombe du ciel une pluie de flèches, ce ne sont que guirlandes de fleurs qui couvrent le sol.

Ensuite, comme il était assis dans un calme parfait, plongé dans la contemplation de Maitrêya, que le feu ne le brûlait pas, que ni les armes ni le poison ne pouvaient s’attacher à son corps et y pénétrer, les Nâgas furent émerveillés. Puis ces Nâgas, étant venus près du sthavira, lui dirent : « Vénérable, qu’ordonnes-tu ? » — Le sthavira repartit : « Faites-moi don de ce lieu. » — Les Nâgas reprirent : « On ne peut présenter un rocher comme offrande[33]. » — Le sthavira répondit : « Bhagavat a prédit que cette place serait mienne, parce que le pays de Kashmir est un lieu favorable pour le dhyâna et le recueillement parfait. Désormais elle est à moi. » — Les Nâgas repartirent : « Sthavira, Bhagavat l’a-t-il ainsi déclaré ? — Bhagavat l’a ainsi déclaré, » répondit le sthavira. Les Nâgas dirent : « Sthavira, combien d’espace te donnerons-nous en offrande ? — Autant que j’en occupe assis les jambes croisées, répondit le sthavira. — Les Nâgas reprirent : « Révérend, nous te l’offrons. » — Le sthavira s’assit les jambes croisées ; les extrémités des vallées furent déprimées par cette action[34].

Les Nâgas dirent : « Sthavira, à quel nombre d’hommes s’élève l’assemblée de tes disciples ? » — Le sthavira se dit en lui-même : combien de disciples rassemblerai-je ? — Et aussitôt le sthavira pensa : Ce sera cinq cents arhats ; et il dit aux Nâgas : « Elle s’élève au chiffre de cinq cents arhats. — Qu’il en soit ainsi, répondirent les Nâgas. — Quand bien même il s’en faudrait d’un seul arhat[35], reprit Maudhyântika, je ravirai en ce temps-là le pays de Kashmir. »

« Puis le sthavira Madhyântika dit aux Nâgas du pays de Kashmir : « Voilà une affaire réglée ; mais ce n’est pas assez : là où demeurent des gens qui donnent, là seulement il peut exister des gens qui reçoivent[36] ; en conséquence, je veux aussi établir ici des maîtres de maison. — Qu’il en soit ainsi. » répondirent les Nâgas. — Incontinent, le sthavira se mit à créer lui-même des villages, des villes, des provinces, et il y installa des sociétés d’hommes. Ceux-ci dirent : « Sthavira, comment nous accroîtrons-nous ? — Aussitôt le sthavira, emmenant avec lui des multitudes d’hommes, se rendit sur la montagne de Gandhamâdana[37] (la montagne des parfums) et dit : Que le safran apparaisse ! — Aussitôt les Nâgas du mont Gandhamâdana se soulevèrent ; mais le sthavira les dompta également ; ils dirent alors : « Combien de temps doit durer l’enseignement de Bhagavat ? — Mille ans[38], » répondit le sthavira. — Ceux-ci reprirent : « Aussi longtemps que doit durer la doctrine de Bhagavat, aussi longtemps il faut la propager. » — Tel fut le vœu par lequel ils se lièrent. — » Qu’il en soit ainsi, » reprit le sthavira ; et, sans plus tarder, le sthavira introduisit le safran dans le pays de Kashmir et en bénit la culture. Après un long temps employé à implanter et à propager au loin dans le pays de Kashmir l’enseignement de Bhagavat, le sthavira Madhyântika, après avoir, par toutes sortes de merveilles et de prodiges, réjoui le cœur de ceux qui donnent, et dont la vie est conforme à la pureté, semblable à la vapeur formée par l’eau dans le feu, entra dans le nirvâna. Son corps, brûlé avec du bois d’excellent sandal, du bois d’akara et de diverses autres espèces d’arbres, fut mis dans un chaitya (ou stûpa) construit pour cela même.

« Ensuite l’âyushmat Çânavâsika[39], ayant reçu prêtre l’âyushmat Upagupta (Vsñe-Sva, sous-garde[40]), puis ayant répandu au loin la doctrine, adressa ce discours à l’âyushmat Upagupta : « Ayushmat Upagupta, apprends bien ce que je vais te dire : Bhagavât a jadis remis l’enseignement à l’âyushmat Mahâkaçyapa, puis il est entré dans le Nirvâṇa complet. L’âyushmat Mahâkaçyapa l’a remis à mon précepteur, et mon précepteur, à son tour, m’ayant confié (le dépôt de) l’enseignement, est entré dans le nirvâna complet. Et maintenant que moi aussi[41] je vais entrer dans le nirvâna complet, ce sera à toi désormais à développer tout au long cet enseignement, à l’appliquer à faire connaître à tous en quels termes Bhagavat a formulé sa doctrine. » — Puis, l’âyushmat Çânavâsika, après avoir réjoui le cœur de ceux qui donnent beaucoup et dont la manière de vivre est conforme à la pureté, ayant fait apparaître des lueurs, des flammes, des pluies abondantes, des éclairs et toutes sortes de prodiges, entra dans le nirvâna complet au sein du milieu exempt de tout reste d’agrégat[42].

« Le sthavira Upagupta, à son tour, enseigna à l’âyushmat Dhîtika (le penseur, ou chanteur d’hymnes ) les parties essentielles et indispensables de la doctrine ; l’âyushmat Dhîtika[43] les enseigna à l’âyushmat Kâla (Nag po, le noir) ; l’âyushmat Kâla à l’âyushmat Sudarçana (legs.mthong, qui voit bien[44]). Voilà comment ces[45] éléphants entrèrent dans le nirvâna complet[46]. »

Il est manifeste que le récit tibétain et le récit pâli, composés dans des pays si éloignés l’un de l’autre et dans des temps différents, dérivent d’une même source et reproduisent la même tradition. L’accord qu’ils présentent se trouve confirmé par les récits de Hiouen-Thsang et de Târânâtha, ainsi que le prouvera l’examen auquel nous allons nous livrer.

Deux personnages principaux sont en présence dans ces récits : un religieux buddhiste et un roi des Nâgas du Kashmir. Le religieux buddhiste est appelé en pâli Majjhântika, mot qui correspond au sanscrit Madhyântika, dont le sens, quelque peu obscur, paraît être, « qui est en présence du milieu, » ou tout simplement « au milieu. » Les Tibétains l’ont rendu par Ñi-mai-gung (le milieu du jour). Ce nom semblerait devoir être plutôt la traduction du sanscrit Madhyâhna (midi) car midi se dit en tibétain ñi-mai gung et ñin-gung (Dict. de Schmidt). Le dictionnaire tibétain-sanscrit de la Bibliothèque impériale donne pour équivalent du sanscrit Madhyâhna (midi) le composé gung-mthun (égal par la moitié, divisé en deux parties égales) ; il ne cite ni le composé tibétain Ñi-mai-gung, ni son équivalent sanscrit Madhyântika. Il y a donc une certaine difficulté à saisir un rapport très-exact entre ces deux mots : un seul élément du composé, milieu (madhya en sanscrit, gung en tibétain) se trouve exprimé de part et d’autre. Hiouen-Thsang ne nous vient pas en aide dans cette difficulté parce qu’il transcrit toujours le nom de Madhyântika sous la forme Mo-tien-ti-kia, et n’en donne point l’équivalent chinois : on n’en trouve pas la traduction dans les tables que M. Stanislas Julien a mises à la fin de son ouvrage.

Malgré ces difficultés, l’identité de Madhyântika et de Ñi-mai-gung n’est point douteuse. Il est admis sans contestation que ces deux noms sont celui d’un seul et même personnage, celui qui porta le buddhisme à Kashmir.

Le rapprochement des noms donnés dans l’un et l’autre texte ou roi des Nâgas présente des difficultés plus sérieuses. Ce personnage est appelé dans le Kandjur Hulunta et dans le Mahavanso Aravâlô. Le mot hulunta n’a une physionomie ni tibétaine ni sanscrite, et il ne paraît pas qu’il appartienne à aucune de ces deux langues. Le dictionnaire sanscrit-tibétain intitulé Mahâvyutpatti renferme une liste des rois des Nâgas. On trouve dans cette énumération très-longue le terme Hulu-Hulu, avec le correspondant sanscrit Hulura, et les variantes Huluḍa et Huluṇḍa. Il n’est pas douteux que ce nom est bien celui que nous avons dans le Kandjur. L’insertion de la nasale est facultative ; le d cérébral est connu pour se confondre avec la lettre r : Hulunta. Uluta, Ulada, Uluṇḍa, Ulura sont évidemment diverses formes d’un même mot. La signification en est fort douteuse, et c’est peut-être par ce motif que les Tibétains, au lieu de le traduire suivant leur habitude constante, se sont bornés à le transcrire. Il n’est pas probable qu’il soit sanscrit, et il pourrait bien être un mot local, propre au Kashmir. On s’expliquerait ainsi les diverses lectures qui en existent[47]. Immédiatement après le nom de Hulu, notre dictionnaire donne le terme Huluka ou Uluka : on pourrait le considérer comme une variante du précédent, et essayer de l’y rattacher ; mais comme il est accompagné d’une traduction tibétaine Gsal.mthong (clairvoyant ou regard brillant), on hésite à les rapprocher ; car si l’on a bien trouvé une traduction pour l’un, par quelle raison l’autre en serait-il privé[48] ?

Le nom d’Aravâlô, le roi des Nâgas du Mahâvanso, se trouve aussi dans le Mahâvyutpatti, et vient immédiatement à la suite des précédents : il est traduit par le composé tibétain brtsêgs-rgyas (élevé, étendu, ou étendu en hauteur). Quant au mot sanscrit-pâli Aravâlô, sa signification est très-incertaine : on ne pourrait arriver, en cherchant à l’interpréter, qu’à des résultats fort douteux, et surtout il serait très-difficile de trouver le sens indiqué par le tibétain. L’identité des personnages appelés Hulunta et Aravâlô est donc très-peu certaine ; et même, d’après le dictionnaire Mahavyutpatti, qui cependant les rapproche l’un de l’autre, on devrait les considérer comme tout à fait distincts. Ils n’ont de commun que leur qualité de rois des Nâgas.

C’est seulement par cette qualité que Hiouen-Thsang désigne l’adversaire de Madhyântika : il n’en dit pas le nom. Autant en fait Târânâtha, à en juger par l’analyse de M. Wassilief ; mais le nom de Hulunta se retrouve dans l’ouvrage de M. Schiefner. Il est à remarquer que la chronique kashmirienne Râjataranginî ne connaît ni Aravâlô, ni Hulunta. Ce n’est pas qu’elle ignore les Nâgas ; bien au contraire, elle les présente comme les amis et les protecteurs du pays, des divinités, dont les rois de Kashmir, religieux et libérateurs, ont protégé le culte ou vaincu les ennemis. Mais elle donne au grand chef de ces Nâgas le nom de Nîla (le bleu)[49] ; il semble avoir été confondu avec Çiva. La même chronique cite deux autres chefs de Nâgas, Çankha et Padma[50]. Ainsi il n’y a pas d’accord sur les noms entre les buddhistes et les brahmanes, bien que les uns et les autres assignent aux Nâgas un rôle important.

Les Nâgas ou serpents d’eau sont, en effet, représentés dans les documents brahmaniques et buddhiques comme les habitants primitifs du Kashmir. Il importe peu de rechercher ici si ce nom désigne un peuple, les premiers habitants du pays, ou s’il figure d’une manière allégorique les eaux qui l’auraient couvert entièrement et l’auraient rendu inhabitable dans des temps sans doute fort éloignés. Il paraît démontré que la vallée de Kashmir fut jadis un lac, et que les alluvions de la Vitastâ (le Jilun), aidées sans doute par l’industrie des hommes, y ont créé peu à peu un sol habitable. Quoi qu’il en soit, et quelque sens particulier qu’on doive attacher au mot Nâga, le récit du Kandjur nous présente bien clairement le Kashmir comme peuple, ou tout au moins civilisé par les buddhistes. Avant l’arrivée de Madhyântika le pays était entièrement désert, sans habitants, sans villes, sans culture, occupé tout entier par les eaux (c’est-à-dire par les Nâgas) ; ou, si l’on veut considérer les Nâgas comme une race d’hommes, c’était une population tellement sauvage et grossière qu’on a pu aisément la confondre avec des reptiles aquatiques. Hiouen-Thsang, qui séjourna deux ans dans le pays et eut tout le loisir d’y recueillir les traditions, cite une description du Kashmir d’origine évidemment buddhique, qui dépeint d’une manière plus positive encore que ne fait le Kandjur cette contrée comme entièrement submergée. Il y est dit, en effet, « que le pays était primitivement un étang de dragons. Madhyântika, s’y étant rendu, obtint du roi des dragons un petit espace au milieu du lac ; à peine eut-il occupé cet espace restreint qu’il agrandit démesurément son corps. À mesure que le nouveau venu prenait des dimensions plus vastes, le roi des Nâgas resserrait ses eaux, si bien que, à la fin, l’étang se trouva entièrement à sec. Le roi des Nâgas fut donc réduit à demander à Madhyântika la faveur d’un peu d’eau, et le religieux consentit à lui accorder pour lui et ses sujets un petit étang de 100 li de tour, environ 7 lieues. Depuis ce temps, les Nâgas furent attachés au buddhisme et très-respectueux envers les religieux[51]. » Târânâtha dit pareillement que le pays de Kashmir était primitivement un lac ou une demeure de Nâgas, et que le premier soin de Madhyântika fut de les chasser et d’en nettoyer le pays[52].

Tel étant l’état du Kashmir avant le buddhisme, l’œuvre des disciples de Çâkyamuni aurait été d’abord de dessécher les marais, de régler le cours des eaux, de rendre le pays habitable, puis d’y attirer les gens du dehors pour le peupler. Une telle œuvre, si elle n’est pas historiquement vraie, est au moins très-vraisemblable. Les moines chrétiens n’en ont pas accompli d’autre du ve au xe siècle en Gaule, en Germanie et ailleurs[53]. Le Kandjur et Hiouen-Thsang disent positivement que « Madhyântika fit venir des contrées voisines d’abord des religieux, puis des habitants, dans un pays primitivement désert, qu’il y bâtit des villes et des villages, et y introduisit la culture du safran. » Hiouen-Thsang ajoute que « à la mort de Madhyântika, les Kashmiriens se donnèrent un roi ; » et il fait ainsi remonter jusqu’à Madhyântika et à la révolution opérée par lui l’origine même du royaume de Kashmir. Târânâtha est peut-être plus explicite encore ; il raconte que, à la place des Nâgas expulsés, Madhyântika fit venir cinq cents religieux de sa suite, plus des brahmanes, des maîtres de maison de Bénarès, qu’il constitua ainsi une colonie, grossie depuis par les émigrations nouvelles parties des pays voisins, qu’il bâtit neuf villes, douze temples, nombre de villages, et prépara ainsi la richesse du pays par la culture du safran qu’il y introduisit et le vaste commerce dont cette culture fut la cause. Hiouen-Thsang, en effet, parmi les productions du Kashmir, cite les chevaux de la race des dragons, et le kurkuma, nom sanscrit du safran[54].

