Iroquoisie/Tome I/11

La bibliothèque libre.
Les études de l’Institut d’histoire de l’Amérique française (Tome Ip. 183-200).


CHAPITRE XI


(1637)

En 1637 apparaissent donc des symptômes plus accusés de la crise de demain. L’épuisement des fourrures se marque dans les nouveaux districts et il s’avère dans d’anciens. Amis des Algonquins, les Abénaquis tentent de dériver vers la Nouvelle-Angleterre le flot des pelleteries canadiennes ; et les Agniers commencent à la canaliser par la force vers la Nouvelle-Hollande.

Aucun document ne spécifie de façon précise que ce sont les Agniers qui se sont postés dans les îles de Sorel pour capturer les fourrures des Hurons. Toutefois aucun doute n’est permis. Les documents français omettront souvent le nom de la tribu et ne parleront que des Iroquois. Par contre, les documents hollandais ne connaîtront pendant une trentaine d’années et plus, sauf rares exceptions, que les Agniers. Pour eux, les Iroquois se divisent en deux peuples : les Agniers et les Senèkes ou Senecas, ce dernier vocable comprenant les quatres tribus supérieures, Onneyouts, Onnontagués, Goyogouins, Tsonnontouans. Ce sont toujours les Agniers qui viennent à Fort Orange, qui renouvellent le traité d’alliance, qui donnent des nouvelles ou tuent des animaux. On en vient à se demander s’ils n’y conduisent pas tout le commerce de l’Iroquoisie, en y servant d’intermédiaires aux autres tribus ; s’ils ne sont pas aussi les seuls Iroquois à nouer des relations intimes avec la Nouvelle-Hollande. C’est un phénomène curieux. Sont-ils les agents ou les intermédiaires des autres tribus pour la traite des pelleteries ? Quelques historiens ont noté ce fait. Arthur H. Buffinton a même écrit les phrases suivantes : « La bonne entente entre les Hollandais et les Iroquois était en bonne partie confinée à la tribu des Agniers… Les relations avec les autres tribus de la Confédération étaient intermittentes… »[1]. Sans doute avait-il alors à l’esprit des notations comme la suivante, écrite cinq ou six ans après 1637 : « Parmi tous les Indiens et tous les sauvages des alentours, la principale nation avec laquelle nous avons le plus de relations est celle des Agniers… »[2]. Ce point est important. Il doit être précisé dès le début. Tous les documents hollandais le prouvent d’une façon nette. Plus tard, les Onneyouts seront entrainés d’une façon particulière dans l’orbite des Hollandais, des Anglais aussi. Or, les Agniers sont particulièrement mal placés pour obtenir des fourrures des autres peuples. Au nord, vivent les ennemis héréditaires de la Confédération iroquoise : à l’est, les Indiens ont des factoreries à leur portée ; au sud, voilà d’autres ennemis, les Andastes ; à l’ouest, s’étend le domaine des quatre tribus iroquoises supérieures qui peuvent atteindre facilement les Ériés, les Neutres, les peuplades qui se distribuent vers l’occident, pour acheter des pelleteries ou les échanger contre des marchandises européennes.

Ces faits imposent la conviction que ce sont les Agniers qui ont conduit l’expédition au Saint-Laurent en 1637. Le nombre des guerriers correspond à celui qu’ils mobiliseront assez souvent ; la route qu’ils ont suivie, celle du Richelieu, est bien la leur ; nombre d’autres incursions porteront les mêmes caractères généraux. Mais pourquoi sont-ils venus ? Les Algonquins, il est vrai, les ont provoqués par une guérilla opiniâtre poursuivie autour de leurs bourgades. Toutefois, le fait de placer si habilement des troupes dans les chenaux des îles du lac Saint-Pierre, pour capturer les canots hurons au passage, indique, en plus d’une volonté de vengeance, le dessin déterminé de s’emparer des pelleteries du convoi.

L’audace même de l’entreprise est une preuve du besoin croissant de fourrures qu’éprouvent les Agniers. Pour la première fois depuis 1610, ils reviennent en nombre au Saint-Laurent qui a été témoin de leurs sanglantes défaites. Ils ne sont pas mieux armés et ils s’aventurent tout près du poste des Trois-Rivières. Ils prennent un gros risque. Tout bien examiné leur expédition doit être classée en premier lieu dans la catégorie des raids ayant pour mobile principal le vol, le pillage des fourrures canadiennes et, en particulier, du convoi huron. Ils agissent comme des pirates de la pelleterie.

