Aller au contenu

Journal des économistes/Avril 1845/Compte rendu

La bibliothèque libre.
Journal des économistes/Avril 1845
Journal des économistesTome 11 (p. 421-427).

ORGANISATION DU TRAVAIL. 421

viande en France et conséquemment d’en faire baisser le prix ; car en admettant pour exacts les résultats offerts par la statistique, qui en définitive ne peuvent s’éloigner beaucoup de la vérité, n’est-il pas déplorable qu’on ne consomme pas plus de viande en France en 1843 qu’en 1812, sur un territoire d’une égale étendue, avec une population plus forte de 5 millions d’âmes, et plus riche de près de 2 milliards en revenus agricoles, industriels et commerciaux ?

Veuillez agréer, etc.

Ch. CHARPILLET, Préposé en chef de l’octroi.


ORGANISATION DU TRAVAIL,[modifier]

Par M. LOUIS BLANC1[modifier]

Qu’est-ce que l’organisation du travail ?

Cette formule a succédé dans le courant des idées socialistes à celle de l'association. A entendre les plus intrépides partisans de cette nouvelle manière de parler, elle renferme aussi une puissance magique, capable de faire disparaître avec facilité la misère et les déboires de la vie. Mais la formule à la mode est-elle synonyme de la première ? dit-elle plus, dit-elle moins ? C’est ce qu’il est difficile de décider.

L’honorable M. Arago. en rattachant, il y a deux ans, à la tribune nationale, la question toute politique de la réforme électorale à celle de l’organisation du travail, parlait-il la même langue que l’honorable M. de Lamartine dans quelques-uns de ses discours et de ses écrits, que l’honorable M. Bethmont au commencement de la session , que l’honorable M. Ledru-Rollin à la fin de la même session, au sujet de la grève des charpentiers ? Assurément non.

Ces honorables représentants de la nation, et ceux de leurs collègues qui ont pu se servir de la formule en vogue, seraient tout aussi embarrassés de lui donner un sens net et précis que la Démocratie pacifique, que la Réforme, que le Courrier français, que la Revue des Deux-Mondes que la Revue indépendante, que l'Atelier, et toutes les petites revues qui s’impriment aux frais de quelques cercles d’ouvriers, que toutes les brochures enfin qui parlent pour ou contre ou sur l’organisation du travail.

A coup sûr l’organisation des uns n’est pas celle des autres, et si vous défalquez de tout ce qui a été dit au sujet de la magique formule, premièrement , la critique ressassée des institutions actuelles ; deuxièmement, les opinions des économistes (nom qu’ils donnent à tous ceux qui ne sont pas de leur avis, et qui ont ainsi des opinions plus ou moins justes, plus ou moins erronées en politique, en statistique, en religion, en morale, en droit administratif, en agriculture, en commerce, en navigation, en industrie, etc., etc.), troisièmement, des vœux à coup sûr très-légitimes pour un ordre de choses dans lequel on verrait plus de justice et d’équité, moins de souffrances matérielles et mo-

1 Quatrième édition, 1845, un volume in-8° de 240 pages, chez Cauville frères.

422 JOURNAL DES ECONOMISTES.

rales, plus de bonne foi, plus do bonheur plus de richesses pour les pauvres, etc., etc. ; quand, disons-nous, vous avez défalqué tout cela, il reste à peu près zéro ; ou s’il reste quelque chose, feuilletez les économistes, les véritables économistes : Quesnay, Turgot, Adam Smith, Malthus, J.-B. Say, Ricardo, et vous le trouverez tout au long dans leurs ouvrages ou dans les ouvrages de ceux de leurs disciples qui ont étudié la nature. Nous ne parlons ici qu’au point de vue économique, c’est-à-dire au point de vue de la formation, de la distribution, de la consommation la plus naturelle de la richesse, et au point de vue de l’amélioration, par cette richesse, de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. Remarquez encore que nous ne voulons en aucune manière méconnaître la hauteur de sentiments, le mérite littéraire, et toutes les qualités de l’esprit et du cœur qu’ont et que peuvent avoir les écrivains honorables dont nous nous bornons à contester la valeur en ce qui touche leurs prétendues découvertes dans la science économique. Eux d’ailleurs se privent peu de la satisfaction de dire bien haut et bien souvent, à propos d’emprunts ou d’impôts, de profits ou de salaires, d’irrigations ou d’assurances, de chemins de fer ou de canaux, des maîtres de poste ou des ouvriers charpentiers, c’est-à-dire à propos de tout : « Malheureuse société, tu es dans les brouillards des économistes, qui n’ont jamais eu voix au chapitre, mais que nous accusons quand même, parce que s’ils n’ont pas fait le mal, ils en sont capables ; nous seuls pouvons te conduire dans une meilleure voie, parce que nous avons une formule. Et n’entends-tu pas retentir ce cri de ralliement en France, en Allemagne, en Angleterre, en Amérique : Organisation du travail ! tel est le glorieux symbole du parti socialiste. »

Combien de temps encore l’opinion publique mettra-t-elle à savoir que le système socialiste est un tout d’autant plus vague que les nombreux systèmes qui le composent sont eux-mêmes d’un vague qui échappe à toute analyse, ou bien se heurtent et se combattent par cent points différents ? Nous n’en demandons pour preuve que la lecture attentive des discours, des articles de journaux, des brochures ou des ouvrages dans lesquels les auteurs font acte de socialisme.