Les buddhistes, au moins ceux du Nord, ont donc la prétention d’avoir non-seulement converti, non-seulement civilisé, mais même peuplé et conquis sur une nature sauvage le pays de Kashmir. Est-il possible de leur faire cette concession ? Les brahmanes, eux aussi, revendiquent cette gloire ; ils la rattachent au nom de Kaçyapa, qui est appelé le fils de Marîchi, le petit-fils de Brahmâ, le Prajâpati, l’auteur de toutes les créatures, et par là ils reculent le dessèchement de la vallée de Kashmir jusque dans les temps antéhistoriques. Ils disent que ce Kaçyapa, le créateur des êtres, après avoir tué le démon Jalodbhava, qui demeurait dans l’eau, forma dans le fond du lac le pays de Kashmir[55]. Ce monstre Jalodbhava, dont le nom a un sens parfaitement clair : né de l’eau ou dans l’eau (aquâ oriundus), joue à l’égard de Kaçyapa le même rôle que Aravâlô ou Hulunta à l’égard de Madhyântika. Jalodbhava figure ici, pour les brahmanes, un élément destructeur qu’il fallait anéantir, l’inondation constante ou toujours menaçante, tandis que les Nâgas, représentant sans doute l’eau et la pluie fécondante, sont des êtres bienfaisants, qui deviennent accidentellement nuisibles, lorsque leur culte a été négligé. Telle est la conception brahmanique. Les buddhistes ne distinguent point entre les bons et les mauvais Nâgas, ils les traitent tous en adversaires. Mais leurs procédés sont tout autres que ceux des brahmanes, et c’est ici qu’on peut apprécier la différence des deux religions. Kaçyapa, le civilisateur brahmanique, anéantit son adversaire, Jalodbhava ; Madhyântika, le civilisateur bouddhiste, commence par essuyer toutes les attaques les plus furieuses du sien ; il finit par l’adoucir, le convertir, et en faire un fidèle disciple du Buddha.

La Râjataranginî, qui, d’accord avec le Kandjur et le Mahâvanso, rapporte l’établissement du buddhisme dans le Kashmir au règne d’Açôka, est bien éloignée de faire dater de cet événement l’origine du royaume lui-même. Elle nous présente une série de souverains qui auraient régné avant l’introduction du buddhisme, et dont l’ensemble ne comprend pas moins de quarante-six générations. Le Mahâbhârata, dans la description de la conquête du monde par les fils de Pandu, événement bien antérieur, de l’aveu même des buddhistes[56], à l’apparition de Çâkyamuni, dit que Arjuna vainquit dans le Nord, entre autres adversaires, les Xatryas héroïques de Kaçmîra[57]. Le témoignage du Mahâbhârata peut, il est vrai, paraître suspect ; car, même en admettant, ce qui semble certain, que les divers poëmes particuliers qui le composent sont bien antérieurs au buddhisme, la rédaction définitive peut en être plus récente, et il a dû s’y glisser des interpolations, surtout dans les épisodes qui contiennent des énumérations géographiques, comme celui des conquêtes exécutées par les fils de Pandu. Quoi qu’il en soit, nous voyons la chronique kashmirienne et le grand poëme national des Aryens nous montrer la civilisation brahmanique établie à Kashmir bien avant la naissance du buddhisme. Du reste, les buddhistes du Sud eux-mêmes semblent, sur ce point historique, se rapprocher des brahmanes, et ils sont loin d’être aussi affirmatifs que leurs confrères du Nord sur l’étendue de l’œuvre civilisatrice accomplie dans le Kashmir par Madhyântika. Il est vrai que, avec leurs Nâgas, leurs Yakkas, leurs Gandhabbas et leurs Kumbbandakas de l’Himavat, ils nous transportent dans le monde imaginaire de la féerie indienne : les quatre-vingt-quatre mille serpents qui se font buddhistes, et dont le nombre rappelle les quatre-vingt-quatre mille monuments élevés par le roi Açôka et les quatre-vingt-quatre mille subdivisions de la loi, peuvent être considérés comme des êtres tout à fait fantastiques. Il n’en est pas moins vrai que, à côté de ces êtres surhumains, le texte pâli place de véritables hommes dans le Kashmir. Il nous dit que les moissons y avaient été détruites par le fait des Nâgas : ces moissons ne peuvent avoir été que le produit du travail de l’homme. Madhyântika, dans son exhortation aux Yakkas, leur recommande de ne plus détruire les moissons, de laisser les hommes habiter en paix. Enfin le texte pâli dit de la manière la plus positive que les hommes (manujâ) qui habitent les pays de Kasmîra et de Gandhâra étaient venus pour honorer les Nâgas et les apaiser par des offrandes. Il est donc bien constant que le Mahâvanso considère le pays de Kashmir comme habité et cultivé avant l’arrivée des buddhistes. Madhyântika, en s’y établissant, y prêcha avec succès les doctrines de sa secte, et substitua au culte des Nâgas les institutions monacales, les croyances et les pratiques religieuses du buddhisme. C’est évidemment là ce que le texte signifie.

Cependant, s’il faut tenir compte de toutes les circonstances indiquées par le texte pâli, on croit entrevoir que la période immédiatement antérieure à l’arrivée de Madhyântika aurait été une période malheureuse, signalée, soit par des calamités naturelles, inondations, tempêtes, etc. soit par un état d’anarchie et de désordre. Les buddhistes auraient calmé ces maux : les maux physiques par de nouveaux procédés ou un plus grand soin dans la culture ; les maux politiques et sociaux, par l’enseignement d’une religion nouvelle. Cependant la Râjataranginî ne dit rien qui puisse faire supposer l’existence de cette époque de désordre : il est vrai qu’elle avait peut-être intérêt à la dissimuler ; mais les buddhistes ont pu avoir intérêt à l’inventer ou du moins à l’exagérer. On voit seulement par la chronique brahmanique que les quatre rois qui précédèrent Açôka, l’introducteur du buddhisme dans le pays, selon notre chronique, viennent après un roi mort sans postérité, et Açôka, leur successeur, ne descendait pas d’eux en ligne directe[58]. Cette interruption dans la filiation de la dynastie kashmirienne est le seul fait qui pourrait être l’indice d’une époque troublée : du reste, ces quatre rois paraissent avoir été recommandables, religieux, généreux envers les brahmanes, et l’un d’eux aurait même fait exploiter une mine[59]. Le pays était donc fort heureux, et les novateurs, dont la force s’accroît par la vie errante (c’est ainsi que l’auteur désigne les buddhistes), n’avaient que faire de venir troubler l’ordre établi. Ainsi pensait probablement l’auteur de la Râjataranginî : l’introduction du buddhisme dans le pays fut, selon lui, un mal ; mais en général il le traite avec une certaine légèreté, ayant l’air de n’y attacher aucune importance et de ne pas même le tenir pour digne de sa colère. Malgré ce dédain des brahmanes, il n’est pas douteux que l’introduction du buddhisme dans le Kashmir a eu les plus graves conséquences. Il a pu ne pas être étranger à la prospérité matérielle du pays, ainsi que le prétendent tes buddhistes du Nord. Je ne saurais affirmer si l’on doit faire dater de cette époque la culture du safran. Cette plante est connue pour être une des productions du pays ; elle a même en sanscrit le nom de kaçmîrajanman (natif du Kashmir). Mais il serait bon de savoir s’il existe une tradition brahmanique qui puisse être opposée à celle des buddhistes relativement à cette plante. Du reste, d’importants changements, que les brahmanes eux-mêmes ne contestent pas, prouvent que l’introduction du buddhisme au Kashmir marque une ère nouvelle dans l’histoire du pays. La Râjataranginî va jusqu’à attribuer au roi Açôka la fondation de Çrînagarî, la ville capitale. Ainsi les renseignements qui nous viennent de part et d’autre se confirment, se complètent et s’atténuent mutuellement. Le pays n’était point primitivement aussi sauvage que le veulent bien dire les buddhistes. L’arrivée de ceux-ci lui a bien communiqué quelque chose de la richesse et de la gloire qu’ils se vantent de lui avoir apportées. Il est bien permis de croire que la puissance royale d’Açôka a fait pour le moins autant en faveur de cette prospérité que la parole de Madhyântika. La part de l’influence religieuse n’en reste pas moins très-considérable. Il s’en faut, sans doute, que le buddhisme ait eu constamment cette prééminence souveraine, cet empire exclusif, que lui attribuent les buddhistes du Sud aussi bien que ceux du Nord : il lui a bien fallu compter avec le culte de Çiva. Le Kashmir n’en est pas moins devenu un des plus ardents foyers du buddhisme : il lui a dû la gloire et l’autorité morale qui s’attachent à tout peuple, si peu nombreux soit-il, qui représente une grande idée, ou se signale par quelque grand effort de l’intelligence, et l’exercice d’une véritable autorité spirituelle, depuis longtemps perdue, mais dont les effets subsistent encore aujourd’hui.

De la différence qui existe entre le Mahâvanso d’une part, le Kandjur et les autres auteurs buddhistes de l’autre, on peut tirer cette conclusion, que le récit pâli est le plus rapproché des événements. Malgré toute la fantaisie qui y règne, il suppose une notion plus exacte de l’état du pays. Il se borne à en retracer la conversion, et ne le présente pas seulement comme un désert hanté par des monstres. Le Kandjur, au contraire, paraît décrire un état plus récent, une civilisation buddhique, déjà avancée, implantée sur la civilisation primitive venue des brahmanes. Car cette culture du safran, ces fondations de villes, ce développement de la richesse du pays, tout cela est, dans la pensée même des auteurs buddhistes, plus récent que l’arrivée de Madhyântika, bien qu’ils réunissent tous ces faits comme s’ils étaient simultanés. On comprend aisément que, en présence d’une civilisation buddhique florissante, ils aient pu oublier l’œuvre antérieure des brahmanes, et, même sans calcul, la compter pour néant. La forme même des deux récits, et les circonstances spéciales par la mention desquelles ils se distinguent, prouvent l’antériorité, d’ailleurs attestée par l’ensemble des documents historiques, du récit pâli sur les récits tibétains et chinois.

La preuve du même fait peut se tirer de la mention du pays de Gandhâra, qui se trouve dans le récit pâli et ne se rencontre dans aucun autre. Le Mahâvanso ne cite jamais le pays de Kasmîra tout seul ; il lui associe constamment le Gandhâra. Cependant ces deux contrées ne sont pas limitrophes, un assez grand espace les sépare. La situation du Gandhâra, souvent cité par les historiens et les géographes grecs, et dont le nom se lit plusieurs fois dans les inscriptions cunéiformes perses, est fixée maintenant d’une manière indubitable, grâce surtout aux données si précises fournies par Hiouen-Thsang : c’était le pays situé sur la rive droite de l’Indus, à l’extrémité de la vallée de Kabul, et la ville actuelle de Peishaver représente l’antique Purushapura, capitale du pays de Gandhâra[60]. On se demande donc quel motif a pu pousser l’auteur du Mahâvanso à unir ainsi Gandhâra et Kasmîra, d’autant que ces descriptions de lacs, de débordements, ces fables relatives aux Nâgas ou serpents d’eau, et aux génies habitants de l’Himavat (ou l’Himalaya), conviennent très-bien au Kashmir et n’ont plus de raison d’être s’il s’agit du Gandhâra. On est d’abord tenté de croire à un anachronisme, à une confusion entre Açôka et Kanishka, tous deux rois puissants, grands protecteurs du buddhisme, et qui réunirent chacun un concile. Kanishka régnait peu avant le commencement de notre ère. La Râjataranginî le cite comme roi du Kashmir, mais le qualifie d’étranger[61] ; les Pèlerins buddhistes l’appellent roi de Gandhâra[62]. Le siége de sa puissance était en effet à l’ouest de l’Indus. La qualification de « roi de Gandhâra et de Kasmira » lui conviendrait donc parfaitement, comme celle de roi de France et de Navarre à nos anciens rois. Il n’est cependant pas probable que Mahânâma ait transporté à Açoka des faits concernant Kanishka : ce dernier, célèbre chez les buddhistes du Nord, qui cependant paraissent n’en point parler dans leurs livres canoniques, est inconnu aux buddhistes du Sud. La séparation des deux branches du buddhisme, postérieure à Açoka, sinon contemporaine de ce roi, est antérieure à Kanishka, et il ne paraît pas possible d’admettre un mélange dans les traditions qui peuvent se rapporter à ces deux personnages. Du reste, l’union des noms de Kasmîra et de Gandhâra s’explique suffisamment par le vaste développement de la puissance d’Açôka (puisque la ville de Taxaçilâ, capitale d’un royaume limitrophe du Gandhâra et situé entre ce royaume et celui de Kashmir, appartenait à Açôka) et par la prompte diffusion du buddhisme au delà de l’Indus. Car le Kashmir, une fois gagné au buddhisme, fut le point de départ d’une vaste et active propagande. Nous voyons Dhîtika, séparé de Madhyântika par l’intervalle d’une seule génération, peut-être même son successeur immédiat, porter déjà les doctrines de Çâkyamuni dans la Bactriane[63]. La mention répétée du nom de Gandhâra dans le Mahâvanso marque la première étape dans la marche du buddhisme vers les contrées occidentales ; d’où l’on est en droit de conclure que le récit de Mahânâma, ou du moins celui qui lui a servi de modèle, fut composé au commencement et lors des premiers succès de ce grand et magnifique mouvement. Mais, après des triomphes qu’on aurait pu croire définitifs, la décadence survint : au temps de Hiouen-Thsang, les buddhistes ne formaient plus dans le Gandhâra qu’une faible minorité : l’herbe poussait dans les couvents déserts et en ruines[64]. Or le récit du Kandjur, dans sa rédaction dernière, date bien certainement de cette période de revers : il n’a pas célébré des conquêtes reprises par l’ennemi ; et si le texte original les racontait, comme il y a lieu de le penser, les traducteurs auront supprimé ces témoignages indirects, mais trop positifs, des défaites du buddhisme. La fin du volume dont est tiré notre récit contient des remarques d’un lama sur des fautes de traduction qui existeraient dans ce volume et dans le précédent. Peut-être ce reproche s’applique-t-il aussi à des réticences du genre de celles dont nous venons de signaler la possibilité.

On a pu remarquer que le Mahâvanso et la Râjataranginî sont d’accord pour rapporter au règne d’Açôka l’établissement du buddhisme dans le Kashmir. La chronique brahmanique ne parle ni de Madhyântika, ni d’aucun missionnaire buddhique ; à ses yeux, l’introduction de cette religion nouvelle ne fut qu’un effet du caprice, de l’égarement, de la tyrannie d’Açôka ; elle ne s’est donc point complu à en décrire les progrès et les triomphes. Mais dans son indication sommaire, elle établit un synchronisme remarquable avec l’auteur cingalais. On a soupçonné les buddhistes d’avoir rassemblé et mis sous le nom d’Açôka toutes les conquêtes spirituelles de leur religion : voici un auteur brahmanique qui, certes, ne se soucie guère de la gloire d’Açôka, ni surtout des triomphes du buddhisme, et qui, sur un point particulier, leur donne complètement raison.