La demande se fait de plus en plus large à Fort Orange. Il y a longtemps que l’on a jeté par dessus bord les prudences du début. La Dutch est India Company possède toujours le monopole ; elle est à la veille de l’abandonner. Mais le puissant seigneur qui a fondé la colonie de Rensselaerswyck, tout autour de Fort Orange, et qui manœuvre depuis dix ans pour obtenir le droit de la traite, qui est à la veille de l’obtenir, a déjà adopté, en prévision de ce changement, une politique nouvelle. Il a commencé en 1636 à envoyer à ses mandataires des cargaisons entières de marchandises qui doivent être échangées pour des fourrures. Son domaine a des frontières communes avec le pays des Agniers.

Les armes à feu commencent à paraître. Les Abénaquis en ont apporté des provinces maritimes. Les premiers éclaireurs qui sont partis des Trois-Rivières pour reconnaître l’armée iroquoise, ont déclaré au retour qu’ils avaient entendu des coups de feu.

Enfin, les Agniers retournent en leur pays avec un butin précieux. Leur première expérience a réussi, elle invite à la récidive. Les Français se sont montrés plusieurs jours impuissants contre eux. Ils ont été incapables de les poursuivre et de les atteindre. Le plan d’intercepter le convoi huron est excellent. C’est le fait que Champlain avait prévu et qui lui avait donné de si fortes inquiétudes. Chassés du Saint-Laurent par lui, mais non détruits, les Iroquois reviennent, et dans des circonstances plus dangereuses ; en arrière d’eux se profile maintenant une nation européenne qui les appuie, et dont les intérêts se lient aux leurs.

Enfin, cette même année, les Agniers rendent un grand service aux Anglais de la baie du Massachussets, on pourrait dire, de Boston. Ni Anglais ni Hollandais ne résoudront jamais le problème des relations des races dans le voisinage immédiat ou dans le milieu des colonies. La guerre éclatera pour une raison ou pour une autre, et ce sera tout de suite une guerre d’extermination. Cette fois, ce sont les Péquots qui ont provoqué l’ire des Quakers. Quatre cents d’entre eux viennent d’être tués dans une seule bataille. Le sachem de cette tribu, Sasacus, son frère, cinq autres sachems, « qui s’étaient enfuis chez les Agniers pour y trouver un abri, avec leur wampum, dont la valeur était de cinq cents livres, sont surpris par eux et tués, avec vingt de leurs meilleurs hommes ».[3] Les Agniers auront tout loisir de se rappeler cette trahison quand, dans sa marche vers l’ouest, la mise en valeur anglaise des terres aura atteint leur propre pays.


(1637)

L’épidémie continue à se promener comme une flamme d’un bout à l’autre de la Coalition laurentienne. En 1636, elle avait originé dans l’est pour remonter rapidement en Huronie et s’y établir pour ainsi dire à demeure ; en 1637, elle redescend avec le convoi des fourrures en Nouvelle-France, où elle se propage de nouveau. Les Jésuites doivent commencer un hôpital parce qu’Algonquins et Montagnais « sont attaqués de grandes maladies ». Comme le dit la Relation, « la maladie s’étant jetée sur ces pauvres peuples,… tous ceux qui avaient assisté aux instructions que nous leur donnâmes, se trouvant saisis de cette épidémie », ont tendance à se convertir ; « et pas un d’eux n’est mort sans baptême »[4]. Le caractère épidémique est nettement marqué ; quand une famille est atteinte, tous les membres qui la composent deviennent malades à tour de rôle et la plupart disparaissent. Les missionnaires reviennent à plusieurs reprises sur le sujet. Ils écrivent des phrases comme la suivante : « Dans la Grande contagion qui a massacré quasi tous ces peuples, sans s’attaquer aux Français… »[5], ou bien comme la suivante : « …Les sauvages du pays ayant été malades extraordinairement… »[6]. Il faut enfin comprendre ce que les mots signifient ; ce n’est pas la première fois que les Jésuites l’emploient pour les peuples algonquins qui sont en voie de se consommer, de se fondre sur place. Ils n’ont jamais été nombreux.

Mais pour être de nouveau revenue en Nouvelle-France, la maladie contagieuse n’a pas pour cela quitté la Huronie. L’automne 1637 et l’hiver 1637-8 la voient à l’œuvre avec une malignité nouvelle. « La mortalité était partout »[7]. Des bourgades disparaissent parce que trop d’habitants sont morts et que les autres ont pris la fuite. Les missionnaires sont chargés d’une tâche surhumaine. Ils vont d’une famille à l’autre, d’une cabane à l’autre, d’un village à l’autre, tentant de soigner, de convertir les malades, de baptiser les mourants, de répondre aux appels désespérés qui viennent de partout.

Par sa persistance indue, le fléau met la nation aux portes du désespoir. Elle s’en prend toujours aux Jésuites. Ceux-ci doivent se rendre aux conseils où, accusés devant le peuple, ils se défendent par des plaidoyers énergiques. Ils se justifient. Mais leur existence est tellement menacée qu’ils s’attendent aux coups de hache, aux supplices.


