Je m’accuse…/Le Crétin des Pyrénées

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Édition de « La Maison d’Art » (p. 13-41).


PREMIÈRE PARTIE

LE CRÉTIN DES PYRÉNÉES


On a dit aux peuples de regarder en haut. C’est un langage qui, parfois, me semble impie.
Discours de Zola au banquet des étudiants,
18 mai 1893.


Le travail, c’est ce qui nous sauve du rêve et de la chimère et nous assure la santé.
Idem.


L’homme qui travaille est toujours bon.
Ibidem.


Tous les pays latins ont su me considérer comme un travailleur sincère. Cela me suffit.
Interview du dit par un imbécile du
« Gil Blas »
, 26 mars 1894.


Je suis encore assez fort et les jeunes gens n’ont presque jamais le poignet assez robuste pour couper le jarret aux lions… En ce qui me concerne, je n’ai pas grande envie de partir.
Même interview.


I


J’ai payé deux mille quatre cents francs le dernier roman de M. Émile Zola. Ce travailleur sincère et bon, qui ne hait pas de profiter du travail des autres, daigna prélever, pendant un assez long temps, le trente pour cent sur le pain des miens.

Je me suis paré de cette insigne décoration dans ma brochure : Léon Bloy devant les cochons, dont j’ai fait, d’ailleurs, ainsi qu’il convenait, l’hommage le plus empressé au vieux lion qui règne, à Médan, sur Paul Alexis, dans les environs de Poissy.

On m’accordera, j’ose le croire, qu’une telle contribution me remplit du droit de parler, encore une fois, de M. Zola, fût-ce pour m’aplatir, comme une punaise, devant la majesté de ce receveur.

Depuis environ deux ans qu’on annonça Lourdes, j’avais empilé chez moi de vieux journaux mentionnant diverses palabres du pontife, dont j’espérais une grande lumière. Hélas !

« Je me demande parfois, avec une certaine anxiété, — disait, un jour, à ses chers étudiants, le révélateur de la Religion du Travail, — je me demande ce que deviendra mon œuvre entre les mains des jeunes hommes que je sens monter derrière moi ». La réponse est trop facile.

Mes documents, je le prévois, iront indubitablement aux latrines, en compagnie du bouquin de Lourdes lui-même, et je veux bien qu’on me fasse bouillir le derrière si je leur trouve un plus pertinent emploi.

Le cerveau du père des Rougon-Macquart, quel que soit son tonnage, ne contient pas une grande variété de marchandises. Quand on a lu cent lignes de ce négociant littéraire, on a tout lu, et l’écrasante masse de son dernier avorton n’ajoute absolument rien aux coïonnades qui ont précédé.

C’est toujours, invariablement, l’expérimentalisme grossier d’un Bacon de table d’hôte, l’horreur du mystère, la science, l’évolution, le travail, le saint coït, l’éternelle resucée de l’atavisme, de l’hérédité, de la dégénérescence, etc. Et toute cette vacherie d’idées, dans quel style, bon Dieu !

Ah ! il ne se renouvelle pas, le vieux serpent, et n’évolue guère, je vous en réponds.

Les clichés Zola sont assez connus : « le soleil qui met sa note claire sur quelque chose », par exemple. Bien que je ne les aie pas comptés, j’estime qu’ils ne peuvent guère dépasser le chiffre de trente ou quarante, servis régulièrement et infatigablement, depuis qu’il y a des Rougon et qu’il existe des Macquart.

Il paraît que cela suffit aux cent cinquante mille clients de Nana ou de la Débâcle. Plusieurs même doivent trouver que c’est encore trop littéraire, trop encombrant.

Le débit serait peut-être plus énorme si on écrivait décidément, résolument et tout à fait comme un gendarme ou comme un garde-barrière, mais il faut bien faire quelque chose pour l’Académie.

Chacun de ces inusables clichés, dont Monsieur Zola est l’heureux fermier, fut calculé pour un nombre indéterminé de situations identiques où le lecteur est toujours certain de les retrouver. Il est vraiment difficile de se tuer moins que ne le fait ce grand travailleur.

Certes, je ne puis être accusé de fanatisme pour Flaubert dont tous les livres, à l’exception d’un seul, m’ont exaspéré. Tout le monde, pourtant, sait le labeur infini de cet homme, « courageux autant que tous les lions, — disais-je en 1890, dans une oraison funèbre, — mais acharné sur une idée imbécile et s’efforçant, vingt années, d’extraire de son intestin le ténia séditieux et inextirpable de l’Inspiration ».