On peut ajouter que le Kandjur est d’accord avec ces deux ouvrages ; il ne prononce pas, il est vrai, le nom d’Açôka, mais il fixe la conversion du Kashmir à la 100e année après le Nirvâna. Or, la 100e année du Nirvâna tombe sous le règne d’Açôka (d’après le Kandjur). La chose est fort connue ; mais il n’est pas inutile de citer un des textes les plus curieux parmi ceux qui l’établissent : Un jour, Çâkyamuni, accompagné de son disciple Ananda, mendiait dans les rues de Çrâvastî en Kôçala : un enfant qui jouait avec d’autres, le voyant venir de loin, monta sur les épaules d’un de ses camarades pour verser comme offrande, dans le vase aux aumônes du Buddha, un peu de la terre avec laquelle il jouait ; ce qui lui attira cette prédiction : « Cent ans après mon Nirvâna, cet enfant sera le roi appelé Açôka, et l’autre enfant sera son (premier) ministre ; il régnera sur le Jambudvîpa, et, après avoir proclamé en tous lieux les qualités des trois joyaux, il élèvera sur une vaste étendue des stûpas à mes reliques, il répartira dans le Jambudvipa quatre-vingt-quatre mille stûpas[65]. »

Malgré cet accord apparent sur la date de l’introduction du buddhisme dans le Kashmir, le Mahâvanso et le Kandjur sont profondément divisés. Selon le Mahâvanso, en effet, l’événement se place à la 235e année après le Nirvâna. Cette divergence vient de ce que les buddhistes du Nord ne reconnaissent qu’un seul Açôka, le grand roi qui réunit le deuxième concile à Vaïçâlî, cent dix ans après le Nirvâna, tandis que les buddhistes du Sud en reconnaissent deux : le premier Açôka surnommé le Noir (Kâla) qui réunit le deuxième concile à Vaïçâlî cent ans après le Nirvâna, et le second appelé le pieux, Dharma-Açôka, qui réunit un troisième concile à Pataliputra : il y a donc une différence de cent vingt-cinq années que les buddhistes du Nord ont effacées de l’histoire ou que les buddhistes du Sud y ont gratuitement ajoutées.

Ce n’est pas ici le lieu de discuter cette difficulté, qui tient à l’ensemble de la chronologie indienne : aussi bien, notre sujet en renferme une qui lui est propre, qui peut se résoudre indépendamment de l’autre, et qui nous donnera assez d’embarras.

Si le Mahâvanso, la Râjataranginî et le Kandjur sont d’accord, nous n’en pouvons pas dire autant de Hiouen-Thsang qui assigne à l’événement une date différente, en quoi il paraît soutenu par Târânâtha ; et il se trouve en outre que le Kandjur, partiellement d’accord avec Hiouen-Thsang, admet et combine les deux thèses opposées, d’où il résulte dans le texte canonique des buddhistes du Nord une contradiction qu’il importe de faire ressortir.

Madhyântika est présenté par les buddhistes du Nord comme un disciple immédiat d’Ananda. Le Kandjur, Hiouen-Thsang, Târânâtha sont unanimes sur ce point. Le Mahâvanso ne dit rien de pareil, et on en comprend la raison ; les deux cent trente-cinq ans qu’il place entre le Nirvâna et le troisième concile le lui interdisaient. Le Kandjur ne place que cent ans entre le Nirvâna et la conversion du Kashmir, et c’est déjà beaucoup trop, comme on va le voir. Les dates précises de la vie d’Ananda sont sujettes à des difficultés : cependant il semble établi que ce cousin de Çâkyamuni, beaucoup plus jeune que lui, mourut à quatre-vingt-cinq ans[66] après avoir été chef de l’association buddhique pendant quarante ans, ayant reçu cette dignité de Kaçyapa, qui l’avait exercée pendant dix ans. La vie d’Ananda peut donc se partager en trois périodes ; trente-cinq ans pendant lesquels il est le contemporain et le disciple de Çâkyamuni ; dix ans pendant lesquels il est soumis à Kaçyapa ; quarante ans pendant lesquels il est à la tête du buddhisme : sa mort se placerait donc en l’an 50e du Nirvâna. Il semble impossible de reporter sa naissance et sa mort à des dates plus rapprochées de nous : tout changement qu’on pourrait apporter à cette chronologie aurait plutôt pour effet de les reculer dans le passé. Quoi qu’il en soit, voilà les résultats : Ananda meurt cinquante ans après le Nirvâna ; peut-on croire que son disciple Madhyântika ait attendu cinquante autres années pour aller, à l’âge de soixante et dix ans, instruire les peuples du Kashmir ? car, d’après le Kandjur, on ne peut être reçu religieux avant l’âge de vingt ans. Le récit tibétain renferme évidemment deux assertions contradictoires et inconciliables. Ou Madhyântika a converti le Kashmir cent ans après le Nirvâna, et, alors, il ne peut être le disciple immédiat d’Ananda ; ou il est effectivement le disciple d’Ananda, mais alors il a joué son rôle moins d’un siècle après la mort du Buddha. Une tradition kashmirienne recueillie par Hiouen-Thsang résout la question dans le deuxième sens. Nous avons vu que son récit reproduit les principales circonstances du récit tibétain ; mais il place l’événement cinquante ans seulement après la mort du Buddha, et, par conséquent, à l’époque même de celle d’Ananda[67] : dès lors on n’a plus aucune peine à concevoir que Madhyântika soit le disciple de ce dernier. Mais aussi on est fort embarrassé pour fixer l’époque de l’introduction du buddhisme dans le Kashmir en présence de trois dates différentes. Selon le pèlerin chinois, écho fidèle, on n’en saurait douter, d’une tradition kashmirienne, cet événement aurait eu lieu un demi-siècle après le Nirvâna ; le livre sacré des buddhistes du Nord prétend que ce fut un siècle après ; enfin le Mahâvanso le place à deux siècles et un tiers de distance.

Faut-il voir là un seul et même fait placé dans des temps différents par des écoles rivales, ou plusieurs faits distincts racontés d’une manière uniforme, mais dont les difficultés chronologiques font ressortir la diversité ? C’est ce qui nous reste à examiner.

Le récit de Târânâtha, qui fait de Madhyântika un disciple d’Ananda, permet d’expliquer l’arrivée de ce personnage à Kashmir par une scission qui se serait produite au sein du buddhisme. D’après cet historien, l’agglomération des bhixus à Bénarès était si grande après la mort d’Ananda, les habitants de la ville étaient tellement à l’étroit que, pour les mettre au large, Madhyântika, en buddhiste compatissant qu’il était, s’enfuit à travers les airs avec dix mille arhats[68]. Cela veut dire en langage ordinaire que Madhyântika et ses amis furent expulsés de Bénarès ; et ils durent l’être par des buddhistes, car cette ville était dévouée aux disciples de Çâkyamuni et soustraite à l’influence brahmanique. La fuite de Madhyântika s’explique par sa rivalité avec Çânavâsika. Ce personnage fut le chef de la société buddhique après Ananda, et la succession de ces chefs présente la série suivante : Mahâkaçyapa, Ananda, Çânavâsika, Upagupta, etc. Mais Madhyântika y figure souvent entre Ananda son maître et Çânavâsika[69] son contemporain, et peut-être son concurrent, d’autres disent « son disciple. » Le rang attribué indûment peut-être à Madhyântika parmi les chefs du buddhisme peut s’expliquer par cette circonstance que les Kashmiriens et les bouddhistes du Nord auraient tenu à donner une place d’honneur à celui qui leur avait apporté leur religion, ou auraient été entraînés à le faire d’une manière inconsciente ; mais il s’expliquera encore bien mieux si l’on suppose que Madhyântika et Çânavâsika se disputèrent la primauté, et que Çânavâsika l’ayant emporté dans la lutte, Madhyântika n’eut d’autre ressource que d’aller se créer ailleurs une nouvelle société religieuse. L’école qu’il aurait fondée l’aurait maintenu sur la liste des grands chefs du buddhisme.

Cette interprétation est combattue par une assertion remarquable des buddhistes : ils prétendent unanimement que, dans les cent premières années qui suivirent le Nirvâna, il n’y eut aucune discussion, qu’un accord parfait régna dans la société buddhique. Aussi M. Wassilief, qui explique la fuite de Madhyântika par une lutte au sein du buddhisme, considère le différend entre Madhyântika et Çânavâsika comme l’expression légendaire et anticipée d’un événement postérieur, la scission opérée entre les Mahâsangikas et les Sthaviras, qui arriva cinquante ans (ou plus) après l’époque supposée de la fuite de Madhyântika au Kashmir.

On comprend très-bien, si la fuite prétendue de Madhyântika est véritablement de beaucoup postérieure à la mort d’Ananda, que les Kashmiriens aient reculé cet événement dans le passé, soit pour lui donner le prestige de l’antiquité, soit pour s’attribuer le privilège d’avoir reçu le buddhisme de la bouche d’un disciple direct d’Ananda, du compagnon de Çâkyamuni, de celui qui passe, dans le buddhisme, pour avoir reproduit la parole du maître. Mais, dans tous les cas, ce serait s’appuyer sur une base fragile que d’invoquer contre cet anachronisme possible l’assertion des buddhistes sur l’unité qui signala le premier siècle du Nirvâna. Cette première centaine d’années fut-elle aussi calme qu’on le prétend ? cet âge d’or est-il certain ? et devons-nous croire les buddhistes sur ce point, quand nous nous méfions d’eux sur tant d’autres ? Et d’abord, ne sait-on pas qu’ils font tous remonter leurs diverses écoles aux disciples immédiats, au fils de Çâkyamuni, faute de pouvoir les faire remonter à Çâkyamuni lui-même ? Tout le monde reconnaît qu’une pareille prétention n’a aucune valeur historique ; elle est cependant de nature à ébranler le préjugé qu’ils ont réussi à faire admettre en faveur de l’unité qu’ils auraient observée pendant cent ans. Mais il y a plus : il existe un témoignage contre l’opinion reçue, témoignage douteux, il faut l’avouer, mais qu’il n’est pas permis de négliger. Le Mahâvanso, après avoir raconté le deuxième concile (tenu à Vaïçâlî sous Kâla-Açôka), commence l’énumération des sectes buddhiques par cette déclaration :

Êkô thêravâdô sô âdivassasatê ahu[70].

Una sthavirorum discordia hæc primo sæculo fuit.

Cette seule division entre les thêrôs exista dans le premier siècle.

Burnouf, dans la liste qu’il a dressée des écoles selon les buddhistes du Sud, cite cette école comme réelle, quoique non désignée[71] ; en quoi il se montre d’accord avec G. Turnour. M. Kœppen considère le texte de tout ce passage du Mahâvanso comme corrompu[72], et, quant à la phrase ci-dessus, il propose de la traduire ainsi :

La seule école des Sthaviras exista dans le premier siècle[73].