(1638)

En 1637, les Algonquins ont d’abord subi une défaite, puis ils ont remporté une victoire. En 1638, ils ne conduisent aucune incursion contre leurs ennemis. Leur déchéance peut se rattacher à cette période. Leur nombre diminue, leurs forces décroissent, et le facteur militaire qu’ils représentent devient de moins en moins important.

Les Hurons, pour leur part, ont éprouvé certaines pertes en 1637. Le vol d’une dizaine de canotées de pelleteries s’est accompagné de la perte d’une trentaine de leurs gens. Ils ont encore assez de vitalité, malgré les maladies contagieuses, pour songer à des représailles. La paix qu’ils ont conclue avec les Tsonnontouans subsistant toujours, ils guerroient contre les autres tribus. Les documents ne mentionneront par hasard que les Onneyouts ; mais il est probable que les Onnontagués et même les Agniers ont été engagés dans cette guérilla. Celle-ci est racontée dans la Relation huronne qui couvre la période écoulée de juin 1638 à la fin de juin 1639. Voici quelques phrases générales en guise de préambule : « De long temps, les Hurons n’ont eu plus de bonheur et d’avantage sur leurs ennemis que l’année dernière. Étant allés à la guerre avec quelques Algonquins leurs voisins, ils prirent pour un coup, de leurs ennemis environ quatre-vingt, qu’ils amenèrent en vie dans le pays. Outre cet avantage le plus considérable de tous, ils en ont eu d’autres de moindre importance, qui en tout leur ont donné plus de cent prisonniers »[8]. L’expression, « l’année dernière » dans la phrase précédente, indique-t-elle l’année qui vient de s’écouler de juin 1638 à juin 1639, ou bien l’année antérieure ? Il semble que la première interprétation soit exacte : une relation, en effet, a couvert l’année antérieure et elle ne contient aucun récit de faits militaires.

En un mot, la Huronie a probablement remporté les victoires énumérées précédemment à l’automne de l’année 1638. La principale bande huronne qui se met en campagne est composée de trois cents guerriers, presque tous hurons, sauf un petit nombre d’Algonquins voisins, Nipissings peut-être. Elle chemine, précédée de ses éclaireurs. Ceux-ci se trouvent bientôt engagés parmi les avant-gardes d’un détachement iroquois d’une centaine de personnes. Tous, à l’exception d’un seul, réussissent à se replier indemnes vers leurs forces. Le Huron qui demeure prisonnier entre les mains de l’ennemi est d’un grand courage et d’une grande habilité. Il constate que le détachement iroquois, se sachant découvert et repéré, croyant qu’il ne pourra plus maintenant accomplir aucune action d’éclat, se dispose à la retraite. Alors, il intervient dans les délibérations : « Mais le captif, les voyant en cette disposition, leur donna à entendre que ceux qui venaient après eux n’étaient pas en tel nombre qu’ils n’en puissent, facilement venir à bout »[9]. Enfin, il leur laisse croire qu’ils sont les plus nombreux et que la victoire sera facile. Alors, au lieu de fuir, les Iroquois se construisent, selon leur habitude, un fortin ou retranchement, de forme ronde, en rondins ou troncs d’arbres, où ils attendent avec confiance la bande huronne. Ils s’y retranchent. Mais quand les Hurons entourent cet ouvrage rudimentaire, les Iroquois constatent qu’ils ont été joués par leur prisonnier, et ils l’assomment tout de suite.

Ils tiennent ensuite conseil. La fuite est encore possible, « y ayant encore quelque endroit par où ils pouvaient échapper… ». La plupart des guerriers croient qu’il serait sage de le faire. Mais un Iroquois, qui sera baptisé plus tard sous le nom de Pierre, et qui possède non moins de courage que le prisonnier huron, intervient avec énergie dans la discussion. Indiquant le ciel qui est dans le moment sans nuage, il dit : « Cette résolution… serait possible, si le ciel était couvert et si le soleil ne devait être spectateur de cette lâcheté ; mais cela n’étant pas, il faut combattre tant que nous pourrons, et puis un chacun avisera à ce qu’il a à faire ». Il convainc ses compatriotes qui prennent la résolution de combattre. Mais ils ont en face d’eux des ennemis qui n’ont ni moins de résolution, ni moins de courage et qui sont plus nombreux. C’est une véritable bataille qui s’engage. Algonquins et Hurons tuent de dix-sept à dix-huit Iroquois ; ils capturent tous les autres, sauf quatre ou cinq qui réussissent à fuir. C’est une très belle victoire.

