Jeanne d’Arc (Hanotaux)/01

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Jeanne d’Arc (Hanotaux)
Revue des Deux Mondes5e période, tome 57 (p. 241-284).
JEANNE D’ARC

I
LA FORMATION

« Qu’y a-t-il de plus près de Dieu que le génie dans le cœur d’un enfant ? »
Balzac.


L’année 1909 a été l’année de Jeanne d’Arc. Dès que la Pucelle de France fut proclamée « bienheureuse » à Rome, les catholiques français, qui n’attendaient que ce signal, se portèrent en foule vers son culte. Les fêtes d’Orléans essaimèrent par tout le pays ; dans chaque endroit où Jeanne d’Arc avait passé, on lui éleva un autel. Processions, bannières, encens, prédications, prières, tout le luxe des pompes religieuses lui fut prodigué. Le mois de mai se pavoisa de bleu tendre, de blanc et d’or, se parsema de croix et de fleurs de lys en son honneur. Partout, en France, la vierge fut célébrée… mais non pas par tous les Français.

Une partie, et peut-être la plus nombreuse, de la population voit passer les cortèges et ne s’y mêle pas. Elle regarde, respecte et s’abstient. On dirait d’un désaccord qui naît… Je sais combien est prompt et passant l’esprit de nos Français. Race impressionnable et mobile que tout émeut, qu’un souffle agite, qu’un rien amuse, qu’un mot apaise, dont les pensées, les sentimens, les passions coulent, en torrent, du cœur. Mais, dans sa vivacité légère, ce peuple se trompe, parfois, cruellement. Il se trompe contre lui-même. Doux, bon et humain, combien de fois, au cours de son histoire, ne s’est-il pas blessé d’un de ces gestes imprudens qui sont la détente d’un ressort trop vite, et dont cette même histoire traîne, ensuite, l’éternel remords !

Aucune nation moderne n’a, dans ses annales, une figure pareille à celle de Jeanne d’Arc, héroïne, sainte et martyre. Jeanne d’Arc appartient indivisiblement à tous les Français. Aucun parti n’a le droit d’excommunier en son nom ; mais aucun parti n’a le droit de la renier ni de se dérober au pacte de fidélité que son sang et sa mort ont scellé entre elle et le pays.

Ni intolérance, ni ingratitude, tel est le devoir héréditaire au sujet de Jeanne d’Arc. Il n’est pas permis aux Français d’ignorer, d’effacer ou d’altérer son souvenir : il ne leur est pas permis de ne pas se connaître et s’aimer en elle.

Cette histoire, quoi qu’on fasse, ne peut être oubliée ; elle se récrit et se récrira sans cesse. Elle aura raison des partis pris et des polémiques ; car elle est belle et claire comme la lumière du jour. Incomparable légende qui est la simple vérité !

Le récit de la vie de Jeanne d’Arc vient de se nourrir encore à la faveur de l’enquête qu’a provoquée le procès en cour de Rome. La curiosité universelle a été réveillée par la piété universelle. Les routes, les pierres ont fourni leurs témoignages ; l’ardeur des écrivains religieux a soutenu le zèle qui abordait des travaux de longue haleine, comme ceux du P. Ayrolles et de l’abbé Dunand, ou qui dictait des pages plus heureusement mesurées, comme celles que M. l’abbé Chevalier a consacrées à la question tant controversée de l’abjuration. Et puis, Rome a parlé, et ses sentences sont aussi de l’histoire.

M. Anatole France a livré au public une biographie complète de Jeanne d’Arc où l’illustre écrivain a présenté, avec un art consommé, la thèse de l’école rationaliste. Des érudits laborieux ont fouillé les archives et en ont tiré le tableau du monde où vécut l’héroïne[1]. L’Angleterre elle-même s’est émue et elle a écrit, dans une pensée de réparation, une histoire sincère de Jeanne d’Arc[2].

L’élan est donné. De nouvelles recherches sont entreprises dès maintenant. Il reste encore des précisions à apporter. Tout d’abord, il faut souhaiter qu’un érudit compétent (qu’il s’agisse de M. Lefèvre-Pontalis, de M. P. Champion ou de tel autre de nos confrères de l’Ecole des Chartes) reprenne l’œuvre de Jules Quicherat, devenue fort rare et vraiment insuffisante, et qu’on donne au public un « trésor » de Jeanne d’Arc, un monument où les textes soient réunis, vérifiés et commentés. La comparaison des sources et des manuscrits fournirait plus d’un élément nouveau à la critique moderne. Une de nos grandes sociétés d’érudition s’honorerait en abordant, à bref délai, une telle entreprise.

De même des recherches plus approfondies devraient être faites dans les archives italiennes. On ne peut espérer assurément une seconde découverte comparable à celle de la Chronique de Morosini : mais le dernier mot n’est pas dit. Il y aurait surtout à compulser, avec méthode, les archives des ordres religieux : on trouverait, probablement, dans ces monumens, des indications du plus haut intérêt sur les directions des chefs d’ordre au sujet des grandes questions qui ont agité le XVe siècle. Cette admirable époque est encore couverte d’ombres et hérissée de mystères.

Les archives du Vatican ne nous réservent-elles plus aucune surprise ? Il n’est guère admissible que, durant tout le temps de la mission de Jeanne d’Arc et pendant les six longs mois du procès qui passionnait le monde chrétien, Rome n’ait rien su, rien entendu, qu’elle ait tout ignoré ou qu’elle ait, depuis, tout oublié. Morosini fait allusion, plusieurs fois[3], à des communications importantes qui auraient été faites à Rome par Charles VII et par l’Université de Paris au sujet de Jeanne d’Arc. Si les recherches aux archives du Vatican ont été infructueuses jusqu’ici[4], il n’est pas possible, qu’un jour, elles ne soient pas plus heureuses. Il serait facile d’établir le fait de communications constantes entre la royauté française et la Papauté à cette époque ; il ne fallait pas plus de quinze jours à un messager pour aller de Paris à Rome[5]. Le journal et la correspondance de Morosini suffiraient pour prouver, qu’en Italie, on suivait attentivement les événemens qui accompagnaient l’apparition de Jeanne d’Arc. Un clerc français de la suite du pape Martin V notait avec enthousiasme les progrès de la mission, en signalait le caractère divin dès l’époque de la délivrance d’Orléans et donnait un portrait très exact de la Pucelle dans cette note si précieuse ajoutée au Breviarium historiale et que M. L. Delisle a publiée[6]. Les rapports de la France et de l’Italie étaient constans et les intérêts des deux cours étroitement mêlés. Je sais qu’il s’agit d’une des époques les plus troublées de l’histoire pontificale. Mais Martin V et Eugène IV, qui occupaient alors le Saint-Siège, n’étaient pas des errans. Les registres de cette époque subsistent. Peut-être retrouvera-t-on, dans quelque réduit ou dans quelque armoire secrète, les élémens d’une réponse à cette question si grave : quels furent les sentimens de Rome au sujet de Jeanne d’Arc ?

Une enquête analogue doit être poursuivie en Angleterre et en Ecosse. Les érudits anglais s’en tiennent généralement aux publications des érudits français. Les relations de la France, de l’Angleterre et de l’Ecosse pendant la guerre de Cent ans ont laissé, pourtant, des preuves sans nombre dans les archives du Royaume-Uni. Une enquête minutieuse poursuivie dans les registres de correspondance, dans les comptes publics et privés, parmi les témoignages de toutes sortes reposant dans les dépôts de documens les plus intacts qui soient au monde, comblerait bien des lacunes. Qu’elle soit menée par des Français ou par des Anglais, cette enquête ne doit pas être retardée plus longtemps[7].

Si abondantes qu’aient été les publications récentes sur l’histoire des ducs de Bourgogne, des recherches nouvelles dans leurs archives trop dispersées fourniraient aussi un précieux butin. La Bourgogne, puissance morte jeune, n’a pas rempli sa destinée. Sa courte et prodigieuse histoire s’est trouvée disloquée comme son territoire. On ne sait où la trouver, à Lille, à Dijon, à Bruxelles, à Paris, à Vienne. C’est un des plus beaux sujets d’études que présentent les annales de l’Europe. Après le travail de M. E. Petit, complétant ses prédécesseurs, les Dom Plancher, les Barante, après l’excellente Histoire de Belgique de M. Pirenne, il reste à poursuivre la tâche et à reprendre, par le détail, les points particuliers où le nœud se serre. Le jour où on aura révélé le fond des sentimens et le dessous des ambitions « bourguignonnes, » on aura donné la clef de l’histoire de Jeanne d’Arc.

Il serait désirable, enfin, que des études biographiques complètes fussent consacrées aux principaux personnages du drame et, tout d’abord, à Regnault de Chartres archevêque de Reims, qui a besoin, si j’ose dire, de se justifier, puis à l’évêque de Beauvais, Cauchon, dont le rôle n’a pas encore été étudié dans son ensemble[8] ; les rapports qui ont existé entre ces deux hommes, dont l’un était le métropolitain de l’autre, éclaireraient, probablement, les singulières machinations qui ont préparé l’échec de l’héroïne.

Peut-être de nouvelles recherches dans les archives du Parlement de Poitiers finiraient-elles par mettre sur la trace des procès-verbaux de l’enquête que les gens du Roi firent dans cette ville, quand la Pucelle fut soumise à leur examen par Charles VII. Les procès-verbaux n’ayant pas été produits au procès de réhabilitation, on en a conclu, un peu rapidement peut-être, qu’ils avaient été détruits. De tels documens ont la vie dure : on peut espérer encore qu’ils reparaîtront au jour.

On le voit, le champ qui reste à parcourir, sans parler de l’imprévu, est assez vaste pour qu’il occupe encore plus d’une génération. L’effort historique accompli dans ces dernières années n’en est pas moins considérable et il ne paraît pas inutile de rendre compte, à la fois, de ces nombreux et importans travaux.

Sans faire œuvre d’érudit, je voudrais essayer de dégager, dans un rapide tableau, l’expression nouvelle que des lumières plus abondantes ont donnée à cette naïve et claire figure. J’ai abordé le problème en homme qui voulait comprendre et s’instruire. Après avoir beaucoup lu, comparé, réfléchi, j’offre au public le résultat de mes études. Que demande-t-il, en somme, que d’être renseigné de bonne foi ?

Il ne trouvera pas, ici, un récit continu de la vie de Jeanne d’Arc. Les faits sont notoires, et les renseignemens nouveaux qui se produisent maintenant ne font que s’ajouter à une trame solidement tissée. Je voudrais, surtout, examiner les grands problèmes que pose cette vie et qui seront, pendant longtemps encore, livrés à la discussion des hommes.


Dans la carrière de Jeanne d’Arc, il y a quatre mystères, le mystère de la formation ou des origines, le mystère de la mission, le mystère de l’abandon et le mystère de la condamnation.

Quelles influences préparèrent Jeanne d’Arc, d’où son inspiration, pourquoi fut-elle délaissée par les hommes du Roi et comment condamnée par les juges de Rouen, telles sont les questions que je me propose d’examiner en recourant à l’abondante « littérature » parue récemment et qui permet de pénétrer plus près de son âme et de son siècle.

De quelque nature que soit l’inspiration de Jeanne d’Arc, — divine ou humaine, — son histoire ne peut être détachée de celle de son temps, pas plus que sa formation ne fut soustraite aux influences ambiantes. C’est parce qu’elle naquit dans une période de calamités extraordinaires que la vierge de Domremy eut pour mission de sauver le pays : s’il n’y avait pas eu, à cette époque, « une si grande pitié au royaume de France, » son existence se serait ensevelie, ignorée, dans le nécrologe anonyme des multitudes humaines.

Sa physionomie est autrement vivante, si on la voit se détacher sur le fond extraordinairement animé de l’époque où elle vécut. Le grand schisme touchait à sa fin, la Réforme naissait avec Wiclef et Jean Huss, l’Italie était en pleine Renaissance[9], et la France suivait, de près, le même mouvement. En Espagne, la monarchie des Castilles se fondait. En Portugal, sous l’impulsion de Henri le Navigateur, les grands périples qui allaient découvrir les mondes nouveaux étaient commencés. Gutenberg inventait l’imprimerie.

Jeanne d’Arc, tout ignorante qu’elle fût, n’en est pas moins touchée par le souffle de cette heure unique où la civilisation moderne se gonfle en un bouton prêt à fleurir.

Jeanne d’Arc n’est plus du moyen âge ; elle n’en a ni la figure énigmatique, ni la rigidité sépulcrale. Toute spontanéité, vivacité et clarté, elle est déjà une fille de la France « moderne ; » sa naïveté champêtre respire tout ce qui flotte d’air sain et vivifiant autour d’elle.

Le XVe siècle, le quattrocento des Italiens, c’est l’époque du chaperon : visage découvert et robe longue, « Toison d’or, » « Gentil Dauphin, » — pour employer l’expression même dont Jeanne salue son prince et qui répond le mieux à son idéal Ce n’est pas son portrait, mais c’est sa ressemblance qui se retrouve dans les innombrables monumens iconographiques du temps, dans les sculptures des églises et des hôtels de ville, dans les tapisseries fleuries de couronnes et de lys, où la vierge dompte la licorne, dans les tableaux où les bons peintres de France ou des Flandres racontent pieusement les épreuves des sainte Ursule et des sainte Marguerite, dans les estampes que la xylographie multiplie aux Ars Moriendi et allons jusqu’à dire dans les figures du jeu de cartes où les représentations du « Bestiaire » humain sont à la fois si amusantes et si magnifiques. Lancelot, La Hire tiennent l’épée ; leurs attitudes et leurs costumes, maintenant stylisés, exposent les enthousiasmes et les goûts du temps où l’ingénieuse invention amusait la folie du pauvre roi Charles VI. L’héroïne marche ainsi dans l’histoire, entourée d’une chevauchée de pages en chaperon et de « valets de cœur. »

Sous le casque en calotte, sans masque ni bavière, qu’on nommait capeline, la vierge guerrière ressemble au saint Maurice à la figure ronde et imberbe, à la physionomie souriante, si souvent sculpté, alors, au portail des cathédrales. Les églises de l’Est et du Centre ont gardé les « Vierges de la Miséricorde » et les Sainte Catherine aux yeux fins, vers lesquelles son adoration s’élevait. Sculptées ou peintes de la main des Français ou des Bourguignons, on les retrouve, de Nancy à Avignon, à Marseille, même à Nice, même à Gênes, qu’avait gouvernée, quelques années auparavant, le bon Français Boucicaut[10]. Entre Duguesclin et Bavard, Jeanne est la contemporaine du roi René. Bref, n’étant plus « moyen âge, » si elle n’est pas « renaissance, » elle est « primitifs : » c’est ainsi qu’il convient de la situer en la dégageant des ombres un peu conventionnelles qui la voilent pour la remettre à son plan.

