Journal d’une Station dans les mers de l’Inde au moment de la révolution de février

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JOURNAL D’UNE STATION


DANS


LES MERS DE L’INDE


AU MOMENT DE LA RÉVOLUTION DE FÉVRIER.




I

Le 20 mars 1848, notre ancre tombait au mouillage de Saint-Denis, île Bourbon. La fin de l’hivernage approchait ; mais il nous restait à subir le décours de la lune de mars, si redoutée des habitans par la fréquence de ses ouragans. À cette époque de l’année, une préoccupation domine toute autre pensée : l’ouragan ! Comme le sombre dieu des druides, il plane dans les imaginations, et remplit les ames de vagues terreurs ; c’est le sujet de tous les entretiens. Quelques jours avant notre arrivée, l’île avait été ravagée par un de ces tourbillons ; la trace en était visible dans de longues traînées de débris : les arbres déracinés, le maïs foulé dans les champs et comme réduit en fumier, les cannes à sucre brisées et couchées par terre, semaient la surface du sol de nombreuses scènes de désolation. La verdure des forêts était flétrie ; de larges sillons jaunis marquaient au flanc des monts l’empreinte des pas de la tempête. L’île entière semblait s’envelopper d’un voile ; d’épais nuages, amoncelés en pyramides, nous en dérobaient les hautes cimes, et la brume descendait, comme un long manteau, jusque sur ses tristes plages de galets noirs, où la mer en mugissant déroulait ses nappes d’écume étincelante. Entre la terre et les navires au mouillage, il se fait un continuel échange de signaux : phrases laconiques et le plus souvent alarmantes. Trois fois par jour, le port signale la hauteur du baromètre ; un simple pavillon bleu veut dire que la mer est trop grosse au rivage, et que toute communication avec la terre est interdite ; un nouveau signe enjoint aux navires de se tenir prêts à appareiller ; un autre, enfin, de fuir au plus vite, que l’ouragan menace Pendant la nuit, ces ordres sont exprimés par des feu et des coups de canon ; dont sinistres retentissemens, renvoyés par les échos de la montagne, semblent des explosions de la foudre. Ces ouragans n’éclatent guère qu’une fois, deux fois au plus par hivernage ; des années entières s’écoulent, souvent plusieurs de suite, sans qu’on ait à déplorer leur fureur destructive ; peut-être même n’égalent-ils ni en violence, ni en durée, les tempêtes qui ravagent nos côtes de Normandie et de Bretagne à l’époque des équinoxes ou du solstice d’hiver ; cependant telle est la terreur qu’ils inspirent, qu’on dirait une menace perpétuellement suspendue sur l’île. Encore si quelque symptôme certain, si quelque indice assuré annonçait leur approche ! Mais l’expérience n’enseigne rien de précis à cet égard, et l’on croit voir l’ouragan partout : les calmes, les petits temps précèdent, dit-on, la tourmente ; l’air est ardent avant l’explosion de l’orage ; n’est-ce pas précisément ce que nous éprouvons ? L’atmosphère est chaude, moite ; sans élasticité, signe précurseur de l’ouragan ! la brise est molle, souvent folle ou calme, signe d’ouragan ! le ciel est épais, incertain, parfois chargé d’une pluie chaude, signe d’ouragan ! Et, sous l’action de tant de mystérieuses alarmes, l’imagination dresse le tableau de tous les sinistres qui ont désolé ces mers. La mémoire des habitans est impitoyable, ils concentrent en un seul point les désastres de tout un siècle ; ils refont le naufrage du Saint-Géran, qui arrachera d’éternelles larmes à l’enfance sur les malheurs de Virginie ; puis, c’est l’histoire de ces deux frégates appareillant ensemble de Bourbon pour se rendre à l’Ile de France : l’une n’arrive que démâtée, brisée, désemparée, dans un état à faire pitié, et l’autre, la poésie seule des tempêtes peut en redire la déplorable fin !

Enfin, dans la bordée du large, vers Madagascar, se déroule le drame terrible de la corvette le Berceau, du Berceau, que nous venions remplacer, et dont le nom seul réveillait dans nos esprits les sourds grondemens de l’abîme. Ainsi chaque vague semble avoir englouti un navire ! Toute cette mer se déroule comme un vaste champ de mort qui, à terre, serait hérissé de croix funèbres, mais dont la lugubre impression ne frappe l’ame qu’aux récits des vieux habitans du rivage, ou dans les veillées des marins qui le parcourent. Autrefois, quand un navire était surpris par l’ouragan, il fuyait au hasard ; son capitaine éperdu n’avait aucune règle qui lui indiquât la voie à suivre pour échapper au danger ; jusqu’alors la science, muette devant ces redoutables tourmentes, n’avait osé ni les interroger, ni chercher leur raison d’être, soit pour lutter avec elles corps à corps, soit pour se soustraire à leur rage. Aujourd’hui, nous croyons avoir saisi la loi des tempêtes. Pour nous, un ouragan n’est plus qu’un simple tourbillon de vent qui pivote sur lui-même et se meut rapidement, suivant une direction connue, mais variable selon l’hémisphère où l’on se trouve. Sa plus grande violence est concentrée au foyer ; là, le plus puissant vaisseau, vaincu par les élémens, sombre ou se brise, victime de leur fureur ; tout notre art consiste à nous écarter de l’axe de rotation, à nous maintenir à la circonférence, où la brise est maniable et régulière. Ces trombes, dont les flancs renferment la destruction et la mort, peuvent ainsi, sous une main habile, se transformer en un moyen de transport rapide, de même que la vapeur, dont la force d’expansion semblait n’être qu’un fléau pour l’humanité, est devenue, dans une locomotive, le coursier le plus puissant et le plus rapide des temps modernes.

L’aspect de Bourbon est sévère ; l’île s’élève au milieu de l’Océan, semblable à une borne de rocher sur la grande route du commerce de l’inde ; ses hautes terres apparaissent comme d’énormes murailles, noires, dépouillées de végétation, semées de pics, de torrens desséchés, de sombres anfractuosités. Ainsi que le simoun fait tourbillonner les sables du désert autour des pyramides, ainsi l’éternel vent d’est, qui balaie presque sans relâche la zone tropicale, accumule sur les cimes de l’île d’épais nuages dont l’ombre mouvante répand sur la croupe des montagnes une teinte mélancolique. Les vagues que ce vent soulève et entraîne à travers la vaste étendue des mers de l’inde, venant heurter le bord abrupt du rocher, s’y brisent en volutes écumeuses, se divisent, forment deux branches, embrassent l’île d’un double courant et roulent avec violence des quartiers de roche et des galets volcaniques, dont le frottement continu et les brusques chocs remplissent l’air de bruits sauvages. Tous ces bords escarpés et sans rivages n’offrent guère que le spectacle d’une sublime horreur. N’y cherchez point les scènes si suaves des ports et des rades des beaux climats : des navires à l’ancre se mirant dans une mer immobile, de nombreux caboteur courant de cap en cap, et répandant sur le tableau une vie pleine de gaieté ; des canots, aussi légers que l’écume des flots, sillonnant la surface polie des eaux et abordant en sécurité des plages bien abritées. Les marins qui, dans les ébranlemens d’une longue traversée, ont embelli l’idée du mouillage de tous les charmes du repos, éprouvent un sentiment de colère en arrivant à Bourbon ; d’éternelles ondes secouent les navires, les roulent bord sur bord, ne laissant aux matelots, dans leurs rudes bercemens, aucun instant de tranquillité. Aussi de quelles apostrophes ils saluent cette terre pour eux si inhospitalière ! Même à Saint-Paul, où la mer vient expirer sur une plage de sable, le sentiment de la sécurité n’existe pas. Partout les chargemens et les déchargemens ne s’opèrent qu’au milieu d’incessans dangers ; à chaque instant, on craint de voir les chaloupes s’entr’ouvrir et se briser ; on est assourdi du cri des noirs qui les maintiennent à la lame, et dont le corps ruisselle d’écume. En vain les points de la côte ont-ils été explorés avec le plus grand soin ; l’art humain déclaré son impuissance à doter Bourbon de ce que la nature lui a si impitoyablement refusé, un port, un abri pour les navires en détresse. Voilà tout ce que les funestes traités de 1815 ont laissé à la France dans les mers de l’inde, dans ces mers si souvent bouleversées par les ouragans : un rocher sans rivages où l’on n’aborde qu’à l’aide d’une échelle en corde suspendue sur les vagues ; une côte de fer sans port, sans rade, sans la moindre crique où puissent s’abriter des chaloupes, et près de laquelle, pendant cinq mois de l’année, les navires ne mouillent qu’en perdition ! L’Angleterre ; quand elle rendit Bourbon à la France, avait-elle donc un instinct sûr de cette impossibilité d’y créer rien qui ressemble à un port, et, en enchaînant notre activité maritime sur ce roc déshérité, savait-elle donc qu’elle nous tenait si complètement à la discrétion, réduits à n’être que tolérés dans les mers de l’Inde ?

La petite ville de Saint-Denis est le chef-lieu de l’île : posée sur l’arête d’un double ravin dont elle couvre l’un des flancs, elle apparaît comme une oasis encadrée dans une ceinture de montagnes. À droite, à gauche, sur sa tête culminent de sombres mornes ; ses pieds reposent sur une plage de galets noirs où la mer éparpille sans cesse sa blanche écume. La plupart des maisons rappellent les charmans cottages de la Grande-Bretagne : une cour ombragée sur le devant, de beaux arbres de chaque côté, un gazon vert, des fleurs brillantes au bord du sentier, souvent un bassin à jet d’eau en face du porche, de grands appartemens, de l’air, du jour, une lumière éclatante, la solitude et la liberté, car chaque famille a sa maison. Quel sage battu des orages de la vie n’a pas cent fois soupiré après un pareil asile ? L’hôtel du gouvernement est une agréable résidence : une cour précède, toute fraîche de jets d’eau et d’ombrages ; le balcon domine au loin le mouillage et l’horizon de la mer ; le jardin, créé comme par miracle sur un roc nu, offre de délicieuses retraites. À l’extrémité de la ville s’étend le jardin botanique, semblable à une couronne de verdure. Après une longue traversée de mer, quand on se trouve tout à coup sous les voûtes sombres de ces allées de manguiers, — au milieu des bosquets de cocotiers et de palmiers dont le feuillage ondoie en panache dans un ciel de saphir, — au sein de ces massifs de mimosas, où le flamboyant en heurs éclate comme une gerbe de rubis et d’émeraudes, — sur le bord tranquille de ces nappes d’eau où dort le nénuphar entouré de mille plantes aux gracieuses découpures, — dans cet air tiède et moite parfumé de senteurs enivrantes, on se croirait, sous l’influence d’un charme, transporté dans des lieux créés par la féerie.

L’île Bourbon est, sans contredit, un produit volcanique de formation nouvelle. Malgré le désordre d’une pareille origine, malgré ces monts entassés pêle-mêle les uns sur les autres, malgré les déchirures profondes causées par les ébranlemens de toute la masse au moment des grandes éruptions, dans ce chaos de cratères éteints, les uns remplis d’eaux, les autres, couverts de terre végétale, on peut cependant saisir, bien que confusément, une certaine loi dans la disposition des territoires. Le sol, à sa surface, paraît divisé en vallées juxtaposées, de forme triangulaire ou semi-elliptique, dont la base est à la mer et le sommet plus ou moins haut dans la masse des montagnes ; en un mot, c’est l’image d’un cône tronqué dont la surface aurait été grossièrement taillée à facettes. Veut-on prendre la nature sur le fait dans ce travail d’enfantement ? la partie sud-est de l’île est occupée par un volcan en pleine activité, qui, chaque année, vomit des laves enflammées. Ces laves, au sortir de la fournaise, se séparent en deux courans qui glissent le long des arêtes de la montagne, et forment une portion d’ellipse dont le sommet est au cratère, et dont les branches se perdent dans la mer, au milieu de tourbillons de fumée et de vapeurs crépitantes. L’île se trouve partagée naturellement en tranches ou zones de hauteur : la première embrasse l’espèce de bourrelet formé au bord de la mer par les détritus et les éboulemens des montagnes, terre riche et féconde dont les vallons et les coteaux offrent toute la luxuriance des contrées tropicales ; puis viennent des régions superposées par gradins successifs, où la végétation s’amoindrit à mesure qu’on s’élève ; enfin les bruyères, les sommets nus des hautes montagnes, les arides crêtes des Salases souvent couvertes de neige.

La race humaine n’est point autochtone à Bourbon. Les premiers habitans, débris de nos établissemens de Madagascar, se partagèrent à vol d’oiseau la terre, alors inoccupée et sans valeur ; choisissant dans la montagne quelque point apparent, ils le désignaient comme l’aboutissant des limites de leurs domaines. Voilà l’époque qu’on peint comme l’âge d’or de la contrée, et l’on fait aujourd’hui des récits touchans de la simplicité et du bonheur qui régnaient alors dans les habitations. La culture du café moka fit connaître Bourbon sur les marchés de l’Europe ; mais il était réservé à la canne à sucre d’inaugurer l’âge de fers cette terre fortunée. Les terrains qui purent produire ce précieux roseau prirent tout à coup une valeur inouie : les spéculateurs, les agioteurs s’abattirent sur Bourbon on vit naître soudain des fortunes éclatantes ; le luxe suivit et pénétra partout ; bientôt l’ardeur des spéculations hasardeuses amena cette succession d’élévations rapide et de chutes soudaines qui forme le caractère actuel de la vie coloniale.