Les quatre-vingts prisonniers sont distribués entre les tribus huronnes et les bourgades. Les missionnaires tentent parfois de les convertir avant le supplice. « Tous ceux, dit la Relation, qui ont été destinés pour les Bourgs où nous avons des résidences, ou pour les voisins, ont été, grâces à Dieu, instruits et baptisés, et presque pas un sans des rencontres si particulières, qu’il y a sujet de croire qu’il y avait en leur fait quelque conduite spéciale de la divine Providence… »[10]. Le père Jérôme Lalement décrit d’une façon particulière les tortures du capitaine des Onneyouts, « nation d’Iroquois », le fameux Pierre. Les Hurons l’attachent sur un échafaud en face de l’un de ses compagnons ; il assiste d’abord à la mort rapide de cet homme « par l’application des flammes, des tisons et des fers ardents, avec des façons cruelles au delà de tout ce qui s’en peut écrire… »[11]. La furie désappointée des Hurons se tourne alors contre lui. Il a déjà subi les mêmes tortures que son compagnon. Il est maintenant scalpé. Alors, il perd connaissance. Mais se relevant soudain, il saisit avec ses mains estropiées un morceau de bois en feu. Les Hurons l’attaquent en poussant des clameurs. Il se défend avec énergie, il abat les échelles qui permettaient aux ennemis de monter sur l’échafaud, il darde son arme contre tout assaillant. Aucune pitié ne naît devant son corps couvert de brûlures, ce crâne ensanglanté. Les assaillants lui lancent des charbons, des cendres rouges ; par les fentes dans le plancher, ils glissent des branches en feu. Il se défend longtemps ; mais soudain, un faux pas, et il tombe sur le sol. Les Hurons se précipitent sur leur victime, la terrassent et ils la lancent dans l’un des brasiers. L’Iroquois se relève du milieu des flammes, et deux brandons dans les mains, il attaque la foule qu’il force à reculer ; il court vers la bourgade qu’il pourrait livrer aux flammes. Mais après avoir couvert la distance d’une centaine de pas, il trébuche sur un morceau de bois qu’on lui a lancé. Aussitôt, la foule furieuse l’accable. Elle lui coupe les pieds et les mains. Des bourreaux se saisissent de ce corps tronçonné, le tournent et retournent sur neuf brasiers en pleine activité. Enfin, le déposant au milieu du dernier, ils placent par-dessus le tronc d’un arbre presque tout en feu. Mais cet être humain carbonisé de la tête aux pieds, privé de ses mains et de ses pieds, trouve encore la force de se tordre dans les flammes, de se rouler, de sortir du brasier, de marcher sur les genoux et les coudes, mais toujours dans la direction de ses ennemis, et comme pour les attaquer encore et les obliger de nouveau à reculer. Enfin l’un de ces derniers s’arme d’un couteau, il lui coupe la tête et met fin à cette scène infernale.

Les missionnaires baptisent encore, entre autres, un Iroquois qui portera le nom de François. « Il était Agnier de nation, qui fait une des cinq des Iroquois, la plus éloignée de nos Hurons ». Voici comment il se trouve égaré dans cette bande onneyoute : il a quitté son pays pour échanger chez la tribu voisine ces grains de nacre contre des peaux de castor. Mais il se laisse entraîner au jeu, il perd son modeste avoir : il ne veut pas retourner chez lui les mains vides et il attend. Une expédition de guerre s’organisant chez ses hôtes, il décide d’y prendre part. Et il aboutit en Huronie, entre les mains des bourreaux. L’un de ceux-ci l’oblige à poser les mains sur le sol ; et il les lui transperce d’une tige de fer rougie au feu ; et pour que le trou s’élargisse, il fait glisser les mains le long de la pièce de fer. Un autre Huron lui perce les pieds de la même façon. Pour terminer plus tard le supplice, un troisième lui ouvrira le côté pour en arracher le cœur.

De nouveaux combats ont également lieu à la fin de l’automne 1638. On n’en connaît pas le détail. D’autres avaient pris place plus tôt. Les Relations contiennent quelques notations à cet effet. Les Jésuites s’établissent par exemple à Teanaustayaé ; ils y célèbrent la messe le 28 juin 1638. La première personne qu’ils y baptisent est un prisonnier iroquois que des Hurons conduisaient pour le supplice à un bourg voisin. Les missionnaires en baptiseront douze ou treize. C’est ainsi que les Hurons tirent vengeance de la perte de trente guerriers en 1637.

Il semble impossible de rattacher ces combats à la guerre des fourrures. C’est l’ancienne guérilla qui se poursuit. Des bandes partent d’Huronie et d’Iroquoisie, comme c’est l’habitude, de temps immémorial, pour se mettre à l’affût autour des bourgades ennemies.