Quand on aura fait passer un large courant d’air d’histoire sur cette histoire que l’esprit de parti a trop rétrécie et calfeutrée, on contemplera, dans ses justes proportions, cet admirable exemplaire de l’énergie française que fut Jeanne d’Arc ; on admettra tout de sa vertu et, s’il est des choses que la raison ne peut atteindre, on s’inclinera devant le mystère : car il est de l’intelligence humaine de connaître elle-même ses limites.

Jeanne sauva la France de la domination anglaise, et c’est un fait dont les conséquences sont incalculables dans l’histoire du monde. Le salut de la royauté française fut, véritablement, le salut de l’Eglise, puisque la Réforme était imminente et que la France « anglaise » eût été la France protestante. Mais Jeanne servit spontanément une cause non moins noble et non moins haute, celle de la dignité individuelle et de la conscience libre.

Le monde s’épuisait à soulever la pierre de la hiérarchie féodale. Ce fut Jeanne d’Arc qui l’écarta en prenant les initiatives vigoureuses et en proclamant sa foi active dans le guide intérieur. Ainsi, elle fit, à elle toute seule, sa « réforme, » non dans le sens de la révolte et de la rupture, mais dans le sens de la discipline et du respect. A force de courage et de tact, elle fut encore, en ceci, au point culminant de son œuvre et de son siècle, excellente Française.

Les catholiques vénèrent la sainte et ils ont raison : mais les autres doivent vénérer aussi l’héroïne et la martyre ; car elle mourut pour obéir au devoir et pour sauvegarder en elle cette fleur de la personnalité libre, le droit de la vocation.

Elle opposa, jusqu’au bout, à la pression hiérarchique qui l’accablait, un refus simple et fort. Grande dans l’action, plus grande dans la négation, elle dit non et elle monta au bûcher. Le ressort de son âme ne plia pas. « Bienheureuse » et « sainte, » parce qu’elle fut inspirée et pure, mais héroïque et grande, parce qu’elle fut une âme libre ; ainsi, doublement « angélique, » selon le nom que lui donnait le peuple, annonciatrice de la foi active et des prochaines délivrances.


I. LES ORIGINES

Jeanne d’Arc fut tout piété et patriotisme. D’où lui vint la connaissance qu’elle eut, dès la plus tendre jeunesse, de sa religion et de son pays ?

Avant l’âge de treize ans, sa mission ne lui a pas été révélée : elle est une simple petite fille des champs, sans prédestination apparente. Né dans un village inconnu, elle y vivait, voilà tout !

On sait la pastorale que fut cette enfance, pastorale si soudainement traversée par des passages de gens de guerre et des brutalités de soldats. C’est seulement à l’âge de treize ans que Jeanne d’Arc commence à entendre l’appel qui lui est adressé[11] Certes, elle doute, elle résiste, mais elle comprend. Qui a donné, à cette jeune fille, cette intelligence et ce discernement ? Qui l’a mise en état de saisir, même pour obéir ? Qui a formé l’âme de Jeanne d’Arc ?

À cette question, elle a répondu, elle-même, de la façon la plus nette : pour les choses religieuses, elle, n’a eu qu’un maître, sa mère : Dixit preterea quod a matre didicit PATER NOSTER, AVE MARIA, CREDO, nec alibi didicit credentiam nisi prefata matre ; « elle dit que c’est sa mère qui lui apprit le Notre Père, le Salut Marie et le Symbole des apôtres et que de nulle autre part que de sa mère elle n’a appris sa créance (Procès I, 47). »

Qu’était donc cette femme, la mère de Jeanne d’Arc ? Elle s’appelait Romée ou Rommée. Le nom, comme on l’a fait remarquer souvent, évoque l’idée d’un pèlerinage accompli, — peut-être à Rome au Jubilé de 1425 où les Français vinrent en foule[12]. En tout cas, ce nom ou surnom paraît indiquer dans la famille, et probablement chez la mère de Jeanne, la dévotion des sanctuaires vénérés et la tradition des pèlerinages lointains. Son petit nom était Elizabeth ou Zabillet. Elle était née à Vouthon-village voisin de Domremy, mais qui relevait du duché de Bar[13]. De sa mère, Elizabeth Romée, Jeanne d’Arc reçut, d’abord, ce même nom, car, dit-elle à ses juges, « c’est la coutume de mon pays que les filles portent le nom de leur mère. » Elle reçut aussi l’enseignement moral et l’enseignement religieux. Parmi des ouvriers ruraux (couvreurs, charpentiers, etc.), la famille de la mère de Jeanne compte, au moins, deux ecclésiastiques, l’un frère d’Elizabeth, Henri de Vouthon, curé de Sermaize ; l’autre, Nicolas de Vouthon, religieux de l’abbaye de Cheminon (ordre de Cîteaux)et qui devint le chapelain de la Pucelle[14].

Issue d’une famille où de telles vocations se sont affirmées, Elizabeth Romée est une femme pieuse. Cette piété, elle la manifeste d’une façon éclatante dans une circonstance qui a longtemps échappé à l’histoire, mais qui, comme l’a indiqué Siméon Luce, après Vallet de Viriville, ne peut pas ne pas être en rapport avec la mission de Jeanne, — le pèlerinage qu’elle fit, en 1429, au sanctuaire de Notre-Dame du Puy.

Disons le fait, d’abord, quoique postérieur et contemporain de la mission de Jeanne et indiquons, ensuite, les conjectures qu’il est permis d’en tirer au sujet des sentimens d’Elizabeth Romée et, par conséquent, de la nature des leçons qu’elle transmit à sa fille.

En février 1429, au moment où Jeanne partait de Vaucouleurs pour se rendre à Chinon, sa mère quittait aussi Domremy pour entreprendre en France un voyage presque parallèle. Dès le mois de mai 1428, lors de sa première venue à Vaucouleurs, Jeanne avait déclaré avec insistance à Robert de Baudricourt que Dieu enverrait du secours à Charles VII avant la mi-carême, ce qui ne pouvait, à cette date, s’entendre que de la mi- carême de l’année suivante. Elle le priait « qu’il mandât au Dauphin de se bien tenir et qu’il n’engageât pas la bataille contre ses ennemis, parce que son Seigneur Dieu lui enverrait du secours avant la mi-carême, » Cette date était évidemment, pour certaines raisons, fixée en son esprit.

Quand elle revint, l’année suivante, fidèle au rendez-vous qu’elle s’était assigné à elle-même, elle se présenta au début du carême. Baudricourt, quoique mieux disposé à l’entendre, tardait à répondre. Probablement, il avait envoyé à la Cour pour savoir ce qu’il devait faire. Jeanne montrait une impatience extrême ; « le temps lui pesait, disait-elle, comme à une femme prête d’accoucher[15]. »

Cette date de la mi-carême 1429, à laquelle elle subordonne tout, était celle, en effet, où, d’autre part, sa mère, Elizabeth Romée, devait partir pour assister aux fêtes du jubilé qui allaient se célébrer, le 23 mars, au sanctuaire de Notre-Dame du Puy-en-Velay.

Enfin, Baudricourt se décide. Jeanne d’Arc quitte Vaucouleurs, probablement le 23 février[16], juste à temps, un mois avant la date solennelle. Sa mère dut partir au même moment ; car, s’il fallut à Jeanne, bien montée et fortement accompagnée, chevauchant avec une rapidité qui parut extrême à ses compagnons, onze jours pour aller de Vaucouleurs à Chinon, on pense que la pieuse pèlerine faisant la route avec les foules, à pied et à petites journées, des frontières de Lorraine au Puy, ne put atteindre son but en moins d’un mois. Or, à l’époque du jubilé, elle était au Puy, voilà ce qui est incontestable.

Jeanne d’Arc ne l’avait pas oubliée ; car nous savons que, de Chinon, elle envoya, de son côté, au Puy, pour ces mêmes cérémonies du jubilé, « plusieurs de ceux qui l’avaient conduite vers le Roi. » Ces hommes, étant du pays, connaissaient Elizabeth Romée. On se retrouva ; on parla de l’absente, et des résolutions graves furent prises. Un religieux appartenant à l’ordre des Ermites de Saint-Augustin et du couvent de Baveux[17], qui se trouvait là, ayant été mis en relation avec le groupe des Lorrains (il dit en termes peu précis, « parce qu’ils étaient en quelque connaissance avec lui, » quia habebant aliquam notitiam cum loquente), ces gens, c’est-à-dire la mère de Jeanne d’Arc et les compagnons de celle-ci, lui exposèrent qu’il était désirable (conveniens] qu’il vînt auprès de celle-ci ; ils ajoutèrent qu’ils ne le laisseraient pas tant qu’ils ne l’auraient pas décidé à les suivre. Ce moine s’appelait Jean Pasquerel. Ayant pris son parti, il se rendit avec les compagnons de Jeanne à Chinon d’abord, puis à Tours où il rejoignit la Pucelle. Elle le prit immédiatement en grande sympathie, fit, de lui, son confesseur, son confident et il ne la quitta plus jusqu’au jour où elle fut faite prisonnière à Compiègne. (Voir toute la déposition de Jean Pasquerel, au procès de réhabilitation. Procès, t. III, p. 100 et suiv.)

Ces faits étant patens, indéniables, le rôle de la mère s’affirme ici, de même qu’il apparaît, au dire de Jeanne, dans la formation de l’âme de l’enfant. Elizabeth Romée, dévote de la Vierge du Puy, confiait sa fille à un religieux augustin de Bayeux (que des circonstances jusqu’ici ignorées avaient amené au Jubilé), tandis que Jeanne, ne pouvant s’y rendre elle-même, y avait, de son côté, envoyé ses plus chers compagnons.

On n’a rien relevé de plus précis et de plus significatif sur les sentimens dont Jeanne d’Arc fut entourée dans sa famille[18]. La mère, Elizabeth Romée, sort de l’ombre d’où l’histoire éblouissante de sa fille l’avait insuffisamment tirée. On ne peut dire quelle ait connu les dessins de Jeanne ; la mère eût reculé sans doute devant leur audacieuse exécution ; du moins ne s’est-elle pas renfermée, à l’heure décisive, dans l’inertie et dans l’abstention[19]. Si elle ne fit que prier, elle pria ; si elle ne fit que veiller, elle veilla. Elle n’ignore pas ce qui se passe dans le monde : sa piété active et voyageuse a été le stimulant des déplacemens et des initiatives ; les rencontres, — voulues ou non, — des pèlerinages ont préparé, à Jeanne, les appuis et les fidélités qui la suivront. La mère ne perdra pas de vue sa fille. Elle veillera encore sur elle plus tard et jusqu’à la fin et même longtemps après l’horrible tragédie, jusqu’au jour où, demandant et obtenant la réhabilitation, elle l’aura justifiée !


De quels sentimens étaient animés les pèlerins venus au sanctuaire du Puy et pourquoi, à cette date, le sanctuaire les réunissait-il ?

Notre-Dame du Puy était alors, de tous les lieux de pèlerinages consacrés, en France, à la sainte Vierge, le plus célèbre, le plus fréquenté. La Vierge y était vénérée dès la plus haute antiquité. C’était une « vierge noire, » nigra, sed formasa, disait le dicton, empruntant le langage des livres saints. La tradition voulait qu’elle eût été sculptée, bien longtemps avant la naissance de Marie, par le prophète Jérémie. Conservée au trésor des sultans de Babylone, elle avait été rapportée et offerte au sanctuaire du Puy par un roi de France, probablement saint Louis. Cette image remontait, peut-être, aux temps druidiques, attestant, comme tant d’autres monumens analogues, la survivance des cultes locaux que l’Eglise, désespérant de les abolir, avait adoptés et consacrés. Il y avait, au sanctuaire du Puy, une pierre sacrée qui guérissait les malades, et, sur la place du sanctuaire, un « may, » un « beau arbre et tant joly... au-dessous duquel étoit la chaire qu’on prêchoit[20]. » Ainsi, toutes les traditions s’unissaient et se confondaient sur cette roche sainte. Des reliques sans prix attiraient la curiosité et la dévotion des fidèles, « la circoncision Notre-Seigneur, » du lait de la Sainte-Vierge, du bois de la vraie croix, le voile dont la Sainte-Vierge avait revêtu la nudité de son fils, de la manne des Hébreux, des reliques de sainte Anne, de saint Jean-Baptiste, de saint Jacques le Majeur, du vin des noces de Cana, et de nombreuses autres non moins précieuses dont la contemplation multipliait à l’infini les grâces et les indulgences.

Le pardon, la miséricorde, voilà ce que les foules viennent chercher dans ces lieux consacrés. Le mouvement instinctif qui les pousse, les réunit sur un point unique où, de se sentir vivre, souffrir et pleurer ensemble, elles se remémorent les terreurs ancestrales et s’enfoncent plus profondément dans l’âme les douleurs de l’heure présente.

La principale cérémonie, c’est le défilé devant les autels, où sont exposées les reliques, et l’assistance à une prédication, à une imploration publique, sur la place de Notre-Dame où s’élève le « beau mai. » Ces scènes où les pèlerins se frappent eux-mêmes jusqu’au sang, ces bousculades où ils se précipitent, voulant baiser, du moins, les voiles qui cachent les images adorées, ces pleurs, ces gémissemens qui confondent la douleur des membres meurtris et le deuil des cœurs affligés, tout ce spectacle de terreur, de contrition et d’espérance échappe à la direction des hommes. Les processions s’ébranlent, mues par la piété traditionnelle, telle l’émotion qui déplorait et déplore encore, en Orient, la mort de Bacchus, d’Osiris et d’Ali. La violence de l’instinct social rassemble ces hommes et les livre à la joie et à la fureur de se sentir foule. C’est à peine si les bergers de ces troupeaux parviennent à les parquer, à les diriger, à les nourrir. A chaque nouveau pèlerinage, ce sont de nouvelles victimes et, aux nouvelles convocations, les masses se précipitent plus denses vers ce défilé où l’on meurt.