Tous les centres de population sont au bord de la mer. Autrefois les communications entre les diverses bourgades ainsi échelonnées sur le rivage étaient difficiles et rares ; les habitans ne voyageaient qu’à cheval, suivis de noirs porteurs de bagages. Il y a maintenant autour de l’île une route de ceinture bien macadamisée, qui tantôt suspend ses rampes aux flancs des rochers, et tantôt franchit des lits de torrens sur des ponts suspendus du plus bel effet. Cette route s’arrête de chaque côté de la vallée du volcan appelée le grand pays brûlé. Pour traverser cette terre désolée, il faut suivre un sentier à peine tracé à travers des rocs plutoniques, sur lesquels la lave jette parfois des arcades de matière incandescente. Chaque bourgade sert d’entrepôt aux produits de la vallée ou quartier qui l’entoure ; mais, sur cette côte si inhospitalière aux navires, nul cabotage régulier n’a pu s’établir et faire, d’un point quelconque de l’île, le dépôt général des marchandises pour l’importation et l’exportation, le vrai centre politique et commercial. De là une pénible navigation d’échelles, chaque navire allant, de mouillage en mouillage, recueillir des fractions de cargaison, au milieu de périls continuels et de fatigues presque intolérables pour les équipages, car on jette l’ancre par de grandes profondeurs, et l’on est souvent oblige d’appareiller, soit pour un raz de marée, soit à cause d’un coup de vent qui menace. Un bateau, à vapeur qui, chaque semaine, parcourrait le littoral, serait pour l’île un instrument puissant de prospérité et de bien-être ; mais où l’abriter ? C’est ainsi qu’à Bourbon toute industrie maritime meurt en germe, ou se refuse au moindre développement.

À l’intérieur, les communications n’offrent pas moins de difficultés, souvent même elles sont impraticables. Les creuses fissures du sol semblent plonger dans des abîmes où roulent et grondent les torrens ; Les rochers, brusquement soulevés par les explosions volcaniques, se dressent verticalement à des centaines de pieds de hauteur ; c’est un chaos de roches aigus, de pitons effilés, de crêtes découpées et tranchantes, d’où pendent en guirlandes des lianes gigantesques et tombent d’innombrables cascades qui tracent des filets argentés sur les parois des rochers. L’administration locale voulait ouvrir une route qui traversât l’île entière et fil communiquer entre elles directement les deux côtes, la partie du vent et la partie sous le vent. Si l’affranchissement des esclaves ne paralyse pas l’industrie un pays, ce projet se réalisera. Il n’y a de terminé qu’une route de cheval qui va des bords de la mer au cirque de Salasie, près du Piton des Neiges. Ce vallon de Salasie, le gouvernement de juillet voulait en faire un lien de déportation ; la république va exécuter ce projet. Pour se rendre à Salasie, on prend d’abord la grande route qui longe le bord de la mer. La première heure de ce chemin a quelque chose d’imposant, mais de triste ; le vent qui siffle et mugit dans les filaos (espèce de casuarina), le grondement de la mer qui se brise sur la plage, les secs retentissemens des galets roulés par les vagues, assombrissent l’ame. Dans la saison de l’hivernage, on se hâte de franchir les cinq bras de la Rivière des Pluies ; un orage soudain pourrait faire déborder le torrent, qui tombe alors avec fracas, déracinant les arbres et les rochers. Mais, dès qu’on approche de Sainte-Suzanne, la nature s’embellit, la végétation s’enrichit, on ne serre plus la mer de si près ; les cultures sont plus soignées, les habitations mieux entretenues, et, jusqu’à Saint-André, ce n’est plus qu’une route charmante, douce, bien tracée bien aplanie, bordée de jardins en fleurs, de haies de roses et du plus délicieux feuillage. La poitrine se dilate, le cœur s’épanouit dans cette atmosphère de parfums, aux fraîches brises du matin. On sent autour de soi le bien-être et l’aisance… Que disons-nous ? C’était au mois d’avril 1848 : le bouleversement de février n’avait pas encore retenti à Bourbon, les nègres n’avaient point déserté leurs travaux ; les clôtures parfaitement alignées, les champs de cannes nettoyés de toute herbe parasite, témoignaient du bon ordre et de l’état prospère de la colonie. Quel autre langage les faits nous imposeront bientôt !

On quitte la grande route à Saint-André, et, pendant trois heures, on suit jusqu’à la Mare à poule d’eau le lit de la rivière du Mât, espèce de torrent encaissé dans une déchirure profonde du sol. Au moment d’entrer dans le lit de cette rivière, où l’on pénètre par un sentier étroit, par une sorte d’embrasure de montagne, le tableau qui se déroule sous vos yeux est saisissant et enchanteur. De la berge élevée qu’on va redescendre ; le fond du torrent présent une plaine elliptique, rayonnante de verdure, semée de jolies maisons, sillonnée de méandres bleuâtres tracés par les galets volcaniques, et serrée entre les escarpemens à pic des mornes. À l’extrémité opposée s’ouvre, au milieu de replis montueux, de murailles verticales de basalte, la gorge des montagnes que le chemin gravit en lignes tortueuses. La voie est tracée habilement et, pour ainsi dire, accrochée aux deux flancs de la crevasse. On a profité de tous les ressauts, des paliers rocheux, des moindres accidens qu’on a pu saisir ou faire naître dans les escarpemens du ravin, pour soutenir le chemin ; rapportant ici des terres, là des murs en pierres sèches ; jetant d’une rive à l’autre un pont de bois ou des poutres sur le passage creux de quelque torrent secondaire. De tout cela résulte une route gracieuse, pittoresque, variée de mille tableaux qui éveillent la surprise et charment l’imagination. C’est à la volée, c’est d’un coup de pinceau qu’il faut saisir les scènes de ces montagnes changeant à chaque pas, à chaque rayon de soleil, à chaque nuage qui passe ou s’enfuit. Là, dans un repli du terrain, vous semblez comprimé au fond d’un vaste entonnoir de rochers ; voici qu’une nuée vous enveloppe soudain : tout disparaît à vos yeux, et les mornes sombres qui vous barraient la vue, et le ravin qui ouvrait un abîme à votre gauche, et le torrent qui se précipitait à vos pieds. La pluie tombe, un souffle de brise s’élève, déchire le voile de vapeurs, les emporte du fond du vallon à la crête des monts, et l’éclaircie vous montre les flancs de la montagne tout sillonnés d’éclatantes cascades.

Le vallon de Salasie est élevé de 662 mètres au-dessus du niveau de la mer ; des eaux thermales l’ont rendu célèbre : on y a fondé un établissement de santé. Ce qu’on y trouve de plus remarquable, c’est la sécurité de l’existence. Là, pas de brises violentes, pas de coups dur glacé, — ni chaud, ni froid excessif ; point d’insectes à redouter ; point de reptiles ; aucune alarme, ni de la part des hommes, ni de la part des animaux, ni du côté du climat. Il suffit des précautions les plus vulgaires pour se défendre de l’intempérie des saisons. Les cabanons des buveurs d’eau sont suffisamment clos ; la propreté en fait surtout le charme : une eau limpide, fraîche, délicieuse, murmure près du seuil. Les bruits du monde vous arrivent à peine ; c’est dans la richesse de la nature qu’il faut chercher ses distractions. Il faut se plaire aux grondemens du torrent solitaire, aux frémissemens des mille cascades qui tombent de la cime des monts, dans les splendeurs et l’éclat du règne végétal. À vos pieds roule le torrent du Bras sec, qui se joint sous vos yeux aux chutes du torrent d’Amalle. Devant vous se dressent en parois verticales, tapissées d’une fraîche verdure, les premiers gradins des Salases, avec leurs cimes découpées, leurs dentelures qu’on découvre à travers les formes aériennes du feuillage. Le matin des beaux jours, le Pilon des Neiges, dont le sommet culmine à 3,200 pieds dans les airs, se détachent sur votre tête, pur et tranché au sein d’un ciel du plus vif azur. Les rayons de l’aube se brisent sur ses crêtes comme à travers un prisme, et s’épanouissent en auréole d’or et de pourpre sur la crèche des montagnes, où la brise descend comme une haleine fraîche et pure. Parfois aussi une calotte de brume succède au dais d’azur ; et vous enveloppe d’une lumière crépusculaire telle qu’Homère l’a répandue dans les champs élyséens. Cette atmosphère des nuées vous pénètre d’humidité ; il faut s’en garantir. Dans le bois, sur la berge à pic du Bras sec, le bruit monotone, mais captivant du torrent qui gronde invisible dans l’abîme à vos pieds, la solitude et le silence, et l’ombre profonde des arbres, et les exhalaisons de la forêt, tout concourt à endormir l’ame et à la distraire du sentiment de l’existence. Comment refuser son admiration à la nature qui vous entoure ! Quel éclat, quelle exubérance dans la sauge resplendissante ! Les chemins en sont bordés, et jamais ses fleurs, d’un rouge éclatant, ne cessent d’éclore.

Mais pour trouver de l’enchantement à cette vie contemplation et rêveuse pour passer des heures entières en extase aux balancemens du palmiste sur l’escarpement des hauts remparts de basalte, il faut avoir rompu avec les vaines ambitions du siècle, ou bien, convalescent de rêves souffrances, s’abandonner aux délices de la vie luxuriante de la terre et s’enivrer du parfum des fleurs et des senteurs de la forêt. On peut jouir de ce monde qui vous enveloppe comme un charme sans être bien savant : les habitans du pays ont pour chaque plante un nom caractéristique ou pittoresque. Voilà le bois de ronde, qui brûle en torches ; le bois chandelle, dont les tiges sont arrondies et droites comme des bougies ; le bois de lacs, espèce légumineuse dont la racine sert à faire des rets ; le bois mahaut, dont les branches fournissent des bâtons droits et fermes d’une extrême légèreté ; le bois bombarde, naturellement creux, qu’on scie en blocs pour en faire des ruches ou bombardes dans le langage des créoles ; le bois de fer ; le bois maigre, qui n’est bon qu’à brûler. Puis voici le poc-poc, solanée dont le fruit jaune, rond et poli comme une boule d’ivoire, résonne enveloppé dans sa gousse plus transparente qu’une fine gaze ; enfin le chouchou, cucurbitacée qui grimpe au sommet des plus grands arbres, s’étend sur tous les plateaux, s’élance d’une rive à l’autre des ravins, et dont les feuilles, semblables à celles de l’aristoloche, couvrent d’immenses espaces et donnent à certaines parties de la forêt l’aspect d’un camp arabe semé de tentes.

Franchissez le torrent sur le pont si pittoresque de la Savane, ou même à pied, si vous ne craignez pas d’être emporté par une onde trop rapide ; allez jusqu’à la Mare à citron, autrefois vaste cratère de volcan, aujourd’hui bassin enchanteur rempli de la plus riche terre végétale. On aborde tout droit la montagne de Crève-cœur par un sentier raide à travers la forêt : on s’accroche aux racines, on s’appuie aux troncs des arbres, on s’aide du genou et des mains sur les pointes du rocher, on arrive hors d’haleine à la crête aigu, presque en lame de couteau, où l’on a ménagé une petite esplanade, espèce de balcon de montagne d’où l’on domine plusieurs creux vallons ; mais on est dédommagé de ces peines par les scènes des bois : sombres voûtes de verdure, clairières gracieuses où se jouent les rayons du soleil sur les feuilles luisantes des citronniers, ravins à pic, où les grands arbres sont accrochés et collés, pour ainsi dire, aux brisures des rochers ; puis les mille caprices des branches entrelacées, et les riches scolopendres qui tantôt s’enroulent en collerettes autour des troncs, tantôt s’échappent des embranchemens comme des plantes en lustres suspendus dans l’air, tantôt couronnent les troncs brisés, semblables aux plumes d’un chef de tribu sauvage ; puis les ruisseaux qui bondissent et murmurent, les cascades qui tombent d’aplomb ou glissent avec un frôlement léger sur les faces lisses des rocs, le roulement lointain du torrent qui remplit la forêt, les fougères répandues partout avec une prodigalité qui surprend, les mousses en fleur qui tapissent de leurs urnes, le sentier, la roche et les troncs vermoulus ; enfin, comme but de promenade, une belle magnanerie dont malheureusement les produits ne sont encore que des espérances ! On revient, fatigué, mais charmé, et, pendant le sommeil calme qui suit ces courses, on retrouve encore dans ses rêves ces fougères en consoles, en girandoles, en panaches, qui vous ont frappé comme une décoration de théâtre. Et maintenant qu’on se rappelle les étranges attaques sous lesquelles l’opposition d’alors fit tomber le projet de loi sur la déportation : quelle vanité que la politique !