Les Hurons entrent dans une période d’optimisme. Ils se sont augmentés d’une première tribu en 1590, d’une seconde en 1610, et en 1638, une troisième accourt du sud. Le père Jérôme Lalemant raconte cette migration. Le peuple neutre, dit-il, est composé de même façon que le peuple huron, c’est-à-dire de peuplades disparates, mais toutes d’origine huronne-iroquoise. Or, l’une des tribus qui en faisaient partie, les Senrohronons, occupaient la frontière qui sépare le pays des Neutres de celui des Tsonnontouans. Ils livraient avec leurs alliés de belles batailles victorieuses ; la phrase laisse même entendre qu’à ce moment-là, Senrohronons et Neutres se défendaient contre les Iroquois. Cependant, la discorde naît plus tard. Les Neutres abandonnent les Senrohronons à leur sort. Et ceux-ci demeurent seuls, exposés aux coups des ennemis. S’ils veulent éviter l’extermination, ils doivent quitter leur pays. Alors ils députent leurs meilleurs ambassadeurs aux Hurons. Des conseils particuliers de tribu, des conseils pléniers de toute la nation, étudient les propositions qui leur sont soumises. Les Hurons décident d’adopter ces nouveaux alliés, « leur arrivée ne servant pas de peu à la défense et conservation du pays »[12]. Ils envoient même tout un groupe d’hommes pour faciliter cette migration de six cents personnes, et pour la protéger contre les attaques des Iroquois. Le transport des enfants, des vieillards, des malades, de quelques articles de ménage présente tout un problème. Le voyage s’accomplit parmi les difficultés inhérentes à ces sortes d’entreprises. Il est si pénible que plusieurs meurent en route, d’autres après leur arrivée, que d’autres sont longtemps malades. Cette nouvelle population est distribuée parmi la population huronne. La réception est partout excellente, les meilleures places dans les cabanes attendent les nouveaux venus. Les caisses de maïs de réserve s’ouvrent pour eux.


(1639)

Les documents n’apportent aucune relation cohérente des faits militaires de l’année 1639. Toutefois, divers fragments permettent de reconstituer l’événement principal, une seconde incursion des Iroquois, certainement des Agniers.

« Les Iroquois ayant paru proche des Trois-Rivières… »[13], une convocation rassemble rapidement les Algonquins. Par un hasard heureux, un groupe important de l’île des Allumettes est déjà arrivé au printemps. Les sauvages font des festins de guerre, ils chantent, hurlent et dansent. Ces cérémonies doivent leur attirer le succès. Mais les Indiens convertis ne se prêtent pas à ces rites superstitieux. Désirant prouver à ses compatriotes que le baptême, au lieu d’amollir l’audace, la raffermit, l’un de ces derniers reconnaît l’ennemi ; il s’approche tellement des avant-postes qu’il l’entend parler.

Cette fois encore, les Iroquois se construisent un fortin. Il semble que ce soit à l’extrémité orientale du lac Saint-Pierre, à peu de distance même du poste des Trois-Rivières. Et là, ils sont encore mieux placés qu’en 1637 pour intercepter tout canot portant des fourrures ou des canotiers ennemis. C’est l’aventure d’une vieille Algonquine qui révèle la location du fort : elle assiste au commencement de la bataille, elle s’enfuit et se dérobe aux regards, mais alors elle est proche du fortin ; puis elle s’accroupit dans un marais, et après trois tentatives vaines, elle atteint facilement les Trois-Rivières.

La version la plus probable, et que l’on ne peut établir que par des fragments de phrases puisées ici et là est la suivante : au lieu d’attendre les chaloupes, barques ou autres embarcations françaises que l’on fait venir de Québec, les Algonquins donnent seuls l’assaut. Ils attaquent le fortin directement, ou bien ils font un débarquement dans les alentours immédiats. Ils sont battus, laissant des morts et des prisonniers aux mains des ennemis.

Le Gouverneur se présente ensuite aux Trois-Rivières avec la flottille française. Le vent l’a retardé. La démonstration militaire l’entraîne-t-elle au-delà du poste, jusqu’à l’embouchure du Richelieu, comme en 1637 ? On ne sait. Il se peut que les Iroquois aient déguerpi un peu avant sa venue ou aient fui devant lui. La seule phrase qui fournisse une indication est la suivante : « Monsieur notre Gouverneur, montant aux Trois-Rivières avec une barque et quelques chaloupes bien armées, leva ces obstacles : Car encore bien que la contrariété des vents, et la précipitation des Sauvages lui eussent ôté l’occasion de défaire leurs ennemis qu’il allait trouver »[14]. les Algonquins le reçoivent avec allégresse. Mais aucun mot ne révèle soit la date de la bataille, soit les effectifs en présence, soit le nombre des morts et des prisonniers. En un mot, pas d’indice sur l’importance du blocus ou du combat. Si l’on en juge par la présence de quelque vieille femme algonquine parmi les prisonniers, il faut croire que les Iroquois ont tout de même capturé quelque canot voyageant sur le fleuve.