Un exposé très minutieux des mesures prises en 1428 pour porter remède, autant que possible, aux accidens, explique le caractère de ces concours extraordinaires : « Afin que tout se passe bien, prière sera faite à Mgr l’évêque du Puy et aux gens d’Eglise qu’on prévienne un jour d’avance qu’il y aura une procession générale et un ferme propos en vue duquel chacun sera averti de se mettre en bonne disposition que l’un pardonne à l’autre[21], que tous prient Dieu et Notre-Dame qu’il leur plaise accorder pardon et indulgence pour le salut de leurs âmes, et que Dieu fasse cesser guerres et tribulations, selon la parole : Clamaverunt justi et ex omnibus tribulationibus liberavit cor hominum. »

Sans qu’il soit possible de déterminer nettement l’esprit auquel obéissaient alors les hommes qui avaient à veiller à ces prodigieux exodes, amenant par 3 ou 400 000 les fidèles au sanctuaire du Puy, on peut affirmer, du moins, que leur inspiration était nettement « dauphinoise, » « française » et favorable à Charles VII. Une fois de plus, ces montagnes du massif intérieur apparaissaient comme le refuge suprême de l’indépendance[22]. « Le dimanche 14 décembre 1421, fut porté le très dévot et saint image Notre-Dame du Puy pour la paix et union de la sainte Eglise et à cette fin qu’il plût à Dieu et à la Vierge Marie donner victoire au roy de France Charles VI et à Mgr le Dauphin de leurs ennemis, et la portèrent en moult noble ordre à la porte Saint-Robert et la mirent regardant la France : et, de là, fut portée et conduite honorablement au Fort de la dite Eglise où elle demeura par l’espace de deux heures ; et là fut un bon sermon que dit Maître Guillaume Branchot, et plusieurs gens et quasi tout le populaire pleuroit à chaudes larmes devant ce dévot image lesquels demandaient affectueusement à la Vierge Marie qu’elle impétrât paix et concorde au royaume de France[23]. »

En 1420, Le Puy s’était défendu avec la plus grande énergie contre les bandes bourguignonnes. Aussi, le roi de Bourges était, après son père, le dévot de Notre-Dame du Puy. Précisément, en cette année 1420, au retour d’une campagne heureuse dans le Midi, il vint rendre hommage à la Sainte Vierge. Les craintes et l’enthousiasme étaient au comble : « Un cordelier nommé Frère Thomas, du pays de Bretagne, prêchoit parmi le royaume de France, lequel prêcha au Puy, le 26 juillet, et disoit que mondit Seigneur le Dauphin auroit victoire en ladite année sur le roi d’Angleterre et autres ses adversaires et dominerait sur tous autres princes. Item disoit que tôt et bien bref viendroit tel accident, partout le monde, que hommes, femmes, petits-enfans mourroient subitement en dormant, veillant, mangeant, buvant, allant, parlant parmi les rues, le prêtre chantant messe. Et pour obvier à la dite mort enseignoit que chacun se confessât souvent, amendant et corrigeant sa vie... etc. »

Charles VII avait tenu à se faire recevoir chanoine et membre du chapitre ; il avait assisté à des cérémonies magnifiques, vêtu de l’aumusse et du surplis. Pour lui et pour son parti, la Vierge du Puy fut une Notre-Dame des Victoires. Cinq fois, au cours de son règne, il fit le pèlerinage. Après la bataille de Baugé, la bannière du duc de Clarence fut portée et suspendue triomphalement sous les voûtes de la cathédrale[24].

Mais une autre pensée, une autre émotion attirait, en même temps, les foules et explique, plus intimement, l’attraction, exercée par ce sanctuaire, sur la mère de Jeanne d’Arc. Notre-Dame du Puy était, par excellence, le centre de la piété nouvelle qui, dans le culte de la Sainte-Vierge, s’attachait, surtout, au mysticisme de la pureté et de la chasteté.

A tort ou à raison, on racontait que c’était à un évêque du Puy, le fameux Adhémar de Monteil, compagnon de Pierre l’Ermite, que l’on devait le Salve Regina, le plus noble chant en l’honneur de la Vierge, qualifié par saint Bernard d’« Antiphone du Puy[25]. » On disait aussi que c’était au Puy que saint Dominique aurait institué le Rosaire[26], Quelques années plus tard, le roi Louis XI donna également, dans cette ville, à l’Angélus sa forme régulière. Aussi, cette église était appelée, par excellence, l’Angélique[27].

Et c’était, en effet, le lieu où se célébrait, dans les formes les plus émouvantes et les plus solennelles, la rencontre de l’Ange et de la Sainte-Vierge, cette rencontre qui décida du sort du monde, l’Annonciation. Quand, par une coïncidence qui se reproduisait assez rarement, le jour de l’Annonciation tombait le Vendredi Saint, c’est-à-dire quand l’anniversaire de l’annonce du rachat coïncidait avec celui de la réalisation du rachat, alors, c’était fête spéciale au Puy et, avec le renouveau, ce sanctuaire voyait accourir les foules, de loin prosternées[28].

Pour les dévots de la Vierge du Puy, Virgo Aniciensis, elle était, par excellence, la « Vierge annoncée » et, aussi, « la Vierge de la Miséricorde, » celle qui s’interposait entre la justice divine et l’humanité pécheresse pour sauver celle-ci en la couvrant de son manteau.

Un témoignage singulièrement émouvant de ces temps et de ces sentimens douloureux a subsisté. Le musée du Puy a conservé un tableau célèbre où, selon un motif traditionnel, la Sainte-Vierge est représentée en « Vierge de Miséricorde, » Mater omnium. L’aspect de ce précieux tableau, parsemé de fleurs de lys, le costume des personnages, le faire de l’artiste, tout se rapporte à la date approximative de 1420, quand le Puy était le soutien des Lys et quand le Dauphin Charles multipliait son séjour et ses dévotions dans la ville du sanctuaire. La Vierge tient dans ses bras l’Enfant Jésus ; deux saintes (peut-être sainte Catherine et sainte Marguerite) soulèvent les pans de son manteau doublé d’hermine ; et, agenouillés aux pieds de la Vierge, tous les représentans de l’Eglise militante se pressent, se serrent, comme des poussins, près de leur mère, implorant pitié et miséricorde[29]. Ce sont les chefs de l’Eglise, le Pape, un cardinal, un évêque, puis tous les ordres monastiques représentés chacun par un délégué, le Bénédictin, le Camaldule, le Chartreux, le Cistercien, le Prémontré, puis les deux ordres récens qui s’emparaient alors de la Chrétienté, le Franciscain et le Dominicain, enfin, une seule moniale, agenouillée à la dernière place et représentant, peut-être, la dernière venue, la restauratrice récente de l’ordre des Clarisses, Colette de Corbie[30]. Derrière la Vierge, des saints intercesseurs, saint Pierre, saint Jean, saint Sébastien joignent leurs prières à celles des fidèles.

Encore une fois, cette peinture s’inspire d’un motif traditionnel et répandu, alors, dans toute la chrétienté. Les maux dont l’Eglise et le siècle sont frappés les jettent l’un et l’autre, comme dans un refuge, au giron de la mère de Jésus. Mais, l’importance donnée, ici, à la représentation des ordres monastiques dit la pensée particulière qui inspira l’œuvre.

Dans la crise affreuse qu’elle traverse, l’humanité a trouvé un secours puissant, c’est l’intervention des ordres religieux. Elle a vu se former, en son sein, ces milices qui, organisées en institutions presque militaires, engagent la lutte contre les féodalités ecclésiastiques et laïques. Elles prient, c’est-à-dire qu’elles veulent, et leurs prières seront exaucées.

La catholicité était, alors, agitée par les formidables secousses, suites du grand schisme. Entre le Concile de Constance et le Concile de Bâle, le sort de l’Eglise paraissait incertain ; en tout cas, les voies du salut étaient douteuses. Cependant, tout le monde savait, tout le monde disait qu’il n’y avait qu’une issue : la réforme, et que cette réforme devait être accomplie, d’abord, sur l’Eglise elle-même, « en son chef et en ses membres : » l’Église par son orgueil, par son faste, par ses dissensions intestines, en un mot, par son désordre, avait attiré sur le monde la colère céleste ; l’épouse avait péché.

Ces pensées n’étaient pas seulement répandues dans le monde laïque, soumis et prosterné devant les autels ; c’est surtout au cœur des ecclésiastiques, dans les âmes fortement imprégnées de la leçon du Christ et soucieuse de son « règne, » qu’elles couvaient, prêtes à éclater au premier choc. Qui ignore les fameuses prosopopées des saint Bernard, des Clemengis et des Pierre d’Ailly ? Saint Vincent Ferrier, accompagné d’un cortège de pleureurs et de flagellans, était venu prêcher au Puy, en l’an 1416. « En ses prédications, il reprenoit fort tous les États du monde pour les offenses qu’on faisoit contre Dieu et l’avoit chacun moult agréable, excepté les clercs, et faisoit miracles...[31]. » C’est contre les richesses du clergé qu’il tonnait.

Les mobiles de ces âmes inquiètes sont identiques à ceux qui avaient déterminé l’élan initial de saint François d’Assise ; « Voici, qu’un jour, il entendit réciter l’Evangile de « la Mission des disciples : » « Allez et prêchez ; dites : le royaume des cieux est prochain. Et n’ayez, dans vos ceintures, ni or, ni argent, ni cuivre ; n’ayez point de sac pour aller sur la route ; n’ayez pas d’habits de rechange ; n’ayez pas de souliers ni de bâtons (Matth. X, 7, 9-10). » — Voilà précisément ce que je veux, dit-il, voilà ce que je cherche, — et, aussitôt, il se conforme à l’ordre divin, ôte ses sandales de ses pieds, rejette son bâton, se ceint d’une corde et se fait, avec le drap le plus rude et le plus misérable, une tunique ayant la forme d’une croix. Après quoi, il se mit à prêcher[32]. »

Le pauvre d’Assise, en se levant, donnait la leçon à tout l’ordre ecclésiastique, puisqu’il embrassait, comme une maîtresse celle qu’ils avaient tant méprisée, la pauvreté. Mais il ne s’arrachait pas à la discipline. La loi de son action étant l’humilité, était aussi l’obéissance. Il se rendit, d’abord, auprès du pape Innocent III et obtint de lui la permission de prêcher. Nulle décision ne fut plus importante pour l’avenir de la catholicité. On peut dire qu’elle scella le pacte entre la Papauté et les ordres mendians pour la réforme intérieure.

La communauté des aspirations fait la communauté des efforts. Les frères mendians étaient les associés naturels des foules opprimées par la violence aristocratique. L’union se fît, pour ainsi dire, toute seule. Les ordres fournirent des cadres à l’insurrection laïque. On sait l’étonnante, la prodigieuse affiliation de l’élément civil aux mendians par l’enrôlement quasi universel dans les Tiers-Ordres. Les Tiers-Ordres furent la première esquisse du Tiers-Etat. L’historien de l’inspiration artistique franciscaine dit avec force : « Le sentiment individuel qui, jusqu’alors, avait été comme un enfant mineur sous la tutelle de l’Eglise, François l’a émancipé et lui a donné, pour toujours, son indépendance légitime... Grâce à l’œuvre franciscaine, le « Tiers-État » s’est assuré les conditions d’une existence régulière et forte. Dans toutes les villes, la religion franciscaine a été accueillie et très justement comme la religion propre de la bourgeoisie et du peuple. Simultanément, la main dans la main, les bourgeois et les moines mendians sont arrivés au premier plan de la vie sociale. Et c’est de leur collaboration qu’est né un art nouveau : ce que prêchait le moine, le laïque le réalisait. »

Dans la vie comme dans l’art, cette rénovation s’accomplissait, la conjuration s’étendait ; la terre se minait sous les pas de l’aristocratie féodale et ecclésiastique : « ce que prêchait le moine, le laïque le réalisait[33]. »

On a dit, avec raison : « Il y a quelque chose de saint François chez tous les mystiques du XIVe et du XVe siècle[34]. » Et on a remarqué aussi que le développement, sinon la création de tous les ordres religieux pendant ces deux siècles, se sont produits en France[35]. Saint Dominique y vint de la Castille, saint Thomas d’Aquin de l’Italie, saint Antoine de Padoue du Portugal, saint Vincent Ferrier de l’Espagne. Quant à saint François d’Assise, ses origines morales sont étroitement françaises : il ne chantait les louanges du Seigneur, à son gré, qu’en français.

La plupart de ceux qui s’épouvantaient du sort de la catholicité et de l’humanité s’étaient habitués à l’idée que la cause de l’Église était étroitement jointe à celle de la France et que la chute de l’une eût entraîné la perle de l’autre.

La royauté française avait imposé cette conviction au monde par l’autorité du fait. En mettant la main sur le vicaire du Christ et en l’établissant, bon gré, mal gré, à Avignon, elle avait prouvé qu’elle tenait le monde. Il n’est pas comme les esprits ecclésiastiques pour s’incliner devant cette sorte de démonstration. Ce que l’on appela plus tard la désolation d’Avignon, la captivité de Babylone, parut, d’abord, la suite logique et heureuse de ce qui se passait dans la capitale du monde chrétien : puisque la Papauté en était chassée par les passions locales, il était naturel qu’elle se réfugiât près de la seule force capable de la protéger et de la sauver. Après les luttes atroces contre l’Empire allemand, après les déliquescences, plus affreuses encore, de l’anarchie romaine, Avignon avait été le port et la royauté de saint Louis la sauvegarde.

La royauté française tenait son autorité de Dieu, Dei gratia Francorum rex ; elle était consacrée par la sainte ampoule, elle avait le don des miracles, elle représentait, à la fois, la lutte contre les musulmans, contre les hérétiques, contre les prétentions impériales, et, enfin, elle était la première puissance autorisée qui se fût dressée contre l’aristocratie féodale et l’aristocratie ecclésiastique.

Au milieu d’un monde pervers, barbare et brutal, la France, « fille aînée de l’Eglise, » abondante en initiatives, en ressources et en génie, représentait la protection, le secours ; c’était « le pôle vers lequel se dirigeait le vaisseau de l’Église battu par la tempête[36]. » La prophétie de Télesphore n’avait-elle pas annoncé, aux applaudissemens universels, qu’un roi Charles, fils de Charles, de l’illustre race des fleurs de lys, prince au front élevé, aux sourcils hauts, au nez aquilin, rétablirait les affaires du monde, apaiserait les luttes intestines de la Chrétienté, s’emparerait de Jérusalem et, par sa crucifixion à l’âge de trente et un ans, au mont des Oliviers, ramènerait le règne du Christ sur la terre[37] ? »

Nous savons peu de chose sur ce qui se passa au Puy lors du jubilé de 1429, quels furent les promoteurs, quels furent les orateurs, quels furent les pompes et les mouvemens des foules. On peut admettre, toutefois, que le concours fut immense, car, aux deux pèlerinages de 1407 et de 1418, provoqués par la même coïncidence, le 25 mars, de la fête de l’Annonciation et du Vendredi Saint, des pèlerins furent étouffés par la presse (200 en 1407 et 33 en 1418). En 1429, on prévoyait un afflux non moins grand, puisque Charles VII obtint du pape Martin V que le délai pendant lequel les indulgences seraient accordées fût prorogé jusqu’au 3 avril.