N’étant rien qu’un volontaire, il ne put créer une œuvre de génie, mais il fut, incontestablement, l’un des plus probes écrivains qu’on ait jamais vus. Il laissa peu de livres, parce qu’il se contentait lui-même difficilement, si on peut dire qu’il se contenta, et ces livres, à si grand’peine obtenus, se vendirent peu, n’étant pas faits pour la multitude.

Que ne dirait-il pas, l’incorruptible, en lisant aujourd’hui Lourdes ou la Bête humaine ? en voyant reparaître, toutes les vingt pages, les isochrones formules de ce balancier inconscient qu’on nomme l’auteur et dont le va-et-vient perpétuel donnerait le mal de mer à des albatros ?

Que ne gueulerait-il pas en son gueuloir, l’orageux martyr de la phrase, en apprenant qu’un si fangeux domestique de la populace, un tel messie de la tinette et du torche-cul, ose, quelquefois, le mentionner comme un précurseur ?

II


« On sort de la lecture de l’Assommoir comme les cochons sortent du bourbier. Bourbier, en effet : bourbier de choses, bourbier de mots, un irrespirable bourbier.

« M. Émile Zola a voulu travailler exclusivement dans le Dégoûtant. Nous avons su par lui qu’on pouvait enfin tailler largement dans l’ordure humaine et qu’un livre fait de cela seul pouvait avoir la prétention d’être beau…

« L’auteur de l’Assommoir est un Hercule souillé qui remue le fumier d’Augias et qui y ajoute ! Si vous ne me croyez pas, lisez son livre. Plongez-vous dans ce gouffre d’excréments et si vous pouvez y rester sans étouffer ou sans vomir, vous verrez que l’ordure y veut être de l’art encore et du plus grand.

« M. Émile Zola croit qu’on peut être un grand artiste, en fange, comme on est un grand artiste en marbre. Sa spécialité, à lui, c’est la fange. Il croit qu’il peut y avoir très bien un Michel-Ange de la crotte !…

« Sa langue d’artiste, il l’a dégradée et perdue dans les argots les plus ignominieux des cabarets. Il a pris la langue du peuple. Dépravé par son sujet, il parle, en ce roman, comme les personnages qui y vivent. Il use d’un style dont il est impossible de ramasser une phrase, eût-on un crochet de chiffonnier pour la prendre et une hotte pour l’y jeter. Il n’a plus de personnalité !

« Il a oublié Balzac, lui qui l’imitait trop. Le grand homme de la Comédie humaine a créé et fait souvent parler, pour le besoin de ses romans, des Auvergnats, des Allemands, des portiers ; mais sans pour cela devenir Auvergnat, Allemand ou portier. Le dialogue fini, le romancier reprenait son récit et sa page, y versant son style et sa pensée, mais M. Zola n’a ni style ni pensée à verser. Il n’a plus dans le ventre que la conscience même de ses personnages, que leurs ignobles passions, leurs horribles manières de sentir et de s’exprimer. Il s’est enfin coulé et dissous dans leur boue pour s’être trop acharné à la peindre. Il est devenu boue comme eux… Châtiment mérité d’un talent qui s’est avili ![1] ».

Il m’a paru agréable de remettre sous les yeux d’un chacun cette page de Barbey d’Aurevilly, écrite au lendemain de l’Assommoir et probablement oubliée.

III


Les usiniers ou les entrepositaires de comestibles admettront difficilement, je le sais bien, qu’un romancier qui gagne deux ou trois cent mille francs par an, avec un seul tome, puisse être un crétin.

Dieu me préserve de la tentation de faire comprendre quoi que ce soit à ces hommes utiles ; mais je suis prêt à livrer mon cœur à la personne qui me révélerait un mot plus juste, une épithète plus vraie, un qualificatif plus certain, un emplâtre plus avantageux pour blinder la face d’un scribe déjà plastronné de gloire, qui n’a pu rencontrer une pauvre idée pendant trente ans, une guenilleuse idée qui se donnât véritablement à lui. C’est confondant.