Ces incursions iroquoises massives trouvent la race algonquine apathique. Elle ne réagit pas avec puissance comme en 1603, en organisant tout de suite des représailles. Tout au contraire. Elle ne songe qu’à « s’habituer » auprès des Français, qu’à cultiver le sol autour des postes, qu’à se placer à l’abri des canons. Les défrichements sont commencés à Sillery. Les Français veulent diriger cette œuvre de stabilisation qui, à leur avis, peut sauver ces Indiens. La construction de quelques maisons pour eux, excite un intérêt si vif que plus de huit cents Algonquins en cent canots viennent les examiner, de même que les essarts préparés par leurs compatriotes. Plus de dix tribus ont des représentants dans cette vaste délégation.

Malheureusement, cette œuvre reçoit un coup mortel dès le début : une troisième épidémie éclate en 1639 parmi les Algonquins de la Nouvelle-France. On connaît assez la phrase célèbre des Relations pour l’arrivée des Sœurs de l’Hôtel Dieu : « Pour l’Hôpital, les Religieuses n’étaient pas encore logées, leur bagage n’était pas encore arrivé, qu’on leur amena des malades ; il fallut prêter nos paillasses et nos matelas pour exercer cette première charité »[15]. L’hôpital est bientôt rempli d’indiens malades ; bientôt il faut les loger dehors sous des cabanes d’écorce. Ils « sont grandement affligés, on dit qu’ils meurent en tel nombre ès pays plus hauts, que les chiens mangent les corps morts qu’on ne peut enterrer… »[16]. Aux Trois-Rivières, la situation n’est pas meilleure : « … La petite vérole, ou je ne sais quelle maladie semblable, s’étant jetée parmi les Sauvages »[17], ils perdent l’espérance et ils croient presque tous qu’ils ne reverront pas le printemps.

L’épidémie, cette fois, vient des provinces maritimes. Des Algonquins de l’île s’y sont rendus pour rendre visite aux Abénaquis. Ils la rapportent justement à Sillery. Le fléau dissipe les groupes d’Algonquins. Les missionnaires eux-mêmes demandent aux Indiens de Sillery de s’éloigner pendant un certain temps. Et « comme ils ont été affligés depuis quelques années de grandes maladies », dit la Relation, ils attribuent cette funeste visitation aux Français et à leurs sortilèges. « Depuis, disaient-ils, que nous prions, nous voyons par expérience que la mort nous enlève partout ». C’est la troisième grande maladie contagieuse en cinq ans environ. Et comme d’habitude, les résultats en sont désastreux, car on parle de « grande mortalité » pour la nation algonquine.

Et naturellement, cette troisième épidémie prend, comme les précédentes, la route de l’Outaouais. Les Hurons viennent aux Trois-Rivières pour la traite, et elle s’embarque en croupe sur leurs canots. Ils se mêlent au passage aux groupes algonquins et sèment les microbes mortels. Le premier Huron frappé par la maladie vient aborder à un bourg où logent plusieurs missionnaires. Il meurt immédiatement ; « sans être grand prophète, on pouvait s’assurer que le mal serait bientôt répandu par toutes ces contrées… »[18]. En effet, au bout de quelques jours, toutes les personnes qui habitaient dans la cabane où est mort ce malade, doivent s’aliter à leur tour ; « puis le mal se répandit de maison en maison, de bourg en bourg, et enfin se trouva dissipé par tout le pays »[19]. Cette troisième maladie se superpose à la seconde qui n’est pas terminée. En conséquence, la Relation huronne de 1640, sera tissée comme les précédentes de toute une série de phrases qui révéleront d’immenses pertes de vies humaines. En voici quelques unes : « La maladie ne laisse pas d’y faire ses ravages : tout ce beau et grand bourg devient un hôpital funeste »[20] « Dans le seul bourg de Saint-Jean Baptiste plus de cent quarante y furent baptisés, dont la plupart sont morts…  » [21]. « Plusieurs autres bien éloignés de nous en des cabanes écartées au milieu des campagnes, n’attendaient que notre venue pour expirer quasi entre nos mains… »[22]. « Les autres bourgs de cette mission un peu plus éloignés, nous donnèrent bientôt après assez de peine, la maladie n’ayant pas tardé longtemps à s’y répandre »[23]. Une septuagénaire n’a devant les yeux « que des morts, des malades, des spectacles d’horreur… »[24]. « Les cabanes de nos chrétiens sont, dans ce bourg de la Conception, les plus affligées de la maladie. René compte dans sa cabane jusqu’à onze morts… »[25]. Un missionnaire raconte que les Jésuites, décident de quitter Ihonatiria à faute d’habitants, la plupart ayant été emportés ou dissipés par la maladie. L’une des principales bourgades a ainsi disparu sous le choc de l’épidémie. Un Jésuite dit ce qui suit : « On en a baptisé plus de mille, la plupart dans la maladie de la petite vérole… dont une bonne partie est sortie de ce monde… ; et entre eux plus de trois cents soixante enfants au-dessous de sept ans, sans compter plus d’une centaine… qui, ayant été baptisés les années précédentes, ont été moissonnés par cette même maladie ».