Est-il permis de négliger des circonstances si considérables, s’il s’agit d’expliquer les sentimens de la mère de Jeanne et l’inspiration de l’héroïne ? Au Puy s’est réfugié, en quelque sorte, l’espoir suprême de la France et le culte spécial de la « Vierge annoncée, » de la « Vierge Angélique, » celle à qui l’ange incliné apporte la couronne, emblème de la pureté. Le sanctuaire du Puy est, en même temps, le sanctuaire et le palladium de la royauté française. La Vierge des Lys et la royauté des Lys, ces deux images sont unies dans l’enthousiasme des foules : elles protègent le monde contre les traits de la violence terrestre et de la vengeance céleste.

La mère de Jeanne pense ainsi, puisqu’elle est au Puy, implorant « la Vierge de miséricorde. » Sa fille est cela, rien que cela : l’Angélique par excellence, comme le peuple la nomme du premier coup, la « messagère de Dieu, » comme disent les comptes officiels de la ville de Clermont[38].

Le culte de Jeanne d’Arc à l’égard de la Vierge chaste et immaculée ne résulterait pas de toute l’évolution religieuse du temps et du caractère virginal qui fut, par excellence, le sien, qu’il serait attesté par ses propres déclarations souventes fois répétées et par les témoignages de ceux qui ont connu l’intimité de son âme. Quand elle somme les Anglais de vider le royaume, c’est au nom « du roi du ciel, fils de sainte Marie. » Quand ses juges lui demandent d’où procède sa mission, elle répond : « qu’elle est venue au roi de France de par Dieu, de par la Vierge mère et tous les bienheureux saints et saintes du Paradis. » Son aumônier témoigne qu’elle était dévote « à Dieu et à la Vierge Marie ; » et quand elle fait chanter, deux fois par jour, matin et soir, par des prêtres rassemblés, ce sont « des hymnes et des antiphones en l’honneur de la Sainte Vierge, » et, sans doute, ce Salve Regina que saint Bernard appelait antiphone du Puy.

C’est au moment où ses compagnons, amenant frère Jean Pasquerel, reviennent du Puy, qu’elle fait peindre ces drapeaux, symboles de sa mission et gages de la victoire. Ici encore, les bonnes gens devinaient, mieux que les savans, la pensée de cette fille du peuple. Elles l’appelaient la « pucelle à la Bannière » (III, 104).

Car il y avait, dans ces emblèmes, flottant aux vents, un sens mystique, une vertu, une force.

Elle eut, à la fois, une bannière, un étendard, un fanion. Sur la bannière, destinée aux ecclésiastiques qui l’accompagnaient, était peint le crucifix ; sur l’étendard qu’elle portait elle-même à la bataille, elle avait fait représenter, par le peintre écossais James Power, en la face principale, semée de fleurs de lys, le « Roy du ciel, » c’est-à-dire le Christ « en majesté, » ayant pour siège l’arc-en-ciel, portant d’une main le globe et, de l’autre, bénissant ; en outre, deux anges agenouillés, saint Michel et saint Gabriel, présentant à Dieu une fleur de lys ; au-dessus était inscrite la devise qui fut reproduite en tête de la plupart des lettres de Jeanne d’Arc et qu’elle avait fait inscrire sur une de ses bagues (I, 87) : « Jhesu Maria. » Quant au fanion, tenu par ses serviteurs et qui indiquait sa place dans l’armée, il figurait la Sainte Vierge en Annonciation, l’ange lui offrant la fleur de lys, fleur de pureté et fleur de France[39].

Ces emblèmes sont d’une interprétation claire, comme tout ce qui émane de cette fille simple et sincère. Le Dieu de Majesté, c’est le « roi du Ciel, » son « souverain seigneur, » celui qui l’a envoyée. Prenez ces mots dans toute leur force et réalité. Pour Jeanne d’Arc, Dieu est le vrai roi de France et celui-ci n’a reçu le royaume « qu’en commande. » Jeanne voulut même traduire, par une cérémonie sensible, le fait juridique et, si l’on peut dire, hiérarchique et constitutionnel, dont elle était convaincue : « Un jour, la Pucelle demanda au Roi de lui faire un présent... mais rien moins que le royaume de France. Après un moment de réflexion, le Roi étonné fit le cadeau. Jeanne l’accepta : « Et voilà, maintenant, le plus pauvre chevalier du royaume, » dit-elle, en montrant le roi à l’assistance. Tout de suite après, elle livra au Dieu tout-puissant le don qu’elle venait de recevoir. Puis, au bout d’un instant, obéissant à ordre de Dieu, elle investit le roi Charles du royaume. Et, du tout, fit dresser une charte solennelle[40]. »

Dans ces mêmes sentimens et aux mêmes époques, Florence se donnait, pour Roi, le Christ, Sienne reconnaissait comme dame et maîtresse la Sainte-Vierge ; et, là non plus, ce n’était pas en paroles, mais en fait, en droit, que ces fidélités et ces loyautés étaient jurées[41].

L’image de l’Annonciation, enfin, c’est la commémoration constante, auprès d’elle, de cette fête de la Notre-Dame du Puy qui lui a été assignée comme le point de départ de sa mission. La Vierge pure, lange « annonçant, » la fleur de lys, c’est toute sa vocation. Cette épithète d’« Angélique » était celle qui qualifiait la cathédrale du Puy et, aussi, ce Fra Angelico da Fiesole qui, juste à l’époque où Jeanne portait, sur les champs de bataille, l’image sacrée, ne se lassait pas de peindre la même image dans les couvens et les villes de l’Italie.

Coïncidence non arbitraire, ni due au hasard, mais émanant de l’intime essence des choses et déterminée par des mouvemens d’âme simultanés à travers un monde identique, traduisant, partout, les mêmes aspirations et une même inspiration.

On ne peut séparer, à cette époque, l’histoire de la France et l’histoire de l’Italie ; elles se pénétraient constamment depuis le transfert de la Papauté à Avignon.

Une erreur analogue à celle qui, dans l’histoire des Arts, fixa longtemps l’origine de la Renaissance française à l’époque de Charles VIII et de Louis XII, au retour des guerres d’Italie, fausse, non moins gravement, l’histoire politique. On paraît croire que, pendant la guerre de Cent ans, la France s’est repliée sur elle-même, a rétrogradé, pour ainsi dire, s’est désintéressée du reste du monde, que son expansion et sa croissance ont été totalement arrêtées. Rien de moins exact.

La France, après avoir transporté le Saint-Siège chez elle, déborde sur l’Italie. Depuis l’avènement de la maison d’Anjou à Naples, l’exode pacifique ou militaire d’un pays dans l’autre est, pour ainsi dire, ininterrompu. Les Papes français d’Avignon ne perdaient de vue ni le domaine de Saint-Pierre, ni les autres puissances italiennes. Leurs émissaires, la plupart français, furent, plus d’une fois, les régulateurs et les pacificateurs, trop souvent aussi, les tyrans de la péninsule[42].

Routiers et gens de guerre accompagnaient les cardinaux ou les prélats et, souvent, les précédaient. Le sort du royaume de Naples était toujours en suspens. En Sicile, dans l’éphémère royaume d’Adria[43], en Lombardie, à Gênes, en Savoie, partout on sentait l’autorité et la main françaises.

La preuve de ces échanges, parfois bienfaisans, parfois déplorables, n’est plus à faire pour l’architecture, pour la sculpture, pour la peinture. Les peintres français allaient apprendre quelque chose chez les Cosmates ; ils apportaient, en Provence et en Italie, la technique des bords de la Seine, des bords de l’Aisne ou de l’Escaut. L’architecture cistercienne descendait de France en Italie. L’art de Ghiberti et de Donatello n’ignorait pas les « imaiges » de nos cathédrales.

Dans l’ordre politique, après les Normands de Sicile, les Gascons ont laissé, en Italie, une renommée légendaire[44], et les figures populaires qui sont encore peintes sur les charrettes siciliennes, illustrent les vieilles chansons de geste françaises, inspiratrices de l’Arioste et du Tasse.

Combien de noms sont simultanément célèbres de l’un et de l’autre côté des Alpes. J’ai parlé des saints ; voici les soldats : Enguerrand de Coucy et le comte Vert, X. de Marle et Boucicaut.

Un fait aussi considérable que l’expédition de Charles VIII en Italie s’était produit dès 1382, sous le règne de Charles VI : une armée de 80 000 Français, commandée par l’oncle du Roi, Louis d’Anjou, avait traversé la péninsule de part en part pour aller à Naples recueillir la succession de la reine Jeanne et avait poussé jusqu’à Tarente. Beaucoup de ces Français ne revirent pas la France. Mais combien purent rentrer dans leurs foyers et y apportèrent l’écho de la pensée italienne, après qu’ils eurent promené eux-mêmes, à travers toute l’Italie, le « doux parler » qu’avait aimé le maître de Dante et le prestige qu’exerçaient au loin la courtoisie et l’humanité françaises[45]. D’autre part, aux épreuves de la guerre de Cent ans, les troupes italiennes vinrent en aide aux troupes françaises. Jeanne d’Arc, à la dernière étape de sa vie militaire, quand elle se jeta dans Compiègne, était accompagnée d’une troupe d’Italiens.

Comme les prêtres et les soldats, les étudians et les marchands, par un perpétuel va-et-vient à travers les défilés des Alpes ou le long de la Corniche, entretenaient ces rapports constans. Le rayonnement et l’autorité des Universités françaises, surtout de l’Université de Paris, dans les mœurs et dans la foi, est un fait notoire. Pour les marchands, quoi de plus convaincant que ce journal de Morosini qui est un des témoignages les plus précieux de l’opinion contemporaine au sujet de Jeanne d’Arc ? Toutes les preuves de cette vie commune y sont réunies : départs réguliers des galères publiques et privées, déplacemens fréquens des voyageurs, transports assurés, « courriers » traversant, avec une rapidité incroyable, soit le continent, soit les mers, pour apporter et reporter les missives, mouvement de l’argent, ordres, avis, transmis avec autant de ponctualité, sinon autant de promptitude qu’ils peuvent l’être aujourd’hui, et, surtout, étonnant « service d’information, » qui, de tous les points du monde, colporte, concentre et répand les nouvelles soigneusement colligées et contrôlées. Venise, Rome, Avignon, sont au centre d’immenses toiles d’araignées où tout ce qui se passe dans le cercle infini de leurs affaires ou de leur autorité retentit aussitôt. Les courriers viennent de Bruges à Venise, de Paris à Rome en quinze jours. Les agens d’information sont les confidens des rois et des princes, pénètrent (au besoin par l’argent) dans les « retraites » où se cachent les desseins secrets et lèvent les masques sur les visages les plus orgueilleux. Ils savent tout, enregistrent tout, transmettent tout, influent sur la marche des événemens selon leur manière de les présenter. En un mot, ils tiennent l’office de la presse : car il faut que le monde soit renseigné, et l’effort est proportionnel à la difficulté.

Ne croyez pas que le populaire reste en dehors de ces communications rapides et comme mystérieuses en leur rapidité même. Lui aussi, il sait. Les messagers, tout en galopant, jettent les nouvelles le long de la route et, de bouche en bouche, elles volent jusqu’aux plus humbles chaumières. Jeanne d’Arc, en sa marche de Lorraine, sait, très peu de temps après les premières ouvertures, qu’il est question d’un mariage du Dauphin avec une fille d’Ecosse ; elle a nouvelle, très rapidement, de la bataille des Harengs, à supposer que l’on mette en doute la déposition affirmant qu’elle la connut, miraculeusement, le jour même.

Dans ces époques d’émotions violentes et de susceptibilités nerveuses extrêmes, les communications intellectuelles et morales les plus délicates vibrent et se transmettent sans cesse d’un pays à l’autre. Jeanne d’Arc fait inscrire, sur ses étendards et en tête de ses lettres, la devise Jhesu Maria, au moment où, en Italie, Bernardin de Sienne, à la fois réformateur et initiateur, fondateur de la « stricte observance, » propage le culte du saint nom de Jésus[46].

Ces simples mots ne sont pas choisis au hasard. Ils préoccupent les juges de Rouen. On dirait qu’ils y cherchent le trait caractéristique d’une intervention occulte, d’on ne sait quelle affiliation obscure.

A leurs questions réitérées, Jeanne d’Arc oppose des raisons à la fois exactes et prudentes, selon sa manière toujours loyale, mais toujours avisée : « Interrogée quelle signifiance c’étoit que peindre Dieu tenant le monde et deux anges : répond que sainte Catherine et sainte Marguerite lui dirent qu’elle le portât hardiment (son étendard) et qu’elle fit mettre en peinture là le Roy du Ciel… ; et de la signifiance ne sait autrement… » « Interrogée qui aidoit plus elle à l’étendard ou l’étendard à elle : répond que la victoire de l’étendard ou d’elle c’étoit tout un à Notre Seigneur… » « Interrogée si l’espérance d’avoir victoire étoit fondée en son étendard ou d’elle, répond : il étoit fondé en Notre Seigneur et non ailleurs… » « Interrogée de quoi servoit le signe qu’elle mettoit en ses lettres Jhesu Maria : répond que les clercs écrivant ses lettres lui mettoient et disoient les aucuns qui lui appartenoient mettre les deux mots : Jhesu Maria. »

On ne put tirer d’elle autre chose. Mais les deux partis savaient que les fers se croisaient là. Jeanne devinait ses adversaires dans ses juges et eux pensaient qu’elle était envoyée non seulement contre les Anglais, mais contre eux[47]. La féodalité épiscopale et terrienne se sentait visée par cette jeune fille héroïque qui, dans le royaume, ne relevait que du Roi et, dans l’Eglise, ne s’en rapportait qu’à Dieu. L’incrimination violente au sujet de l’étendard et de la devise Jhesu Maria fut reproduite avec insistance au procès et au jugement de condamnation. C’est un des fameux « douze articles. » cette devise a son origine dans les prédications des moines populaires ; elle est une invocation directe au « Roi du Ciel. » Elle a la force d’un symbole et les juges du procès y devinaient une protestation.