M. Zola est le Christophe Colomb, le Vasco de Gama, le Magellan, le grand Albuquerque du Lieu Commun. Il équipe une flotte de trois cents navires et presse une armée navale de trente mille hommes téméraires pour découvrir que « tout n’est pas rose dans la vie », qu’« on n’est pas toujours jeune » ou que « l’argent ne fait pas le bonheur ».

— Ce continent m’appartient ! s’écrie-t-il alors, en piaffant de son pied vainqueur, et il déploie, au nom du Positivisme, l’étendard couleur de bran des documentaires.

Le Lieu Commun s’échappe sans interruption de ce Découvreur conquérant, comme l’eau des sources miraculeuses.

Dans les livres effroyablement copieux qui précédèrent la trilogie dont il nous offre aujourd’hui le premier chant, les lieux communs, toujours canalisés avec méthode, avaient coulé dans les diverses vallées de l’Amour, du Rêve, de la Politique, de la Crapule, de l’Art, de la Haute Noce, du Haut Commerce, de la Vie rustique, de la Finance ou de la Guerre ; car le fleuve jaune avait paru former un delta, aux embouchures innombrables.

Lourdes, sujet religieux, est le grand estuaire et les autres bras n’ont plus l’air de rien. Il ne fallait pas moins que les Pyrénées pour lancer sur nous ce torrent de rinçures philosophiques et humanitaires :

« La foi aveugle, — l’obéissance sans examen, — le total abandon de la raison, — la foi qui étouffe le torturant besoin de la vérité, — les phénomènes prouvés qui démolissent les dogmes, — la dévotion étroite, — le miracle par suggestion, — la volonté de croire, — la tristesse de ne plus croire, — la divine ignorance, — la dévorante illusion de l’amour divin, — les exagérations !!! — le bonheur par la foi qui est dans l’ignorance et le mensonge, — les prêtres qui ne sont plus des hommes, — les prêtres châtrés, — le suicide volontaire, la vie libre et virile du dehors » ; etc., etc., etc.

Je vous dis qu’il n’en a pas raté un seul. Tout ce qui se débagoule de plus médiocre, de plus bête, de plus ignare, de plus malpropre chez les commis-voyageurs ou dans les bas feuilletons anticléricaux rédigés pour des cordonniers impies ; tous les résidus des vieilles opinions fétides, vomies autrefois par les renégats eux-mêmes, goulûment réavalées par des cuistres abominables et revomies à longs flots dans la gueule des derniers chiens du Matérialisme ; — M. Zola les a recueillis comme de très-précieux condiments et les a jetés à brassées dans son chaudron.

Et des phrases telles que celles-ci : « L’histoire ne retourne pas en arrière, l’humanité ne peut revenir à l’enfance. — L’inexpliqué seul constitue le miracle. — À quoi bon croire aux dogmes ? ne suffit-il pas de pleurer et d’aimer ? »

Enfin, il y en a six cents pages ! Il est vrai que les habitués de cette cuisine peuvent, sans déchet notable, se contenter de lire avec le couteau à papier. Je l’ai dit plus haut, on y rencontre trop de vieilles connaissances et les pourceaux même se lassent de ne jamais obtenir d’excréments nouveaux.

IV


Que mes lecteurs me pardonnent de les entretenir si longuement de M. Zola qu’il n’est plus permis d’associer à une préoccupation littéraire.

S’il ne s’agissait que d’une émission nouvelle de ce financier de plume, le respect de l’Art m’aurait imposé le silence le plus profond. Mais l’altitude suprême que prend aujourd’hui le mastoc, du haut de ses écus, — grappillés un peu trop cyniquement sur l’avoir des pauvres, — me paraît au point de devenir tout à fait insupportable.

L’année dernière, ne se vantait-il pas, à Londres, de représenter, à lui seul, les Lettres françaises ? L’insolence était si forte que les journaux même, toujours disposés, pourtant, à sucer l’empeigne d’un victorieux, s’en indignèrent une ou deux minutes. Abois inutiles et peu menaçants qui ne pouvaient le troubler.

Il n’en continua pas moins de se promulguer lui-même. Les étudiants, si littéraires, comme chacun sait, attentifs au pari mutuel et à la pédale, ont besoin de sa présidence pour leurs festins. Les Scandinaves le congratulent et les Anglais même le traduisent. Il est consulté sur toutes matières, étant devenu le Penseur, comme autrefois le vieil Hugo, et sa mitre prépondère en divers conciles. Enfin l’Académie, fille des âges, commence à rougir de concupiscence pour ce balbuzard.