Alors, les accusations contre les missionnaires reprennent leurs cours. « … Depuis notre arrivée dedans ces terres, ceux qui avaient été les plus proches de nous, s’étaient trouvés les plus ruinés des maladies, et que les bourgs entiers de ceux qui nous avaient reçus se voyaient maintenant du tout exterminés »[26]. Les Jésuites observent ce fait avec une lucidité désolée : « … On l’a remarqué plus de cent fois, qu’où nous étions les mieux venus, où nous baptisions plus de monde, c’était là en effet où on se mourait davantage… »[27].

Depuis 1634, les Relations des Jésuites présentent, année après année, des moissons de phrases du même genre, soit pour les Algonquins, soit pour les Hurons. Il n’y a qu’à les isoler, qu’à les juxtaposer pour comprendre les conséquences de ces trois grandes épidémies qui, coup sur coup, frappent la coalition laurentienne. La médecine du temps, qui attendra encore Pasteur pendant deux siècles, ne connaît aucun moyen efficace de combattre ces fléaux. Et le peu de mesures prophylactiques que l’on connaît, les sauvages du Canada ne les appliquent pas. Les cabanes huronnes où plusieurs ménages vivent en commun, sont des foyers d’infection de premier ordre.

C’est la destruction des forces vives de la coalition laurentienne à laquelle l’histoire assiste pendant cette période. Algonquins et Hurons s’évanouissent pour ainsi dire devant une race européenne qui leur est sympathique, qui ne leur livre aucune guerre. Le simple contact, le simple mélange des populations sont suffisants. C’est un phénomène que la science médicale a observé plus tard. La seule présence de quelques blancs parmi des Indiens qui ne les connaissaient pas auparavant, les rend vulnérables à toute une série de maladies, particulièrement aux maladies des voies respiratoires. Ce résultat se marque bien dans les climats froids du nord où de nombreuses tribus disparaîtront l’une après l’autre sous le souffle empoisonné de la civilisation.

Les documents ne fournissent pas de statistiques sur les pertes des Algonquins qui sont terribles comme la suite le prouvera. Ils en apportent cependant quelques unes sur les pertes des Hurons. Plusieurs auteurs, comme le rapporte George T. Hunt, ont fourni en effet des chiffres approximatifs sur la population de la Huronie avant les épidémies de la période 1634-1640. En 1615, Champlain parle de 30,000 âmes  ; quelques années plus tard, Sagard établit le chiffre entre 30.000 et 40.000 ; Radison entre 20.000 et 30.000 ; le père Jérome Lalemant parle de 30, 000 ; les pères de Brébeuf et Le Mercier, de 30.000 également. D’autres estimations se fixent entre 30.000 et 35.000. En un mot, les statistiques ne descendent pas en bas de 20.000 et montent jusqu’à 40.000. Si l’on établit une moyenne, on arrive à pas moins de trente mille.

Or, en 1639, les Jésuites dressent un recensement, bourgade par bourgade, de la nation huronne ; et le total auquel ils arrivent est le suivant ; « Il se trouve dans ces cinq missions trente-deux tant bourgs que bourgades, qui comprennent en tout environ sept cents cabanes, de feux environ deux mille, et environ douze mille personnes »[28]. Ce chiffre n’indique pas même toute la vérité. La troisième épidémie, celle de la petite vérole, l’une des plus terribles, éclate alors que le recensement est terminé. Plus tard, le 28 mars 1640, le père Jérôme Lalemant écrira au Cardinal de Richelieu qu’en moins de dix ans, de 1630 à 1640, la population de Huronie descend de 30.000 à 10,000 âmes.

Malgré toutes les pages enfiévrées, envoûtantes, que les Jésuites ont consacrées à ces trois fléaux, les historiens leur ont rarement accordé l’importance qu’elles méritent. Ils n’ont pas vu fondre sous leurs yeux, jour après jour, la coalition laurentienne. Ils n’ont pas compris le grand drame huron : une puissante nation indienne qui se détruit sous la serre de trois épidémies successives. C’est que tout d’abord notre monde moderne, depuis les découvertes de Pasteur, ne connaît plus la puissance ancienne des maladies contagieuses qui ont emporté, autrefois, jusqu’aux deux tiers des populations de certaines villes. L’imagination ne conçoit plus ces grands spectacles de terreur. En second lieu, les missionnaires ont répandu eux-mêmes une cause d’erreur, en attribuant à la guerre, autant qu’à la maladie, l’affaiblissement de la coalition laurentienne. Ils ont mis presque toujours ces deux causes sur le même pied. Voici un bon modèle des phrases qu’ils emploient, tant pour les Algonquins que pour les Hurons : « Ces bourgs et cabanes étaient bien autrement peuplés autrefois, mais les maladies extraordinaires et les guerres depuis quelques années en ça, semblent avoir emporté le meilleur, ne restant que fort peu de vieillards, fort peu de personnes de main et de conduite »[29].

