Journal des économistes/1 juillet 1848/Chronique

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Journal des économistesTome 20 (p. 407-408).

Nous exprimons dans un article spécial quelques-unes des sensations qu’a fait naître en nous l’abominable lutte qui a ensanglanté les derniers jours de juin. Cette catastrophe a été précédée d’une grande agitation d’abord, à propos de la destitution de M. Louis Bonaparte comme représentant du peuple ; ensuite à propos de la destitution de M. Émile Thomas, directeur des ateliers nationaux, et, enfin, à propos de la dissolution de ces ateliers et de la transformation des secours accordés aux ouvriers sans travail.

Dans un autre article sur les questions de finances, nos lecteurs trouveront de judicieuses réflexions de notre honorable collaborateur M. Horace Say, sur les emprunts à la Banque projetés par M. Duclerc, naguère ministre des finances, et sur les encouragements à donner aux exportations, imaginés par le Comité des finances de l’Assemblée nationale.

Dans un troisième article, un autre de nos collaborateurs examine encore en détail une troisième question de circonstance, et que nous aurions dû mentionner dans notre chronique, nous voulons parler du tarif supplémentaire de l’octroi de Paris, provoqué par l’accroissement des dépenses.

— L’Assemblée nationale avait été sollicitée par les députés de l’Algérie, de décider que cette possession formerait une partie intégrante du territoire français. Sur l’observation des généraux qui ont commandé en Afrique, MM. Cavaignac, Lamoricière et Bedau, la Chambre a pensé que s’il fallait à l’Algérie une administration autre que l’administration militaire, le moment n’était pas encore venu d’y appliquer les lois et la Constitution françaises.

M. Pierre Leroux, récemment nommé député de Paris, a demandé la parole, et, sous prétexte de colonisation, il a fait prendre à la discussion la tournure d’une digression sur les réformes sociales. Comme M. Pierre Leroux était précédé d’une grande réputation de philosophe et de socialiste ; comme, d’ailleurs, il a parlé avec un remarquable accent de conviction, l’Assemblée l’a religieusement écouté cette première fois ; elle a même consenti à suivre la digression. Dans ce discours, que nous reprendrons peut-être si les événements nous le permettent, M. Pierre Leroux s’est borné à décrire, en termes plus ou moins justes et en citant des faits plus ou moins bien observés, la pénible situation des classes ouvrières. Mais de conclusion, point ; à moins que nous ne consentions à prendre pour conclusions d’inintelligentes imprécations contre Malthus et des banalités contre la vieille économie politique !

M. Goudchaux lui a répondu qu’il y avait beaucoup à faire dans l’intérêt des ouvriers. Quoi ? — l’organisation du crédit ! M. Goudchaux a tété, je le crois, du lait socialiste.

Le lendemain, la disgression a continué, mais elle est tombée à plat. M. Flocon, ministre du commerce, a annoncé une série de projets destinés a régénerer l’agriculture ; projets qui ne verront pas le jour, a moins que son successeur, M. Tourret, de l’Allier, ne partage les illusions de M. Caussidière sur les terres incultes.

— Le projet de constitution a été publié le 20 juin. Les bureaux de la Chambre l’examinent aujourd’hui. Répétons à la Chambre que tout retard à voter le point fondamental est un empêchement au rétablissement de la confiance, à la reprise du crédit et des affaires.

Le projet, lu par M. Marrast, est précédé, comme nous le craignions, d’une déclaration des droits. Il y est dit que la constitution garantit à tous les citoyens :

La liberté, l’égalité, la sûreté, l’instruction, le travail, la propriété, l’assistance.

Une promesse illusoire a été la plus lourde faute commise, le lendemain de Février, par le gouvernement provisoire. Or, cette faute a contribué pour une large part aux événements du 15 mai et des 23-26 juin. M. Léon Faucher et M. Thiers (que Dieu soit béni !) ont déjà énergiquement flétri cette déclaration banale et dangereuse pour l’avenir.

— M. Flocon aura encore laissé une légère trace de son passage au ministère du commerce par d’homœopathiques améliorations au tarif du nankin, des glaces non étamées, des fontes aciéreuses de l’Algérie, et de l’iode ; et par une augmentation de 50 pour 100 des primes à la sortie sur les tissus de coton, le sucre raffiné, les savons, les meubles d’acajou, les peaux tannées et corroyées, les plombs et les cuivres battus ou laminés, les chapeaux de paille, les acides nitrique et sulfurique, le soufre raffiné. M. Flocon avait hérité des bonnes intentions de M. Cunin-Gridaine.

— Le 20 et le 21 juin, l’Assemblée nationale était très-préoccupée de la difficulté des ateliers nationaux, source de déprédations pour nos finances, foyer de démoralisation pour les ouvriers. La question était venue au sujet d’un crédit de 3 millions demandé par M. Trélat, crédit à propos duquel le Comité des finances a demandé et obtenu en principe la dissolution des ateliers nationaux. Dans cette séance il s’est fait une grande énumération de secrets pour guérir les plaies sociales en général et celle des ateliers nationaux en particulier : secret à la connaissance de M. Trélat, signalé par M. Alkan et resté inconnu ; secret de M. Larochejaquelein, qui consiste à prêter 14 millions aux ouvriers en bâtiments ; secret de M. Caussidière, grand partisan des primes à la sortie, qui vexeraient beaucoup la perfide Albion, et du défrichement des terres incultes à donner aux pauvres ; le secret de M. Stourm, proposant de prêter aux entrepreneurs, etc., etc. ; le tout pour faire suite au secret de M. Duclerc sur les finances.

— Par un décret du 31 mars, le gouvernement provisoire, en vue des élections, dit-on, modifia le tarif et la perception des droits sur les boissons. Les débitants furent soulagés, l’exercice fut appelé d’un autre nom, et les consommateurs achetant directement furent surchargés. Sur la demande du Comité des finances, la Chambre est revenue à l’ancien système. À ce propos, M. Mauguin proposait de supprimer l’impôt des boissons et de le remplacer par des mesures subséquentes. L’honorable représentant a été mis en demeure de stipuler ces mesures.

Même réponse a été faite à M. Thouret, demandant l’abolition du monopole du tabac.

— Les événements de juin ont arrêté la discussion relative au rachat forcé des chemins de fer par l’État. Nous reproduisons en partie l’opinion de M. de Montalembert. C’est le seul discours vraiment sérieux qui ait jusqu’à présent été prononcé dans l’Assemblée nationale.

Le nouveau ministre des finances a retiré le projet de l’ordre du jour, en donnant pour raison qu’il n’avait point encore de parti pris.

— De fort tristes nouvelles sont arrivées de la Martinique ; quelques meurtres ont été commis ; une habitation a été incendiée. Mais ces faits sont antérieurs à l’arrivée du décret d’abolition. Ce décret est, au contraire, venu calmer l’effervescence qui menaçait d’embraser la colonie. Dans le reste de l’île et les autres Antilles, il n’y a eu aucun malheur à déplorer.

— On dit que M. Carnot, ministre de l’instruction publique, peu flatté de l’accueil fait à son nom lorsque M. Cavaignac a lu la liste de son ministère, compte se retirer. M. Jean Reynaud, sa nymphe Égérie, doit l’accompagner dans sa retraite.

Ce n’est pas nous qui pleurerons ces deux proscripteurs de l’économie politique.

Paris, le 3 juillet 1848.