Ce qui nous ramènerait à l’assertion des buddhistes du Nord, et mettrait d’accord les deux branches du buddhisme. Cette explication de M. Kœppen est au moins très-ingénieuse ; elle peut fort bien se défendre ; elle a seulement contre elle l’autorité de Burnouf et celle de Turnour qui, sans doute, interprétait le texte de la même manière que les docteurs cingalais. Si l’interprétation ancienne et, je puis le dire, traditionnelle est conservée, ne pourrait-on pas retrouver la scission à laquelle le Mahâvanso fait une allusion, du reste fort obscure, dans la lutte dont les buddhistes du Nord semblent indiquer l’existence entre Çânavâsika et Madhyântika ? Ce serait aussi un moyen d’accorder le Nord et le Sud. Dans tous les cas, il paraît impossible d’admettre que tant de schismes aient éclaté dans le iie siècle sans qu’aucun se soit manifesté dans le ier ; il en a certainement existé dans cette première période ; ils ont été moins graves, plus promptement étouffés que ceux des âges suivants ; mais rien n’empêche de croire que quelques-uns ont pu avoir un certain éclat, et entraîner d’assez graves conséquences, sans cependant diviser d’une manière profonde et irrévocable la société buddhique. Cependant, s’il est admis que, par erreur involontaire, ou par falsification, les faits ont été dénaturés dans leur forme et transposés dans le temps, il faut faire descendre l’introduction du buddhisme à Kashmir de l’an 50 à l’an 110 du Nirvâna, et au deuxième concile tenu à Vaïçâlî, à l’époque de la première scission avouée qui se produisit dans le buddhisme. Le concile tenu à Vaïçâlî par l’ordre du roi Açôka, pour mettre un terme à des discussions dont le sujet paraît avoir été en général fort puéril, n’avait guère atteint son but. Les religieux disputaient plus que jamais. Pour en finir, Açôka les fit voter ; l’effet de cette opération fut de séparer nettement les éléments contraires ; et il se forma deux écoles : l’une, composée des religieux les plus nombreux et, paraît-il, les plus jeunes, prit le nom de Mahâsanghikas (ceux de la grande assemblée) ; l’autre, composée de la minorité, mais des membres les plus âgés, prit le nom de Sthaviras. Ce fut, dit la tradition, la première scission du buddhisme, et toutes les autres en sont dérivées. De gré ou de force, les sthaviras ayant quitté la place auraient été chercher un nouveau théâtre pour leur activité religieuse : les contrées de l’Himalaya et spécialement le Kashmir leur auraient donné un asile ; de là vient que le nom d’Haimavatâ (l’école des montagnes de neige) a été adopté par une de leurs subdivisions, et même semble avoir été appliqué dans l’origine à la secte tout entière[74]. Le Mahâvanso, dans la célèbre énumération qu’il donne des écoles buddhiques, ne parle pas de celle des sthaviras, quoiqu’il nomme les haimavatas. Mais il cite, et en premier lieu, l’école des mahâsanghikas dont il fait remonter l’origine au deuxième concile tenu à Vaïçâlî sous Kâla-Acôka, en quoi il est d’accord avec les buddhistes du Nord. Cependant, il y a une différence importante dans la manière dont la scission est envisagée de part et d’autre. Selon le Mahâvanso, les Mahâsanghikas furent la minorité condamnée par le concile, minorité imposante puisqu’elle est représentée par ce chiffre respectable de dix-mille bhikkus[75], bien suffisant pour lui mériter le titre de grande assemblée, mais enfin, minorité vaincue, condamnée, excommuniée par le concile : car c’est au sein même du concile que le schisme se produit d’après les buddhistes du Sud. Ceux du Nord au contraire paraissent séparer la formation du schisme des opérations du concile, et surtout ils font des Mahâsanghikas une majorité victorieuse qui aurait, par son vote, maintenu l’ancien état de choses, tandis que la minorité, composée des plus âgés ou des plus dignes, aurait tenu ferme pour le progrès, préférant l’exil à l’abandon de la cause qu’elle soutenait[76]. Les buddhistes du Nord et ceux du Sud sont donc en désaccord complet au sujet des Mahâsanghikas : les premiers voient en eux une majorité conservatrice, les seconds une minorité factieuse et pervertie. Quant aux adversaires des Mahâsanghikas, les buddhistes du Nord en font, sous le nom de Sthaviras, une secte particulière qui représente le mouvement au sein du buddhisme ; les buddhistes du Sud ne leur donnent aucun nom, chose assez naturelle puisque la majorité, attachée aux mêmes principes, reste ce qu’elle était, et qu’il suffit de donner un nom nouveau à la nouvelle école que la minorité vient d’inaugurer. Toutefois le nom de thêrôs, correspondant du sanscrit sthavira, s’applique de lui-même à la majorité ; car nous voyons ce mot désigner constamment la portion saine et respectable de la communauté buddhique ; et sur ce point encore, il semble que l’accord entre les buddhistes du Nord et ceux du Sud ne soit pas très-bien établi ; mais l’expression thêrô ou sthavira paraît avoir eu différentes acceptions, et il importe de l’examiner. Le mot sthavira (pâli thêrô) signifie « vieillard ; » il vient de la racine sthâ (se tenir debout), et indique soit la rigidité des membres que l’âge apporte en enlevant l’agilité, soit la fermeté de caractère et la ténacité d’habitudes qui succèdent ou sont censées succéder à la légèreté de la jeunesse. Ce terme s’emploie proprement pour désigner une portion des membres de l’association buddhique, les plus âgés, les plus dignes : c’est un terme de distinction qui, dans le Mahâvanso, semble parfois s’étendre à tous les religieux lorsque rien ne vient troubler l’ordre, mais qui, en cas de désaccord, est réservé aux seuls membres orthodoxes : ainsi les dix mille religieux excommuniés dans le deuxième concile ne sont appelés que bhikku (religieux), quelquefois avec la qualification de méchants (pâpabhikku), tandis que leurs adversaires sont les thêrôs. Bhikku est le terme général : thêrô désigne la meilleure partie, la fleur des bhikkus. Cependant les Tibétains traduisent le mot sthavira par le composé gnas-brtan, qui, au premier abord, n’y correspond nullement. Ce composé tibétain a, dans les dictionnaires, le sens de vicaire, lieutenant, remplaçant, successeur. Il semble alors que le sthavira soit le lieutenant de Çâkyamuni et corresponde dans le buddhisme à ce qu’est le khalife dans l’islamisme, le pape dans l’Église catholique romaine. Mais alors le nombre des sthaviras est bien considérable pour que leur titre exprime une pareille idée ; et si tel est le sens du mot sthavira, ou plutôt de gnas-brtan, il faut lui donner la plus grande extension possible, et considérer comme vicaire du Buddha tout docteur capable de reproduire ses enseignements : ainsi entendu, le mot gnas-brtan répond parfaitement à l’acception que les textes nous obligent à donner au mot sthavira. Cependant les livres buddhiques, ceux du Nord surtout, nous présentent une succession de personnages chargés, directement, officiellement, d’enseigner la doctrine et de présider la communauté. Notre texte nous donne cette liste jusqu’à Kâla[77]. Il semble que le terme sthavira ou plutôt son équivalent tibétain gnas-brtan devrait être appliqué spécialement et exclusivement à ces personnages, car ils sont investis d’un véritable vicariat ; cependant il s’en faut bien que ce titre leur soit particulièrement applicable, et nous voyons dans notre texte le mot sthavira employé concurremment avec le mot âyushmat, qui signifie « doué d’une longue vie, » et qui peut être considéré comme le synonyme de sthavira dans l’acception de « vieillard, » mais non pas dans celle de « vicaire. » Il est même à remarquer que dans le texte du Kandjur, objet de notre étude, le titre d’âyushmat est appliqué seul aux personnages cités en dernier lieu ; Kaçyapa et Ananda sont désignés tantôt par le mot sthavira, tantôt par le mot âyushmat ; Madhyântika seul est constamment appelé un sthavira. D’où vient cette particularité ? Tient-elle à l’acception de « vicaire, lieutenant » attribuée au moi sthavira, et qu’on aurait maintenue, sur laquelle on aurait appuyé avec soin dans le Kashmir, pour donner une plus grande autorité au docteur qui y apporta le buddhisme, en vue de faire de lui un représentant officiel de la religion ? Ou bien vient-elle de ce que Madhyântika aurait été véritablement le chef de l’école dite des Sthaviras, de ce que son nom figurerait en quelque sorte et personnifierait cette école ? Quoi que fassent et disent les buddhistes pour rattacher l’école des Sthaviras aux sthaviras du premier siècle, et dût-on même admettre leurs raisons, il est difficile de croire que le nom de l’école dite des Sthaviras soit le même que celui des anciens sthaviras. Aussi a-t-on proposé pour expliquer le nom de cette école des interprétations nouvelles : Burnouf a traduit : Ceux qui ont des habitations fixes[78]. Il ne serait pas impossible que le sens de vicaire datât de l’époque du schisme, et que le mot sthavira, employé seulement pour désigner les plus vieux, pendant le premier siècle, servît dans le iie siècle à distinguer les fermes, les persévérants. M. Wassilief paraît être de cette opinion[79]. Si l’on admet que l’école des Sthaviras fut fondée par des hommes qui refusèrent énergiquement de se rendre aux décisions de la majorité, on reconnaîtra que le nom appliqué à ces opposants a dû exprimer la force et la constance. Or ce sens est compris dans le mot sthavira, c’est même là sa signification première ; il se trouve également dans le tibétain gnas-brtan ; car gnas signifie « place, » brtan exprime la « fermeté, la durée, l’immobilité, l’immutabilité, » et je ne sais si la signification traditionnelle (et partant inattaquable) de « vicaire, lieutenant » est fondée sur la juste valeur des mots, et si le composé a toujours eu cette acception. Il semble pouvoir très-bien se traduire par « restant ferme à sa place, qui ne bouge pas de place. » Cette idée est également bien rendue en sanscrit par le mot sthâvara « ferme, immobile, » pris substantivement dans le sens de « montagne ; » et je me demande si le mot sthâvara ne serait pas la désignation originaire de l’école qui se sépara des Mahâsanghikas, soit que les fondateurs de cette école l’eussent adopté eux-mêmes, le prenant en bonne part avec le sens de « fermes, inébranlables ; » soit qu’il leur eût été jeté comme un reproche par leurs adversaires avec la nuance de « entêtés, opiniâtres[80]. » L’emploi de ce nom, à supposer qu’on en eût fait usage, aurait été de peu de durée ; on n’aurait pas tardé à le confondre avec le mot sthavira, à cause de la ressemblance de son et de sens, et aussi parce que cette école proscrite aura pris soin de se rattacher, à tort ou à raison, aux origines mêmes du buddhisme, et aura émis la prétention de continuer par une sorte de vicariat l’œuvre de Çâkyamuni et de ses premiers disciples. On conçoit donc très-bien que les traces de cette confusion aient disparu ; il en reste cependant quelque chose, la diversité des explications que l’on donne du nom des sthaviras. Ainsi les Chinois expliquent le mot sthavira par « vieillard, ancien » (chang-tso)[81], et par là ils remontent jusqu’au premier siècle de l’ère buddhique, aux premiers sthaviras. Les Tibétains, en l’interprétant par « lieutenant, vicaire, » paraissent remonter seulement au iie siècle de l’ère buddhique, à la création de l’école des Sthaviras par laquelle surtout le buddhisme a pénétré dans le Kashmir, et de là dans le Tibet. L’Himavat, nous dit-on, fut l’asile des Sthaviras exilés ; cette expression Himavat désigne toute la bande de territoire qui longe la chaîne de l’Himalaya, ou la plus grande partie de cette bande ; le Kashmir semble devoir y être compris ; mais d’après le Mahâvanso, il serait en dehors, puisque cette chronique distingue soigneusement la conversion de l’Himavat de celle de Kasmîra et de Gandhâra. Kasmîra et Gandhâra désignent apparemment le point où cesse l’Himavat et où commence la région d’Occident ; et, géographiquement, le Kashmir peut être considéré comme le point intermédiaire des deux contrées. Du reste Kasmîra n’est point tout à fait exclu de la désignation d’Himavat ; car, dans le récit pâli de la conversion de ce pays, il est question de quatre-vingt-quatre mille serpents de l’Himavat persuadés par la parole de Madhyântika. Et cependant la conversion de l’Himavat proprement dit fut confiée à un autre personnage, Madhyama (en pâli Majjhama), qui, avec quatre autres thêrôs, établit le buddhisme dans les cinq divisions (pancha raṭṭhâni) de ce territoire. Je n’ai point à traiter ce sujet qui ne se présente à moi qu’incidemment, et je ne rechercherai pas si ces divisions du territoire correspondent à des divisions actuelles, telles que Gerwal, Népal, Sikkim, Boutan. Je ne veux pas même insister longuement sur un fait qui me frappe, mais que je ne puis me dispenser d’indiquer, la ressemblance de noms de Madhyântika et de Madhyamaṭ. Je ne prétends point nier la personnalité distincte de chacun de ces deux prédicateurs du buddhisme. Je remarque seulement que, si l’on fait de Madhyântika le chef de l’école des Sthaviras, et de Madhyama le missionnaire de l’Himavat, pays qui fut le refuge des sthaviras, il y a de fortes présomptions en faveur de l’identité de ces deux individus. Enfin je retrouve la trace de cette