N’est-il pas permis de conclure que ces idées, Jeanne d’Arc les avait reçues de sa mère ? Elles flottaient dans l’air autour du sanctuaire de l’Annonciation qui avait exercé, de si loin, sur la pèlerine des marches de Lorraine, sa puissante attraction. Saint Vincent Ferrier les y avait prêchées, quelques années auparavant, « au grand déplaisir des clercs. » Comme dans le tableau de la Vierge de Miséricorde, les ordres monastiques étaient les intercesseurs de la désolation d’en bas vers les consolations d’en haut. Cet abandon dans la main de Dieu[48], cette foi en la Sainte-Vierge, cette attente de l’ange qui viendra, comme dans la journée initiale de la Rédemption, portant la fleur de lys, le culte naissant de « l’Immaculée, » le zèle, la passion de la Virginité, en ces temps de désordre et de corruption, tous ces traits si remarquables dans la mission de Jeanne d’Arc étaient esquissés dans la propagande et la prédication qui exaltaient les pèlerins du Puy.

La mère de Jeanne était-elle affiliée au Tiers-Ordre de Saint-François ? La coïncidence du pèlerinage avec le voyage de sa fille et surtout la rencontre, probablement préparée, avec le frère Jean Pasquerel, pourraient le faire croire. Un historien l’a même affirmé de Jeanne d’Arc. On pourrait prendre en ce sens le qualificatif de « béguine >‘qui lui fut appliquée par des contemporains[49]. Certains détails de son arrangement, — les cheveux coupés en rond, la vêture grise ou noire, — ont été signalés, ainsi que des actes de dévotion qui lui étaient particulièrement chers. Ces remarques ingénieuses ne font pas preuves. Mais ce qu’on ne peut pas nier, c’est l’affection de Jeanne d’Arc pour les ordres mendians.

Elle a dit, elle-même, au procès, qu’elle ne s’était jamais confessée qu’au curé du village, sauf, deux ou trois fois, à des frères mendians. Ce sont des frères qui l’entourent le plus souvent et, tout en écartant absolument l’idée émise par M. Siméon Luce que sa mission ait été en relation avec les « querelles de moines, » — dominicains contre franciscains, — il est difficile de la séparer de cette escorte pieuse parmi laquelle Dunois la revoit encore, quand il parle devant les juges de la réhabilitation. « Interrogé sur la conduite et le commerce de la Pucelle, il dépose qu’elle avait pour habitude, chaque soir, à l’heure des vêpres ou au crépuscule d’entrer dans une église et de faire sonner les cloches pendant une demi-heure. Elle rassemblait les religieux mendians qui suivaient l’armée et se mettait alors en prière tandis qu’elle faisait chanter par les mendians un Antiphone de la Sainte-Vierge. » (Procès, III, 104.)

Déclarations confirmées par celles de frère Jean Pasquerel : « Elle lui recommandait fréquemment, quand elle était en quelque endroit où il y avait couvent de frères mendians, de lui rappeler le jour où les enfans élevés par les mendians recevaient le sacrement de l’Eucharistie ; elle se rangeait auprès d’eux et recevait, en même temps que ces enfans, le Saint-Sacrement[50]. »

Ces faits si nombreux, si frappans, ne suffiraient peut-être pas à établir la conviction d’une inspiration commune, s’il n’y avait une preuve plus haute résultant du caractère même de la mission de Jeanne d’Arc. Fille du peuple, elle est dans la filiation de saint François d’Assise et des saints mendians, lorsqu’elle saisit, d’une main populaire, l’étendard des lys, relevant ainsi la cause que la chevalerie avait laissée péricliter.

Dans le monde ecclésiastique comme dans le monde laïque, cette cause était la même, la réforme, la résistance intérieure contre la tyrannie, l’abus aristocratique et féodal. Sainte Catherine de Sienne avait déjà confondu les deux castes dans un même tableau et un même grief : « Celui qui devrait se consacrer au service de l’Église et aux pauvres vit, au contraire, comme un grand seigneur, dans les honneurs et les plaisirs. Il semble que rien ne puisse le satisfaire : quand il a un bénéfice, il en veut deux ; quand il en a deux, il en cherche trois et il ne s’arrête jamais. Il fréquente les mauvaises compagnies et s’arme comme un soldat ; il porte l’épée au côté, comme s’il voulait se défendre contre Dieu avec lequel il est en guerre. Tels sont ces soldats du Christ ! N’est-il pas temps de voir surgir d’autres milices sacrées[51] ? »

Cette parole de sainte Catherine de Sienne, c’est, — moins la verve grossière, — toute l’antienne des prédicateurs populaires[52]. Les adversaires étaient les mêmes : les deux aristocraties ecclésiastique et seigneuriale ; les intermédiaires et les agens de la propagande étaient les mêmes : les ordres mendians, nés du peuple dans un esprit de résistance aux abus et au désordre ; les chefs réclamés et sans cesse invoqués étaient les mêmes : à Rome, le Pape ; en France, le Roi. Jeanne d’Arc et ses initiateurs, — peut-être les hommes qui avaient appelé Élizabeth Romée au pèlerinage du Puy, — étaient, en somme, guidés par la conviction, alors si répandue, que Rome et la France ne pouvaient se passer l’une de l’autre et que leur triomphe devait être commun. Un jurisconsulte italien, cité par un jurisconsulte français, l’écrivait : « Le roi de France est le champion (pugil) de l’Eglise ; si le roi de France et le Pape s’entendent, ils peuvent tout[53]. »

En tout cas, et pour les catholiques français, la mission mystique de la royauté française était de foi ; Pia Gallia, Deo devota ; ou encore : « En France la très belle, — Fleur de la Crétienté[54]..., » ainsi s’exprimaient le sentiment et la poésie populaires. Les cœurs français n’eussent pas admis que le monde pût être sauvé si la dynastie des lys venait à périr.

La doctrine religieuse que la mère de Jeanne d’Arc, la pèlerine du Puy, transmit à sa fille n’est pas la seule leçon que reçut la grave enfant. Un autre enseignement, celui du patriotisme le dévouement au pays, lui furent appris, non seulement par les grands événemens qui remuaient le monde et dont le retentissement venait jusqu’à elle, mais par des incidens locaux parmi lesquels son père Jacques d’Arc ne fut pas sans jouer un rôle.

Ici encore, les considérations humaines préparent et appellent, en quelque sorte, la vocation divine.

Jacques d’Arc, père de Jeanne d’Arc, cultivateur « pas bien riche, » habite Domremy[55]. Sa famille paraît originaire du village de Ceffonds en Champagne où elle s’est transportée, peut-être d’Arc-en-Barrois[56]. Ceffonds est proche de la grande abbaye de Montiérender ; les paysans de la contrée, serfs de cette abbaye, étaient en état de lutte presque continuelle avec les moines auxquels ils appartenaient et ils étaient soutenus, dans leur résistance, par le roi de France qui les avait « pris en sa garde. « En outre, pendant la première moitié de la guerre de Cent ans, ils avaient souffert, plus que nulles autres populations, de la France (sauf peut-être celles de la Normandie) de la main-mise anglaise sur les pays limitrophes. Les Lancastre étant établis au château de Beaufort qui domine la contrée, ce n’avait été qu’une longue pillerie. Les habitans n’avaient d’autre recours et d’autre défense que le roi de France.

Cette protection leur manquant, tout leur avait manqué. Le pays était devenu presque inhabitable au fur et à mesure que les affaires de la royauté française périclitaient et, surtout, depuis que le traité de Troyes avait décidé, en particulier, du sort de la province. La complaisance avec laquelle les habitans de Troyes, en peine de la prospérité de leur commerce et de leurs fameuses foires, avaient accueilli les Anglais, n’avait pas protégé le pays[57]. L’état de toute la contrée est dépeint dans un document daté de 1436, mais qui se réfère aux années précédentes : « On expose à Votre Sainteté, explique-t-on dans une supplique au Pape, que, depuis que la guerre sévit au royaume de France, dans le duché et comté de Bourgogne, dans les duchés de Lorraine et de Bar, dans les terres et pays avoisinans, la plupart des lieux appartenant au clergé, soit à la campagne, soit ailleurs, ont été brûlés, les églises détruites, les lieux saints profanés, les choses saintes ou non dérobées, les homicides, les mutilations de personnes ecclésiastiques se sont multipliés et, en outre, les vols, le brigandage, le viol des vierges et notamment des religieuses et tous les autres crimes, attentats, offenses, excès et d’inénarrables méfaits ont été commis en tous lieux[58]... » Les populations avaient dû s’enfuir, quitter le pays, se réfugier dans d’autres régions plus heureuses. Dès 1427, l’affluence des Français originaires des provinces de l’Est était telle, à Cologne, qu’il fallait demander au Pape l’autorisation, pour des prêtres de langue française, de leur faire remplir leurs devoirs religieux[59].

Sous l’impression de ces événemens, nourri dans les sentimens de ses compatriotes, le père de Jeanne d’Arc, né probablement vers 1380, quitta Ceffonds pour venir s’installer à Domremy, proche de Vouthon où il prit femme.

On a discuté et on discutera longtemps la question de savoir si Jeanne était Lorraine ou Champenoise. Ce qui est certain, c’est qu’elle était Française. Dans l’entremêlement des hiérarchies féodales et des prétentions royales, voici ce qu’on peut démêler ; la paroisse de Greux-Domremy était disputée, en quelque sorte, entre les grands fiefs avoisinans et le royaume de France. Elle était, ainsi que toute cette frontière, de ces terres sur lesquelles les légistes et officiers royaux exerçaient leur esprit d’empiétement, faisant fonctionner la machine formidable des « droits du Roi. » Postérieurement à l’année 1343, Philippe de Valois, soit à la suite d’une pression exercée sur l’évêque de Toul, soit par le simple fait d’un échange, avait acquis la châtellenie de Vaucouleurs et les villages qui en dépendaient. Domremy et Greux ne sont pas désignés dans l’acte de cession. Mais ce qui est certain, c’est que ce pays fut considéré, par la royauté et par ses propres habitans, comme faisant désormais partie du royaume, et, cela d’une façon si intime et si particulière, en raison de sa situation à l’extrême frontière, qu’il existe une ordonnance de Charles V, déclarant que « quels que, soient les motifs, les raisons, ou les titres invoqués, il ne pourrait jamais, à l’avenir, ni par voie d’échange, ni de quelque manière que ce soit, être séparé ou distrait de la couronne de France[60]. » Ces traits ne suffisent-ils pas pour signaler la situation très spéciale où se trouvaient ces lointaines contrées ?

Que la maison du père de Jeanne d’Arc fût située sur la partie du village réclamée directement par la couronne, ce qui paraît le plus probable, ou qu’elle fût située sur la partie qui relevait du duché de Bar, elle est, de toutes façons, terre française ; seulement, dans le premier cas, elle relève directement du Roi, tandis que, dans l’autre cas, elle en relève comme arrière-fief. Donc, Jeanne n’est, à proprement parler, ni champenoise, ni lorraine : car, ni l’évêché de Toul, ni le duché de Bar ne sont « Champagne » ou « Lorraine ; » la mainmise royale, s’exerçant en vertu du principe qui a constitué toute la France, reste le fait dominant et tranche la question.

Quant à ce que pensaient, sur leur nationalité, les habitans de la partie du village où est née Jeanne d’Arc, nous le savons par Jeanne d’Arc et les siens. Ils dépendaient « de la chambre du Roi à Vaucoaleurs, » c’est-à-dire du royaume de France. Leur juridiction et leur souveraineté étaient là[61]. Ils disaient et on répétait, d’après eux, qu’ils étaient « jouxte la Lorraine » (juxta] ou bien encore « des marches de Lorraine et du Barrois, » ou bien encore infra et in finibus regni Franciæ ; « ou royaume et ès fins et mettes de ceste dicte élection. » Alain Chartier dit : « Une pucelle d’auprès Vaucouleurs, ès marches de Barrois. » Nous dirions, aujourd’hui, comme eux : en « France, au pays de Lorraine[62]. » On ne saurait trop insister sur cet état juridique très spécial de la châtellenie de Vaucouleurs. Projetée à l’extrémité des pays de la couronne, glissée, en quelque sorte, comme un coin, entre les grands fiefs lorrains, la pointe vers les pays d’Empire, elle avait une mission particulière. Elle était, dans ces régions, l’extrême avancée, l’enfant perdu de l’expansion française.

Domremy, Greux, Vouthon sont situés sur les coteaux qui dominent la Meuse. Ces villages marquent une des étapes du grand chemin que cette rivière fait, du Midi et du Centre, vers les pays du Nord. Entre l’Allemagne et la France, dont la vie limitrophe palpite dans ces régions, tout passe par cet étroit couloir. Les messagers de Bruges, qui portaient les nouvelles des Flandres à Venise ou à Gênes, galopaient sur la vieille voie romaine qui coupe en deux Domremy.

Mais, le dos tourné et deux pas faits, on est « en France. » Gondrecourt, siège de la prévôté, est sur l’Ornain, dont les eaux, par la Marne, vont à Paris ; de telle façon que Paris allonge la main, si l’on peut dire, jusque-là. Les deux versans se séparent dans la sombre forêt des Mureaux qui domine Domremy.

Gondrecourt et Bourlemont, et, entre les deux, Greux, Domremy, le district n’est pas seulement un passage, c’est un croisement et un nœud. Thomas de Quincey dit avec force, c’est un X[63]. Dans les divisions actuelles, le village est encore au point de contact de trois départemens : Vosges, Meuse, Haute-Marne. Situation, de toute façon, prédestinée !

Entre France et Lorraine, entre France et Bourgogne, Domremy a pris parti pour la France. On a plaisanté élégamment les historiens naïfs qui ont affublé Jeanne et ses contemporains d’un « patriotisme rétrospectif... » Comme c’est mal connaître le mouvement de l’histoire et les instincts des masses ! Prétend-on assigner une date à la naissance de l’idée de patrie ? Supposer que le moyen âge, le moyen âge local et provincial ignorait ce sentiment, était incapable d’un tel choix, croire que le mot patrie est une formule tardive, née au grimoire des légistes ou aux proses des humanistes, c’est juste le contraire de ce qui est humain[64]. Si la décision eût appartenu aux gens d’études, ils eussent si longuement pesé le pour et le contre, qu’elle ne serait pas encore prise. Le peuple se prononce parce qu’il n’écoute, en lui-même, que la voix lointaine des expériences passées et ce sens de l’avenir que le contact avec les réalités lui donne. Il se dirige dans l’histoire, comme sur le sol, par des cheminemens sagaces qui ne le trompent pas. Il n’a pas besoin de consulter les cartes pour savoir où va sa route et où l’arrêtent les frontières.