La nécessité d’écrire un livre tel que Lourdes s’imposait donc à son vigilant esprit. Depuis quelque temps, en effet, des tentatives de régression au Catholicisme sépulcral se manifestaient. D’inexplicables gens, tels que Paul Verlaine, détraquaient l’imagination des jeunes hommes en leur parlant du Saint-Sacrement et de la Prière dans des lignes d’inégale longueur. Une multitude vaine qui ne lisait pas exclusivement Pot-Bouille ou la Joie de vivre se précipitait aux pèlerinages. L’urgence éclatait d’un bouquin prophylactique.

L’apôtre des gentils du Positivisme ne balança pas. Muni d’un paroissien et de je ne sais quels manuels de piété facile, pour n’être pas tout à fait à court de théologie et de liturgie, négligeant peut-être un peu trop le droit canon, il alla se documenter sur l’« Idole » qu’on vénère dans les Pyrénées où les montagnards, on ignore pourquoi, s’abstinrent de l’assommer à coups de bâton, ainsi que plusieurs journaux l’avaient joyeusement annoncé[2].

C’est un peu fort tout de même que ce bison, qui n’a plus même l’excuse d’avoir l’air d’être un écrivain, soit admis à déposer son paquet de fiente sur une grande chose qui nous fait, à nous, sauter les larmes des yeux !

« Le miracle de Lourdes, conte de fée, si touchant et si enfantin !… dit-il. L’Église, incapable de lutter contre le vent déchaîné de la superstition, s’est résignée à donner aux fidèles ce culte idolâtre dont elle les sentait avides ». Voyez-vous le cafard ?

Et il parle de la Foi, « belle fleur d’ignorance et de naïveté… » de « ces âmes de petits enfants qui se donnent tout entières à la moindre caresse de la légende ». Quel style, messeigneurs !

Ce ton patelin et grippeminaud qui rappelle tant le sympathique Matthieu et autres sucreries de feu Renan, est une nouveauté chez M. Zola qui fut, naguère, une si belle brute. Évidemment, il prépare son discours de réception à l’Académie française.

Il est l’Impartialité même, il sait tout, il comprend tout et il se fait tout à tous. Un cœur d’or ! « Ne désespérons personne, tolérons Lourdes… Cependant, croyez-moi, il est lâche et dangereux de laisser vivre la superstition. Dès lors, ne vaudrait-il pas mieux avoir tout de suite l’audace d’opérer l’humanité brutalement, en fermant les Grottes miraculeuses où elle va sangloter et de lui rendre ainsi le courage de vivre la vie réelle même dans les larmes ? »

Voilà bien son fond. Il est venu pour fermer la Grotte, — par amour. Sa raison lui dit qu’il est préférable de lire Nana que l’Office de la Sainte Vierge, que les deux cent mille pèlerins annuels feraient mieux d’acheter sa pacotille de Rougons que de s’empiler dans des fourgons, et, puisque l’Immaculée fait des miracles, le crétin va tout casser, tout défoncer en en faisant un lui-même.

V


Et il l’a très bien exécuté, ma foi ! son petit miracle. Oh ! c’est une belle histoire.

Il s’agit d’une « irrégulière de l’hystérie », cela va sans dire, comme doivent l’être toutes les saintes et toutes les femmes qui ne vivent pas exclusivement pour faire l’amour sous les « gais soleils » du matin au soir, selon la physiologie de M. Zola.

« Ses cheveux la vêtaient d’un manteau d’or ». Cette image neuve qui reparaît de loin en loin, comme toutes celles de l’auteur, est l’unique trait qu’il puisse offrir pour nous montrer la jeune personne, sur laquelle il paraît, d’ailleurs, avoir épuisé son imagination et son pinceau. Je crois, cependant, qu’elle a un « tablier de neige » et un « roucoulement de tourterelle », mais je n’en suis pas bien sûr. Ces objets de luxe appartiennent peut-être à quelque autre.

Quant au bonhomme qui accompagne à Lourdes sa fille mourante, il a certainement une « cervelle d’oiseau ».

Encore une fois, c’est comme cela qu’on écrit chez papa Macquart.