ressemblance des noms de ces deux hommes, Madhyântika et Madhyama, qui ont opéré dans le même temps, à si peu de distance l’un de l’autre, et dans des contrées si voisines, je la retrouve dans nos deux termes tibétains si obscurs, moins par eux-mêmes que par la manière dont ils sont présentés dans le récit du Kandjur : Milieu de l’eau (Chhu dbus) et Milieu du jour (Ni-mai-gung)[82]. Dans ces deux mots, le terme milieu, exprimé par deux termes différents mais synonymes (dbus et gung), correspond également bien au sanscrit madhya. Quant aux déterminatifs chhu (eau), hi-ma (soleil ou jour), le second ne répond à aucun élément du mot sanscrit Madhyântika, dont Ñi-mai-gung est cependant l’équivalent reconnu ; le premier, chhu (eau), est parfaitement clair, mais ne correspond à aucune partie du mot Madhyama, dans lequel il n’entre du reste aucun déterminatif, et qui se compose d’une simple racine augmentée d’un suffixe. On ne peut considérer Chhu dbus (milieu de l’eau) comme la traduction certaine de Madhyama (milieu) ; mais on doit reconnaître que ces deux mots correspondent l’un à l’autre, au moins aussi bien, si ce n’est mieux, que Madhyântika et Ñi-mai-gung. Et quand on voit dans deux textes qui, pour certaines parties au moins, ont une origine commune, d’un côté Madhyântika (en face du milieu, medius) et Madhyama (qui est au milieu, medius) ; de l’autre Ñi-mai-gung (milieu du jour), Chhu dbus (milieu de l’eau) ; quand il est reconnu que les deux premiers termes de chaque série désignent une seule et même chose, on se demande avec raison si les seconds ne désignent pas aussi une seule et même chose ; et quand on observe d’une part la synonymie des termes sanscrits, et d’autre part la synonymie partielle des termes tibétains, et les particularités du récit qui permettent à peine de remarquer en eux une distinction bien profonde, on est porté à se demander si tous ces termes ne se rapportent pas au même objet, envisagé peut-être de deux manières un peu différentes. Ces rapprochements de mots, de sens et de sons me paraissent, soit renfermer une difficulté, soit préparer les voies à une solution ; mais je n’ai, quant à présent, les moyens ni de lever l’une, ni d’arriver à l’autre. Puisque la fuite des sthaviras dans l’Himavat est un des éléments de la question qui nous occupe, je ne veux pas l’abandonner sans faire une dernière remarque. La querelle entre Madhyântika et Çânavâsika a paru n’être pas autre chose que la querelle élevée entre les Mahâsanghikas et les Sthaviras. Ce serait un de ces doublements dont d’autres histoires que celle du buddhisme offrent des exemples. Mais la querelle des Sthaviras et des Mahâsanghikas semble être mise aussi sous un autre nom qui se rapporterait à une époque plus moderne, celui de Mahâdêva. Ce Mahâdêva est un des plus grands schismatiques du buddhisme. Il se permit de changer le rituel, d’émettre des propositions téméraires et blessantes pour les arhats ; il souleva ainsi contre lui de violentes colères, et fut obligé de se retirer ; mais de nombreux disciples le suivirent et formèrent une école. On le place dans le iiie siècle du Nirvâna[83], et par conséquent plus de cent ans après Açôka, d’après le compte des buddhistes du Nord. Mais ce qui est remarquable, c’est que Hiouen-Thsang place Mahâdêva sous Açoka, et rattache ce nom à la conversion du Kashmir[84]. Il raconte que Mahâdêva s’empara de l’esprit d’Açôka qui, ayant, à ce qu’il paraît, plus de zèle que de lumières, ne savait pas distinguer un bon religieux d’un mauvais, tellement que ce roi si juste, Dharma-Açôka, voulut faire périr et noyer dans le Gange cinq cents religieux et cinq cents arhats[85]. Les arhats s’enfuirent à travers les airs et se rendirent dans le Kashmir. Açôka, revenu de ses projets criminels, les rappela près de lui ; mais ils refusèrent de se rendre à son appel, et le roi, bâtissant pour eux cinq cents couvents, donna tout ce royaume aux religieux. Cette légende reproduit quelques-uns des traits de celle de Madhyântika ; elle rappelle, quoique de plus loin, ce que les buddhistes disent communément du schisme provoqué par Mahâdêva. Ce Mahâdêva, contemporain d’Açôka, est-il le même que celui que d’autres documents plus dignes de foi, selon toutes les apparences, font vivre cent ans après lui ? Je l’ignore ; il est seulement digne de remarque que Mahâdêva est cité par le Mahâvanso comme un des contemporains et même des missionnaires d’Açôka. Son nom vient immédiatement après celui de Majjhantiko, et il fut envoyé, dit le texte pâli, dans le Mahisamandala, contrée dont la situation n’est pas bien déterminée. Il serait sans doute possible de ramener à l’unité les traditions diverses qui ont cours sur Mahâdêva, si l’on n’était à peu près certain qu’il y a là un anachronisme ou peut-être même un mélange de souvenirs relatifs à deux personnages distincts. Du reste, il n’est guère possible que Madhyântika et Mahâdêva aient été confondus : trop de documents établissent leur indépendance mutuelle et leur individualité distincte. Mais il importe de noter la différence de ton qui existe entre le Mahâvanso et les buddhistes du Nord sur tous ces personnages. Le livre pâli nous les présente comme des hommes d’une pureté parfaite, des missionnaires qui vont, d’un commun accord, prêcher la doctrine de leur maître : les documents du Nord nous obligent ou nous autorisent à voir en eux des hérétiques, ou du moins des proscrits. Je ne veux pas m’appesantir ici sur cette différence assez remarquable ; mais il suffit de signaler ce fait que, si le deuxième concile tenu par Kâla-Açôka a excommunié dix mille bhikkus, le troisième, tenu par Dharma Açôka en a excommunié soixante mille[86] (selon les buddhistes du Sud). On peut douter que tous les excommuniés se soient soumis à la sentence qui les avait frappés, et se soient condamnés eux-mêmes au silence. Aussi, quel qu’ait pu être le calme majestueux avec lequel le roi Açôka a exercé son zèle pour la diffusion du buddhisme, les renseignements fournis par les buddhistes du Sud eux-mêmes sont un motif pour nous de tenir compte des effets nombreux et considérables que les buddhistes du Nord attribuent aux dissensions religieuses. Et maintenant que conclure de toutes ces discussions ? Bien des points restent douteux : cependant il semble qu’on peut admettre non pas peut-être comme absolument certains, mais au moins comme probables, les résultats suivants : Le bouddhisme commença à dominer dans le Kashmir sous le règne d’Açôka : quand les documents brahmaniques viennent confirmer sur ce point les assertions des buddhistes, la question doit être regardée comme résolue, et il ne semble plus possible de conserver des doutes. S’il y a eu, comme les buddhistes du Sud le prétendent et comme cela paraît généralement admis, deux Açôka, c’est sous le second, Dharma-Açôka, que l’établissement triomphant du buddhisme eut lieu dans le Kashmir ; mais il faut admettre avec les buddhistes du Nord que des tentatives plus ou moins fructueuses ont été faites avant Açôka pour porter le buddhisme dans le Kashmir ; et, puisque Hiouen-Thsang nous signale une tentative faite cinquante ans après le Nirvâna, et le Kandjur une autre qui daterait du commencement du iie siècle de l’ère buddhique, rien n’empêche de croire que ces tentatives ont eu lieu. La première aurait eu un caractère tout privé, ce serait celle de Madhyântika, le disciple d’Ananda ; la seconde aurait été faite, sans doute avec plus de succès que la première, par les proscrits de l’école dite des Sthaviras, et le buddhisme, prêché, mais combattu, aurait fait peu à peu son chemin et préparé ainsi la victoire qu’Açôka II devait lui faire définitivement remporter. Quelques raisons que l’on puisse avoir de supposer des anachronismes et des erreurs ou des falsifications de toute espèce, on ne doit pas, ce me semble, rejeter les documents qui tendent à établir une série de tentatives d’introduction du buddhisme dans le Kashmir. Nulle part cette religion, qui s’est imposée avec tant de puissance aux peuples qui l’ont reçue, n’est entrée sans résistance. C’est par degrés, tour à tour triomphante et vaincue, qu’elle a pénétré en Chine, au Tibet, en Mongolie ; et, d’autre part, le prosélytisme, favorisé par diverses circonstances, était tellement dans son esprit, qu’elle devait tenter de bonne heure de pénétrer partout. C’est peut-être à tort qu’on attribue presque exclusivement ses progrès, soit aux persécutions qu’elle aurait souffertes, soit aux divisions qui se seraient produites dans son sein. Répandre la bonne loi était l’un des préceptes du buddhisme ; nous avons vu dans notre texte les Nâgas du Gandhamâdana dire qu’il faut propager l’enseignement du Buddha aussi longtemps que cet enseignement doit durer, et une déclaration remarquable du Lotus de la bonne loi nous apprend qu’on est bien moins coupable pour avoir injurié grossièrement un Tathâgata (un Buddha) pendant un kalpa tout entier (c’est-à-dire pendant au moins seize millions d’années) que pour avoir dit une seule parole désobligéante à un simple docteur enseignant la loi à une créature quelle qu’elle soit[87]. Prêcher la loi fut donc un besoin et un devoir pour les buddhistes, et, s’il fallait des divisions entre eux pour les pousser à aller faire cette prédication au loin, elles n’ont manqué en aucun temps. On doit donc croire que le Kashmir a reçu de bonne heure la visite des disciples de Çâkyamuni. Çiva, Nîla, les Nâgas, les vieilles divinités kashmiriennes ont dû résister énergiquement ; mais la persévérance et l’ardeur des nouveaux venus finirent par triompher et par faire accorder une place et une place importante aux doctrines et au culte de Çâkyamuni. Cette lutte, les écrivains buddhistes nous la retracent comme malgré eux, en nous laissant entrevoir, par leurs divergences de toute sorte, et surtout par leurs divergences chronologiques, que la conquête du Kashmir, au lieu d’avoir été exécutée d’un coup de baguette, ainsi qu’ils voudraient le faire croire, fut une assez longue et assez laborieuse entreprise. Quant à la personnalité de Madhyântika et au rôle propre qu’il a joué, ils sont assez difficiles à établir. On ne doit pas, ce semble, le placer parmi les sthaviras ; car, bien qu’il soit qualifié de sthavira, son nom ne paraît pas être attaché d’une manière spéciale à cette secte ; d’ailleurs cette école des Sthaviras se présente avec un caractère collectif et non individuel. On ne peut guère non plus le faire descendre jusqu’à Açôka, car il n’aura plus la gloire d’avoir converti le Kashmir, si l’on est forcé d’admettre que le buddhisme était déjà connu au Kashmir avant Açôka. Puisque l’introduction du buddhisme au Kashmir est mise sous son nom, il faut le considérer comme le premier prédicateur buddhique qui eut quelque succès dans la célèbre vallée. Il n’est pas étonnant que son nom se retrouve chaque fois qu’il est question de quelque tentative nouvelle, prétendue la première de toutes, pour amener au buddhisme le peuple de Kashmir. Les prédications des sthaviras, celles des missionnaires d’Açoka auront été attribuées à Madhyântika, qui, comme certains autres personnages du buddhisme, entre autres Nâgârjuna, se trouverait obligé d’étendre sa vie sur plusieurs siècles pour suffire à tout ce qu’on veut lui faire accomplir. Je termine ici cette étude sur l’établissement du buddhisme dans le pays de Kashmir. Je me contente d’avoir exposé ce que la légende rapporte de ce grand événement et ce que la critique en peut dire avec un certain degré de certitude : je ne me propose pas en ce moment d’en suivre et d’en développer les vastes conséquences. Peu de faits historiques en ont eu d’aussi étendues. Le buddhisme a eu pour appui à Kashmir une des plus brillantes et des plus puissantes royautés que l’on connaisse, celle de Kanishka ; c’est à Kashmir que s’est tenu le grand concile définitif des buddhistes du Nord ; c’est de là que le buddhisme a rayonné dans les contrées septentrionales et occidentales. Si le mouvement vers l’Ouest fut arrêté, et arrêté pour toujours, le mouvement vers le Nord ne s’en continua que plus profond et plus intense. C’est du Kashmir que les livres buddhiques ont été portés au Tibet. La plupart des pandits indiens qui ont travaillé à la traduction de ces livres étaient Kashmiriens ; c’est même à Kashmir que plusieurs de ces traductions ont été faites. Le culte de Çiva, qui s’est maintenu dans le Kashmir en présence du buddhisme, et a fini par s’unir à lui, a laissé sa trace dans une portion considérable de la littérature buddhique du Tibet. Et si, en contemplant la vaste diffusion du buddhisme tibétain, cette autorité puissante qui retient sous la sujétion spirituelle du pontife de Lhassa tous les peuples mongols et une grande partie des habitants de la Chine, forçant le souverain du plus vaste empire qui existe à s’incliner devant le grand prêtre du Tibet, nous voulons nous rendre compte de cet état de choses et remonter d’effets en causes jusqu’à l’origine du mouvement dont les derniers résultats nous frappent d’étonnement, nous sommes ramenés aux légendes de Hiouen-Thsang, du Kandjur et du Mahâvanso, sur l’introduction du buddhisme dans le Kashmir, aux missions du grand roi Dharma-Açôka et aux prédications de Madhyântika.