Au temps de Jeanne d’Arc, cette région de Lorraine est continuellement ravagée par les guerres locales : agitation sans but, pouvoir sans responsabilité, ni idéal, ni haute vue, ni perspectives claires, toutes obscurités insupportables à l’esprit français. C’est, en effet, la conception nette d’un avenir bien tracé qui, partout et jusque dans le moindre village, a déterminé les adhésions françaises. En se rattachant à la France, on se rattachait à quelque chose de connu, de puissant, de notoire, on travaillait à une œuvre durable, on était sûr d’un abri. C’est dans un sentiment analogue que les Arabes du Sud, en faisant leur soumission, disent maintenant : « La France est une « grande tente. »

Les raisons qui amenèrent les États de Bretagne à voter, sous François Ier, la réunion de leur pays à la France, celles que Bassompierre alléguait, sous Henri IV, pour décider les Lorrains, sont les mêmes qui, dès le XIVe siècle, faisaient agir les habitans de la modeste châtellenie de Vaucouleurs. Vous les trouverez, dès le XIIe siècle, éparses en tous les pays où naît la France, semences de la nationalité qui lève. De Langres, saint Bernard écrit à Louis VII : « Cette terre est la vôtre... l’évêque sait que tout ici est à vous. » « Souvenez-vous, écrit, trente ans plus tard, l’abbé de Cluny au même Louis VII, que votre royaume ne se compose pas seulement de France, bien qu’il en porte spécialement le nom. La Bourgogne aussi est à vous. Vous ne devez pas moins veiller sur celle-ci que sur celle-là. » Les gens de Toulouse appellent le Roi « leur bon seigneur, leur défenseur et leur libérateur. » Il n’est pas jusqu’à l’évêque d’Elm en Roussillon, qui ne jette vers Paris le même appel ardent : « Quoique vous vous trouviez dans une région bien éloignée, sachez que vous êtes tout près de notre cœur[65]. »

Les gens de Domremy pensaient de même, sentaient de même : avec quelle ardeur ! On sait quelle est, de tout temps, la violence des partialités françaises. Jusqu’aux gamins du village qui se battaient avec ceux du village voisin de Maxey, ceux-ci étant, pour des raisons que la tradition et la géographie expliquent également (Maxey est sur l’autre rive de la Meuse), « Lorrains, » « Bourguignons, » « Anglais ! »

Ces partis pris déclarés ont leur responsabilité et cela, aussi, nos Français l’acceptent.

La châtellenie de Vaucouleurs, Domremy, si calmes et si paisibles sous la main de justice et le sceptre royal, doivent subir, maintenant, leur part du désastre commun. Les derniers de tous, parce que les plus lointains, ils sont frappés à leur tour. Quand la marée de l’invasion eut couvert toute la France du Nord[66] et à l’heure où la vocation de Jeanne d’Arc commence à se décider, la domination ennemie forme un vaste quadrilatère dont les quatre pointes, seules restées françaises, sont, au Nord-Ouest, le Mont Saint-Michel, au Sud-Ouest, Orléans, au Nord-Est Tournay, au Sud-Est Vaucouleurs.

Vaucouleurs avait pour capitaine Robert de Baudri court Celui-ci, soldat brave et astucieux, parvenu de la guerre et un peu du brigandage, était, parmi les chefs militaires de la contrée, le seul qui fût resté fidèle à la royauté. La capitainerie qu’il exerçait à Vaucouleurs lui imposait cette fidélité. Mais cela ne veut pas dire qu’il eût maintenu la paix et le bon ordre dans un pays qui, comme tout le reste de la France, était cruellement déchiré. La guerre générale s’y était accrue d’une foule de guerres particulières où les seigneurs locaux et les chefs de bandes se ruaient les uns sur les autres, en une mêlée inextricable. Les luttes relatives à la succession de Lorraine et de Bar surchargeaient le tout de leurs alternatives capricieuses[67]. Le peuple, comme toujours, pâtissait des querelles des grands. En l’absence de tout pouvoir efficace, il n’y avait plus guère d’autre ressource, pour les gens du plat pays, que de se mettre en la « sauvegarde » des seigneurs ou des partisans qui paraissaient les plus favorables ou les plus puissans.

C’est ainsi qu’on voit l’humble nom du père de Jeanne d’Arc se révéler à l’histoire. Un personnage qui, comme tant d’autres, oscille continuellement entre les deux partis, un très grand seigneur, dont le nom était connu et redouté, des rives de l’Aisne aux rives de la Meuse, Robert de Saarbrück, bâtard de Commercy, seigneur, par sa femme, de Roucy, Braine, Pontarcy, etc., était, au temps de l’adolescence de Jeanne d’Arc, très mêlé aux affaires de Lorraine et du Barrois. Après s’être déclaré, solennellement, en janvier 1423, pour la cause bourguignonne, et s’être engagé envers le duc de Lorraine et de Bar « à ne leur faire ni faire faire guerre ou porter dommage, » il s’était rapproché presque simultanément de la cause française, et les registres de comptes montrent les armées lorraines et barroises très occupées à l’attaquer dans sa place forte de Sampigny (mai 1424)[68]. Tantôt ami, tantôt adversaire déclaré de Robert de Baudricourt, il ne songe qu’à tirer profit de cette position habilement ménagée[69].

Justement, à cette époque, les gens de Domremy, menacés des deux côtés à la fois, avaient besoin d’une « protection ; « on avait des moyens de leur imposer cette conviction. Ils crurent ne pouvoir mieux faire que de s’adresser au redoutable seigneur, et, le 7 octobre 1423, ils signèrent, à Maxey-sur-Meuse, devant le notaire de l’official de Toul, un contrat de « sauvegarde » avec Robert de Saarbrück. Ils s’engagèrent à lui payer tous les ans, à titre de « garde, » un droit de deux gros par feu entier et d’un gros par feu de veuve, le tout formant une redevance globale de deux cent vingt écus d’or. Tous les habitans notables de Greux et de Domremy se portèrent fort les uns pour les autres. Or, parmi ces notables, l’acte mentionne, après le maire et l’échevin de Domremy, « le doyen » Jacques d’Arc : c’est le père de Jeanne.

Quand il fallut payer, les villageois ne purent le faire. Robert de Saarbrück prit des gages. Un débat judiciaire s’ensuivit. Les habitans de Domremy désignent plusieurs de leurs concitoyens chargés d’ester en leur nom et de se rendre auprès du capitaine de Vaucouleurs et des arbitres désignés par lui : c’est le curé Flament, c’est Jacques Morel de Greux et, enfin, Jacques ou Jacquot d’Arc[70]. La sentence arbitrale était encore pendante aux derniers jours de mars 1427.

Donc, un an avant l’époque où sa fille devait se porter, à Vaucouleurs, vers « la chambre du Roi, » vers cette juridiction d’où doit descendre, sur les pauvres manans du pays, la justice et le salut, le père de Jeanne d’Arc s’y était rendu lui-même ; il avait vu ses intérêts, son droit dépendre de ce Robert de Baudricourt, seul tenant de la cause royale dan ? toute la région : c’est à cette cour, c’est à cette « chambre » que lui et le village s’étaient adressés pour être sauvés de la ruine. Il est facile de deviner quels avaient été, pendant cette période de tourmens et de responsabilités, de 1423 à 1428, les entretiens de la veillée, écoutés avec une attention passionnée par l’enfant grandissante dont la vocation se décidait.

Ce Robert de Saarbrück qui avait causé tant d’émotions contradictoires dans le pays et jusque dans la maison de la Pucelle, celle-ci devait le rencontrer, plus d’une fois, au cours de sa rapide carrière. Les volte-face du seigneur brigand firent de lui, pour la cause que servait Jeanne, tantôt un ennemi, tantôt un allié. Après avoir lié son sort à celui du comte de Vaudémont, après s’être rapproché de Robert de Baudricourt, et s’être séparé de lui, il était rentré dans l’obédience de Charles VII, à la suite de René d’Anjou : il assista au sacre de Reims ; dans l’église même, il fut fait chevalier par le Roi, au pied de l’autel où Jeanne tenait son étendard.

Le sire de Commercy avait-il gardé le souvenir de l’humble paysan, garant du contrat de 1423, dont la fille lui valait les honneurs d’une si solennelle journée ?

Quelques jours après, quand Jeanne d’Arc, au comble de ses succès, quitta Reims pour se rendre à Saint-Marcoul de Corbeny, assister à la cérémonie où le Roi guérit les écrouelles, elle passa au pied du formidable château de Roucy qui appartenait à Robert de Saarbrück, au titre de sa femme. Leva-t-elle les yeux vers ces tours massives dont l’ombre planait, en quelque sorte, sur la contrée ?

On dirait que ce nom doit la suivre jusqu’au bout ; car le sire de Commercy est l’allié de ce Jean de Luxembourg, seigneur de Beaurevoir, qui disposa du sort de Jeanne après Compiègne et qui la livra aux Anglais[71].

Commercy, Roucy, Vergy, Proisy, Luxembourg, ces noms des provinces limitrophes reviennent, sans cesse, dans l’histoire de Jeanne d’Arc. La France devait lui paraître un lieu assez resserré où les mêmes familles, les mêmes intérêts se retrouvent toujours dans leurs ramifications et leurs complexités emmêlées.

Mais, en somme, au-dessus de tout cela, pour le peuple foulé par les uns, pillé par les autres, il n’y avait qu’une Majesté, le Roi. C’est à ce recours suprême qu’il fallait en venir pour sauver le pays et pour sauver la foi, comme le père de Jeanne l’avait fait, en implorant la justice du magistrat et comme la mère de Jeanne l’avait fait en priant au sanctuaire de Notre-Dame du Puy.

Pourquoi chercher d’autres influences ou d’autres préparations humaines ? Jeanne n’a qu’à regarder autour d’elle et recueillir ce que les exemples du foyer lui enseignent. Sa mère, son père, ont été, avant l’apparition de l’archange, ses seuls maîtres.

Cependant, Vaucouleurs tenait encore et, si le pays souffrait des guerres particulières, il n’avait pas encore été atteint par la désolation qui ravageait le reste du royaume.

Le coup fut frappé le jour où, par délibération du Grand Conseil, au nom du roi Henri VI, une opération d’ensemble fut ordonnée contre les places qui restaient fidèles à la cause française dans la région de l’Est. Des troupes furent levées, des contributions de guerre imposées sur les provinces limitrophes. Antoine de Vergy, capitaine et gouverneur général des provinces de Champagne et de Brie, eut mandat d’exécuter la volonté royale (août 1427), et il reçut l’aide de l’homme fatidique, Jean de Luxembourg, seigneur de Beaurevoir (janvier 1428).

Bientôt, toutes les places qui subsistaient dans la région de l’Aisne et de la Meuse furent réduites[72]. M. P. Champion explique très exactement la situation des partis quand il dit ; « C’est aux efforts des Bourguignons et des Lorrains coalisés que l’on dut la chute des dernières places françaises. » En effet, sur l’ordre de l’Angleterre, les Français combattaient contre les Français !

La place de Vaucouleurs reste seule, de toute la région, aux mains des partisans du roi de France. Le 22 juin 1428, Henri VI chargeait Antoine de Vergy de lever un corps de mille hommes pour la réduire en son obéissance.

Comment ne pas être frappé des coïncidences ? C’est à la fin de mai 1428, quand cette attente cruelle pèse sur le pays, que Jeanne d’Arc se rend, pour la première fois, à Vaucouleurs, près de Robert de Baudricourt. Elle lui demande « de faire savoir au Dauphin de se bien tenir et de ne pas attaquer ses ennemis puisque son seigneur lui enverrait du secours avant la mi-carême. » Elle est renvoyée brutalement, comme on sait, par le capitaine de Vaucouleurs. Quelques jours après, 23 juin, veille de la Saint-Jean-Baptiste, elle dit à Michel Lebuin de Domremy « qu’il y a entre Coussey et Vaucouleurs (c’est-à-dire à Domremy), une jeune fille qui, avant qu’il soit un an, fera couronner le roi de France. » (Procès, II, 440.)

L’armée anglo-bourguignonne s’avance, en juillet, vers Vaucouleurs et court le pays. Les habitans de Domremy et des villages environnans se trouvaient sans défense et sans protection, puisque Robert de Baudricourt s’était enfermé dans la place. Il est tout naturel d’admettre (quoique la date précise fasse défaut ; qu’à ce moment, saisis de terreur, ils prirent le parti de fuir devant l’ennemi et qu’ils se réfugièrent, en Lorraine, à Neufchâteau, poussant devant eux leurs bestiaux et traînant ce qu’ils pouvaient emporter de leur misérable avoir. Jeanne d’Arc participe à l’exode ; des tribulations intimes s’ajoutaient pour elle aux malheurs publics.

Le séjour à Neufchâteau, où les parens de Jeanne logèrent chez une aubergiste nommé La Rousse et où la jeune fille se confessa deux ou trois fois à des frères prêcheurs, dura quelques jours. Puis, on sut que les soldats avaient quitté le pays. On revint à Domremy. Une partie du village et l’église, voisine de la maison de Jacques d’Arc, avaient été brûlées. Les fugitifs ne trouvèrent que des ruines.

Le retour avait été possible, plus rapidement, peut-être, qu’on ne l’eût pensé, par suite d’une circonstance heureuse : Vaucouleurs ne fut pas prise. Un traité fut passé, probablement vers août 1428, entre le seigneur de Vaudémont et Robert de Baudricourt. Selon un usage très répandu à cette époque, ce fut une « composition pour la délivrance, » autrement dit une capitulation suspensive. On connaît l’existence de ce traité, si l’acte lui-même n’a pas été retrouvé jusqu’ici : Siméon Luce, dont l’abondante information est si souvent accompagnée de conjectures téméraires, a pensé que Robert de Baudricourt avait subordonné le sort de Vaucouleurs à celui de la place d’Orléans. Les dates sont contraires à cette hypothèse. Ce fut en octobre ou en novembre, au plus tôt, que la nouvelle du siège mis devant Orléans put arriver à Vaucouleurs[73].

L’impression causée par cette nouvelle n’en fut pas moins profonde. De près et de loin, en Lorraine et sur la Loire, à Vaucouleurs et à Orléans, le péril était imminent ; le sort des deux contrées était analogue et le danger commun. Un effort sur ces deux places était décisif pour achever la conquête de tous les pays au nord de la Loire. Les Anglais et les Bourguignons l’avaient bien compris puisqu’ils employaient simultanément toutes leurs ressources disponibles et leurs meilleurs chefs : Talbot, Suffolk, Scales, d’un côté, Vergy et Luxembourg, de l’autre, à ces deux campagnes simultanées et, en quelque sorte, parallèles.

Au même moment, l’héritier présomptif du duché de Lorraine, René d’Anjou, duc de Bar, cédant à la pression de son beau-frère, Charles II, et de son grand-oncle, le cardinal de Bar, se laisse entraîner à prêter serment de foi et hommage pour ses terres relevant de la couronne de France au roi Henri VI (avril 1429). Tout manquait à la fois !