Une population singulière habite quelques régions incultes de l’île et particulièrement la Plaine de Cilaos ; on la retrouve aussi éparse en familles sur les bords de la mer, et même au milieu des laves du Grand Brûlé. Elle vit en des cabanes ou des huttes dans un état à demi sauvage ; quelques-uns de ces malheureux n’ont même d’autre abri que des cavernes ou des anfractuosités de rochers. Ils cultivent ordinairement autour de leurs cases, un champ qu’ils ont défriché eux-mêmes assez grossièrement en mettant le feu à quelques portions de la forêt ; ils ne lui font guère rendre au-delà de ce qui suffit strictement à la subsistance de l’année, s’en remettant à la Providence du soin d’y pour voir quand les ouragans viennent ravager leurs moissons. Sur les hauts plateaux, ils sèment du maïs qui donne une récolte abondante, du mil, du blé et des pommes de terre ; dans les régions moyennes, ils plantent des patates douces dont on compte trois variétés excellentes, des chous qui viennent très bien et pommés, des giraumons, des citrouilles dont les larges feuilles s’étendent en parasol sur les pointes de rocher dont la terre est hérissée et le taro au riche feuillage qui fait à lui seul la décoration de la cabane. Au pied des troncs d’arbres brûlés, ils sèment des plantes grimpantes qui donnent aux débris de la forêt l’aspect de colonnes torses. C’est un spectacle curieux que ces défrichés vus au clair de la lune ; dans la lueur douteuse qui glisse et se, reflète à travers ces abattis recouverts de lianes, on se croirait au milieu des ruines de quelque ville antique, près des colonnades de Palmyre ou de Thèbes. Çà et là ils plantent un caféier près d’une fougère arborescente, dont la tête empanachée, à découpures délicates comme des plumes d’autruche, l’abrite des feux trop vifs du midi. Des pêchers sans culture forment aux alentours un bosquet naturel. Plus bas, dans les terres chaudes, ils cultivent des cannes à sucre, des ignames et des bananiers dont les régimes forment la base principale de leur nourriture ; c’est avec la feuille desséchée qu’ils couvrent leurs cabanes ; fraîche, ils s’en servent comme de vase pour boire l’eau de la fontaine, de plats ou d’assiette pour manger leurs racines et le peu de riz qu’ils peuvent se procurer les jours de fête, et aussi pour recueillir et serrer leurs graines et diverses provisions. On voit encore autour des cabanes une chèvre attachée à un piquet, des poules dont ils portent les oeufs à la ville pour acheter des outils et des objets de première nécessité. L’ameublement des cases est d’une simplicité presque sauvage : une marmite en terre que la femme établit sur deux pavés pour faire cuire les alimens de la famille, une natte grossière jetée sur un tas de feuilles sèches pour servir de lit, quelques instrumens de labourage, de chasse ou de pèche, des lignes, des rets, des lac et des raquettes pour prendre les petits oiseaux, quelquefois enfin un coffre grossier où l’on serre toutes les richesses de la cabane. Leur habillement ne va pas au-delà de l’indispensable : un chapeau de latanier, une chemise et un pantalon de toile bleue de l’Inde pour les hommes, une robe de même étoffe pour les femmes, voilà toute leur garderobe. La vie n’est guère pour eux qu’une longue oisiveté ; ils la laissent couler comme l’eau de leurs fontaines, sans chercher à l’arrêter ni à l’utiliser. Ils passent les jours à jouer ou à se reposer, étendus dans leur cabane. Souvent, quand on s’approche des cases, on les trouve réunis au son de quelque accordéon, dont ils font leurs délices. Ils emploient des semaines entières à épier un cabri sauvage sur la crête des montagnes, ou une espèce de petit renard, seul animal originaire de l’île. Rien n’égale leur patience à cette chasse ou à la pêche : immobiles sur quelque pointe de rocher, on les prendrait pour des êtres pétrifiés ou pour des oiseaux de mer endormis. Petits de taille, de formes grêles, presque sans force musculaire, ils sont d’une agilité remarquable. Ils grimpent comme des singes, en s’accrochant aux lianes, le long des escarpemens à pic de leurs rochers, et franchissent ainsi des montagnes qui n’offrent à l’œil que des faces verticales hautes de plusieurs centaines de pieds. Leur timidité est excessive ; ils semblent fuir sous le regard. Rarement on les rencontre seuls ; ils vont par couples, le mari en avant, un bâton à la main, la femme suivant de près, d’un air soumis, et portait sur sa tête toute la charge du voyage ; on sent qu’elle est esclave. L’indépendance du vagabondage semble être l’ame et le besoin de leur existence. En vain s’est-on efforcé de les attacher à quelque travail régulier, au bout de quelques jours ils s’échappent, on ne les revoit plus. Ils ne craignent qu’un seul châtiment, c’est d’être condamnés à casser les pierres des routes. La menace de cette condamnation est le plus puissant moyen pour les retenir dans le respect de la loi. Cette population, si curieuse à observer, n’est point un débris de quelque race aborigène, s’effaçant ou s’éteignant peu à peu devant les races plus fortes de l’Europe : ce sont les fils des premier colons, les descendans de ces énergiques Bretons enrôlés pour la conquête de Madagascar, et tombés avec le temps dans un abâtardissement qui semble particulier à Bourbon. Leur nom, dans le pays, les caractérise parfaitement : on les appelle petits blancs, petits créoles. Leur nombre croissant, non pas qu’ils se reproduisent avec exubérance, mais parce qu’ils se recrutent dans les familles de descendance européenne que l’oisiveté, la paresse, la misère, font tomber chaque année à leur niveau. C’est une sorte de crétinisme qui s’est attaché à la race européenne dans cette île, comme la lèpre, ce hideux fléau dont l’Europe a su s’affranchir, semble y avoir aussi pris racine, marquant d’une altération profonde et invétérée une partie assez notable de la population, même parmi les familles riches. Les léproseries qu’on rencontre sur divers points de la côte reportent involontairement la pensée au moyen-âge de la France. D’où vient cela ? Est-ce tout simplement l’effet de la misère qui appauvrit les sources de la vie et arrête le développement de la race ? Ou bien l’île Bourbon, terre nouvellement sortie de la fournaise des volcans manque-t-elle donc de la sève nécessaire à l’entretien et à la reproduction des races énergiques de l’humanité ? Est-il vrai, que le noir même le plus rude de la côte d’Afrique, transporté dans l’intérieur de l’île, s’y dépouille promptement de sa férocité et prenne la douceur du petit créole ? Enfin, faut-il rapprocher de ce fait essentiel à la nature humaine ce qu’on observe dans le règne végétal, où diverses plantes, — dont les analogues, dans les terres d’antique formation, constituent des genres bien tranchés, — n’ont pas encore ici des formes bien déterminées et un caractère de famille nettement marqué ? Quoi qu’il en soit, après un premier moment de surprise, on reconnaît que le petit créole est l’Européen, moins la force musculaire, son ressort, son énergie, son activité d’esprit, moins aussi ses aspirations ardentes à la richesse et à la puissance[1].


II

Bourbon, nous l’avons dit, dut sa réputation et ses premières richesses à la culture du café d’Arabie, qui réussit heureusement sur son sol montueux, accidenté de vallons et de coteaux d’une déclivité rapide, recouvert d’une terre légère, sorte de détritus volcanique, et naturellement ombragé. L’esprit des colons se passionna pour ce produit exotique, si heureusement naturalisé, qui bientôt se trouva lié à toutes les transactions de la vie, et devint comme le pivot de l’existence coloniale. Serré en balles et mis dans des magasins publics, il constitua le capital d’une banque de dépôt, et le pays n’eut bientôt plus d’autre moyen d’échange que des bons de café. Ce fut un malheur public que la création de cette sorte de papier-monnaie : il favorisa l’agiotage et porta coup aux cultures ; car, ne désignant que des quantités sans spécifier ni la qualité ni la provenance, le propriétaire n’eut presque plus d’intérêt à soigner ses produits, et le café Bourbon subit une dépréciation sur les marchés de l’Europe.

L’engouement passa du café à la canne à sucre : les lois de la métropole y poussaient ; on se jeta avec fureur dans cette nouvelle culture, si bien qu’aujourd’hui, sur 62,000 hectares de terres cultivées, 24,000 ont livrés à la canne, et ce sont les terres de choix ; 4,000 seulement restent plantés en café ; 25,000 environ, le rebut de l’île, sont consacrés aux substances alimentaires du pays ; le reste appartient à la culture du girofle et autres denrées secondaires d’exportation[2]. Sous cette influence, l’île Bourbon put être considérée comme un vaste établissement d’industrie sucrière, employant à la main-d’œuvre, c’est-à-dire à la culture et à l’exploitation de la canne, environ cinquante mille ouvriers, tous esclaves. Le mouvement de commerce qui en résulta s’élevait en total à une somme de 46 millions par an, et la navigation de la France y trouvait un aliment pour cent navires de tonneaux, tant à l’aller qu’au retour. Certes, c’était un beau résultat. Grace à Bourbon, notre pavillon ne fut point effacé de la grande route de l’Inde, où plane avec tant d’orgueil l’yacht britannique. Cette terre, où nous avions su créer de si grands intérêts nationaux, ne méritait-elle pas les soins les plus attentifs de la métropole ?

La culture presque exclusive de la canne à sucre fit croître démesurément la population ; bientôt l’île ne suffit plus à nourrir ses habitans, dont le nombre a presque triplé en moins d’un demi-siècle. Comme tous les grands centres manufacturiers où la population ouvrière est, agglomérée, Bourbon fut obligée de tirer de l’extérieur une partie de sa subsistance. Le voisinage de Madagascar contribua puissamment à ce résultat. Madagascar était comme la métairie de Bourbon ; on y trouvait du riz et des bestiaux à très bas prix et en quantités presque indéfinie. En échange de ces objets, les tribus malgaches prenaient des bagatelles venues d’Europe, le rebut de nos fabriques, des fonds de magasin : tout était profit pour nous dans ces relations. Aussi, quand la reine des Hôvas ferma ses ports aux étrangers et refusa soudain l’exportation des bestiaux et du riz, les habitans de Bourbon se sentirent frappés dans leurs intérêts les plus chers et les plus pressans ; il jetèrent un cri d’alarme, comme si leur existence même était compromise. Quelle déchéance en effet, quand ils se virent forcés d’aller jusqu’au Bengale chercher des riz qu’ils durent payer argent comptant, et de tirer, soit du cap de Bonne-Espérance, soit du canal de Mozambique, des bœufs dont le prix s’accroissait de 4 à 500 pour 100, par le fait seul d’une navigation longue et pénible ! Faut-il insister encore pour faire comprendre combien doit être vif à Bourbon le désir de renouer nos rapports avec Madagascar ?

Le commandant de la station navale de Bourbon, chargé par le gouvernement de la direction des affaires extérieures, se trouva donc dépositaire de l’un des intérêts les plus vivaces de la colonie. Il y a trois solutions à cette question : on peut ou la trancher par la guerre, ou la dénouer par la négociation, ou enfin la tourner.

Précisons les termes. Faut-il rentrer de force à Madagascar ? La France possède par droit d’héritage un titre incontesté et imprescriptible à la domination de cette île : nous avons long-temps maintenu notre pavillon sur toute la côte orientale, depuis le cap Sainte-Marie jusqu’au cap d’Ambre ; au fort Dauphin, à Matatane, à Mananzari, à Tamatave, à Foulpointe et dans la baie d’Antongil, la trace de nos établissemens n’est point encore effacée complètement. Aux mains d’une nation comme la Hollande, calme, persévérante, tenace dans ses desseins et guidée par la politique des intérêts, Madagascar fût devenue une riche colonie, l’orgueil et la puissance de la métropole, car elle n’est ni plus malsaine ni moins fertile que Java. Le travail n’y serait ni moins fécond ni moins assuré, si la conquête respectait les mœurs et les lois antiques du pays ; mais nous qui semblons ignorer que la civilisation n’est point une pure abstraction qui se développe indépendamment des climats et des lieux, que dans la zone torride, où tout invite à la mollesse, où nul ne travaille que contraint et forcé, le principe de la liberté individuelle, si puissant dans l’Europe moderne, n’est plus que la liberté de ne rien faire, — qu’il consacre la fainéantise et tous les vices qu’elle entraîne à sa suite, et plonge l’espèce humaine dans l’abrutissement, — que ferions-nous de Madagascar avec notre code civil, notre politique chevaleresque et notre propagande humanitaire Cependant la possession d’un droit n’est point détruite parce qu’on en suspend temporairement l’exercice : peut-être un jour la France, instruite par les orages de sa liberté, saura-t-elle se servir de la conquête d’une manière utile pour elle-même et féconde pour cette belle contrée ; notre devoir est de réserver l’avenir. Faisons de l’île de Sainte-Marie la sentinelle gardienne de nos titres sur Madagascar, et qui témoigne de notre résolution de ne les point laisser périmer.

Ce fut à Sainte-Marie de Madagascar, presque en face de Tamatave et de Foulpointe, que se rendit le commandant de la station. La rade est magnifique ; là du moins, les navires peuvent trouver un abri contre les secousses de la mer. C’était au mois de mai. Nous fûmes favorisés par le temps à notre arrivée : le jour avait été beau. Sur les rochers, sur les arbres dont les flots baignent le pied, sur la mer qui brisait aux écueils, le soleil répandait une clarté empourprée ; l’îlot Madame, vivement éclairé, tranchait sur la verdure délicate et changeante du petit port qu’il abrite ; le feuillage des cocotiers, légèrement agité par la brise du soir, se balançait avec grace dans les rayons mourans du soleil ; plus loin, l’île aux Forbans s’élevait comme une sombre pyramide de verdure ; à ses pieds étendait un lac d’azur, que les brisans entouraient d’une ligne brillante d’écume ; un air doux nous pénétrait, on oubliait les heures dans ce spectacle captivant ; mais, quand le soleil disparut derrière les hautes terres de Madagascar ; ses rayons crépusculaires s’épanouirent dans les vapeurs du soir comme dans un réseau d’or qui s’étendit en voûte sur nos tête : ce ne fut qu’un cri d’admiration.

L’abandon dan lequel on a laissé jusqu’ici l’île de Sainte-Marie ne peut guère s’expliquer que par l’inattention de notre pays et son indifférence pour les possessions lointaines. Nous avons assez dit combien les côtes de Bourbon sont déshéritées de tout abri ; à la première menace de guerre, la marine devrait les déserter, à moins de s’exposer à se faire exterminer d’un seul défilé par une force navale supérieure. Mais, à trente-six heures sous le vent de Bourbon, la nature nous a ménagé un port admirable, un vrai bassin de construction capable de contenir cinq frégates armées, et même un vaisseau de ligne à l’aide de quelques travaux ; des quais de corail, sortis spontanément du sein des eaux, fournissent toute espèce de facilités pour le carénage ; les forêts de l’île sont remplies de bois des plus riches essences pour la marine, exploitables presque sans frais. Tout y est disposé pour la défense de manière à rendre ce port, non pas un poste militaire du premier ordre, mais tel cependant qu’avec 800,000 francs de dépense, il faudrait, pour l’enlever, une grande expédition militaire, et, sous le prétexte que l’île est malsaine, que la fièvre y décime les hommes qu’on y porte, nous restons sans le moindre pied dans l’Océan indien ! Par un hasard heureux, un homme grandi laborieusement dans les grades inférieurs de l’armée, s’est trouvé amené au commandement de ce petit poste, livré jusqu’alors à l’abandon le plus déplorable. L’île lui fournissait une population indigène obéissante et dévouée, il sut l’employer ; les matériaux jonchaient la terre sous sa main ; il les mit en œuvre. Maçon, charpentier, architecte, ingénieur, officier et soldat tout ensemble, il fit sortir du sol d’abord un abri pour ses hommes, et les fièvres perdirent soudain une grande partie de leur action mortelle, puis successivement des ateliers, un hôpital, des jardins, des cultures, et tout cela presque sans frais pour l’état. C’est ici qu’il faut se donner le spectacle de ce que peut un homme de persévérance et de courage : l’établissement est son ouvrage, ou plutôt c’est l’homme tout entier ; il s’y est dévoué sans réserve. Que ne ferait-il pas pour obtenir quelques travaux de dessèchement ou d’endiguement peu coûteux, qui, dans sa pensée, assainiraient le port ! Il donne à toute l’île un haut exemple de moralité ; une honnête famille l’entoure, et le sol fécondé par ses travaux intelligens, lui rende en échange mille élémens de bien-être. Chez le commandant Vergès, on se croirait chez le chef de quelque colonie anglaise ou hollandaise au berceau. Si le gouvernement se décide, enfin, à faire sur l’île de Sainte-Marie un établissement national digne de la France a quel autre ce soin pourrait-il être mieux confié ?

