Journal (Eugène Delacroix)/22 avril 1854

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 335-336).

22 avril. — Mauvaise disposition toute la matinée, occasionnée par un mauvais cigare. Mauvaise besogne, par conséquent ; arrangé ou gâté la Clorinde ; c’est celui-là maintenant qui est en reste. Il faudrait, par un effort héroïque, le remettre à flot.

Sorti vers deux heures et demie avec ma bonne Jenny. Nous avons pris l’allée de l’Ermitage, tout du long ; nous avons rencontré un troupeau de moutons qui m’a intéressé. Quelle sympathie j’éprouve pour les animaux ! Que ces créatures innocentes me touchent ! Quelle variété la nature a mise dans leurs instincts, dans leurs formes que j’étudie sans cesse, et à quel point elle a permis que l’homme devînt le tyran de toute cette création d’êtres animés et vivant de la même vie physique que lui ! Pendant que ces pauvres animaux étaient occupés à paître, la tête collée à la terre, un rustre insouciant les gardait assez indolemment, en attendant que le boucher les reçoive de lui et s’en empare. Un jeune chien tenu en laisse se tenait près du berger et suivait des yeux un autre chien, son frère, plus expérimenté et occupé sans relâche à réunir le troupeau. Il faisait son éducation, toujours au profit de l’homme et de ses besoins. Au bout de l’allée, un paysan tirait brutalement par leur licou deux pauvres chevaux traînant la herse, et la leur faisait promener en tous sens dans une terre desséchée et à travers les sillons ; ces deux bêtes semblaient plus attentives à s’occuper de leur tâche que l’animal en sarrau, lequel ne leur réservait sans doute pour récompense que des coups de fouet.

Le soir, je suis sorti vers la fontaine et j’ai retrouvé Jenny sur la route. Nous avons été jusque chez les Vandeuil, à l’entrée de Soisy.