Cependant les pertes militaires des Algonquins et des Hurons, pendant la période 1634-1640, ont été ridiculement basses à côté des pertes par les épidémies. Même en tenant compte des combats que les Relations n’auraient pas enregistrés, il est difficile d’atteindre à un total qui dépasse, pour toute la coalition laurentienne, le chiffre de six ou sept cents. Cette estimation est même généreuse. La paix a régné presque tout le temps entre les Hurons et les Tsonnontouans ; elle a régné quelques mois entre les Algonquins et les Agniers. Ces derniers ne venaient que bien timidement encore au Saint-Laurent. Puis cette guérilla, si incommode, cette « petite guerre », comme on dit, ne produit jamais qu’un chiffre bien peu élevé de victimes. Puis Algonquins et Hurons usent de représailles envers leurs adversaires. Ils sont victorieux autant de fois qu’eux ; ils leur infligent autant de pertes qu’ils en subissent.

Ce sont les trois épidémies survenant l’une après l’autre qui brisent l’équilibre ancien entre la Coalition laurentienne et la Confédération iroquoise. Elles emportent des milliers et des milliers de vies. La Huronie, avec les neuf ou dix mille âmes qui lui resteront, pourra maintenir la lutte pendant un certain temps encore ; mais elle ne se relèvera jamais du désastre, elle ne sera plus que l’ombre d’elle-même. Non seulement par la perte de population qu’elle subit, mais par l’ébranlement nerveux et moral qui en résultera. Cette nation se sent condamnée ; le fatalisme sourd en elle ; le sang-froid est désormais perdu ; la sagesse manque dans les conseils et les partis de guerre ; l’ingéniosité, la prudence, le courage de l’offensive font désormais défaut. La confiance en soi n’existe plus. C’est l’accablement sous les deuils répétés, les coups trop rudes, les malheurs sans fin. Dès 1640 un homme comme le Père Vimont, par exemple, sentira la fin ; il écrira la phrase suivante qui pourra paraître prophétique à plusieurs, mais qui n’était au fond que le résultat d’observations aiguës : « Il est à craindre que le comble de leurs péchés ne s’approche, qui porte la justice divine à les exterminer, aussi bien que plusieurs autres nations, dont les restes se sont venus réfugier parmi eux ; ce qui doit exciter plus que jamais la charité et le zèle de tout le monde pour secourir ces pauvres misérables, crainte qu’ils ne tombent dans leur dernier malheur »[30]. Toutes les pages frémissantes et héroïques des Relations écrites avant 1640 laissent à la fin prévoir le deuxième acte de la grande tragédie.

Quant aux tribus algonquines, elles n’ont plus aucun trait de ressemblance avec ces peuples sains et durs que Champlain a examinés à Tadoussac en 1603. Elles n’ont jamais été bien nombreuses. Ravagées trois fois de suite par des épidémies successives, elles cessent pratiquement en 1640 d’être un facteur militaire. Dans le même temps la famine et l’alcoolisme les ont rudement travaillées. Il ne restera pour ainsi dire que des bandes peu nombreuses. Des guerriers, comme Pieskaret, accompliront des exploits dignes des anciens, mais leur valeur ne remplacera pas le nombre.

Les conséquences de cet affaiblissement de la coalition laurentienne domineront le siècle. Les tribus qui la subissent, sont des alliées de la France ; leur pacte d’alliance date de 1603. Tout désastre qui les atteint, ne peut qu’avoir des répercussions dangereuses sur la colonie qu’elle a fondée.


  1. Arthur Buffinton, The Mississipi Valley Historical Review, v. 8, p. 331.
  2. Narratives of New-Netherland, p. 172.
  3. Wintrohp’s Journal, v. 1, p. 229.
  4. RDJ, 1638-2-et 3.
  5. RDJ, 1638-22.
  6. Idem, 1638-23.
  7. Idem, 1638-34.
  8. RDJ, 1639-67.
  9. RDJ, 1639-69.
  10. Idem, 1639-67.
  11. Idem, 1639-67.
  12. RDJ, 1639-60.
  13. RDJ, 1639-17.
  14. RDJ, 1639-15.
  15. RDJ, 1639-9.
  16. Idem, 1639-48.
  17. Idem, 1639-15.
  18. Idem, 1640-54.
  19. RDJ, 1640-54.
  20. Idem, 1640-92.
  21. Idem, 1640-94.
  22. Idem, 1640-94.
  23. Idem, 1640-70.
  24. Idem, 1640-76.
  25. Idem, 1640-78.
  26. RDJ, 1640-55.
  27. Idem, 1640-55.
  28. RDJ, 1640-62.
  29. RDJ, 1640-62.
  30. RDJ, 1640-62.