Le climat de Sainte-Marie est généralement humide : on peut compter cent vingt jours par an troublés par des grains d’une pluie souvent très forte et parfois diluviale. Le sol est marécageux au bord de la mer ; c’est des lagunes alternativement couvertes et découvertes par le flux et le reflux que surgissent les émanations pestilentielles qui déterminent, dit-on, les fièvres du pays. Les nuits surtout sont funestes à cause de la stagnation des vapeurs marécageuses à la surface de la terre. Dans l’intérieur, le terrain est très inégal, coupé de vallons abrupts, de collines à arêtes tranchantes, à faces presque droites, où sont tracés d’étroits sentiers à peine praticables pour un mulet. D’épaisses herbes, un fouillis presque inextricable de ravinalos, de lianes, de fougères, tapisse les croupes des coteaux ; le fond des vallons est marécageux ; le riz y croît en abondance. Ce n’est pas une terre féconde ; mais les scènes de la nature et la population y frappent également l’Européen par leur aspect étrange et nouveau. Le ravinalo (arbre du voyageur) donne le caractère au paysage ; il déploie de tous côtés ses feuilles en éventail, tantôt isolé, tantôt par buissons et par masses. Les bois sont silencieux ; on n’y entend guère résonner que les deux notes du tulou, oiseau qui, pour la taille, la voix et le plumage, ressemble fort au coucou. Çà et là on rencontre un tanghin dont le fruit est si vénéneux et joue un si grand rôle dans la justice sommaire de Madagascar ; les indigènes ne passent jamais sous son ombre sans ressentir un respect mystérieux. Il y a aussi un palmier à crins, au tronc élégant, et aussi élancé que celui du palmiste, un arbre à résine, et enfin la liane à caoutchouc, d’où jaillit à l’incision un suc laiteux, blanc et abondant. On ne s’habitue pas tout de suite aux têtes des femmes malgaches : leur chevelure laineuse, dont elles ont le plus grand soin, ébouriffée par paquets, et leurs grands yeux fixes, dont le blanc ressort vivement sur leurs faces noires et luisantes, donne à leur aspect quelque chose de diabolique : le soir surtout, quand on les rencontre redressant leurs hautes tailles et glissant silencieusement à travers les grandes herbes, on en reçoit une impression singulière. Hommes et femmes ont beaucoup de douceur ; leur simplicité charme, leur gaieté enchante ; ils obéissent avec une docilité admirable. Malheureusement, sous l’influence des liqueurs fortes, tout cela change. Il faut les avoir vus en présence de l’arack pour comprendre l’affreuse action de l’eau de feu a eue sur les peuplades sauvages. Dès que ces créatures ont avalé quelques traits de la boisson ardente, elles sont embrasées du plus violent désir d’en boire encore, de s’y plonger. Nulle éducation ne leur a appris à réfréner leurs ardeurs ; elles s’y livrent sans réserve, avec une impétuosité, avec une violence qui surprennent ; rien ne les arrête, rien ne leur coûte pour les satisfaire. Ce n’est presque pas abuser de la comparaison que de dire qu’un tigre alléché par le sang chaud n’est pas entraîné par un instinct plus féroce, plus irrésistible, que celui qui anime ces femmes à l’arack. Dans une réunion de fête, un jeune homme avait sous nos yeux avalé coup sur coup quelques verres d’arack ; il tomba comme frappé de la foudre, et roula dans la poussière. On le ramassa. Au premier état d’insensibilité succéda une crise nerveuse qui ressemblait à une attaque d’épilepsie. Le père le prit dans ses bras, calmant ses membres crispés, et tous disaient : Est-il heureux ! et les femmes de crier, de supplier : Donnez de l’arack ! Dès que la brûlante liqueur coule, elles dédaignent l’or et les bijoux, elles ne se connaissent plus ; elles jetteraient leurs enfans pour s’en procurer.

C’est dans une fête du pays, dans un ralouba où quelque particulier fait largesse d’arack, qu’il faut les voir ! À l’annonce du ralouba, elles accourent en foule : elles se forment en rond, accroupies sur le sable, et commencent à frapper des mains et à chanter sur un ton mineur et monotone. D’abord leur attitude est modeste, leur chant mesuré leurs battemens se balancent mollement sur les hanches. L’arack circule : elles s’échauffent, la mesure s’accélère, le ton s’élève ; quelques-unes se détachent et exécutent une danse du pays qui consiste principalement en poses, en mouvemens expressifs du corps. On verse de nouveau l’arack : le groupe sombre semble agité de secousses électriques, les mains frappent plus fort, à coups plus précipités ; les voix éclatent par intervalles ; toutes ces têtes hérissées de tire-bouchons laineux se secouent vivement ; le blanc de leurs yeux étincelle comme des flocons de neige sur une masse de cyprès. L’arack coule encore ; tout le cercle s’émeut et crépite comme un vaste bol de punch. Versez toujours ! chants et battemens de mains montent par explosions ; puis soudain toutes ces femmes bondissent d’un élan spontané, tourbillonnent en chantant, se précipitent en colonne serrée, coude à coude, front à front, vont, reviennent comme le flux et le reflux des vagues. L’odeur de l’arack s’exhale de toutes les poitrines, sort par tous les pores, mêlée à la forte senteur du Malgache ; l’air s’emplit d’exhalaisons enivrantes ; les cris, les battemens de mains les trépignemens redoublent, l’ivresse et la joie sont au comble, les chants deviennent frénétiques. Malheur à l’homme assez mal avisé pour se mêler à ce groupe en fureur ! Vrai frélon au milieu d’une ruche d’abeilles, il s’exposerait au sort d’Orphée tombé aux mains des bacchantes sur les bords de l’Hèbre. Aucune limite naturelle ne marque la fin de la fête : tant que l’arack dure, le soleil se lève et se couche sur ces éclats de joie furibonde. Parfois quelque danseuse tombe d’épuisement ; elle se retrempe dans une léthargie passagère : au moment où ses yeux se rouvrent, un verre d’arack la remet sur ses pieds et lui rend la voix. Enfin, quand la barrique d’arack est desséchée, les chants s’éteignent, les membres s’affaissent, un sommeil profond couvre le champ de fête, devenu silencieux et morne, et tout jonché de corps insensibles.

Mais ce n’était pas pour observer les tribus exilées des Betsimsaraks que le commandant de la station navale de Bourbon était venu s’établir à Sainte-Marie. Il préparait ses armes, exerçait ses équipages aux manœuvres de la guerre, leur inspirait l’esprit des combats, et l’œil fixé sur la grande terre, surveillant les côtes et tous les mouvemens de l’intérieur, nouant partout des intelligences, il attendait l’occasion d’y faire rentrer l’influence armée de la France. Il faut se rendre compte de l’état du pays. Madagascar, on le sait, embrasse quatorze degrés de latitude dans l’Océan indien. Une chaîne de montagnes, qui s’étend dans toute sa longueur, en occupe le centre et forme, pour ainsi dire, sa charpente osseuse. Les côtes de la mer sont basses, marécageuses, coupées de lacs, de rivières au cours tranquille comme des canaux naturels et facilement navigables pour les pirogues, d’une fertilité qu’on ne retrouve qu’aux Philippines et dans les îles de la Sonde. La population n’y est point groupée dans une nationalité commune ; elles se compose de tribus d’origines diverses dans lesquelles dominent trois types : le cafre, l’arabe, le malais. Quel que soit le nombre de ces tribus, il n’y a politiquement que deux races : le peuple conquérant et le peuple vaincu. Le premier, montagnard énergique, actif, laborieux, doué d’un instinct de discipline, fait pour commander, c’est la nature hôva ; le second, en grande partie riverain de la mer, énervé par les brises tièdes de la côte, par les chaudes émanations des marais, paresseux, haïssant toute discipline, livré au vagabondage, fait pour servir. Ce n’est pas seulement à leur résidence dans les hautes terres que les Hôvas doivent leur caractère entreprenant et leurs instincts de domination : ils sont de cette race malaise, qui est évidemment supérieure à toutes les races noires de l’Afrique. Leur histoire rappelle l’histoire des Aztèques du Mexique. Venus de contrées lointaines, ils s’établirent d’abord au centre du pays sur un plateau de montagnes, au milieu d’un bassin naturel entouré de cimes élevées. Comme les Aztèques, ils fondèrent une ville qui devint la capitale de tout le pays : Tananarivou et les lacs de la province d’Ankôve rappellent Mexico et les lacs qui l’entourent ; l’empire hôva est au petit pied l’empire de Montezuma. Cet empire s’est formé sous nos yeux. Jusque vers la fin du siècle dernier, la province d’Ankôve n’avait offert qu’un spectacle de désordre et d’anarchie. Le peuple hôva, dominé par l’esprit de clan, tournait contre lui-même son ardeur belliqueuse. Ce n’étaient que querelles et combats de canton à canton, au caprice de ses chefs. En 1785, le chef du canton d’Imerne, où s’élève aujourd’hui Tananarivon, homme de tête et de main, vainquit tous ses voisins et les assujettit. Il disciplina les Hôvas, leur imprima le respect de son gouvernement, et en fit un peuple conquérant. Bientôt il déborda du pays d’Ankôve, soumit trois peuplades qui l’avoisinaient, se les assimila et en fit un royaume qu’il mena par des lois draconiennes, mais qu’il administra habilement et qu’il transmit bien compacte, en 1840, à son fils Radama. Ainsi fut constituée la nation hôva, et la reconnaissance publique a consacré par un respect presque divin la mémoire de Dianampouïne son fondateur. Sous Dianampouïne et Radama, la province d’Ankôve fut, pour Madagascar, ce que la Macédoine avait été pour la Grèce sous Philippe et Alexandre. Radama, politique et guerrier, continua l’œuvre commencée par son père : il eut une armée permanente, et toute sa vie se passa en expéditions militaires. Le roi des Hôvas se proclama roi de Madagscar. Les Anglais l’admirent dans leur alliance ; ils lui fournirent des armes, des instructeurs pour ses troupes et il osa abattre le drapeau français, qui, depuis Louis XIII, n’avait pas cessé de flotter sur la côte. Il mourut en 1828, à l’âge de trente-sept ans.

Sous Radama, tout Hôva était soldat ; c’était l’ère de la conquête : son gouvernement s’appuyait sur tous les ordres de la noblesse ; mais, pendant ce régime de force et de chevalerie grossière, il s’était passé des choses qui avaient blessé profondément les instincts du peuple Hova. Les Hôvas sont très superstitieux : la loi n’est encore, à leurs yeux, que la parole des dieux. Le souverain représente la divinité, les prêtres en sont les ministres, et leur influence repose sur ce qu’il y a de plus intime et de plus puissant chez certaines races supérieures : le sentiment religieux. Avec les armes de l’Angleterre, Radama avait laissé pénétrer dans son pays des missionnaires chrétiens, qui prêchèrent l’horreur des idoles et le mépris des prêtres des faux dieux. Le temps leur manqua pour convertir l’île au christianisme, mais ils soulevèrent des haines qui ne tardèrent pas à éclater sur leurs têtes. Radama mourut ; un parti se trouva tout formé, ardent et appuyé sur les entrailles mêmes de la population, qui exigeait l’expulsion de ces étrangers, apôtres d’une croyance nouvelle et impie ; c’était le parti prêtre, le représentant du culte antique, le défenseur de la foi des anciens jours. Les chefs de ce parti entourèrent le lit où Radama venait d’expirer ; ils firent parler le mort et proclamèrent, pour son successeur à l’empire, la reine Ranavalou, sa veuve. Ranavalou s’incarna pour ainsi dire, dans le parti qui lui conférait des pouvoirs divins ; ses arrêts furent des oracles, ses jugemens des jugemens de Dieu, ses caprices la volonté du destin. Elle disposa à son gré des biens, de la vie, de la conscience de ses sujets. Les Européens ne pouvaient partager la crédulité nationale : leur expulsion devint une maxime d’état ; mais il fallait y arriver sans attirer sur Tananarivou les foudres de l’Europe. Les caprices, les impatiences de la femme habituée à tout fouler sous la poussière de ses pieds étaient à redouter ; ce fut le chef d’œuvre de Rainiharo, son premier ministre et son confident intime d’imprimer à ce pouvoir sans bornes un caractère de suite et de persévérance qui a produit tous ses fruits. Le règne de Radama avait été une époque de gloire guerrière ; il brisait toute résistance : c’était le gouvernement du sabre. Ranavalou Mandjaka a inauguré le règne d’une politique sombre ; qui frappe moins les yeux, mais qui enfonce plus profondément les racines des empires. Elle poursuit avec une persistance inexorable le but de Radama, la domination universelle de Madagascar ; elle y emploie et les expéditions militaires, et les négociations, et la perfidie, et la corruption, et tous les moyens d’influence ; elle ne recule devant rien. Son arme la plus puissante ; c’est le tanghin. Elle promène sans cesse la mort sur toutes les têtes ; quiconque est riche ou peut-être dangereux est soumis à cette épreuve terrible, et les oracles ne manquent jamais de trouver coupable l’homme dont la dépouille est enviable. Telle est la terreur mystérieuse dont elle a su frapper ses sujets, que pas un de ses agens ne lui a été infidèle. Tout plie devant son redoutable pouvoir ; les tribus qui n’ont pas voulu reconnaître son joug sont dispersées au milieu des forêts ; éperdues, sans chefs, sans appui, sans lieu de ralliement, elles errent aux bords de la mer, où se sont réfugiées dans les îlots voisins de la grande terre.

Cependant, l’armée de Radama n’existe plus, et la puissance des Hôvas perd chaque jour de ses moyens de résistance contre les armes de l’Europe. Ce pouvoir, d’ailleurs si habilement fondé, si irrésistible dans son action intérieure, se trouve déjà miné sourdement. Les gardiens des idoles n’ont fondé leur autorité qu’en écartant la noblesse et en proscrivant la religion chrétienne, et voici que la noblesse conspire avec l’Evangile le renversement du parti des idoles. On se réunit en secrets conventicules dans les lieux les plus cachés pour y lire la Biblen comme les premiers chrétiens se réunissaient dans les catacombes pour célébrer les mystères de la foi. Le prince Rakoutond, fils posthume de Radama et l’héritier présomptif du trône, est le chef de cette église naissante, qui, chaque jour, compte, dit-on, de nouveaux martyrs et de nouveaux adeptes ; mais, jusqu’ici, cette conspiration n’a pu entraver en rien la politique de l’état : malheur à quiconque éveille le soupçon de ce sombre pouvoir qui n’admet que des seïdes et des zélaleurs !