TEXTE TIBÉTAIN DU KANDJUR.

TRADUIT, PAGES 483-497.
Mort d’Ananda. — Conversion du Kashmir, par Madhyântika. — Série des premiers patriarches buddhistes.
(Dulva, XI, fol. 686-690.)

(Je mets entre crochets [ ] les lettres que je propose d’ajouter au texte, entre parenthèses ( ) celles que je propose d’en retrancher.)

ཇི་ཙམ་ན་གནས་བརྟན་ཀུན་ཏགའ་བོ་ལོངས་སུ་མྱ་ངན་ལས་འདའ་བའི་དུས་ཀྱི་ཆོ།ས་ཆེན་པོ་འདི་རྣམ་པ་དྲུག་ཏུ་གཡོས​།། དེའི་ཚེ་དྲང་སྲོང་གཞན་ཞིག་འཁོར་ལྔ་བརྒྱ་བསྐོར་ནས ། ཚེ་དང་ལྡན་པ་ཀུན་ཞྡགའ་བོ་ག་ལ་བ་དེར་རྫུ་ཕྲུལ་གྱིས་སོང་སྟེ ། ཐལ་མོ་སྦྱར་ནས་གནས་བརྟན་ཀུན་དགའ་བོ་ལ་བདག་ཅག་ནི་ལེགས་པར་གསུངས་དགེ་སློང་གི་དངོས་པོ་གསོལ་ལོ་ཞེས་སྨྲས་པ་དང་ ། ཇི་ཙམ་ན་གནས་བརྟན་ཀུན་དགའ་བོས་སློབ་མ་རྣམས་ལྟན་ཅིག་ཏུ་བདག་གི་དྲུང་དུ་ཚུར་ཤོག་ཅེས་བསམ་པ་བསྐྱེད་ནས ། དེས་བསམ་པ དེ་བཡྣྶྐྱེད་མ་ཐག་ཏུ་དེ་བཞིན་དུ་སློབ་མ་ལྔ་བརྒྱ་དེར་འོངས་སོ་ ། གནས་བརྟན་ཀུན་དགའ་བོས་ཆུའི་དབུས་ས་གཞིར་སྤྲུལ་ནས ། ལམ་མེད་པར་བྱས་སོ །། ཇི་ཙམ་ན་དྲང་སྲོང་འཁོར་ལྔ་བརྒྱ་པོ་རབ་ཏུ་བྱུང་ནས་བསྙེན་པར་རྫོགས་པར་གསོལ་པ་བྱས་པ་དང ། ལཁོར་ལྔ་བརྒྱ་བོས་ཕྱིར་མ་འོང་པའི་འབྲས་བུ་ཐོབ་བོ །། ལས་གསུམ་པ་བརྗོད་པ་དང ། ཉོན་མོངས་པ་ཐམས་ཅད་སྤངས་ནས་དགྲ་བཅོམ་པ་ ཉིད་ཀྱི་འབྲས་བུ་ཐོབ་སྟེ ། དེ་དག་ཆུ་བོ་གང་ [88] གྰའི་དབུས་དང ། ཉི་མའི་གུང་ལ་རབ་ཏུ་བྱུང་ནས ། ཁ་ཅིག་ནི་ཆུ་དབུས ། ཁ་ཅིག་ནི་ཉི་མའི་གུང་ཞེས་བྱ་བར་ཀུན་ཏུ་གྱགས་ཏེ ། ཏེ་དག་གིས་བྱ་བ་བྱས་ནས་ཚེ་དང་ལྡན་པ་ཀུན་དགའ་བོའི་རྐང་པ་ལ་མགོ་བོས་ཕྱག་བྱས་ཏེ་སླྲས་པ ། བཅེམ་ལྡན་འདས་ཀྱིས་རབ་བཟང་ཐམས་ཅད་ཀྱི་ཐ་མར་དབ་ཏུ་ཕྱུང་ན [89] ། དང་པོར་ཡོངས་སུ་མྱ་ངན་ལས འདས་པས ། མཁན་པོས་བཀའ་སྕོལ་ཅིག་དང ། བདག་ཅག་ནི་སྔར་ཡོངས་སུ་མྱ་ངན་ལས་འདའ་སྟེ ། མཁན་པོ་ཡོངས་སུ་མྱ་ངན་ལས་འདའ་བ་ [90] ལྟ་བར་ནི་བདག་ཅག་མི་འཚལ་ལོ །། གནས་བརྟན་གྱིས་སྨྲས་པ ། བུ [91] བཅོམ་ལྡན་འདས་ཀྱིས་ཆེ་དང་ལྡན་པ་འོད་སྲུང་ཆེན་པོ་ལ་བསྟན་པ་གཏན་ནས་ཡོངས་སུ་མྱ་ངན་ལས་འདས་སོ །། གནས་བརྟན་འོད་སྲུང་ཆེན་པོས་ཀྱང་ང་ལ་གཏད་དེ། ད་ང་ནི་ཡོངས་སུ་མྱ་ངན་ལས་འདའ་བས ། བསྟན་པ་འདི ཁྱིད་ཀྱིས་ཡོངས་སུ་སྲུངས་ཤིག​ ། བཅོམ་ལྡན་འདས་ཀྱིས་ཁ་ཆི་འི་ཡུལ ནི་བསམ་གདན་དང་འཐུན་པ་དང་ ། གནས་མལ གྱི་མཆོག་གོ་ཞེས་འདི་ལྟར་ཁ་ཆེའི་ཡུལ་ལུང་བསྟན་པ་དང་ ། བཅོམ་ལྡན་འདས་ཀྱིས་ཡོངས་སུ མུ་ངན་ལས་འདས་ནས​ ། ལོ་བརྒྱ་ལོན་པ་དང ། དགེ་སློང་ཉི་མའི་གུང་ ཞེས་བྱ་བ་ཞིག་འབྱུང་བར་བྱུར་ཏེ ། དེས་འདིར་བསྟན་པ་ལ་འཇུག་པར་འགྱུར་རོ་ཞེས་ལུང་བསྟན་ཏོ །། དེ་བས་ན་བྱ་ཁྱོད་ཀྱིས་བསྟན་པ་ལ་འཇུག་པར་བྱོས་ཤིག ། དེས་དེ་བཞིན་དུ་བགྱིའོ་ཞེས་སྨྲས་སོ །། དེ་ནས་ཚེ་དང་ལྡན་པ་ཀུན་དགའ་བོས་ཆོ་འཕྲུལ་རྣམ་པ་སྣ་ཚོགས་བསྟན་པར་བརྕམས་པ་དང་ ། མ་ག་དྷ་པ་སྙང་རྗེས་ངུ་ཞིང་མགོན་པོ་ཆུར་གཤིགས་ཤིས ། སྤོང་བྱེད་པ་ཡང་སྙིང་རྗེས་ངུ་ཞིང་མགོན་པོ་ཚོར་གཤིགས་འབོད ། ཆུ་འགྲམ་དག་ན་སྐྱེ་བོ་གཉིས་ཀྱིས་ཚིག་བརྗོད་པ ། གསན་ནས་གློ་གྲོས་ཅན་གྱི་[ས་]སྔོན་གྱི [92] སྐུ་ནི་སོ་སོར་གྱས ། དེ་ནས་ཚེ་དང་ལྡན་པ་ཀུན་དགའ་བོས་ལུས་བྱིན་གྱིས་བརླབས་ནས ། ཆོ་འཕྲུལ་རྣམ་པ་སྣ་ཚོགས་བསྟན་ཏེ ། མེ་ལ་ཆུས་གཏོར​ [93] བ་བཞིན་དུ་ཡོངས་སུ་མྱ་ངན་ལས་འདས་ནས ། ལུས་ཕྱེད་ནི་ཡངས་པ་ཅན་པས །། ལུས་ཕྱེད་ [94] ནི་རྒལ་པོ་མ་སྐྱེས་དགྲས་ཐོབ་ནས་སྨྲས་པ ། ཡེ་ཤེས་རྡོ་རྗེ་རྣོན་པོ་ཡོས །། རང་གི་ལུས་ཀྱི་རི[ས][95]་བཅོམ་སྟེ །། ཕྱེན་ནི་མི་ཡི་དབང་པོ་བྱིན །། ཕྱིད་ནི་ཐུབ་པས་ཚོགས་རྣམས་བྱིན ། དེ་ནས་ལི་ཙ་བྱི་རྣམས་ཀྱེས་ཡངས་པ་ཅན་དུ་སཆོད་རྟེན་བརྩིགས་ནས་བཞགགོ ། རྒྱལ་པོ་མ་སྐྱེས་དགྲས་ཀྱང་གྲོང་ཁྱེར་སྐྱ་སྣར་ཆན་གྱི་བྱང་མཆོད་རྟེན་བརྩིགས་ནས་ བཞག་གོ །། དེ་ནས་ཉི་མའི་གུང་གིས་བསམ་པ་སྐྱེས་པ །། བདག་གི་ [96] མཁན་པོས་ཀྱང་ཁ་ཆེ་ཡུལ་དུ་བསྡན་པ་ཞོག་ཅེས་བསྒོའོ །། བཅོམ་ལྡན་འདས་ཀྱིས་ཀྱང་དགེ་སློང་ཉི་མའི་གུང་ཞེས་བྱ་བ་ཞིག་འབྱུང་བར་འགྱུར་དེ ། དེས་ཁ་ཆེའི་ཡུལ་དུ་ཀྰུ་མི་[བ[97]] སྲུན་པ་ཧུ་ལུན་ཏ་བ་བུལ་ནས་བསྟན་པ་འཇོག་པར་འགྱུར་ཞེས་ལུང་བསྟན་པས ། མ་ལ་བདག་གིས་སྟོན་པའི་དགོངས་པ་ཡོངས་སུ་བསྒྲུབ་པར་བྱའོ་སྙམ་ནས ། ཚེ་དང་ལྡན་པ་ཉི་མའི་གུང་གིས་ཁ་ཆེའི་ཡུལ་དུ་སོང་སྟེ ། སྐྱིལ་མོ་ཀྱུང་བཅས་ནས་འདུག་གོ ། དེ་ནས་ཉི་མའི་གུང་གིས་ཁ་ཆེའི་ཡུལ་གྱི་ཀླུ་འདི་ཟིལ་གྱིས་མནན་ལ ། ཀླུ་དེ་དག་འཁྲུགས་པར་བྱས་ན་འདུལ་བར་འགྱུར་རོ་དང་ ། འདི་ལྟར་ཁ་ཆེའི་ཡུལ་རྣམ་པ་དྲུག་ཏུ་གཡོས་ཏེ ། ཀླུ་དེ་དག་ཀྱང་འཁྲུགས་ཤིང་རབ་ཏུ་རྔམས་ནས ། རྫི་ཆར་དྲག་བོ་དག་ཕབ་སྟེ ། གནས་བརྟན་ལ་གནོད་པ་བྱ་བར་ཆས་པ་དང་ ། གནས་བརྟན་གྱིས་བྱམས་པའི་ཏིང་ངེ་འཛིན་ལ་སྙོམས་པར་ཞུགས་པས ། ཀྰུ་དེ་དག་གིས་གནས་བརྟན་གྱི་ཆོས་གོས་ཀྱི་མཐའ་མ་ཡང་གཡོ་བར་མ་ནུས་སོ །། དེ་ནས་ཀླུ་དེ་དག་ཀིས་མདའི་ཆན་ཕབ་པ་དང ། གནས་བརྟན་གྱས་ཀུན་ཏུ་གསལ་པའི་མེ་ཏོག་ཨུཏ་པ་ལ་དང ། པད་མ་དང ། ཀུ་མུ་ད་དང ། པད་མ་དཀར་པོར་ཕབ་བོ ། ཀླུ་དེ་དག་གིས་རྡོ་རྗེ་རྩེག་ཅིག་དང་ ། མདའ་པོ[98] ཆེ་དང་ ། མཚོན་རྕེག་ཅིག་པ་དང ། དགྲ་སྟ་དག་འཕང་བར་[99] བརྩམས་པ་དང ​། གནས་བརྟན་གྱི་སྟེང་དུ་མེ་ཏོག་ཀུ་སུ་མའི་ཆར་བབ་མས་སྨྲས་པ ། གངས་རིའི་རྩི་མོ་དེ་ནི་ཉི་མའི་འོད་ཀྱིས་རབ་ཏུ་བཞུགས་ན །། རི་བོའི་རྩེ་མོ་དེ་དག་མ་ཡི་ཆར་པ་སྣ་ཙོགས་བབ་པར་སོང་གྱུར་སཐོང་[100] བལྟར །། ཕྱག་དང་ཆར་ཕབ་ཀུ་སུ་མ་ཡི་ཆར་པ་སྣ་ཙོགས་བབ་པར་བྱས ། གནམ་ལས་མདའ་ཡི་ཆར་ཕབ་མེ་ཏོག་ཕྲེང་པ་ཀུན་ཏུ་གནས་པར་གྱུར །། དེ་ནས་བྱམས་པའི་ཏིང་ངེ་འཛིན་ལ་སྙིམས་པར་ཞུགས་པས ། ལུས་ལ་མེས་མ་ཚིག་མཚོན་གྱིས་མ་ཚུགས ། དུག་གི་ས་མ་ཚུགས་ཏེ ། ཀླུ་རྣམས་ངོ་མཚར་སྐྱེ་སོ །། དེ་ནས་ཀླུ་དེ་ནག་གནས་བརྟན་གྱི་དྲུང དུ་སོར་སྟེ ། ལཔགས་པ་པཀའ་ཅི་སྕལ་ཅེས་སྨྲས་པ་དང་ ། གནས་བརྟན་གྱིས་སྨྲས་པ ། གནས་འདི་ང་ལ་བྱིན་ཅིག ། ཀླུ་དག་གིས་སྨྲསཔ ། དབུལ་བར་རྡོ་མི་ཐེག་གོ[101]། གནས་བརྟན་གྱིས་གནས་འདི་ནི་བཅོམ་ལྡན་འདས་ཀྱིས​་ངའི་གནས་སུ་ལུང་བསྟན་ཏེ ། གང་ཁ་ཆེའི་ཡུའ་འདི་བསམ་གདན་དང་འཐུན་པའི་གནས་མལ་ཡིན་པས ། དེང་ཕན་ཆད་ངའི་ཡིན་ནོ་ཞེས་སྨྲས་པ་དང ། ཀླུ་རྣམས་ཀྱིས་སྨྲས་པ ། གནས་པརྟན་བཅོམ་ལྡན་འདས་ཀྱིས་བཀའ་སྩལ་ཏམ ། གནས་བརྟན་གྱིས་སྨྲས་པ ། བཅོམ་ལྟན་འདས་ཀྱིས་བཀའ་སྩལ་ཏོ །། ཀླུ་རྣམས་ཀྱིས་སྨྲས་པ ། གནས་བརྟན་ཇི་ཙམ་ཞིག་དབུལ་བར་བགྱི ། གནས་བརྟན་གྱིས་སྨྲས་པ ། སྐྱིལ་མོ་ཀྱུང་བཅས་པ་ཙམ་མོ །། ཀླུ་རྣམས་ཀྱིས་བཙུན་པ་ དབུལ་བར་བགྱིའོ་ཞེས་སྨྲས་པ་དང་ ། གནས་བརྟན་གྱིའ་སྐྱིལ་མོ་ཀྲུང་བཅས་པ ། ལུང་པ་དགུའི་མདོ་སྐྱིལ་མོ་ཀྲུང་གིས་ནོན་པ་དང ། ཀླུ་རྣམས་ཀྱིས་གནས་བརྟན་འཁོར་ཇི་སྙེད་ཅིག་མདའ་ཞེས་སྨྲས་པ་དང་ ། གནས་བརྟན་གྱིས་དགེ་སློང་ཇི་སྙེད་ཅིག་འདུ་བར་འགྱུར་སྙམ་དུ་བསམས་པ་དང་ ། ཇི་ཙམ་ན་དགྲ་བཅོམ་པ་ལྔ་བརྒྱའོ་སྙམ་དུ་གནས་བརྟན་གྱིས་བསམས་ནས ། དགྲ་བཅོམ་པ་ལྔ་བརྒྱའོ་ཞེས་སྨྲས་པ་དང་ ། ཀླུ་རྣམས​་ཀྱིས་དེ་བཞིན་དུ་གྱུར་ཅིག ། གལ་ཏེ་དགྲ་བཅོམ་པ་གཅིག་ཅིག་གིས་མ་ཚང་ན ། དེའི་ཚེ་ཁ་ཆེའི་ཡུལ་བདག་གིས དཔྲོག་པར་བགྱིའོ་ཞེས་སྨྲས་པ་དང ། གནས་བརྟན་ཉི་མའི་གུང་གིས་ཁ་ཆེ་ཡུལ་གྱི་ཀླུ་རྣམས་ལ་སྨྲས་པ ། དེ་ཡིན་མོད་ཀྱི(ས​)[102]འོན་ཀྱང ། ཀྱང ། གང་ན་སྦྱིན་བདག་གནས་པ་དེ་ན་ལེན་པ་ཡོད་པས ། ངས་ཁྱིམ་བདག་ཀྱང་འཇུག་པར་བྱའོ །། ཀླུ་རྣམས་ཀྱིས་དེ་བཞིན་དུ་གྱུར་ཅིག་ཅེས་སྨྲས་པ་དང ། ཇི་ཙམ་ན་གནས་བརྟན་གྱིས་རང་ཉིད་ཀྱིས་ཀྲོང་དང ། ཀྲོང་ཁྱེར་དང ། ཡུལ་འཁོར་དག་བྱས་ཏེ་སྐྱེ པོའི་ཚོགས དག་ཞུགས་པ་དང་ ། དེ་དག་གིས་གནས་བརྟན་ཇི་ལྟར་བདག་ཅག་འཕེལ་བར་གྱུར་ཞེས་སྨྲས་པ་དང་ ། ཇི་ཙམ་ན་གནས་བརྟན་གྱིས་སྐྱེ་བོའི་ཚོགས་དག་ཁྲིད་ནས ། རི་སྤོས་ཀྱི[103] ངད་ལྡང་དུ་ཕྱིན་ནས་གུར་གུམ་དག་ཐོན་ཅིག་ཅེས་སྨྲས་པ་དང ། ཇི་ཙམ་ན་རི་སྤོས་ཀྱི་ངད་ལྡང་གི་ཀླུ་རྣམས་འཁྲུགས་པ་དང་ ། དེ[104] དག་ཀྱང་གནས་བརྡན་གྱིས་བདུལ་​ ནས་དེ་དག་གིས་སྨྲས་པ ། ནས་དེ་དག་གིས་སྨྲས་པ ། བཅོམ་ལྡན་འདས་ཀྱི་བསྟན་པ་ཇི་སྲིད་ཅིག་གནས་པར་འགྱུར ། གནས་བརྟན་གྱས་སྨྲས་པ ། ལོ་སྟོང་ངོ །། དེ་དག་གིས་བཅོམ་ལྡན་འདས་ཀྱི་བསྟན་དེ ཇི་སྲིད་དུ་གནས་པ་དེ་སྲིད་དུ་གནང་བ་བྱའོ ། ཞེས​[105]་དམ་ཚིག​(ས​)[106] ​བྱས་པ་དང །། གནས་བརྟན་གྱིས་དེ་བཞིན་དུ་གྱུར་ཅིག་ཅེས་སྨྲས་ནས ། ཇི་ཙམ་ན་གནས་བརྟན་གྱིས་ཁ་ཆེ་ཡུལ་དུ་གུར་གུམ་བཞག་བར་བྱིན་གྱིས་བརླབས​[107] ་སོ །། ཇི་ཙམ་གནས་བརྟན་ཉི་མའི་གུང་བཅོམ་ལྡན་འདས་ཀྱི་བསྟན་པ་ཁ་ཆེ་ཡུལ་དུ་བཞག་ཅིང ། རྒྱ་ཆེར་བྱས་ནས་ཆོ་འཕྱུལ་རྣམ་པ་སྣ་ཚོགས་ཀྱིས་སྦྱིན་པ པོ་དང་ ། ཚངས པ་མཚུངས་པར་སྦྱོད་པའི་ཡིད་དགའ་བར་བྱས་ནས ། མེ ལ་ཆུས་བསྟབ་པ་བཞིན་དུ་མྱ་ངན་ལས་འདས་པར་སོང་ནས །། དེའི་ལུས་ཙན་དན་མཆོག་དང་ ། ཨ་ཀ་རུ་ལ་སོགས་ལའི་ཤིང་གིས་བསྲེགས་ནས ། མཆོད་རྟེན་བརྕིགས་ཏེ་བཞག་གོ །། དེ་གས་ཚེ་དང་ལྡན་པ་ཤ་ནའི་གོས་ཅན་གྱིས་ཀྱང་ ། ཚེ་དང་ལྡན་པ་ཉེ[108] སྦས་རབ་ཏུ་ཕྱུང་ནས ། དེས་བསྟན་པ་རྒྱ་ཆེར བྱས་ཏེ ། ཚེ་དང་ལྟན་ཉེ་སྦས་ལ་འདི་སྐད་ཅེས་སྨྲས་སོ །། ཚེ་དང་ལྟན་པ་ཉེ་སྦས་ཤེས་བར་བྱོས་ཤིག ། བཆོམ་ལྟན་འདས་ཀྱིས་ནི་ཙེ་དང་ལྟན་པ་འོད་སྲུང་ཆེན་པོ་ལ་བསྟན་པ་གདས་དས ། ཡོངས་ སུ་མྱ་ངན་ལས་འདས [སོ][109] །། ཆེ་དང་ལྡན་པ་འོད་སྲུན་ཆེན་བོས་ནི་ལཁན་བོལ་མཁན་པོས་ནི་ང་ལ་བསྟན་པ་གཏན་ནས་ཡོངས་སུ་མྱ་ངན་ལས་འནས་སོ །། ད་ང[110]་ཡང་ ཡོངས་སུ་མྱ་ངན་ལས་འདའ་སྟེ ། ད་ནི་ཁྱོད་ཀྱིས་བསྟན་པ་ཡོངས་སུ་བགྱང་ཞིང་ ། བཅོས་ལྡན་འདས་ཀྱིས་ཟི་སྐད་བཀའ་སྩལ་པ ། ཐམས་ཅད་ལ་ཁྱོད་ཀྱིས་ནན་ཏན་བྱོས་ཤིག ། དེ་ནས་ཆོ་དང་ལྡན་པ་ཤ་ནའི་གོས་ཅན་གྱིས་སྦྱིན་པ་པོ་དན། ཚངས་པ་མཚུངས་པའི་ཡིད་དགའ་བར་བྱས་ནས ། སྦར་བ་དང་བསྲེག་པ་དང་ ། ཆར་དབབ་པ་དང་ ། གློག་འབྱུང་བ་དང་ ། ཆོ་འཕྲུལ་རྣམ་པ་སྣ་ཚོགས་བྱས་ནས ། ཕུང་པོ་ལྷག་མ་མེད་པའི་དབྱིངས་སུ་ཡོངས་སུ་མྱ་ངན་ལས་འདས་སོ །། གནས་བརྟན་ཉེ་སྦས་ཀྱིས་ཀྱང་ ། ཆོ་དང་ལྟན་པ་འྡྷི་ཏི་ག་ལ ། ཆོ་དང་ལྡན་པ་དྷྰི་ཏི་ཀས་བསྟན་པའི་དགོས་པ་པྱས་ནས་ ། ཚོ་དང་ལྟན་པ་ནག་པོ་ལ ། ཚོ་དང་ཏླན་པ་ནག་པོས ། ཚོ་དང་ལཏན་པ་ལེགས་མཐོང་ལ་སྟེ[111] ། དེ་ལྟར་གྰར་པོ་ཆེན་པོ་[དེ][112] དག་ཡོངས་སུ་མྱ་ངན་ལས་འདས་སོ་