C’est dans ces circonstances émouvantes que Jeanne se décide.

Sa première démarche avait coïncidé avec l’annonce répandue que Vaucouleurs allait être attaquée ; elle précède la capitulation de Vaucouleurs. Jeanne, renvoyée rudement, comme on le sait, par Robert de Baudricourt, revient à la charge au début de l’année 1429 : c’est quelque temps après la capitulation suspensive. Orléans est assiégée depuis plusieurs mois. Les hostilités vont reprendre avec le printemps. Cette fois, Robert de Baudricourt, se sentant, comme le royaume lui-même, à bout d’espérance, consent à la laisser partir, non sans l’avoir gardée assez longtemps pour prendre sans doute les ordres de la Cour.

Sur l’avis de son parent Lassois qui, pour faciliter le départ de Domremy, l’avait amenée chez lui à Buxey, elle quitte sa cotte rouge, ses pauvres vêtemens de paysanne et revêt un habit d’homme. Baudricourt lui donne un cheval et une épée. Elle part, le 23 février 1429, pour Chinon, bien accompagnée.

Sa mission ayant cette origine, son propre témoignage doit être rappelé textuellement : « Interrogée, elle reconnaît ensuite que la voix lui disait deux ou trois fois par semaine qu’il fallait qu’elle, Jeanne, partît et vînt en France. Son père ne sut rien de son départ. La voix répétait qu’elle vînt en France ; elle ne pouvait plus tarder où elle était : la voix disait qu’elle ferait lever le siège d’Orléans[74]. La voix disait qu’elle allât à la cité de Vaucouleurs, vers Robert de Baudricourt, capitaine de cette ville, et qu’il lui donnerait des hommes pour l’accompagner. Elle répondait qu’elle était une pauvre fille qui ne savait ni monter à cheval ni faire la guerre. Elle partit chez son oncle, lui disant qu’elle voulait rester quelque temps chez lui ; elle y demeura environ huit jours ; elle dit, enfin, à son oncle, qu’elle voulait aller à Vaucouleurs et son oncle l’y conduisit.

« Arrivée à Vaucouleurs, elle reconnut Robert de Baudricourt, quoiqu’elle ne l’eût jamais vu : ce fut la voix qui le lui fit reconnaître ; car la voix lui dit qui il était. S’adressant à Robert de Baudricourt, elle lui dit qu’il fallait qu’elle vînt en France. Robert, deux fois, le lui refusa et la repoussa ; mais, la troisième fois, il consentit et lui donna des hommes, et la voix avait dit qu’il en serait ainsi. » Le duc de Lorraine ayant voulu voir Jeanne, elle se rendit auprès de lui. De retour à Vaucouleurs, habillée en costume masculin, portant une épée que lui avait donnée Robert de Baudricourt et nulles autres armes, accompagnée d’un chevalier, d’un écuyer et de quatre servans, elle partit et elle alla coucher à Saint-Urbain. (Procès, I, 53-54.)

Agée de dix-sept à dix-huit ans, belle fille, grande et forte, le cou rond, la gorge pleine, le visage riant, les cheveux noirs, parlant peu, mais aisément, la voix douce et très féminine, sobre, chaste, pieuse, toujours gaie, toujours vive, décidée et prompte, sans hésitation et sans peur, mais mesurée et prudente, hardie et contenue, exerçant, sur les hommes, cette prise des âmes supérieures, l’ascendant, telle était la fille extraordinaire, « la bergerette, » pour employer sa propre expression, qui partait de son village pour sauver le royaume de France.

Elle allait, pleine de confiance et d’entrain, car elle ne faisait qu’obéir à « la voix. »


GABRIEL HANOTAUX.