Quelle négociation tenter qui, de la part de ce pouvoir barbare, pût ne pas aboutir à l’outrage ? Le gouvernement de juillet n’aurait point pardonné au commandant de la station de l’avoir exposé aux insultes de la reine des Hôvas, dont il repoussait les prétentions à la souveraine de Madagasar L’amiral anglais, abusé sur les dispositions réelles du gouvernement hôva, vint, à la tête de quatre bâtimens de guerre, proposer un traité d’alliance entre la reine Victoria et la reine Ranavalou sa demande fut écartée tout d’abord. Il se borna alors à solliciter pour ses nationaux la liberté du commerce des boeufs, se soumettant, en signe d’hommage envers la souveraine de Madagascar, à payer une amende légère pour les coups de canon de Tamatave. Les insolentes prétentions de Ranavalou lui apprirent, mais trop tard, que la politique de Tananarivou repousse toute relation avec les Européens, comme si l’obstination féroce avec laquelle on maintient fichées sur des pieux, à la plage, les têtes des matelots anglais et français, ne révélait pas assez clairement les sauvages résolutions de ce gouvernement. Le commandant français refusa toute participation à ces inutiles tentatives. Ainsi fut déchiré, par les Anglais eux-mêmes, le pacte du sang versé en commun par la France et l’Angleterre à Tamatave ; ainsi furent maintenus dans toute leur intégrité nos droits sur Madagascar, et nous nous disposions à les faire valoir d’une manière digne de notre pays, quand le bouleversement de février retentit dans les mers de l’Inde. Qui eût pu croire que l’envoyé du gouvernement provisoire viendrait, après la leçon donnée à l’amiral anglais, s’exposer humblement aux dédains de la reine Ranavalou, et se faire signifier l’ordre de vider son territoire ? Ce n’était pas ainsi que la monarchie avait entendu la dignité de la France.


III

Dans les premiers jours de juillet, nous reçûmes à la fois l’ordre du gouvernement provisoire de proclamer la république, et la vague rumeur que l’assemblée nationale, dès sa première réunion, emportée comme un conclave qu’inspire l’esprit saint, avait, d’enthousiasme et sans discussion, proclamé la république française. Ainsi, la monarchie de juillet avait disparu tout entière, tombée sans laisser nulle trace, sans qu’il restât debout un seul débris où nous pussions nous rallier sur la foi de nos sermens ! Ainsi l’avait voulu la France. Nos ames lui appartiennent aussi bien que notre sang ; le commandant fit connaître ce grand événement aux bâtimens de la division navale par l’ordre du jour suivant : « Equipages, la France vient de se constituer en république. Rien n’est changé dans nos devoirs. La patrie conserve tous ses droits à notre entier dévouement. Pour nous, le cri de : Vive la république ! et le cri de : Vive la France ! » Et nous saluâmes de vingt et un coups de canon notre vieux drapeau d’Austerlitz, devenu le drapeau de la nouvelle république. Cette solennité, qui n’était que l’écho lointain des grandes scènes de la patrie, remplit nos ames de plus d’émotion que de joie ; chacun, au fond de son cœur, pria religieusement pour la grandeur et le bonheur de la France.

Les vivres allaient nous manquer ; il fallut retourner à Bourbon, qu’un décret du gouvernement provisoire appelait l’île de la Réunion. Dans ces temps malheureux, le ministère de la marine, tombé en des mains qui ne savaient que révolutionner et détruire, nous laissait sans direction. L’assemblée nationale seule devait prononcer sur la question coloniale, et voici qu’au moment où son pouvoir allait expirer, le gouvernement provisoire, semblable au Parthe qui fuit, jette ab irato sur les colonies l’affranchissement des esclaves ! Toutes les nouvelles de France nous arrivaient confuses, à l’état de simples bruits, comme un retentissement lointain des craquemens de la société. Le prestige de la patrie semblait s’évanouir, et le sol nous manquer sous les pieds ; l’autorité n’avait plus d’appui que dans l’ame énergique de ses mandataires.

Par bonheur, la population de Bourbon est animée d’un esprit de modération et de haute raison qui sut résister à toutes les causes d’ébranlement. Les commissaires les plus ardens du citoyen Ledru-Rollin fussent restés impuissans devant le bon sens des habitans. La transformation sociale était depuis long-temps dans tous les esprits ; seulement, on espérait y arriver sans secousses violentes, sans qu’il en résultât la destruction du travail, et par conséquent la ruine de la colonie. Soit douceur naturelle produite par le climat, soit bonheur des circonstances, la haine des castes y est inconnue. Les mulâtres n’y respirent point ces implacables rancunes, cette jalousie cruelle et la soif de vengeance, qui sont la plaie de nos Antilles. Rien ne broncha dans cette société ; chacun attendit avec calme ; il n’y eut de danger que pour ces ames inquiètes qu’agitent sans cesse de vaines alarmes ou des terreurs imaginaires.

Le premier devoir imposé au commandant de la station, après avoir fait une large part de ses bâtimens pour la sécurité de la colonie, était l’établissement d’un service de communication bimestrielle à la vapeur par la mer Rouge entre la France et ses possessions de l’Océan indien : projet utile, surtout dans la crise où nous nous trouvions, mais qui, malgré un premier essai favorable, a disparu, comme tant d’autres, sous le souffle destructeur de février. Si les troubles de la France n’avaient pas suspendu l’envoi du charbon, le commandant se fût transporté à Aden ou à Suez ; mais, dans l’état de discrédit où était tombé soudain notre malheureux pays, quand partout le commerce repoussait les traites sur le trésor public, c’était sur Bombay qu’il fallait s’appuyer pour tenter l’entreprise. Nous étions au mois d’août : à cette époque, la combinaison des moussons faisait de Bombay le point central de la station de la mer des Indes ; centre d’approvisionnement de toute sorte, à vingt jours de Bourbon, à huit d’Aden, à un mois de Paris, dont on recevait les lettres deux fois par mois, c’était le point forcément indiqué au commandant de la division navale, soit pour embrasser toute sa station, soit pour provoquer les ordres du nouveau gouvernement de la France. Le 16 août, nous étions aux Seychelles, et le 11 septembre nous mouillions sur la rade de Bombay. Ce fut là enfin, au milieu de cette race énergique des Anglais de l’Inde, parmi ces hommes si fiers de leur nationalité, de la stabilité et de la durée de leurs institutions, qui leur assurent l’empire du monde, que se déroula pour nous le tableau du 24 février avec toutes ses conséquences.

Quand une nation comme la France juge à propos de changer ses institutions, de substituer une forme de gouvernement nouvelle aux formes antiques à l’abri desquelles elle a grandi et pris rang dans le monde, elle doit à l’univers, elle se doit à elle-même de justifier non-seulement la légitimité, mais encore la nécessité de ce changement. L’estime et la sympathie des autres nations sont à ce prix, car toute révolution violente entraîne des déchiremens et des bouleversemens que la grandeur et l’impérieuse nécessité du but peuvent seules excuser. La puissance d’une nation, comme celle des particuliers, son influence dans le monde, tiennent surtout à la grandeur de ses actes, la stabilité de ses institutions, à sa persévérance dans de glorieux desseins. Rien ne l’élève comme la constance, rien ne l’abaisse et ne la dégrade autant que l’instabilité et de vains caprices. Quel Français voyageant à l’étranger n’a béni mille fois le prestige dont l’entourait, dans ces dernières années, son caractère national ! On oubliait les sombres jours de 93 en faveur des nobles conquêtes de la liberté, on plaignait notre patrie d’avoir été contrainte d’acheter sa régénération au prix de tant de sang et de crimes ; mais enfin la France semblait avoir trouvé sa voie. Nos lois étaient les plus justes et les plus douces du monde. Toutes les idées nobles et généreuses avaient chez nous un foyer, tous les malheureux une patrie. L’Europe ne pouvait refuser son admiration à notre politique conservatrice, protectrice de tous les droits, et si ménagère du sang humain. Nulle part l’étranger ne trouvait plus de liberté réelle, plus d’égalité : les attaques si violentes de l’opposition lui semblaient des luttes factices, un simple exercice des partis. Que s’il restait encore à la liberté quelques conquêtes à désirer, c’était l’affaire du temps, de la volonté nationale et du jeu libre de nos institutions. Est-il une disposition fondamentale et sérieusement utile de la république (le nom seul excepté) que la France n’eût pu obtenir sous la constitution de juillet, dès que le besoin général en eût fait une loi ? On sentait bien dans les profondeurs de la population rugir d’implacable haines, résultat forcé de nos longs troubles, et qui, dans leur aveuglement, invoquaient des principes féroces et destructeurs ; mais quelle nation est à l’abri de cette lèpre, et pourquoi la société a-t-elle des armes, si ce n’est pour faire justice des éternels ennemis de tout ordre social ? De tout temps, la commune et les septembriseurs ont existé en germe ; depuis Étienne Marcel jusqu’au citoyen Caussidière, depuis le comte de Saint-Pol et sa compagnie de bouchers jusqu’au citoyen Barbès et ses redoutables bandes, tout chef de faction peut d’un mot faire sortir des boues et des pavés de la capitale l’élément féroce toujours prêt à la destruction. Révolutionnaires de toutes sortes, l’ignorez-vous donc ?

Sur le sol étranger, si l’ame s’exalte à tout ce qui glorifie la pairie, comment redire les étreintes dont on est saisi dès qu’elle s’abaisse ou s’humilie ? Quelle amertume pour nous que de voir les noms de l’opposition légale associés et servant de bannière aux manifestations des destructeurs de l’état social ! La royauté disparaissant du sol de la France, emportée dans la suite d’un vieillard brisé par l’âge et le chagrin ! Tous les grands pouvoirs de l’état s’effaçant dans la poussière, sans qu’un cri s’élevât pour protester, devant une poignée d’hommes sans nom, sans caractère, sortis, Dieu sait d’où ! L’armée, la noble armée française, dont l’éclat est si prestigieux dans le lointain, ces régimens si fidèles et si braves, se laissant enlever leurs armes et traiter comme des mannequins par des enfans qui s’en faisaient un jeu ! Des généraux illustrés sur les champs de bataille assistant l’arme au bras à la destruction des derniers défenseurs de l’ordre ! L’héritier du trône, un enfant, au sein même de la représentation nationale, menacé du couperet d’un égorgeur ! Un ancien garde du corps, un poète qu’inspirait et soufflait en cet instant un acteur de mélodrame, donnant tout à coup une voix à ce chaos, et député de la France, quand son serment l’appelait à la tribune pour y flétrir les violateurs du sanctuaire des lois, se faisait l’ame de ce désordre impie, et s’en allant proclamer la république au nom de ce peuple qu’on ne voit qu’aux heures sinistres des nations : semblable à ces rois rhapsodes de l’antiquité, dont le sceptre était une lyre, et qui avaient pour rôle de mener l’orgie populaire par les rues et les places publiques !

Ce qui nous toucha surtout jusqu’aux plus intimes profondeurs de l’ame, c’est que la France, revenue de son étourdissement et pouvant compter le petit nombre de ses vainqueurs, au lieu de les secouer loin d’elle avec indignation, se fût laissé promener par eux dans les plus étranges hasards, en acceptant pour devise le cri des bacchantes : Alea jacta est ! Ne sait-on pas que livrer les rênes de l’état au génie lyrique de tels hommes, c’est provoquer la foudre ? Leur avènement aux affaires ne peut être que le signal de quelque grande calamité publique. Autant vaudrait, sur un vaisseau en pleine mer, attacher au gouvernail une outre d’Eole, qui tantôt, imprégnée mollement des douces émanations du soir, bercerait l’équipage et les passagers aux harmonies des harpes aériennes, et tantôt, courroucée par les ardeurs d’un soleil vertical, déchaînerait la tempête sur les flots, et ferait sombrer, navire et matelots, sans même avoir la conscience de son influence funeste. Qu’on y songe ! il n’a fallu rien moins que l’immense expiation des journées de juin pour nous relever dans l’estime des nations.

Certes, nous nous présentions sur un bâtiment de l’état qui offrait un spectacle imposant. Un ordre parfait y régnait ; une volonté suprême et toujours attentive faisait pénétrer partout une discipline régulière et toute puissante : c’était l’expression la plus parfaite, comme une émanation d’une société fortement établie sur sa base ; jamais le pavillon de la France n’avait flotté sur un plus noble bâtiment, jamais plus vaillant équipage ne l’avait appuyé ; les Anglais n’avaient rien dans les mers de l’inde qui pût nous être comparé. Le contraste de cette frégate si puissamment organisée avec les agitations de notre patrie frappait d’étonnement les populations qui venaient en foule nous visiter, et qui s’attendaient à trouver parmi nous comme un écho des saturnales de Paris. On nous entourait des plus grands égards, sans doute pour nous faire illusion sur le dédain profond qu’avait inspiré le gouvernement provisoire de la France : toutes les bourses s’ouvraient devant nos besoins personnels, on nous offrait des lakhs de roupies[3] sur notre signature privée ; mais on repoussait, avec une expression que nous ne voulons pas redire, la garantie de ce pouvoir surpris à l’abîme de février. Le même officier qui, quelques mois auparavant, trouvait partout un crédit illimité, — car la probité du gouvernement de juillet et sa fidélité aux engagemens étaient, en tous pays, au-dessus du soupçon, — n’aurait même pu obtenir la nourriture journalière de ses équipages. Par bonheur, nous n’avions pas besoin de recourir à l’assistance étrangère ; mais c’était une rude épreuve pour nous, mandataires de l’orgueil de la France et qui ne vivons que de noble fierté ! Il semblait que la France eût été détrônée tout à coup aux yeux de l’univers ! Elle qui naguère régnait par les idées, aux aspirations de laquelle tout noble cœur tressaillait et faisait écho, elle venait de souiller, dans toutes les ames, l’image sacrée de la liberté ; sous le voile un instant soulevé par le gouvernement provisoire, chacun avait vu un gouffre béant prêt à engloutir la société. À la vue de cette minorité audacieuse qui avait pu imposer au pays entier un gouvernement hors du vœu national, on se demandait si le sort de notre pays était tellement enchaîné à quelques agitateurs de la capitale, qu’on pût, en deux victoires et cinq jours de marche, venir, dans une dernière bataille sous les murs de Paris, décider des destinées de la France républicaine ! Les révolutionnaires, qui n’hésitent pas à jeter leur pays dans des convulsions à la poursuite de vaines théories, n’ont donc, sous leurs déclamations pompeuses, aucun sentiment de ce qui fait la dignité et la grandeur de la patrie !