  1. Parmi les lettres employées dans la transcription u = ou, j = dj, ch = tch, sh = ch, x = kch ; le g est toujours dur ; ai = aï, au = aou. Les autres lettres se prononcent comme en français. Ainsi muni se lit mouni ; Jalodbhava, Djalodbhava ; Panchakô, Pantchakô ; Kashmir, Kachmir ; bhixu, bhikchu ; dgé, dguê. Dans les mots tibétains, le j vaut notre j, et le son dj est rendu par dj.
  2. On en trouve encore un résumé très-substantiel en six lignes dans l’ouvrage de M. A. Schiefner intitulé : Eine tibetische Lebensbeschreibung Çâkjamuni’s, etc. p. 79.
  3. Un traité du Kandjur (section Rgyud) intitulé Nâga samaya (serment des Nâgas) contient des descriptions des cérémonies et des mantras pour obtenir des Nâgas la pluie dans la saison des pluies, et un engagement des Nâgas de ne pas détruire les blés et autres grains. Ces données correspondent très-exactement à l’idée que le Mahâvanso nous donne de ces êtres fabuleux.
  4. Un des lacs du Kashmir porte encore le nom de Vular ou Valler, qui rappelle celui d’Aravâlô. Des étendues d’eau sont quelquefois qualifiées rois des Nâgas. Ainsi on retrouve le roi des Nâgas, l’Océan, (rgya mts’ô) ; le roi des Nâgas, Anavatapta (Ma-dros-pa, lac célèbre). (Suvarna-prabhâsa, éd. de la Biblioth. de l’Institut, folio 131.)
  5. Asiatic Researches, vol. XX, p. 92.
  6. Ce mot, qui signifie vieillard, prêtre, sera l’objet d’une discussion. — Je reproduis la forme sanscrite de tous les noms propres et de tous les termes buddhiques traduits en tibétain dans le texte. J’ajoute d’ordinaire, entre parenthèses ou en note, l’expression tibétaine et l’interprétation en français, sans entrer dans aucune explication, parce que ces restitutions sont certaines. Les cas douteux ou difficiles seront l’objet soit d’une note, soit d’une discussion ultérieure.
  7. On sait que les Tibétains disent : d’être entièrement passé hors de la douleur.
  8. Saints personnages ; en tibétain drang-srong, « ermite. »
  9. En tibétain ts’e-dang-ldan, « doué d’une longue vie, » qualification fréquente des plus éminents disciples du Buddha.
  10. Division originelle et fondamentale, des Écritures buddhiques.
  11. Les upâsakas sont les individus, non encore reçus moines, qui suivent l’enseignement religieux et observent certains préceptes. On les appelle en tibétain dge-bsñen « voisin de la vertu. » Cependant notre texte porte bsñen par-rdzogs « qui s’est parfaitement approché, » composé auquel le dictionnaire attribue le sens de devenir religieux ; il se retrouve plus bas avec ce sens. Mais, ici, j’ai cru devoir traduire par upâsaka à cause du contexte ; car si l’on dit, « nous sommes devenus des religieux, » la phrase qui suit n’a plus de raison d’être.
  12. Sur la terre ferme, au milieu de l’eau, expression périphrastique, pour désigner une île du Gange. Csoma de Körös [As. Res. XX, p. 92) dit que cette île est imaginaire. Je crois que, dans tous les cas, on aurait de la peine à la retrouver. — Ferma tout accès auprès de lui, je traduis ainsi lam med par byas sô (fit ou fut fait — à l’état de — sans chemin).
  13. En tibétain, (gsôl pa byas pa, ce qui pourrait se traduire par « fit la demande. » Mais ce sens ne conviendrait pas à l’ensemble de la phrase. D’ailleurs le génie de la langue tibétaine exigerait, pour que ce sens fût attaché à cette phrase, gsôl.var au lieu de gsôl.pa.
  14. Les mots sont bien clairs (las gsum-pa brdjod pa), la pensée l’est moins. Les trois opérations dont il s’agit sont sans doute : 1° devenir bhixu ou moine ; — 2° devenir anâgami ; — 3° devenir arhat « parfait. » Le passage à chacun de ces états aurait été précédé d’une instruction donnée par Ananda ; le texte ne cite que la dernière. Les trois degrés susindiqués sont loin d’être les seuls qui existent : l’auteur eût facilement pu allonger la liste ; il a su se borner.
  15. Tout ce passage est assez obscur. S’agit-il de deux individus ou de deux collections d’hommes, dont l’une aurait pris une dénomination, l’autre une autre ? Le texte tibétain a le singulier, il faut bien le conserver dans la traduction ; mais le singulier a souvent la valeur d’un pluriel, cas qui paraît se présenter ici. Il semble donc que les disciples d’Ananda auraient été partagés en deux classes. Quelle peut être la valeur de cette division ? Il est d’autant plus difficile de le dire, que, plus loin, les cinq cents disciples d’Ananda (du moins tout porte à croire qu’il s’agit d’eux) sont représentés comme agissant de concert avec Madhyântika, dont la personnalité, fortement mise en relief dans la suite du récit, se dessine assez faiblement ici. — On croit voir dans ces deux désignations, empruntées aux circonstances de temps et de lieu dans lesquelles s’accomplit la conversion des disciples d’Ananda, la trace obscure d’un schisme mal dissimulé.
  16. Il y a dans le texte sngar « premièrement. » On pourrait traduire avant que nous entrions, sens plus satisfaisant en lui-même, mais qui s’accorderait moins bien, soit avec la construction de la phrase tibétaine, soit avec le sens de celle qui suit. Bhagavat est le Buddha, et Mahâkaçyapa, son premier successeur.
  17. Le texte porte bu, à peine lisible. Cette expression fils (bu) qui ouvre le discours et est reproduite dans la conclusion nous prouve (comme l’ensemble le démontre) qu’il est adressé tout entier au seul Madhyantika, et cependant c’est la réponse d’Ananda aux cinq cents disciples. — Il y a un peu d’incohérence dans cette partie du récit.
  18. En tibétain, kha chhé « grande bouche, » nom qui paraît être seulement la prononciation populaire du sanscrit kaçmira, défiguré de manière à donner un sens plus ou moins conforme à l’idée qu’on se faisait du pays ou aux traditions dont il était le sujet.
  19. Dhyâna, terme bien connu, en tibétain bsam gtan, que je traduis par extase ; je rends par recueillement parfait le mot hthun (unus) en sanscrit samagra (totus). Ce mot semble désigner un esprit ramassé sur lui-même, dont toutes les facultés, toutes les énergies sont concentrées, rassemblées sur un point unique.
  20. Ce mot prouve que le texte sanscrit de ce récit a été arrêté dans le Kashmir ; peut-être la traduction y a-t-elle été faite. Cette circonstance est spécifiée pour quelques ouvrages.
  21. Le Bihar méridional, véritable berceau du buddhisme, et qui avait alors pour capitale Pataliputra et pour roi Ajâtaçatru.
  22. C’est un habitant de Vriji qui demande à posséder le corps d’Ananda, et le don est fait à un habitant de Vaïçâlî. Il s’ensuit que le pays de Vriji représente ici le territoire dont Vaïçâlî est le chef-lieu ; la même particularité se retrouve dans plusieurs textes (Voy. des pèl. buddh. III, 366). Cela vient de ce que le royaume de Vriji a été souvent réuni à celui de Vaïçâlî ; mais, du reste, c’était un État à part ayant sa capitale propre. (Voy. des pèl. buddh. loco citato, et p. 402.) Ses frontières étaient à 500 li, environ 37 lieues, de Vaïçâlî.
  23. Je ne veux pas entrer dans la question du nirvâna, qui n’est pas de mon sujet ; mais je dois au lecteur de justifier la traduction de cette phrase qui s’y rapporte. On la retrouve plus loin avec une variante. Ici nous avons : mé la (igni ou in ignem), chhus (aquâ), gtong-va (datum) ou gtor-va (sparsum, oblatum), vjin-du (sicut) : « comme ce qui est donné par l’eau au feu, » c’est-à-dire apparemment, « comme la vapeur d’eau. » L’autre phrase diffère uniquement par le verbe vstab-pa (donner, fournir), synonyme de gtong. Quant à gtor, très-semblable à gtong par la forme des lettres, il ne diffère pas essentiellement par le sens. La pensée paraît donc être « semblable à ce que donne l’eau mise en contact avec le feu. »
  24. Dans ce pada (car toute la phrase est une stance de quatre padas, dont chacun a sept syllabes) le texte est : rang-gi lus-kyi i bchom-ste, « ayant vaincu la montagne (?) de son propre corps. » Cette expression pour dire « ayant dompté son corps avec les efforts les plus pénibles » paraît bien exagérée. Je lis ris (partie) au lieu de ri (montagne), ce qui m’oblige à détourner un peu le sens de bchom (vaincre) et à lui donner celui de « disposer en vainqueur ou en maître souverain. »
  25. Le mot muni se dit en tibétain thub-pa (fort, force) : nous avons thub-pas à l’instrumental, on pourrait traduire : « avec puissance ; » il paraît préférable de traduire par « ce muni. »
  26. Notre texte porte ts’ogs rnams « des troupes. » Ce mot, évidemment opposé à roi (Indra des hommes), justifierait l’opinion de Csoma que Vaïçâlî était un État républicain. Cette ville, où dominaient les Lichavyi, paraît avoir eu une constitution aristocratique ou oligarchique. Cependant, dans le récit de la mort d’Ananda, Hiouen-Thsang parle du roi de Vaïçâlî, qui aurait pris les armes pour disputer au roi de Magadha la personne d’Ananda. Afin d’empêcher une guerre entre les deux rois, Ananda, qui fuyait en bateau sur le Gange, disparut et entra dans le nirvana. Le récit du voyageur chinois diffère notablement du récit tibétain.
  27. Monument de forme généralement pyramidale, renfermant des reliques.
  28. Ce nom sera étudié plus tard. Il est à remarquer que Hulunta n’est point ici désigné comme roi, il est seulement qualifié de méchant. Le texte porte mi srun ; il faut lire mi bsrun, que le dictionnaire tibétain-sanscrit traduit par खल : « Malicieux, méchant, bas, vil. » Schmidt traduit dans son dictionnaire par « homme doux ; » mais le mot mi est à la fois la négation et le substantif homme ; il est évident que, ici, mi bsrun signifie : « qui n’est pas doux. »
  29. En tibétain byams pa ting-ge hdzin. Ting-ge hdzin est la samâdhi ou contemplation. Byams-pa signifie compassion ou compatissant, et correspond à maitrî et à maitrêya. Maitrî est l’amour universel ; Burnouf le traduit par charité : c’est l’amour étendu à tous les êtres. Maitrêya est le nom du Buddha qui doit apparaître quand sera achevée la période assignée à Çâkyamuni.
  30. Je traduis ainsi le mot du texte kun-mu qui n’existe pas, et doit être corrigé en ku-sa-ma (fleur) ou mieux ku-mu-da, qui se rencontre dans des passages semblables, et qui, entre autres significations, a celle de lotus rouge.
  31. Cette énumération présente deux fois le groupe (rtsegchig རྩེགཙིག​), dont la division, incertaine la première fois, est la deuxième fois assez bien indiquée sous la forme rtse-gchig (une seule pointe), mais rtseg signifiant « accumulation, » si l’on divise les lettres ainsi, rtseg-chig, on aura rdo-rdje rtség-chig (un amas de pierres, pierres sur pierres), mts’ôn rtsêg-chig (un amas d’armes, armes sur armes), ce qui est bien préférable. Il faut donc lire ; རྩེག་ཙིག​ (rtsêg-chig), et non རྩེ་གཙིག​ (rtsê-gchig).
  32. La phrase paraît assez claire ; mais la construction en est embarrassée. Je traduis ainsi mot à mot en latin : « Nivei montis vertice illo quidem sub solis radiis firmiter sedente, montium vertices illi omnes certe haud (jam) esse, quum advenerunt, haud conspici (ou ita ut conspici possint). »
  33. Le texte tibétain est : Dbul-var (à offrir), rdo (une pierre), mi (non) thôgê…… ? Thôgé n’existe pas. Thôg signifie « toit d’une maison, foudre, production (moisson), » tous mots avec lesquels on ne peut faire un sens raisonnable et naturel. Je transpose les voyelles, et je lis thégô pour thég-gô. Thêg signifie : « porter, enlever, voiturer. » L’emploi de ce terme ne paraîtra pas déplacé, si l’on songe que, en général, le mot offrande emporte l’idée d’un meuble. Les Nâgas ne comprennent pas l’oblation d’une chose immobilière. Des offrandes de cette nature se voient cependant plus d’une fois dans le Buddhisme. — En lisant thôg-gô, on pourrait traduire : un rocher n’est pas une offrande relevée, ou bien n’est pas une offrande productive.
  34. Lang-pa dgu-hi mdo skyil-mô krung-gis-nôn-pa. «Vallium novem os τῷ cruribus junctis sedere depressum fuit. — Je considère dgu, le nombre neuf, comme un simple signe du pluriel (ce qui n’est pas rare en tibétain), et je vois dans cette phrase cette idée que les eaux (dont les Nâgas sont l’emblème), renfermées jusqu’alors entre les montagnes, trouvèrent une issue par la dépression dont il s’agit. C’est le seul indice que nous ayons de l’inondation et du desséchement de la vallée de Kashmir, si clairement énoncés dans les autres textes allégués ; mais combien il est encore faible et obscur ! Le Kandjur n’entre dans aucun détail qui ait trait aux choses naturelles, il est tout entier à la fantasmagorie bouddhique. Dans l’ouvrage de M. Schiefner (Eine Lebensbeschreibung, u.s.w. p. 79), ce fait est ainsi exprimé : « Umfasste er so sitzend die Ausgänge von 9 Thälern, worauf ihm die Nâga’s das Land einraümten » (en s’asseyant ainsi, il embrassa les issues de neuf vallées, ce qui fit que les Nâgas lui cédèrent la place). Cette phrase répond assez bien au récit de Hiouen-Thsang. Nôn-pa devrait alors être traduit par : « embrasser, couvrir, soumettre. » Mais il serait nécessaire aussi de connaître le texte dont M. Schiefner a fait usage : il paraît identique au nôtre en cet endroit.
  35. Je ne crois pas qu’on puisse traduire cette phrase autrement, et cependant elle n’a guère de sens. Qu’importe qu’il manque un arhat sur cinq cents ? Et à quoi se rapporte l’expression en ce temps-là ? On est tenté de croire à une lacune que la forme extérieure du texte n’indique d’ailleurs en aucune manière. Mais la mention des interlocuteurs, énoncée constamment, fait ici défaut ; le premier membre de phrase est peut-être mis dans la bouche des Nâgas, le deuxième l’est certainement dans celle de Madhyântika : cependant rien n’indique qu’il prend la parole : et même, d’après la construction de la phrase, le tout se trouverait attribué aux Nâgas ; l’évidence du sens oblige seule à faire intervenir Madhyântika comme le personnage qui parle. Le mot tibétain dbrôg répond au français ravir dans sa double acception.
  36. Mot à mot en latin : « Re ita sese habente (ou rebus ita comparatis), attamen, quia, ubi donantes versantur, ibi sunt capientes. »
  37. En tibétain : Spos. kyi ngad. ldung ; mais ce nom a diverses autres formes qui se rapprochent plus ou moins de celle-ci, et dont l’analyse, assez difficile, serait trop longue. Du reste il s’agit bien de la montagne des Parfums. On est étonné d’y trouver des Nâgas, ou serpents d’eau ; peut-être ces Nâgas hantent-ils les nuages qui entourent le sommet de la montagne. Le mot nâga désigne aussi l’éléphant, et cette double acception a été la cause de plus d’une confusion. On serait tenté d’en soupçonner une, si la montagne fabuleuse de Gandhamâdana n’occupait une position septentrionale peu favorable à la propagation des éléphants. Le Mahâbhârata y place toutes sortes d’êtres.
  38. C’est un des termes assignés à la période de Çâkyamuni ; mais il y en a d’autres, en particulier celui de cinq mille ans, qui paraît plus généralement adopté.
  39. En tibétain sha-nahi-gos-chan, « vêtu de chanvre. »
  40. Upagupta était fils de Gupta (protégé). La préposition upa a ici la valeur de fils. Elle signifie « secondaire, en sous-ordre. » C’est comme si l’on disait : le petit Gupta, ou Gupta II, Gupta minor. C’est ainsi que Çâriputra, l’un des principaux disciples de Çâkyamuni, appelé de ce nom à cause de sa mère, tient de son père Tishya celui de Upa-Tishya.
  41. Les deux premières lettres de cette phrase sont méconnaissables. On peut lire pung ou lung. Lung signifiant prédiction, la phrase serait lung.yang.yongs su.mya.ngan.las.hdas.ste. L’annonce du nirvâna complet existant (pour moi). Mais il vaut mieux lire da.nga (maintenant moi, etc.), d’autant plus que le membre de phrase suivant commence par da khyod (maintenant toi), et qu’il y a ainsi une sorte de parallélisme.
  42. Cette phrase sur le nirvâna est bien connue : Burnouf l’a citée et discutée (Introd. à l’hist. du Buddh. indien, p. 591. Je me bornerai à mettre en regard les mots tibétains et les termes sanscrits correspondants :
    Pung.pô lhag.ma med.pa dbyings.su
    Upadhi Çésha ni : dhâtau
    Agrégat reste sans milieu (région) dans
    yongs.su mya ngan.las.hdas
    parinirvrita
    entré dans le nirvâna complet.