  1. Il est impossible de citer, ici, la multitude des publications récentes consacrées à Jeanne d’Arc et dont les plus importantes seront mentionnées au cours de ces études. Depuis que les ouvrages « classiques, » en quelque sorte, ont paru, depuis les beaux travaux de Quicherat, de Vallet de Viriville, de Michelet, d’Henri Martin, de Wallon, l’histoire de Jeanne d’Arc a été renouvelée surtout par les recherches de MM. de Beaucourt, de Coville, Tuetey, Siméon Luce. Marins Sepet, et, tout récemment, par les travaux de M.M. G. Lefèvre-Pontalis, Pierre Champion, le comte Durrieu, l’abbé Misset, le comte de Pange. Mais il faut citer, au premier rang, les publications du P. Denifle et de M. Châtelain, celles de M. Noël Valois et l’élégant récit de M. Petit-Dutaillis dans l’Histoire de France, publiée sous la direction de M. Lavisse.
  2. La Revue des Deux Mondes du 15 avril 1909 a consacré un article de M. T. de Wyzewa au compte rendu du livre de M. A. Lang, The Maid of France. M. A. Lang est tout à fait un traditionaliste sur la question Jeanne d’Arc ; il est, je crois, Écossais.
  3. Chronique, III, pp. 54, 60, 233, etc.
  4. Le P. Ayrolles, La vraie Jeanne d’Arc, t. III, p. 577.
  5. Le 16 août 1426, un messager vint de Bruges à Venise, en treize jours ; il est vrai qu’on signale ce voyage comme accompli très rapidement : molto prestamento. Chronique Morosini, II, p. 185.
  6. Nouveau témoignage relatif à la mission de Jeanne d’Arc, public par L. Delisle, Champion, 1885, in-8.
  7. Le livre de M. A. Lang, d’ailleurs exact et distingué, n’a rien d’original au point de vue de la documentation. Il y a un petit volume de M. Rabbe, Jeanne d’Arc en Angleterre, consacré surtout à exposer l’attitude des historiens anglais et de la littérature anglaise à l’égard de Jeanne d’Arc. En dehors de l’incomparable recueil de Rymer, la plus précieuse publication est celle de M. Joseph Stephenson Letters and Papers illustrative of the wars of the English in France during the reign of Henry the sixth ; mais elle date déjà de 1864. — Je mentionnerai encore le livre de Delpit, Collection de Documens français qui se trouvent en Angleterre, 1847, in-4o ; et Mirot et Deprez, les Ambassades anglaises pendant la guerre de Cent ans (1327-1400). Catalogue analytique dans Bibliothèque de l’École des Chartes, LXI, p. 40 et sq. (trois articles).
  8. Il existe une étude distinguée de M. Sarrazin, Pierre Cauchon, juge de Jeanne d’Arc, Champion, 1901.
  9. Le concours des portes du Baptistère de Florence, 1403 ; — la voûte du Dôme, 1423-1436 ; — Masaccio, 1401-1428.
  10. Voyez les textes et les documens réunis dans Perdrizet, la Vierge de la Miséricorde, étude d’un thème iconographique, 1908, in-8.
  11. Les questions relatives à l’inspiration divine, à la « vocation » de Jeanne d’Arc, seront groupées et étudiées dans le chapitre suivant : la Mission.
  12. La mère de Jeanne d’Arc s’appelait-elle, de son nom de famille, Romée ? M. Lanery d’Arc le met en doute, et pense que c’était un surnom dû au fait qu’elle s’était rendue en personne à un pèlerinage et il cite un document emprunté à M. de Ribbe, constatant que, dans un acte notarié de 1432, un nommé Duranti est surnommé Romieu, « parce qu’il avait été au grand jubilé du Puy-en-Velay en 1429, » ce qui est le cas, comme on va le voir, de la mère de Jeanne d’Arc. (Lanery d’Arc : Le culte de Jeanne d’Arc au XVe siècle, p. 14.) — Si elle portait ce surnom avant le pèlerinage du Puy, l’hypothèse d’un pèlerinage antérieur à Rome est plausible et aurait une importance capitale. Mais nous en sommes, jusqu’à nouvel ordre, réduits aux hypothèses. Observez qu’un neveu d’Elizabeth serait appelé « Nicolas Rommée, dit de Vouthon, » d’après un texte cité par Du Lys (Procès, t. V, p. 252), mais ce document inspire peu de confiance. — Un passage de Dante, dans la Vita nuova, fait une distinction précise entre les diverses catégories de pèlerins. « Chiamansi Palmiri inquanto vanno oltramare ; chiamansi Peregrini inquanto vanno alla Caza di Galicia ; chiamansi Romei inquanto vanno a Roma. »
  13. De Pange, le Pays de Jeanne d’Arc, et surtout l’ouvrage de l’abbé Misset : Jeanne d’Arc champenoise.
  14. On signale trois prêtres portant le nom de la famille paternelle de Jeanne, Simon d’Arc, chapelain de Notre-Dame au château royal de Chaumont, Pierre d’Arc, chanoine de Troyes, Michel d’Arc qui était, en 1404, curé à Bar-sur-Seine. Chapoy, Les Compagnons de Jeanne d’Arc, p. 81.
  15. Sur tous ces points, voir la déposition de son compagnon de route, Bertrand de Poulengy. Procès, II, 456.
  16. Voyez le marquis de Pimodan. la Première étape de Jeanne d’Arc, Champion, in-8. — Sur la date du départ de Vaucouleurs et sur la date de l’arrivée à Chinon, il y a débat. Voyez le Mémoire de M. de Boismarmin sur l’Arrivée de Jeanne d’Arc à Chinon, dans le Bulletin du Comité des traditions historiques et scientifiques, 1890, p. 350-339, qui opine pour l’arrivée à Chinon, le 23 février. Mais la date du 6 mars, après onze jours de voyage, est généralement admise. V. Morosini, III, p. 45, note de M. Lefèvre-Pontalis.
  17. Les Ermites de Saint-Augustin étaient un des quatre ordres mendians, avec les Dominicains, les Franciscains et les Carmes. PP. Belon et Balme, Bréhal (p. 13).— Pasquerel était donc un frère mendiant, et ceci a une très grande importance.
  18. Une lecture erronée de Quicherat, corrigée, d’ailleurs, par Vallet de Viriville, avait, d’abord, laissé dans l’ombre ce fait considérable. Depuis, certains historiens ont affecté de n’y attacher qu’une médiocre importance, mais l’étude attentive des circonstances ambiantes permet de le considérer comme un de ceux qui éclairent le plus fortement l’histoire de Jeanne d’Arc. Il ne s’agit pas de suivre Siméon Luce dans ses développemens trop souvent téméraires, mais de projeter, une fois pour toutes, sur la psychologie de Jeanne et des siens, un trait de lumière singulièrement expressif.
  19. Jeanne, dans son interrogatoire au procès, fait, certainement, une distinction entre l’attitude de son père et celle de sa mère à l’égard de « son parlement »... « et, par espécial, doublait moult son père, qu’il ne la empeschât de son véage faire... » Elle a ouy dire à sa mère que son père disait à ses frères : Si je cuidoye que la chose advensist, je vouldroye que la noyessiez ; et se vous ne le faisiés je la noieroi moy mesmes. » Procès (t. I, p. 129-132).
  20. Etienne Medicis, le Livre de Podio ou Chronique d’Etienne Medicis, édition Chassaing, 1869, in-4 (t. I, p. 135). — Pour tout ce qui concerne le Puy, à l’époque de Jeanne d’Arc, consulter Bibliographie du Velay et de la Haute-Loire, par L. Pascal, t. I.
  21. L’imploration de ce siècle, c’est toujours la réconciliation, la miséricorde, tant cette ère de querelles et de discordes était devenue intolérable à tous. Morosini attribue, à la venue de la Pucelle, ce résultat de réconcilier pacifiquement les Français, les Anglais, les Bourguignons, etc. Voyez Chronique de Morosini (t. III, p. 65).
  22. M. Camille Jullian, parlant de l’ancienne Gaule, retrouve, dans les mêmes régions, les mêmes élans et ces mêmes mouvemens des foules : « La vallée de la Loire nous offre les souvenirs les plus anciens et les traditions les plus fortes du monde gaulois... Des États de la Loire dépendent les lieux de grand pèlerinage, ces assemblées de prêtres et de dévots, ces groupemens de foules venues de partout pour se courber sous l’espérance ou la crainte, toutes ces panégyries spontanées qui sont la revanche de l’humanité en désir d’union sur les morcellemens misérables des sociétés politiques. Cette contrée qui présentait l’équivalent celtique de Delphes ou de Saint-Jacques, de la Mecque ou de Lourdes, était bien le « milieu » moral de toute la Gaule. » Histoire de la Gaule, II, p. 531.
  23. Le livre de Podio, (p 192).
  24. Gallia Christiana (t. II, p. 732). — Vallet de Viriville, Charles VII (I, p. 253).
  25. C’est le Salve Regina que chantent les âmes du Purgatoire :
    Salve Regina in sul verde e in su fiori
    Quindi seder cantando anime vidi...
    Purgal., VII, V. 82.
  26. Pascal, Bibliographie du Vêlai (t. I, p. 7). Gallia Christiana (t. II, 734). — Les Bollandistes sont contraires à cette opinion. Voyez Perdrizet, loc. cit., (p. 91).
  27. Voyez Montezun, l’Eglise Angélique ou Histoire de Notre-Dame du Puy-en-Velay, Clermont-Ferrand, 1854.
  28. Cette coïncidence s’est présentée, cette année même, 1910. On m’assure que le chiffre des pèlerins, au Puy, atteignit peut-être cent mille.
  29. Voyez Perdrizet, la Vierge de la Miséricorde (p. 156).
  30. S’il en était ainsi, la date du tableau serait postérieure à 1430 ; cf. Médicis, Liber de Podio (p. 246).
  31. Médicis (p. 234).
  32. Henry Thode, Saint François d’Assise (I, p. 14).
  33. Thode, loc. cit. (I, p. 67).
  34. Mâle, Revue des Deux Mondes, 1er octobre 1903.
  35. Mgr Bougaud, Histoire de sainte Chantal (I, 519).
  36. Lettre du patriarche de Constantinople à Charles V, dans Valois, le Grand Schisme (t. I, p. 312).
  37. Ibid, (t. I, p. 271). Cette prophétie est appliquée, par les vers fameux de Christine de Pisan, à l’apparition de Jeanne d’Arc :
    Car un roi de France doit être
    Charles, fils de Charles nommé ;
    Lui sur tous rois sera grand maître ;
    Prophéties l’ont surnommé
    Le cerf-volant ; et consomé
    Sera par lui conquéreur
    Maint fait : Dieu l’a à ce somé (désigné)
    Et enfin doit être empereur.
    ( Procès, V, p. 8.)
    — Le caractère mystique de la royauté de saint Louis est admirablement exprimé dans le préambule de l’Ordonnance de Charles V, sur la majorité des Rois : « Par-dessus tout, demeure gravé en notre cœur, en caractères indélébiles, le souvenir du gouvernement de notre saint aïeul, prédécesseur, patron et spécial défenseur, le bienheureux Louis, fleur, honneur, bannière et miroir non seulement de notre race royale, mais de tous les Français ; de cet homme que n’a touché, grâce à la faveur divine, la contagion d’aucun péché mortel. Sa vie doit être notre enseignement... » Cité dans Coville, Histoire de France de Lavisse (t. IV, p. 185). — Même les adversaires reconnaissent cette splendeur morale de la couronne de France. Chastellain, qui est « Bourguignon, « exalte, au-dessus de toutes les autres nations, « la France là où, naturellement, doit être le trône des gloires et honneurs mondains. » (Ibid., t. V, p. 43.)
  38. « Parmi France, dit l’auteur des Trahisons de France, violent pamphlet bourguignon, parmi France, dès qu’elle parut, l’appelaient les folles et simples gens Angélique... » — Voyez le texte des comptes de la ville de Clermont « le papier du Chien » dans Wallon, Jeanne d’Arc, édit. illustrée (p. 191).
  39. Vallet de Viriville (II p 65).
  40. Déposition du duc. d’Alençon. Procès (III, 91). Voyez aussi, IV, 140, 486, etc. — L. Delisle, Nouveau témoignage relatif à la mission de Jeanne d’Arc.
  41. Sur le « règne » de la Vierge à Sienne, Sena velus, civitas Virginis, voyez Langton Douglas, A History of Siena, Londres, 1907, in-8. — Cf. Teodor de Wyzewa, L’Ame siennoise dans les Maîtres italiens d’autrefois (p. 1 et suiv.).
  42. Voyez, dans les Lettres de sainte Catherine de Sienne, les diatribes fréquentes contre les légats des papes d’Avignon en Italie.
  43. P. Durrieu, Le royaume d’Adria (taillé dans les États du Pape sur les côtes de l’Adriatique), 1880, in-8. — Cf. N. Valois, la France et le grand schisme d’Occident, I, p. 167, etc.
  44. Voyez le livre du comte Durrieu, les Gascons en Italie, Auch, 1883.
  45. L’effet de cette « invasion » fut considérable, sans compter les avantages auxquels la pénurie péninsulaire ne fut pas insensible : « Il y a plus d’or, disait-on, en cette seule armée qu’en toute la ville de Milan ; et c’est une raison, ajoutait Bernabo, pour que les Italiens aient grand intérêt à s’assurer la bienveillance du prince. Ses gens se comportent avec une telle humanité qu’on dirait des compatriotes. » Cet épisode, un peu trop négligé, des relations entre les deux pays a été mis en pleine lumière par mon distingué confrère, M. Valois, dans son ouvrage si remarquable sur le Grand Schisme, t. II, voyez notamment, p. 42 et suiv.
  46. La prédication de saint Bernardin de Sienne était, dès lors, très connue et très populaire en France, comme l’avait été celle de saint Vincent Ferrier. Le fameux frère Richard qui fut, un instant, le compagnon de Jeanne d’Arc, se vantait d’être le disciple du « Santo » et lançait, d’après lui, des prophéties qu’on appliqua, après coup, à la Pucelle. Il dit, le 26 avril 1429, que « l’an qui seroit après, c’est-à-dire l’an XXXe, on verroit les plus grandes merveilles qu’on eust oncques veues et que son maître, frère Vincent (saint Vincent Ferrier, mort en 1419), le témoigne selon l’Apocalypse, l’Écriture et Monseigneur saint Paul ; et aussi le témoigne frère Bernart (saint Bernardin de Sienne) un des bons prescheux du monde. » Journal d’un bourgeois de Paris, cité par Lefèvre-Pontalis dans Chronique, III, 39.
  47. Voyez plus loin le chapitre de la Condamnation.
  48. On retrouve ce sentiment sur l’action directe de la divinité et, souvent, des expressions identiques dans la bouche ou sous la plume de sainte Catherine de Sienne, dont le rôle, dans l’Église, a tant d’analogie avec celui de Jeanne d’Arc dans le siècle : « Ils ne veulent pas m’écouter, disait-elle ; mais, qu’ils le veuillent ou qu’ils ne le veuillent pas, ils écouteront Dieu. » Et encore : « Je suis incapable de la moindre des choses ; mais je laisserai Dieu agir et j’inclinerai la tête selon que le Saint-Esprit le commandera ; car je mettrai toujours la volonté de Dieu avant celle des hommes… » Lettres, publiés par Cartier (I, 23, 25).
  49. Morosini (t. III, p. 65 et aussi p. 92).
  50. Procès, III, p. 14. Le rôle des frères mendians et errans, à quelque ordre qu’ils appartinssent, dans la lutte contre l’Angleterre, a été quelque peu systématisé par M. Siméon Luce : il ne faut pas oublier que des moines de tous les ordres populaires ont figuré au procès soit comme juges, soit comme assesseurs. Mais, en général, le courant est « français, » surtout dans les régions du Centre et du Sud. Rien n’est plus significatif que la présence, fréquemment signalée de moines et de religieux dans les conjurations anti-anglaises, à Troyes (voyez Siméon Luce, p. 345) ; à Paris, à Melun, etc. — M. G. Lefèvre-Pontalis a pu préciser les détails de l’entente patriotique qui eut lieu, en 1424, entre Odette de Champdivers, la douce maîtresse de Charles VI, retirée à Saint-Jean-de-Losne, et le cordelier Étienne Charlot, natif du Donjon en Bourbonnais pour avertir Charles VII de certaines tentatives faites à Rouen ou de certaines surprises qui menaçaient les places restées fidèles. Il n’est pas impossible que Colette de Corbie, la célèbre réformatrice de l’ordre de Saint-François, ait été mêlée à l’affaire. Bibliothèque de l’École des Chartes, janvier-février 1896 (p. 30-34). — Il est à remarquer encore que la propagande de la « légende » de Jeanne d’Arc, parmi les contemporains, est due surtout aux moines. C’est un Augustin qui écrit une des premières légendes de Jeanne d’Arc en Italie. Voyez Lefèvre-Pontalis dans Sources allemandes (p. 144). — Voyez aussi l’étude de M. de Puymaigre dans la Revue des Questions historiques, janvier, juin 1889, 563-74. — II est inutile de rappeler que l’Université de Paris, qui porte la véritable responsabilité de la condamnation de Jeanne d’Arc, était hostile aux moines mendians. Voyez Jean Bréhal et la Réhabilitation de Jeanne d’Arc, par les R. P. Belon et Balme (p. 13). Ces questions seront examinées à leur place, ci-après, dans la quatrième étude sur la Condamnation.
  51. Lettres. Ed. Cartier ; lettre XCVI au prêtre André de Vitrino.
  52. Il suffit de renvoyer aux deux volumes de M. Méray, la Vie au temps des frères prêcheurs, 1878, in-8.
  53. Nicolas de Bologne, cité dans Grassaille : Regalia Franciæ, in princ.
  54. De Pange, Patriotisme français en Lorraine (p. 9), — Buchon, Chastelain, notice (p. LIX).
  55. V. Boucher de Molandon, Jacques d’Arc, père de la Pucelle. Orléans, 1885.
  56. Sur l’origine du père de Jeanne d’Arc, comme se rattachant à Ceffonds, nous n’avons d’autres renseignemens que les allégations souvent suspectes de Charles du Lys. Il invoque des documens provenant de Saint-Dizier qui n’ont pas été retrouvés jusqu’ici. — Voyez, d’autre part, la critique de M. le comte de Pange dans le Pays de Jeanne d’Arc, 1903 (p. 36).
  57. Sur les sentimens de la province de Champagne, voyez les preuves et observations, un peu sévères peut-être, de M. le comte de Pange, le Pays de Jeanne d’Arc (p. 20 et suiv.). — Jean Jouvenel des Ursins, évêque de Beauvais, reconnaît, en 1433, qu’on avait accepté même la domination anglaise, pour obtenir la paix : « Combien que, de présent, les choses soient aucunement amendées par la venue des Anglais, etc. » Epistre faite par Jehan (Juuénal des Ursins] aux États de Blois, dans Denifle, loc. cit. (p. 499).
  58. Le P. Denifle, la Désolation des églises, monastères et hôpitaux pendant la Guerre de Cent ans (t. I, p. 360).
  59. Ibid. (p. 535). — Sur la dépopulation de la France et les exodes en masse à cette époque, voyez encore, p. 336 et n° 1034.
  60. P. Ayrolles, La vraie Jeanne d’Arc, la Paysanne, p. 60.
  61. Jeanne d’Arc dit à Jean de Novellompont : « Je suis venue cy, à chambre du Roi, parler à Robert de Baudricourt pour qu’il me fasse conduire au Roi ; » et l’annotateur ajoute excellemment : « Je suis venue cy à chambre du Roi, » c’est-à-dire dans une ville royale, dépendant du Roi, sans moyen. Procès (IV, p. 436). — On va voir d’où cette pensée et cette formule étaient venues à Jeanne d’Arc et comment elles s’appliquaient à Domremy et Greux, ainsi qu’à Vaucouleurs.
  62. Cf. Perceval de Cagny, Procès, IV, 3. — De Fange (loc. cit., p. 8) donne peut-être une importance exagérée au fait que Perceval de Boulainvilliers indique le bailliage de Bassigny. Les mots infra et in finibus Franciæ indiquent que Domremy est à l’intérieur du royaume et cette appréciation est confirmée par les mots qui trancheraient la question, à défaut des autres preuves : Quæ juxta Lotharingiam... nascitur progenita (Procès, V, 117).
  63. Thomas de Quincey, Jeanne d’Arc. Introduction par le général Gérard de Contades. Champion, 1909 (p. 91).
  64. Même au point de vue historique, le caractère « national » s’affirme incontestablement, dès cette époque. M. Pirenne écrit à propos de la Bourgogne : « Dès la fin du XIVe siècle, la notion de la souveraineté territoriale se dégage et se précise. Partout où le prince détient la haute justice, il prétend posséder aussi la terre, et partout où le fief relève de lui, il réclame en même temps la justice... Les sujets considèrent maintenant le territoire comme leur appartenant en commun avec leur seigneur, et, partout, ils se sentent directement intéressés à en maintenir l’intégrité et l’indépendance ; ils se rendent compte qu’il constitue la garantie de leur autonomie politique et la sauvegarde suprême de leurs intérêts. » Ces réflexions s’appliquent exactement au cas des justiciables de la chambre du Roi à Vaucouleurs. Histoire de la Belgique (t. II, p. 136-138).
  65. Voyez Luchaire, Institutions capétiennes (t. II, p. 272-283).
  66. Voyez A. Longnon, les Limites de la France et l’étendue de la domination anglaise à l’époque de la mission de Jeanne d’Arc. Palmé, 1875, in-8.
  67. Sur l’état de conflit perpétuel où se trouve alors cette région de la France, voyez tout le chapitre II de l’ouvrage de M. Lecoy de la Marche, le Roi René, notamment, t. I, p. 62.
  68. S. Luce, p. 108. — Voir le document reproduit par le P. Ayrolles, la Vraie Jeanne d’Arc, la Paysanne (p. 495).
  69. J’ai entre les mains un document original et inédit, malheureusement non daté, par lequel Robert de Saarbrück, s’adressant aux échevins de Metz, proteste contre les faux bruits que fait courir sur son compte Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, et prie ses amis de l’aider à les détruire en toute occasion. Évidemment l’hostilité est des plus vives alors entre les deux sires.
  70. La pièce, signalée par M. J. Chapellier, est publiée par M. Siméon Luce Pièces justificatives additionnelles (p. 359).
  71. Biographie universelle ; voyez aussi De Pange, le Pays de Jeanne d’Arc, p. 32. — Tout de suite après le traité de Troyes qui en 1420), (Jeanne avait dix ans), Luxembourg et Beauchamp-Warwick avaient attaqué Gondrecourt. Ce sont les premiers noms ennemis qu’elle entendit prononcer. Ces chefs, elle devait les retrouver à Rouen. — On a signalé aussi le rôle joué par le duc Louis d’Orléans dans les affaires de Lorraine à l’encontre du duc Charles, hostile à la cause française ; ce qui expliquerait l’attachement tout particulier que montra Jeanne d’Arc pour ce nom d’Orléans et pour le duc Charles, prisonnier en Angleterre.
  72. L’entreprise, dans son ensemble, est clairement exposée par M. Pierre Champion dans son livre : Guillaume de Flavy (p. 16-19).
  73. Certains écrivains, soucieux d’écarter toute cause « humaine » de l’inspiration de Jeanne d’Arc, nient qu’il y ait eu un siège de Vaucouleurs vers 1428. Or, s’il y a un fait patent, c’est celui de la coïncidence entre les événemens de juin-décembre 1428 et les premières démarches de Jeanne d’Arc. Nous sommes ici, au cœur du débat ; c’est pourquoi il y a lieu d’insister. On ne peut nier les mouvemens de troupes qui furent ordonnés pour s’emparer des places de la Meuse, et nommément de Vaucouleurs, à partir d’août 1427 ; on ne peut nier que toutes celles qui furent désignées dans le mandement de Henri VI furent prises. (Pour le détail relatif à chacune de ces places, voyez Pierre Champion, loc. cit., p. 16 et suiv.) ; on ne peut nier qu’il y ait eu dessein arrêté et mesures prises, spécialement pour le siège de Vaucouleurs. Le fait de la « composition, » ou capitulation suspensive étant également établi par les documens authentiques, il faut bien admettre qu’il s’est produit un événement donnant lieu à cette « composition » et ce ne peut être qu’un siège ou, au moins, une démonstration contre la ville, — ce qui explique le séjour d’ailleurs assez court des soldats ennemis dans la région. Cette trame de faits est, pour ainsi dire, indestructible : il n’y a plus d’histoire, si de telles preuves ne suffisent pas. Or, le premier mouvement de Jeanne d’Arc coïncide avec le bruit des préparatifs de la campagne ; l’angoisse intime qui l’émeut et la décide est exactement contemporaine de celle qui épouvante la contrée. La Pucelle fixe, dès lors, la date de la mi-carême de l’année suivante comme l’époque où un « secours » sera envoyé au Dauphin. Et cette date ne parait pouvoir répondre, dans sa pensée, qu’à celle qui a été assignée pour le solennel jubilé du Puy. Tout s’enchaine et aucun raisonnement ne peut détruire cette liaison si claire des événemens.
  74. Il y a ici une certaine incertitude dans la rédaction du greffier ; car Orléans n’était pas assiégée quand la voix conseilla, pour la première fois, à Jeanne d’aller en France.