IV

Cependant le temps marchait, et les envoyés du gouvernement provisoire, les exécuteurs du décret si brusquement lancé sur les colonies, étaient arrivés à Bourbon. Le bon esprit des habitans arrêta les énergumènes qui auraient pu agiter l’île. Aux Antilles, ainsi qu’il était advenu des déclarations insensées de 93, l’affranchissement violent des esclaves a allumé une fièvre brûlante qu’on n’éteindra peut-être que dans le sang. À Bourbon, c’est la fainéantise et la démoralisation des classes inférieures de la population qu’on a décrétées ; c’est une plaie rongeuse qu’on a inoculée à ce malheureux pays. Nous revîmes Bourbon en février 1849, deux mois seulement après la dissolution de l’ancien état social, et déjà la terre et les habitans avaient subi une altération profonde. Avant la révolution, une foule de petits propriétaires vivaient du travail de quelques esclaves : ce n’était pas la richesse, c’était une douce aisance, rendue gracieuse par la simplicité des goûts et la modération des désirs. En général, la domination du maître sur l’esclave s’exerçait avec une grande bienveillance. Le décret d’affranchissement leur a ôté brusquement toute ressource par le discrédit où sont tombés les bons de l’indemnité promise par la métropole. En 1849, ils ne vivaient déjà plus que des débris de leur ancien bien-être. Fiers encore, malgré leur accablement, ils cachaient avec soin leur détresse ; mais l’expression de la misère qui veut se dissimuler se lisait dans leurs yeux creux et ternes, dans leurs traits hâves, amincis, réduits à un amaigrissement qui faisait mal à voir. C’est cette classe intéressante de la population, — la plus nombreuse, puisqu’elle compte de quatre à cinq mille familles, la plus digne aussi de ménagement, — qui se trouve le plus profondément atteinte par la brusquerie de la mesure, et qui peut-être ne s’en relèvera pas : les travaux pénibles la tueraient. Va-t-il donc, sous l’atteinte flétrissante de la misère, grossir les rangs des petits créoles ? Si cela est, comment des hommes dépositaires des destinées de leurs compatriotes ont-ils pu rendre un décret si impitoyable ? Nous avons déjà parlé des quartiers situés au vent de l’île ; qu’on aille visiter les quartiers sous le vent, les plus fertiles de toute la colonie, naguère si fiers de leurs richesses, surtout de leurs espérances, et dont les cultures étaient si soignées, les habitations si riantes.

On rencontre à chaque pas des aqueducs, des canaux d’irrigation, de beaux travaux d’art destinés à rendre la terre plus féconde ; mais déjà la dégradation les saisit. Les clôtures des propriétés ne sont plus entretenues, la culture languit, les sentiers sont enchevêtrés de ronces, les herbes parasites envahissent les cannes à sucre et les attirent à terre, et, pour comble de maux, une maladie semblable à celle des pommes de terre a frappé la canne. On voit déjà s’amoindrir et disparaître cette culture si favorisée, et avec elle la richesse commerciale de Bourbon. Partout les bras manquent ; les noirs ont déserté leurs anciens maîtres : rien ne peut les ramener au travail, ni la persuasion, ni l’offre d’un honnête salaire ; ils aiment mieux vivre de petits larcins dans le vagabondage. Le cœur se serre à ce spectacle, et l’on se sent prêt à maudire la liberté.

Que Saint-Paul était une charmante bourgade avant l’affranchissement des esclaves ! La grande rue surtout qui borde le canal offrait une succession des plus délicieux cottages. Maintenant la flétrissure est empreinte partout. Le Bernica, cette belle habitation de la famille Parny, n’a pu échapper à la loi fatale. C’est pourtant avec un soin pieux que l’héritier de Parny, M. Lefort, a conservé la maison et le souvenir du poète ; il en fait les honneurs avec une aménité pleine de charmes, qui n’est pas rare chez les créoles de Bourbon. L’habitation est située à l’entrée même de la gorge. Trois bassins successifs et comme échelonnés l’un au-dessus de l’autre mènent au fond de la ravine ; on les franchit en pirogue. Le dernier est circulaire, entouré d’un cirque de rochers à pic ; la sonde y rapporte jusqu’à cent cinquante pieds d’eau ; un vaisseau a trois ponts y flotterait : c’est là que tombe d’une hauteur de plus de cent pieds la cascade qui se fait jour par une crevasse au centre d’une muraille verticale. Comment se refuser à l’idée que c’est un ancien cratère de volcan aujourd’hui éteint et comblé par les eaux ? On est là comme au fond d’un gouffre ; le spectacle est grandiose, mêlé de grace et de terreur. Quand on s’arrête à contempler d’un côté ces montagnes déchirées, ces noires parois de roc qui vous serrent et vous compriment, — de l’autre, à l’issue de la gorge, le soleil couchant derrière un rideau de dattiers et de cocotiers, et le calme qui semble descendre doucement du ciel sous la forme d’un voile azuré ; quand on prête l’oreille aux murmures des cascades qui semblent rendre l’air harmonieux, on oublie volontiers les alarmes de cette société qui croule. Mais l’ombre, qui s’épaissit vite au fond du ravin, vous rappelle bientôt à Saint-Paul. — En nous promenant au marché, le lendemain de notre visite au Bernica, nous rencontrâmes M. Lefort. Il avait l’air préoccupé. Pendant la nuit, tout le raisin d’une magnifique treille qui fait une partie de son revenu avait disparu : il cherchait le voleur. Ah ! sortons de cette affreuse réalité, et berçons-nous de l’espoir qu’une civilisation nouvelle sortira radieuse des décombres de l’ancienne.

Dans la rade de Saint-Paul se trouve le seul point peut-être de toute là côte où la mer ne brise pas constamment avec violence ; c’est comme une facette de rocher, large au plus d’une soixantaine de pieds, qui plonge verticalement dans l’eau à près de dix brasses de profondeur. Un homme d’une intelligence peu commune, d’une grande persévérance contre la mauvaise fortune, dont toute la vie a été occupée de travaux utiles, à qui Bourbon doit la plus grande partie des établissemens de marine destinés à faciliter les chargemens et les déchargemens des navires sur divers points de la côte, a conçu le projet hardi de couper dans ce rocher une cale de halage, et peut-être, si le succès répond à ses vœux, un canal d’abri pour quelques barques de cabotage. Sans doute nous n’avons pas besoin d’insister pour faire comprendre ce qu’un pareil établissement aurait d’avantageux pour la colonie : rien de plus sagement combiné que ce plan, rien de plus digne d’appeler les sympathies du gouvernement de la métropole. C’est une entreprise de bien public qu’il faudrait adopter, ou tout au moins soutenir d’une main généreuse, afin que, dans la crise où la France a plongé sa colonie, le succès ne repose pas tout entier sur les efforts d’un simple particulier que les autres habitans ne sont guère en état d’aider.

Un trait de la vie de cet honorable colon fera connaître ce qu’avait d’aventureux, il y a trente ans à peine, l’existence des hommes qui allaient recruter des travailleurs pour Bourbon. M. Cremasy commandait un navire chargé pour la côte. Afin de donner le change sur ses opérations, il voulut relâcher à l’île de la Providence, située au nord du canal de Mozambique, à l’effet d’y prendre les cocos germés pour la nourriture des noirs. En ce temps-là, les moyens de navigation le long de la côte d’Afrique étaient grossiers : on ne connaissait pas les câbles-chaînes ; ont ne se servait guère que de câbles en bastain, ce crin de palmier si abondant aux Célèbes sous le nom de goumoutou ; et comme ces câbles se coupaient souvent sur les récifs et les fonds de coraux, pour ménager les ancres, on mouillait ce qu’on appelait une pégase, espèce de cadre en bois chargé de pierres. À peine mouillé près de la providence, le capitaine se rendit à terre pour reconnaître les ressources de l’île et renvoya à bord son canot. Il parcourait le rivage depuis quelque temps, quand la pégase de son câble se rompit, et le navire fut emporté au large par les courans très violens dans ces parages. Le lieutenant mit sous voiles pour regagner le mouillage, mais il ne put refouler le courant assez vite, et la nuit tomba avant qu’il eût repris son poste. Le capitaine, resté à terre, n’avait pour vêtement qu’une veste et un pantalon de toile blanche, pour arme qu’une manchette, espèce de sabre de bord qu’on trouve aux mains de tous les Indiens du Mexique. Quand il se vit condamné à passer la nuit sur cette île déserte, il songea à se faire un abri : des feuilles d’un cocotier, il construisit un ajoupa ; il se désaltéra avec l’eau des cocos, et l’amande lui servit pour souper. Il dormit mal cette nuit-là ; une inquiétude vague sur le sort de son navire, les maringouins, des bandes de rats qui vinrent l’assaillir, l’anxiété même de la solitude, le tinrent éveillé. Au point du jour, il était sur la plage, cherchant dans la brume du matin une voile à l’horizon : il ne vit rien. Il attendit le soleil ; le soleil se leva, dissipa le brouillard, répandit sur la mer un azur argenté ; mais de navire point.

Le capitaine s’assit et plongea de longs regards dans le vague de l’air. Ses réflexions, tout le monde les sait d’avance. Il prit sa manchette et partit. Il n’eut pour déjeuner que du coco, à dîner que du coco. Dans ses courses, il rencontra des concombres sauvages ; mais il eût fallu les faire cuire, et le feu lui manquait. Un sauvage, en moins de rien, lui en eût allumé, en frottant l’un contre l’autre deux morceaux de bois d’inégale densité. Il eut recours au procédé du sauvage : il fit un trou dans un bois léger, y plaça un bâton pointu d’un bois plus dur qu’il fit tourner entre ses mains le plus rapidement qu’il put ; mais soit maladresse, soit accident, il ne put, ce jour-là, se procurer du feu. Le lendemain, point de navire : il se remit à l’œuvre pour le feu. Il s’y prit mal encore, puis un peu mieux, puis il vit le bois se charbonner. Il redoubla d’efforts ; une légère fumée sortit du contact des morceaux de bois ; il y plaça des fibres desséchées de cocotier ; enfin, vers le soir, une étincelle jaillit, la fumée devint brillante, les fibres de cocotier s’étaient allumées ; il souffla le feu, l’accrut, et poussa un cri de joie quand la flamme embrasa son bûcher. Alors il se procura un morceau de bois assez gros pour garder le feu pendant la nuit, entassa des branches et des feuilles sèches, et, accroupi devant le foyer, il passa presque toute la nuit à l’entretenir et à l’admirer. Cependant ses yeux se fermèrent : un bruit singulier le réveilla ; il crut entendre marcher près de lui. Il écoute, regarde, et voit en effet une tortue de mer qui montait à la plage pour y déterrer ses oeufs et emmener ses petits éclos. Tel est l’instinct de ces animaux ; ils déposent leurs oeufs dans le sable, au-delà de la limite extrême qu’atteignent les vagues de la mer, dans une exposition favorable pour recevoir les rayons du soleil, et, cinquante jours après, sans le moindre retard, ils viennent les déterrer. Au moment où la couche de sable qui les recouvrait s’enlève, les jeunes tortues rompent leurs coquilles et marchent en file à la suite de leur mère, qui les conduit à l’eau. Dès qu’elles ont touché le flot, elles s’attachent au ventre de leur mère, qui les emporte au large.

Le capitaine, marcha vers la tortue à pas de loup, la retourna sur le dos et se tint en sentinelle pour la garder. Au jour, il se mit en devoir de la dépecer ; elle était énorme il lui fallut de grands efforts ; enfin il y parvint, la trouva fort grasse et bien à point. Il fit cuire la chair, qui lui parut excellente, et conserva la graisse, qui, mise dans les écailles des petites tortues avec des fibres de cocotier en guise de mèche, lui servit en lampion, en veilleuse et en lustre. Il eut facilement du sel par l’évaporation de l’eau de mer ; l’écaille de la grosse tortue lui servait de marmite. L’eau de coco le fatiguait : il creusa un puits dans le sable et se procura de l’eau douce. Bientôt il lui fallut laver son linge ; mais jamais il ne put se décider à rester nu un seul instant : il ne lavait son pantalon que quand sa chemise était sèche. Enfui il écarta de son ajoupa les rats et les moustiques en brûlant et défrichant l’espace qui l’entourait ; il y fit même une sorte d’enceinte que tout animal immonde respecta. Dans ses promenades, il avait rencontré beaucoup de tourterelles qui se laissaient facilement approcher ; il leur fit la chasse à coups de gaule, et ce fut un nouveau mets qu’il ajouta à sa cuisine. Pour les faire rôtir, il les suspendait à un fil de cocotier qu’il tournait entre ses doigts, et les présentait à une flamme pétillante : il les trouva tendres, grasses, exquises. Dans le sud de l’île de la Providence s’étend un banc de coraux qui n’a pas moins de onze lieues de longueur, et qui couvre et découvre à chaque marée. Quand la mer se retire, le poisson se réfugie par masses considérables dans les creux où l’eau séjourne. Ce fut pour le solitaire une nouvelle source de jouissances et d’occupations. Chaque jour, à marée basse, il se rendait sur le récif, cherchait les réservoirs où le poisson était le plus entassé, là armé de sa manchette, il choisissait les plus délicats et les harponnait. Il fit sécher les plus convenables, et eut de la sorte un approvisionnement qui le rassura sur sa subsistance.