    Dans l’exemple cité par l’illustre indianiste, le mot dbyings su (dhâtau) est précédé du mot mja.ngan.las.hdas (nirvâna) que nous n’avons pas ici.

  43. Ce nom est transcrit dans le texte du Kandjur : c’est le seul nom propre qui ne soit pas traduit. Il est écrit avec le premier i bref : l’étymologie et l’orthographe constante exigent l’i long.
  44. Ce nom a probablement un sens mystique et religieux : il signifie « exempt d’erreur. »
  45. Ces n’est pas dans le texte : il y a seulement glang-pô-chhen-pô-dag ; il faut intercaler (ce) entre chhen-pô et dag, signe du pluriel.
  46. Hdul-va, vol. XI, fol. 686-689.
  47. Le terme Hulura ou Ulura ne serait-il pas la forme primitive du nom Vular ou Valer que porte aujourd’hui un des lacs du Kashmir dans lequel on a cru reconnaître le lac d’Aravâlô (Aravâladaha) cité dans le Mâhâvanso (ch. xii, 11) ?
  48. Il y a en sanscrit une racine huḍ (hur), qui signifie « accumuler, être submergé ; » cette dernière signification convient très-bien à un serpent d’eau ; la première s’accorde avec le sens d’un des mots tibétains par lesquels on traduit le nom d’Aravâlô. Je ne sais si l’on peut faire venir de cette racine le nom de Hul-unta ou Huluḍa. Une autre racine hul signifie « aller, cacher, frapper, tuer : » ces significations ne répondent point à la traduction tibétaine du nom de Huluka. Cependant, si les mots Hulata et Huluka sont sanscrits (ce dont je ne suis pas persuadé), on ne peut pas les faire dériver d’une racine autre que hul et peut-être hud. Les sens de « amasser » (les eaux) « être plongé » (dans les eaux) « couvrir » (d’eau), « frapper, tuer » (par la pluie, la tempête et l’inondation), conviendraient très-bien à des Nâgas ou serpents d’eau, et rentrent dans l’ordre d’idées que comporte le récit du Mahâvanso. Le sens de « regard brillant » attribué par la traduction tibétaine à Huluka convient aussi très-bien à des serpents et rappelle le grec δράκων.
  49. Râjataranginî, I, çl. 28. (Éd.Troyer.)
  50. Râjataranginî, I, çl. 30.
  51. Hiouen-Thsang, I, 108. (Trad. de M. Stanislas Julien.)
  52. Wassilief, I, 39, note.
  53. Je ne crois pourtant pas que les moines buddhistes aient jamais rendu des services de la nature de ceux par lesquels les Bénédictins se sont honorés dans l’époque barbare. Les religieux buddhistes ont exercé une immense influence morale ; ils ont adouci le caractère des peuples les plus féroces du monde ; mais ils n’ont pas donné l’exemple du travail, du développement des facultés et des énergies natives. Une telle tendance n’est pas dans la direction du buddhisme. Le rôle attribué à Madhyântika présente une exception remarquable et inattendue, à laquelle non-seulement les traits fabuleux du récit, mais même les prétentions évidemment exagérées des buddhistes ne doivent pas nous empêcher d’avoir égard.
  54. M. Stanislas Julien dit dans sa traduction : « le kurkuma (yô-kin-biang). » Le texte tibétain donne pour le nom de la plante གུར་གུམ​ (gurgum) ou peut-être mieux གུང་གུམ​ (guṅgum) suivi du signe du pluriel ; le mot sanscrit est कुङ्कुम (kuṅkuma).
  55. Râjataranginî, I, çl. 26-27.
  56. Ils disent que le Buddha ne voulut pas naître dans la famille de Pandu à cause du désordre que les descendants de ce prince avaient mis dans leur généalogie. (Lalitavistara, trad. de M. Foucaux, p. 26.)
  57. « Kâçmîrikân vîrân Xattriyân. » (Subha Parva, çl. 1025.)
  58. Râjataranginî, I, çl. 95-100.
  59. Ce roi est Suvarna, qui fit exploiter, dit la chronique, une mine (kulyâ) d’or et de pierreries dans le Karâla. Le nom de ce roi signifie or, et il distribua aux nécessiteux une part du produit de la mine. Il paraît que, peu avant le règne d’Açôka, il y eut une émission considérable de monnaie de cuivre (je tiens ce détail de M. de Longpérier) ; notre texte ne fait allusion qu’à l’exploitation d’une mine d’or ; mais il a bien pu passer sous silence d’autres travaux du même genre, tels que l’exploitation de mines de cuivre, qui ont bien plus d’intérêt pour nous que pour les chroniqueurs indiens. La notice donnée par la Râjataranginî sur ces rois est fort brève, et se réduit à un çlôka pour chacun d’eux.
  60. Voir le mémoire de M. Vivien de Saint-Martin à la fin des Voyages de Hiouen-Thsang. Le nom de Peishaver (پيشور) se trouve écrit quelquefois Pershaver (پير شور) par un ر au lieu d’un ى, forme plus exacte et plus rapprochée de la forme primitive (Voy. des pèlerins buddhistes, III.)
  61. Râjataranginî, I, çl. 160-170.
  62. Voy. des pèlerins buddh. II, 172 et ailleurs.
  63. Dans le pays de Tukharâ, disent les livres buddhiques. (Wassilief, I, 44.)
  64. Voyages des pèlerins buddhistes, II, 105.
  65. Dzang-lun (der Weisc und der Thor), p. 176 du texte, 217 de la traduction allemande (édition Schmidt).
  66. M. A. Schiefner, Eine tibetische Lehensbeschreibung Çâkyamuni’s, etc. p. 79.
  67. Mémoires de Hiouen-Thsang, I, 168.
  68. Wassilief, I, p. 39.
  69. C’est ce que l’on voit dans une liste des patriarches que donne le Sse. fung. phiao. commentaire chinois du Vinaya (Wassilief, I, 224-5). D’un autre côté, nous savons par la Vie de Çâkyamuni de M. Schiefner (Eine tib. Leb. des Çakj. p. 79) que Madhyâmika fut réputé le précepteur de Upagupta (successeur de Çânavâsika d’après le Kandjur, et, selon cette même biographie, successeur de Yaças, disciple lui-même de Madhyântika, et identique à Çânavâsika) : Madhyântika joue donc, d’après ce document, un rôle exceptionnel et affecte une véritable supériorité sur Çânavâsika, présenté comme son disciple.
  70. Mahâvanso, ch. v, 2.
  71. Lotus de la bonne loi, p. 357 (appendice).
  72. Die Religion des Buddha, I, p. 153, note 1.
  73. Ibid. p. 156, note 1.
  74. Samayavadhôparachanachakra dans Wassilief, I, p. 230, note 2. — Liste des dix-huit écoles schismatiques, etc. par M. Stanislas Julien. (Journal asiat. oct.-nov. 1859, liste A, 38-39, page 339 et passim.)
  75. Mahâvanso, ch. vi. 53 ; ch. v. 3.
  76. Wassilief, p. 55 et 224-225. Cependant certains indices, entre autres l’assertion que les Sthaviras étaient les Arhats les plus respectables, donneraient lieu de croire que les novateurs étaient les Mahâsanghikas, tandis que les Sthaviras auraient tenu pour le maintien de la tradition.
  77. Elle comprend les noms de Mahâkaçyapa, Ananda (Madhyântika), Çânavâsika (ou Yaça), Upagupta, Dhîtika, Kâla.
  78. Introduction à l’Hist. du buddh. indien, 446-447. Cette interpré- tation diffère entièrement de l’explication donnée pages 288-89, 297 et 565 du même ouvrage, et fait du mot sthavira (nom de l’école) un terme tout différent du mot sthavira (nom d’une classe des membres de la société buddhique). Elle est fournie aussi par le dictionnaire tibétain-sanscrit de la Bibliothèque impériale, qui donne pour le mot gnas-brtan les deux équivalents sanscrits, sthavira (vieillard) et vâsadhîra (qui a des demeures fixes) — D’après un auteur chinois, cité par M. Wassilief (p.  225, note 3), le nom de sthavira aurait été donné aux membres de cette secte parce qu’ils occupaient les lieux les plus élevés, ou les plus hautes positions.
  79. Wassilief, I, p. 55.
  80. Dans l’Âmarakôsha tibétain le mot sthâviram (vieillesse) et sthavira (vieillard) sont également rendus par gnas brtan, qui ici ne peut signifier « lieutenant. » L’auteur de l’Âmarakôsha était buddhiste, d’une époque postérieure au premier siècle du Nirvâna, et d’ailleurs la traduction tibétaine est plus récente. Il est évident que ce dictionnaire nous donne le sens buddhique et ordinaire du mot sthavira, sans se préoccuper des sens différents que ce mot a pu avoir. Brtan, tout seul, dans le même dictionnaire, rend les mots sthâsnu (fixe, stable, permanent) et driḍhasandhi (fortement lié). Quant au mot sthâvara, il est difficile de démêler le terme tibétain qui lui correspond dans l’Amarakôsha : ce terme répété deux ou trois fois, avec variante, paraît être : bya bjed ou bya spyod (agenda agens) et bya spyod byed pa spyod (pratiquant ce qu’il faut pratiquer), ce qui suppose une acception toute morale et revient à dire : « ferme dans le devoir, fidèle au devoir. »
  81. Journ. asiat. oct.-nov. 1859, art. de M. Stanislas Julien, p. 347, no 1 et passim.
  82. Voir ci-dessus, page 485.
  83. Wassilief, p. 58, Liste des écoles bouddhiques (Journ. asiat. oct.-nov. 1869, page 334, article de M. Stanislas Julien).
  84. Si-yu-ki (Mémoires de Hiouen-Thsang), I, 171.
  85. On ne voit pas bien si ces cinq cents arhats représentent l’assemblée des disciples ou des amis de Madhyântika, qui étaient réellement au nombre de cinq cents arhats. Si l’auteur chinois veut dire que Mahâdêva provoqua l’expulsion de Madhyântika (et il a l’air de le donner à entendre), Mahâdêva aurait joué à peu près le rôle que Çânavâsika paraît avoir joué d’après le récit de Târânâtha.
  86. Mahâvanso, ch. xi, 268.
  87. Lotus de la bonne loi, page 138 de la traduction.
  88. Le texte porte གར་གའི. La correction du deuxième en གྰ​ ne peut être douteuse.
  89. On pourrait lire ནས au lieu de .
  90. On pourrait lire བལྟ​ en un mot : le texte sépare et ལྟ​ par un point.
  91. Ce mot བུ est peu reconnaissable dans le texte ; mais comme il est répété à la fin du discours, la lecture ne saurait être douteuse.
  92. Le texte a གྱི au génitif : l’instrumental གྱིས​ est bien préférable.
  93. On pourrait lire གཏོང​ ; mais le texte porte bien གཏོར​​.
  94. Le texte a ཕྱེ, qui existe ; mais il vaut mieux ajouter un ད​ et lire ཕྱེད​.
  95. Le texte a རི : j’ajoute un ས​ (Voir la note 2, p. 488.)
  96. Le texte a བདག་གིས​ à l’instrumental : je lis བདག་གི au génitif.
  97. Le texte a སྲུན​​, les dictionnaires donnent unanimement བསྲུན​. Je rétablis le préfixe.
  98. Le texte a པོ ou བོ. Cependant les dictionnaires donnent le mot མདའ​ sans suffixe.
  99. Entre བར​ et བརྩཔས​, il y a dans le texte un petit intervalle marqué de plusieurs points ; mais le sens n’indique aucune lacune.
  100. Le texte a བ་ལྟར​ en deux mots ; mais il faut supprimer le point et lire བལྟར​, la mesure du vers l’exige.
  101. Le texte a ཐོགེ. Il faut lire ཐེག་གོ ou ཐོག་གོ.
  102. Les dictionnaires donnent cette forme absolue avec la particule du génitif ཀྱི. Notre texte donne ici celle de l’instrumental.
  103. Le texte a ici ཀྱིས​ ; il est évident qu’il faut ཀྱི, qui se trouve à la ligne suivante ; du reste cette particule est ordinairement retranchée dans le nom propre. (Voir la note 2 de la page 494.)
  104. Le texte a ད​, il est évident qu’il faut དེ.
  105. Le texte a ཞེ, il est certain que ཞེས​ est la vraie forme qui convient ici.
  106. Le texte a ཚིགས​. Le dictionnaire donne pour cette expression composée དམ་ཚིག sans ས​.
  107. La véritable lecture doit être བརླབས​ ; mais le mot du texte a l’apparence de བསྲབས​, qui s’expliquerait aisément, ou plutôt de བསླབས​, qui s’explique moins bien.
  108. Le texte paraît avoir སྙེ. Je lis ཉེ comme plus bas.
  109. J’ajoute au texte la particule སོ et la deuxième barre verticale : la construction de la phrase me paraît exiger cette modification.
  110. ད་ང​ Cette lecture, à cause d’une expression semblable qui se retrouve un peu plus bas dans la même phrase, et qui s’est déjà présentée dans la suite de ce texte, ne me laisse aucun doute ; mais le groupe est illisible, ou, pour mieux dire, méconnaissable dans l’édition du Kandjur que possède la Bibliothèque impériale.
  111. On attendrait devant la particule སྟེ une racine verbale, car il ne paraît pas conforme aux usages de la langue que cette particule représente elle toute seule un verbe placé plus haut dans la phrase et séparé d’elle par un grand nombre de mots. Je suppose une lacune ; mais je donne le texte tel qu’il est.
  112. J’ajoute དེ qui n’est pas dans le texte, mais qui devrait y être.