Mais le plus beau personnage, le protagoniste du bouquin, c’est l’amant de la demoiselle, un prêtre naturellement. Mon Dieu ! il n’a pas couché avec elle, si vous voulez. Sa soutane le gêne un peu. Mais ce n’est pas l’envie qui lui manque.

L’abbé Pierre est un de ces prêtres, comme il y en a tant, « un prêtre sans foi, qui fait chastement, honnêtement son métier », comme M. Zola fait le sien, sans aucun doute.

Il faut croire que notre poète juge cette idée aussi forte qu’éblouissante, car je l’ai lue — identiquement exprimée, — jusqu’à cinq fois, pages 34, 273, 274, 319 et 597.

Il serait injuste d’exiger qu’un penseur aussi surmené trouvât le temps de se demander si un homme qui s’est condamné à mentir vingt-quatre heures par jour, sans parler du sacrilège, est précisément un honnête homme. Laissons cela.

D’ailleurs, on est homme ou on ne l’est pas. Et celui-là « n’est pas homme, puisqu’il est prêtre ». Vérité consolante qu’on retrouve ne varietur à peu près toutes les vingt pages, du commencement à la fin.

Ne voit-on pas que « la bravoure, la raison, la vie, le vrai homme, la vraie femme », c’est de copuler énergiquement, jusqu’à ce qu’on en crève !

Enfin, l’abbé Pierre est un beau prêtre qui parle bien.

On arrive à Lourdes. Procession des malades à la piscine. Procession du Saint Sacrement. Procession aux flambeaux. Amours d’un monsieur seul avec une hospitalière du Salut cachée trois jours dans un placard. Tableaux de foule et raccrochage de prêtres. Prières, cantiques, vociférations, cochonneries et broutilles de toute espèce.

La jeune malade est soudainement guérie, après d’abondantes supplications. N’oubliez pas qu’elle était, une seconde auparavant, sur le point de rendre l’âme.

La foule naïve crie au miracle. Mais l’abbé Pierre, qui a presque autant de génie que M. Zola, sait parfaitement à quoi s’en tenir.

Un jeune médecin d’une intelligence extraordinaire lui avait annoncé, avant leur départ, « d’un air calme et souriant, comment le miracle s’accomplirait en coup de foudre, à la seconde de l’extrême émotion, sous la circonstance décisive qui achèverait de délier les muscles. Dans un transport éperdu de joie, la malade se lèverait et marcherait, les jambes brusquement légères, soulagée de la pesanteur qui les faisait de plomb, depuis si longtemps, comme si cette pesanteur se fût fondue, eût coulé en terre. Mais surtout le poids qui écrasait le ventre, qui montait, ravageait la poitrine, étranglait la gorge, s’en irait, cette fois-là, en une envolée prodigieuse, en un souffle de tempête, emportant tout le mal. N’était-ce point ainsi, au Moyen Âge, que les possédées rendaient par la bouche le diable dont leur chair vierge (!?) avait longuement subi la torture ? »

Et voilà tout, la malade serait guérie par « la puissance de l’auto-suggestion décuplée ».

La science, on le voit, explique admirablement ces phénomènes. Quand elle ne peut pas les expliquer, elle les laisse. Mais cela ne prouve rien, au contraire.

M. Zola, ayant ainsi mené à bonne fin son prodige, verse un dernier pleur sur le célibat « hautain » de son abbé Pierre ; se livre, derechef, à quelques pensers aussi nouveaux que sa prose ; reconnaît avec bienveillance qu’il est lui-même la raison, l’auguste Raison ; vient s’asseoir quelques instants, pour y rêver, sur ses propres genoux de grand travailleur ; implore « une religion nouvelle qui comblerait son espoir » ; et prononce, en finissant, que Bernadette, la voyante de Lourdes, a été « la leçon terrible, l’holocauste retranché du monde, la victime condamnée à l’abandon, à la solitude et à la mort, frappée de la déchéance de n’avoir pas été femme, ni épouse, ni mère, parce qu’elle avait vu la Sainte Vierge ».

Crétin !


  1. En réponse à ce jugement du haut écrivain dont il était peu digne de cirer les bottes, M. Zola ne manqua pas de publier, péremptoirement, que l’auteur des Diaboliques était PAUVRE.
  2. Voir, entre autres, l’Autorité du 26 juillet 92.