Ce qui préoccupait surtout le pauvre solitaire, c’était l’idée de sortir de son île. Chaque matin, il passait de longues heures sur le rivage, près du lieu où son navire avait disparu : mille appréhensions douloureuses traversaient son esprit ; parfois il pensait que peut-être ses compagnons avait fait naufrage sur quelque écueil inconnu de ce dangereux archipel. Il songeait donc à appeler l’attention de tous les navigateurs que le hasard ferait passer en vue de son île. Il était parvenu, non sans peine, à réunir une quantité de bois assez considérable pour faire un grand bûcher. Un amas de feuilles sèches occupait la partie inférieure ; des lits de feuilles de cocotier alternaient avec les troncs d’arbres qu’il avait empilés les uns sur les autres ; il guettait l’occasion d’y mettre le feu et de révéler, par l’éclat d’une flamme immense et sa présence et sa détresse. Tous les soirs, ses yeux parcouraient l’horizon avec la plus vive anxiété. Ainsi les jours succédaient aux jours, et, sa solitude lui paraissait de plus en plus profonde. Son seul plaisir était de contempler les frégates qui dîmaient et taillaient les goélands, quand ceux-ci venaient par bandes chercher dans son île un asile pour la nuit. Par un secret instinct du danger, les goélands regardaient d’abord si quelque frégate ne planait pas au haut des airs. Ils portaient dans leur bec la pitance du soir, destinée sans doute à leurs petits, et qu’ils avaient choisie avec soin dans leur pêche sur le récif. Ne découvrant aucun ennemi, ils abaissaient leur vol, rasaient la surface de la mer, de manière à se confondre, pour ainsi dire avec son écume, et accouraient à la plage ; mais là l’ennemi les attendait en embuscade, fondait sur eux, et de son aile dure, immense, rapide, les frappait à coups redoublés, jusqu’à ce qu’ils eussent lâché leur proie. Le goéland, battu et dépouillé, regagnait, en poussant des cris de douleur et de détresse, son nid, où l’attendaient ses petits affamés. Là, c’était une scène de désolation, des cris confus, des lamentations, jusqu’à ce que la nuit vînt tout ensevelir dans le sommeil, ou qu’un voisin moins maltraité, jetant hors de son nid le surplus d’un souper copieux laissât tomber ainsi une consolation sur le Monde d’oiseaux, n’es-tu pas l’image de la société des hommes ?

L’inquiétude saisit le capitaine sur le sort de ses vêtemens. Comment couvrirait-il sa nudité, lorsque sa chemise partirait en lambeaux ? Il se mit à tisser une sorte de natte avec les fils d’un palmier ; l’arête d’une feuille de cocotier qu’il tailla et polit lui servit de navette : c’était un vêtement grossier, mais au moins il y trouvait un abri contre le soleil et le contact direct de l’air, Il admira son industrie, et son ame en éprouva une sorte d’exaltation. Il ménageait sa chaussure à l’aide de sandales faites d’écorce de cocotier. Enfin il se mit à explorer son île en détail. L’île de la Providence est plate, sablonneuse, et n’occupe pas en circonférence plus de deux lieues. Le tiers seulement de a superficie est couvert de cocotiers ; c’est dans la partie du vent. Les courans et les brises régnantes de l’est ont porté sur ce point des cocos qui ont germé, pris racine, et, se propageant de proche en proche, ont formé dans la succession des âges une forêt. Tout le reste n’est qu’une plaine de sable, semée çà et là d’arbustes rabougris, d’herbe dure et saline, et de maigre gazon. Un soir qu’il regagnait pensif son ajoupa, suivant le bord de la mer et ramassant des coquillages pour son souper, il crut voir poindre à l’horizon les voiles d’un navire. Le soleil venait de se coucher, l’atmosphère semblait encore embrasée de ses rayons mourans, les nuages du crépuscule étincelaient de feux des plus riches couleurs ; mais ce point qui brillait au sein des vapeurs dorées du soir, était-ce bien une voile ? Les nuages tant de fois avaient pris cette apparence à ses yeux ! La brise poussait le bâtiment de son côté ; toutes les formes variaient alentour : ce point seul conservait son aspect. Il n’en douta plus, c’était un navire ! Alors son cœur s’émut d’espérance et de crainte. Était-ce son propre navire ou un étranger qui passait par hasard ? Fallait-il mettre sur le champ le feu à son bûcher, au risque de consumer en pure perte le résultat de tant d’efforts ? Cependant la voile grandissait. Quand la nuit fut sombre, il se décida et approcha du bûcher une torche enflammée : le feu s’éleva dans les airs en immense pyramide ; le navire sembla comprendre le signal de ce phare improvisé, et s’approcha du mouillage. C’était bien le lieutenant qui venait chercher son capitaine. Emporté par les courans, manquant d’eau et de vivres, il avait été contraint d’aller se ravitailler à Anjouan, près de Mayotte. L’exilé écrivit l’histoire de ses trente-deux jours d’abandon et la mit dans une bouteille qu’il suspendit à l’arbre le plus apparent de la forêt. Il fit débarquer un coq et quatre poules, qui ont multiplié et couvert l’île de volailles ; un sentiment d’humanité lui inspira cette pensée, et il fit ses adieux à son île.

Il faut revenir à Bourbon cependant, car comment se soustraire aux sinistres pressentimens qu’inspirent les destinées de cette île, naguère si favorisée ? Chaque pas que vous faites sur ce sol flétri, chaque parole que vous échangez avec les habitans, vous y ramènent forcément. De toutes les habitations s’élève un concert de plaintes sur les embarras actuels et d’alarmes pour l’avenir. On dirait un monde qui se meurt. Il faut se poser résolûment cette question : Quel sera le sort de Bourbon sous l’influence du décret d’affranchissement des noirs ? C’est par le travail esclave, par le travail forcé, que Bourbon est devenue une grande fabrique de sucre. Pourra-t-on se procurer le travail libre nécessaire à l’entretien de cette production Ce serait une illusion vaille que de l’attendre du noir nouvellement affranchi, Il faut appeler des travailleurs du dehors. L’essai qu’on a fait des Chinois de Singapour n’a eu d’autre résultat que d’introduire dans la colonie deux ou trois mille bandits dont le vol est l’unique pensée. Reste donc la ressource des coulies de l’Inde, et l’expérience a prononcé aussi bien à Bourbon qu’à Maurice ; c’est tout simplement une question de capital. Maurice, on le sait, se maintient à l’aide des capitaux de la métropole. Chez nous, on verra se soutenir les riches habitations, malheureusement en très petit nombre, situées dans des conditions favorables soit de culture, soit d’exploitation, soit d’habile direction, qu’une hypothèque ne grève et qui peuvent faire de grandes avances ; mais les petites entreprises et toutes celles qui n’ont pas une vitalité énergique tomberont successivement. Qu’on n’oublie pas qu’à Bourbon l’industrie sucrière est un peu précaire : la canne n’y trouve pas, comme dans les îles de la Sonde, une vie exubérante dans un sol profond, inépuisable, dans les feux d’un soleil équatorial. Bourbon est presque à la frontière de la zone propre au roseau à sucre, qui exige là des soins attentifs, incessans, coûteux ; la maladie qui l’a saisi depuis quelques années inquiète les esprits sur les chances futures de sa production. Et quelle autre culture pourra attirer en aussi grand nombre les navires de l’Europe et alimenter le commerce maritime ? Malheureusement le café a été bien délaissé ; les créoles prétendent même que la terre, épuisée par la canne, n’offre plus guère de chances de gain dans l’exploitation des cafeiries. Les petites cultures en vivres du pays se multiplieront ; mais quel profit en tirera le commerce d’exportation ?

Eh quoi ! l’éclat que la race blanche avait porté sur cette terre du tropique va-t-il disparaître ? et doit-elle donc elle-même s’effacer ? Le sol va-t-il perdre sa fécondité ; l’espèce humaine, sa dignité et sa beauté ? Une race inférieure va-t-elle succéder ? la civilisation va-t-elle rétrograder ? le gouvernement provisoire n’aurait-il décrété qu’un retour vers la barbarie ? Le nègre (tout l’annonce du moins), le nègre périra ou croupira dans sa paresse et dans son indolence ; la civilisation de l’Europe n’a sur lui aucune prise. Le travail, qui chez nous relève l’homme, l’esprit du capital, qui donne à nos sociétés modernes tant de forces, tant de puissance, tant de bien-être, en faisant contribuer par l’accumulation le labeur des siècles passés au bonheur des générations présentes, rien de tout cela ne répond aux instincts bruts du noir. Dans ces climats, on dirait que le génie de la liberté, comme Saturne, dévore ses propres enfans et engloutit les nations. Le nègre se retirera avec les petits blancs dans les lieux les plus sauvages et les moins accessibles de l’île, vivant de chasse, de pêche, de quelques fruits et légumes qu’il aura nonchalamment fait pousser, — apparié au rebut des négresses fixées près de lui par un instinct analogue ; c’est une race qui s’amoindrira et se détruira peu à peu. Quant aux familles blanches ruinées par le décret d’affranchissement, ou elles fuiront, ou bien la misère en réduira le plus grand nombre à l’état de petits créoles. Ainsi, dans toutes les classes, l’espèce humaine semble devoir s’abaisser d’un degré ! La femme créole, cette merveille de la création, va-t-elle donc être remplacée par la négresse et la mulâtresse ? Celles-ci actives, provoquantes lascives, douées d’un vif instinct de volupté ou de coquetterie, nient déjà la supériorité de la femme blanche. Il faut les voir dès aujourd’hui, sombres perles des rues, en robes éclatantes, avec des épingles d’or chatoyant dans leur épaisse chevelure, drapant sur leurs épaules un riche crépon de Chine, faisant ondoyer au-dessus de leurs têtes noires une ombrelle de soie blanche brochée à longues franges, les mains serrées dans des gants blancs, les pieds nus, mais le soulier de satin (armoiries de la femme libre) suspendu au poignet ; il faut les voir se prélasser dans leur liberté et leur égalité constitutionnelles ! Jusqu’ici, leur empire ne s’exerce encore que sur la place publique ; bientôt elles feront les délices des soirées du gouvernement, peut-être dans le palais de quelque roi Christophe ou de quelque empereur Faustin. C’est ainsi que l’ombre de Saint-Domingue plane sur toutes nos colonies ; on veut en vain y échapper. La philosophie appellera ce phénomène social l’avènement ou la réhabilitation des classes maudites, la consécration de l’unité des races, et l’univers sera consolé. Quant à la morale de cette société nouvelle, les apôtres de l’humanité trouveront là un vaste champ à cultiver.


V

Nous sommes enchaînés à Bourbon comme Prométhée sur son rocher : voilà, d’un seul trait, notre attitude dans l’Océan indien ; mais qu’il soit bien constaté que c’est volontairement, de propos délibéré, que la France, héritière de Louis XIV souveraine titulaire de Madagascar, se condamne elle-même à cette condition d’impuissance. Quand on pense qu’avec les forces de terre et de mer que nous entretenons dans ces parages sans but sérieux, sans effet utile, il eût suffi d’un homme doué de l’ame qui inspira Fernand Cortez, d’un chef tel qu’on en trouverait dans les rangs de notre armée, trempé aux combats et capable d’autre chose encore que d’un coup de main ou d’une action d’éclat, pour substituer la domination française à la domination hôva, pour conquérir à la France une île aussi riche, aussi fertile que Java, un autre Saint-Domingue enfin, on reste surpris et l’on ne qu’admirer le plus ou du désintéressement de notre pays, ou de son indifférence pour tout empire lointain et pour la grandeur maritime qui en résulterait. Mais il faudrait conquérir en Romains, comme font les Anglais dans l’Inde, les Tartares-Mantchoux dans le vaste empire de la Chine, les Hollandais dans les îles de la Sonde ; il faudrait respecter les nationalités et les lois des peuples conquis, leur laisser leur religion, leurs mœurs, leurs coutumes, leurs usages, se contenter de dominer politiquement et militairement. Nous voulons malheureusement, non pas conquérir, mais vaincre pour le triomphe de nos idées et de nos principes. Eh bien ! appliquez à Java, à ce rubis de la mer des Indes, qui, à elle seule, fait du petit peuple hollandais une puissance maritime de premier ordre, appliquez-lui notre code civil et les articles de notre constitution, et immédiatement une nuit profonde l’enveloppera, et elle retombera dans les ténèbres et les misères de la barbarie. Puis, quand on a conquis, il faut gouverner. Or, l’administration des conquêtes lointaines exige une suite, une persévérance dans la politique, une stabilité dans les institutions, qui se trouvaient peut-être dans les conseils et la monarchie de Louis XIV, que les Anglais possèdent au plus haut degré, dont la Hollande est un parlait modèle, mais dont la France moderne semble se montrer incapable. Nous n’aurions pas proposé au gouvernement de juillet, à ce gouvernement des classes moyennes, la conquête de Madagascar ; l’inconsistance de nos assemblées eût frappé cette politique d’impuissance. Encore moins la proposerons-nous à la république : attacher à la France des peuples lointains qu’on ferait contribuer à sa grandeur, à sa puissance, en créant de grandes fortunes, de grandes existences sociales, en consacrant même à son profit l’inégalité des conditions ; mais si cela existait, si le passé nous avait légué ce splendide établissement, tous nos apôtres des droits de l’homme prêcheraient une croisade pour l’anéantir !

Ces pensées sont désolantes : nous ne voulons pas les assombrir encore et augmenter nos regrets par des détails trop vifs sur les établissemens que notre pavillon devrait couvrir le long de cette côte ; cependant nous ne pouvons les passer entièrement sous silence. On sait assez quelles merveilles de culture les Hollandais ont réalisées à Java, dans les plaines fécondes comprises entre Batavia et Samarang. Eh bien ! ces miracles de l’industrie sucrière, un Français, un simple particulier, soutenu par une maison de commerce de Bourbon, les a, ainsi dire, improvisés à Madagascar avec les seuls habitans du pays. Sur un espace de quatre-vingts lieues de côtes, il a su échelonner et des sucreries et des guildiveries, et des postes nombreux pour la traite du riz et des boeufs. Le premier de ces établissemens s’élève sur les bords pittoresques et sauvages de la Rangana, au sein d’une forêt vierge qu’il a fallu défricher, et dont les arbres séculaires ont fait place aux végétaux les plus riches et les plus élégans de l’Inde et de la Malaisie : une cascade qui tombe de plus de trente-cinq pieds de haut à travers les rochers répand dans le paysage une splendeur saisissante. Deux autres sucreries s’étendent au milieu des riches et fertiles plaines que chaque année le limoneux Mananzary, semblable au Nil de la Basse-Égypte, arrose et féconde de ses débordemens. Près des rives de l’Yvondrou, dans toute la luxuriance d’un sol d’alluvion, chauffé par le soleil de l’équateur, a surgi, comme par enchantement, la belle habitation de Soamandrakizay. Rien n’y manque de ce que la nature des tropiques peut offrir pour charmer les yeux et l’imagination, ni les bassins naturels où abonde un excellent poisson, ni les lacs encaissés dans un humus profond que recouvre un épais tapis de verdure, ni les bosquets de canneliers et de girofliers, ni le panache des palmiers et des cocotiers ni les touffes pliantes des bambous, ni les flèches aériennes de l’aréquier, ni les vergers où fourmillent les caféiers, l’arbre à pain, les manguiers, le lichi, les vanilliers et le bétel. C’est par millions de kilogrammes qu’il faut compter le sucre produit dans ces établissemens, dont les ateliers de Derosne et Cail ont fourni les machines. Enfin, dans les postes de traite, les bœufs arrivent par milliers, et le riz suffirait à charger de nombreux navires, si les côtes n’étaient pas fermées hermétiquement au commerce. Voilà ce qu’un de nos compatriotes a su faire, malgré les incessans obstacles d’une barbarie ombrageuse et défiante, et son nom n’est même pas connu dans notre pays, et la France n’a pas une pensée pour Madagascar, et notre pavillon flotte inutile dans le vague de ces mers ! Ah ! quand sir James Brooke est allé à Bornéo exécuter ce que M. Delastelle a fait à Madagascar, il savait qu’il avait derrière lui sa patrie, et que là où il mettait le pied et fondait un intérêt anglais, l’Angleterre y mettait le pied aussi, et fondait avec lui, et le couvrait de son pavillon de souveraine.

Au milieu de cette inattention un peu dédaigneuse de la métropole, l’administration locale de Bourbon, à qui un instinct sûr révèle que la colonie n’a d’avenir qu’en s’appuyant sur Madagascar, a su préparer des voies à la conquête par la prise de possession de Mayotte et Nossi-Bé. Si nous n’avions à considérer Mayotte et Nossi-Bé que d’un point de vue colonial, comme succursales de Bourbon, comme lieux de consommation et de production pour la France, qu’aurions-nous à en dire ? ces deux établissemens disparaîtraient dans le même dédain qui enveloppe Madagascar à nos yeux ; mais, dans un accès de la politique d’imagination qui semble si bien convenir à notre pays, nous avions rêvé pour Mayotte de grandes destinées. Ne l’avons-nous pas fait miroiter un jour comme un nouveau Gibraltar que la France allait élever sur la grande route du commerce de l’Inde, d’où nous pourrions tenir en échec les forces navales de la Grande-Bretagne ? En un mot, l’île Mayotte n’allait-elle pas remplacer pour nous l’île de France ? Effaçons cette illusion. On traverse facilement de Bourbon à Nossi-Bé ; sept jours même suffisent pour se rendre à Mayotte, et le vent et les courans nous y portent. Nossi-Bé, sur la côte occidentale de Madagascar, est pour nous ce qu’est Sainte-Marie sur la côte orientale. Voulons-nous tenter une expédition contre la grande île, attaquer corps à corps la puissance hôva ou seulement la tenir en échec ? il y a une rade excellente ; on ne peut choisir un lieu de rendez-vous plus commode : c’est un camp retranchée naturel. Les Sakalaves, ces irréconciliables ennemis des Hôvas, traqués par eux, s’y sont déjà réfugiés en grand nombre, ainsi que sur la presqu’île qui est en face : nous pouvons leur offrir un asile, échauffer leurs haines et les entraîner avec nous. Hors de là, qu’est-ce que Nossi-Bé ? Un simple poste militaire qu’il faut garder malgré les fièvres qui, chaque année, y déciment nos soldats, parce que notre pavillon ne doit pas reculer, parce que c’est un jalon posé là dans l’avenir de la France dont nous n’avons pas le droit de désespérer. Notre premier essai d’établissement ne fut pas heureux ; nous y avions un détachement de vingt-cinq soldats : vingt-deux y moururent, et les marins de l’expédition ne furent guère mieux traités par les fièvres du pays. On ignorait alors le caractère de ces maladies ; on s’aventurait au hasard, sans précautions : depuis, nos soldats, mieux abrités, mieux soignés dans un ponton-hôpital, ont couru moins de risques. Du reste, l’île est fertile ; le sol, composé de détritus volcaniques, est fécond ; les vallons sont verdoyans, et les montagnes, toutes couvertes de forêts, renferment des bois de construction faciles à extraire et en quantités presque inépuisables. Il ne faut pas songer à y fonder un arsenal de guerre ; les côtes ne sont point favorables à la défense : il n’y a point de port.

Mayotte est mieux partagée du côté de la mer. Une ceinture de récifs à fleur d’eau l’enveloppe de toutes parts : on dirait une muraille de coraux élevée du fond de l’océan à travers la succession des âges par les polypes, ces maçons de la mer. Cette muraille, heureusement, n’est pas continue ; elle est coupée d’ouvertures profondes, de passes qui, comme autant de portes, permettent aux plus grands vaisseaux d’entrer dans la mer intérieure, vaste rade qu’abrite le récif et où l’on trouve mouillage partout. Les découpures de la côte et les îlots compris dans l’enceinte forment des anses, des rades et même une crique où l’on pourrait fonder un port de carénage. Dans la partie nord-est de cette zone, la nature, en mettant en regard la presqu’île de Chaoa et l’îlot, ou plutôt le promontoire de Zaoudzi, qui se détache comme une péninsule de l’île de Painanzi, a fait presque tous les frais d’un établissement maritime. C’est sur cette butte de Zaoudzi qu’on a proposé d’élever le Gibraltar de la mer des Indes ; mais les forts et les batteries qu’il faudrait dresser sur les récifs et les îlots pour défendre les passes, les citadelles et les ouvrages destinés à couvrir la rade ; les fortifications de l’arsenal, les frais d’entretien et de garnison sur cette terre ingrate où il faudrait tout porter, coûteraient des sommes presque fabuleuses. Avant d’enfouir là les millions de la France, ne doit-on pas se rendre un compte sincère de la valeur politique, commerciale et militaire de Mayotte ? Autrefois, quand le canal de Mozambique était la route principale du commerce de l’Inde, Mayotte située au milieu de ce détroit, l’eût dominé ; mais aujourd’hui un petit nombre seulement de navires prennent cette route : le commerce a déplacé ses voies et les a portées bien loin dans l’est ; Mayotte en est à trente-cinq jours de navigation, et quelle navigation ! dans une mer dure où l’on risque à chaque instant de faire des avaries.

Excellent point de refuge, Mayotte, pour l’attaque, est impuissante. Ah ! si elle s’élevait comme Bourbon en face de l’Ile de France ! Mais, jetée en dehors de la grande route des nations, elle ne peut avoir de valeur que dans la sphère étroite dont Madagascar et la côte orientale de l’Afrique forment l’enceinte. Si du moins nous pouvions concentrer le commerce de ces parages, le monopoliser à notre profit, faire de Mayotte un entrepôt général ! Malheureusement ce commerce se trouve déjà aux mains des Arabes, dont l’imaûm de Mascate, sultan de Zanzibar et du littoral jusqu’au détroit de Bab-el-Mandeh, est le chef titulaire ; il est aux mains des Portugais, souverains de Sofala. Mozambique et autres lieux, qui repoussent de leurs ports notre pavillon ; il est aux mains des Anglais, maîtres du cap de Bonne-Espérance jusqu’à la frontière portugaise, et qui, par esprit national, par rivalité intéressée, se ligueraient pour nous entraver ; il est enfin aux mains des Américains, nos maîtres dans l’art des spéculations et dans les secrets du négoce. Et nous prétendrions nous substituer à ces rois des mers de l’Inde ! Que nous reste-t-il donc ? — L’exploitation agricole de Mayotte ? — Mayotte n’a que 30,000 hectares de superficie : c’est tout au plus l’espace que couvrent, à elles seules les forêts de Sainte-Marie ; sa surface est hérissée de pics et de montagnes, les volcans l’ont sillonnée en tous sens ; là, pas de grandes plaines, pas de grands plateaux où l’on puisse fonder des exploitations coloniales importantes, à l’exception peut-être d’une langue de terre de quelques kilomètres qui forme la presqu’île de Choa, en face de Zaoudzi ; point de grands cours d’eau ; çà et là seulement quelques vallons fertiles, de petits ruisseaux qui se perdent bientôt dans les sables du rivage. — Les hauteurs sont couvertes d’épaisses herbes et d’arbustes rabougris ; une seule forêt nourrit de grands arbres, au pied du pic d’Ouchangui, dans le sud de l’île ; encore est-elle ruinée par les habitans qui l’ont dévastée pour construire leurs pirogues et leurs boutres. La terre n’est point exubérante ; vous y chercheriez en vain ce sol riche et puissant du littoral de Madagascar, dont le moindre labeur fait sortir en abondance et la nourriture de ses travailleurs et des produits nombreux pour l’exportation. La population, clairsemée, livrée à tous les vices de la paresse et de la fainéantise, vit de bananes et de cocos. Comme à Maurice, comme à Bourbon, c’est de l’Inde qu’il faudra tirer des travailleurs pour la culture de Mayotte, et l’on conçoit tout d’abord combien sa position écarté des grandes voies de commerce, de tout centre d’affaires, la met dans une condition défavorable. Des fièvres de même nature que celles de Madagascar déciment les colons ; nos équipages pendant la saison de l’hivernage, ont fort à souffrir des pluies torrentielles des étouffantes chaleurs et des maladies qui les minent. L’île de Pamanzi est plus saine, on y trouve de bons pâturages ; malheureusement elle manque d’eau : les bestiaux des anciens habitans étaient obligés de passer à mer basse sur la presqu’île de Zaoudzi pour s’y désaltérer avec l’eau de quelques puits qu’on y a creusés. Ni par sa position, ni par la pauvreté de son sol, Mayotte ne justifie les merveilles que notre imagination y avait rêvées. Cependant, si l’on veut bien se tenir dans la réalité, Mayotte, au milieu des Comores, nous assure, dans le canal de Mozambique, une petite influence que nous devons nous garder de dédaigner. Ils sont si rares les points du globe où flotte encore le pavillon de la France !


Le tableau que nous venons de tracer des établissemens français dans l’Océan indien n’a rien de flatteur pour notre orgueil national ; le souffle de février semble avoir tari en eux les sources de la vie : ce qu’ils ont à redouter surtout aujourd’hui, c’est l’oubli de notre pays. Peut-être appartient-il au pouvoir sorti le 10 décembre des entrailles de la France ; à ce pouvoir dont la mission réparatrice semble être de guérir une à une les plaies dont le gouvernement provisoire a déchiré la patrie, de faire luire sur ces lointaines contrées un rayon d’espérance, en multipliant les liens qui les attachent à la métropole. Il y a dans nos codes une loi qui jusqu’ici n’a pu recevoir son application, faute d’un lieu convenable pour la mettre en pratique c’est la déportation. Ce lieu, l’Océan indien seul peut nous l’offrir aujourd’hui, car le fatal souvenir de Sinamary ne permet pas de nommer la Guyane, et nous n’osons désigner les Marquises à cause de leur éloignement, de leur stérilité, surtout de leur isolement de tout centre d’affaires soumis à notre influence. En présence des haines furieuses dont certains esprits sont possédés contre toute autorité légale, la société veut se défendre énergiquement : le premier devoir du gouvernement est de frapper de terreur ou tout au moins de réduire à l’impuissance les irréconciliables ennemis de l’ordre social. Pour cela, il faut les éloigner de cette France dont ils ont juré la ruine ; mais le crime a ses degrés, le châtiment aussi doit avoir les siens. Parmi les hommes armés contre l’ordre et les lois, il est des malheureux, égarés par des doctrines perfides, qui se sont constitués en guerre ouverte contre la société, parce qu’on la leur présente sous un jour cruel et mensonger. Si l’on pouvait les soustraire aux influences qui les ont pervertis, en les soumettant à un travail régulier, à une discipline ferme, mais intelligente, sous un climat nouveau, en face de cette féconde nature, qui partout a donné aux associations humaines les mêmes lois primordiales, peut-être parviendrait-on à les convaincre que la société repose sur des bases éternelles, dépendantes de l’organisation même de l’homme, hors desquelles le genre humain serait condamné à périr. D’autres, criminels endurcis, coupables d’odieux forfaits, chez qui la honte n’a plus de prise, doivent pour l’exemple, pour satisfaire à la justice des hommes, subir un châtiment sévère. Il importe de ne pas les confondre dans le même lieu de punition. Pour la première catégorie, quel point du globe serait préférable au vallon de Salasie ? Là comme dans une douce prison, dans un exil agréable, on tenterait l’essai d’un établissement pénal et s’il reste dans ces ames flétries un éclair de générosité, si elles ont été réellement trompées par de fausses lueurs, ne peut-on donc espérer de les ramener au respect des lois, d’éveiller leurs remords et de les pénétrer d’horreur pour les crimes dont elles se sont souillées ? Quant aux autres, qu’une certaine férocité naturelle rend plus récalcitrans ou indomptables, on trouverait dans les travaux de Zaoudzi un régime qui fléchirait ces esprits rebelles et les plierait au joug que toute société a le droit d’imposer à ses membres. Un projet de loi, élaboré déjà par le conseil d’état, ne tardera pas sans doute à saisir l’assemblée nationale de ces questions : c’est au législateur de trouver une solution qui satisfasse à la fois et les instincts d’humanité de notre patrie et les nécessité de sa conservation. Nous n’avons prétendu donner ici que les impressions du voyageur.


TH. PAGE.

  1. Les premiers voyageurs qui ont parlé de ces petits blancs les ont peints sous les traits énergiques de hardis chasseurs de chèvres et de noirs marrons : il parait que ces traits se sont effacés en même temps que le gibier a disparu de l’île, et que le marconnage a cessé.
  2. L’administration de la marine public chaque année une statistique de nos colonies, où se trouvent tous les renseignemens qu’on peut exprimer en chiffres.
  3. Le lakh vaut 250,000 francs.