Mais pour comprendre la signification donnée par les apôtres des divers modes de socialisme, par leurs sectateurs éclairés ou par les badauds qui répètent des bribes de leur langage, en vrais perroquets qu’ils sont, à la formule solennelle de l’organisation du travail, nous n’avons trouvé d’autre méthode que celle d’analyser une à une les opinions qui se sont produites ou qui se produiront, et de les soumettre au jugement des esprits que le bruit des formules tient en suspens. En dehors des conceptions bien connues des saint-simoniens plutôt que de Saint-Simon, de Fourier plutôt que des fouriéristes, et d’Owen plutôt que de tous les autres communistes, la conception de M. Louis Blanc est sans contredit celle qui mérite le plus d’attention.

M. Louis Blanc, quoique jeune encore, a su par ses travaux dans la presse, par son Histoire de dix ans, se faire une réputation littéraire incontestable et incontestée. M. Louis Blanc a eu sa part d’influence dans les discussions qui ont agité la société française depuis la révolution de Juillet ; M. Louis Blanc est loin, si Dieu lui prête vie, d’avoir clos sa carrière de publiciste, et d’avoir renoncé à l’usage d’une force que donne toujours un grand talent de forme. Ses opinions ou plutôt ses illusions économiques ont atteint l’esprit de beaucoup de, gens, et notamment de plusieurs travailleurs qui se font sérieusement et ORGANISATION DU TRAVAIL. 423

souvent les questions suivantes : — Pourquoi ne veut-on pas organiser le travail ? — Ah ! si l’on organisait le travail ! Nous l’avons dit, il y a jusqu’à des députés qui ont fait chorus avec ces travailleurs honorables : M. Arago croit qu’il y a lieu d’organiser le travail ; M. Bethmont a parlé pour préluder à cette organisation ; M. Ledru-Rollin est en mesure de l’organiser quand on voudra.

Avant d’aller plus loin, qu’il nous soit permis de recueillir nos souvenirs, et de rappeler que la formule de l’organisation du travail signifie tour à tour, et souvent chez les mêmes hommes : 1° des améliorations successives au fur et à mesure que la science démontre des vérités et que la société est en état de les appliquer ; c’est le sens que nous avons trouvé dans les écrits de quelques économistes datant d’il y a quinze ans ; 2° des améliorations successives au point de vue de tous les partis ; progrès en avant pour les uns, progrès en arrière pour les autres ; quelque chose de bien vague pour tous ; 3° des améliorations en général aussi efficaces qu’instantanées, selon un système nouveau, net et tranché, améliorations dont le sens varie avec la nature des systèmes, qui peuvent se compter à la douzaine.

Qu’est-ce que l’organisation du travail, d’après M. Louis Blanc ? C’est une réorganisation de ce qui est. Pour lui, c’est plus qu’une amélioration successive et raisonnée des lois économiques qui régissent la société ; c'est une refonte générale et à peu près absolue. Par organisation du travail, il entend un système complet qu’il a inventé, qu’il appelle « notre système » , et qu’il a consigné dans un ouvrage spécial qui sert de base à notre critique. Cet ouvrage a eu quatre éditions ; il est aujourd’hui considérablement augmenté, précédé d’une introduction, et suivi d’un compte-rendu d’une entreprise de peintures en bâtiments, où l’auteur croit son système appliqué.

Le livre de M. Blanc est ouvertement dirigé contre la concurrence. L’auteur s’attache d’abord à prouver que la concurrence est pour les classes ouvrières un système d’extermination, et pour la bourgeoisie une cause sans cesse agissante d’appauvrissement et de ruine. Puis il conclut de ces prémisses qu’il y a lieu de réorganiser la société sur de tout autres bases, et il expose son système.

Pour présenter sa première thèse , M. Louis Blanc groupe plusieurs des faits que la statistique nous a révélés sur l’état de quelques classes de la société et conclut beaucoup trop du particulier au général. Il ne méconnaît pas les inconvénients provenant de l’excès de population ; mais si la misère est « horriblement prolifique », c’est la concurrence qu’il en rend responsable. N’est-ce pas aller trop loin ? D’abord, s’il est vrai que la concurrence soit cause de misère, M. Louis Blanc ne prouve pas que la liberté de l’industrie soit cause de concurrence ; il confond seulement ces deux notions. Quant à la concurrence acharnée, elle ne peut être que cause intermédiaire de la misère : il y a une autre cause qui lui est supérieure, c’est le principe de population, contre lequel on n’a pas encore assez appris aux classes pauvres à se prémunir. Sans doute « la misère est horriblement prolifique » ; mais est-ce bien en tant que misère matérielle seulement, ou bien en tant qu’ignorance ou misère morale, laquelle ignorance obscurcit le jugement et fait méconnaître la prévoyance ? Il y a là, on le voit, deux ordres d’idées bien distincts : l’un qui conduit à la suppression de la misère pour diminuer la fécondité du pauvre, qui multiplie les concurrents, et l’autre qui conduit à l’instruction du pauvre sur le danger que lui suscite sa fécondité. M. Louis Blanc suit trop absolument le premier.

424 JOURNAL DES ECONOMISTES.

Mais avant de résumer son système, voyons comment il établit que la concurrence est une cause de ruine pour la bourgeoisie. D’abord il reproche à « l’école des Smith et des Say » d’avoir proclamé les avantages du bon marché, — qui ne profite qu’aux consommateurs, — qui est la massue avec laquelle les riches producteurs écrasent les producteurs peu aisés, — guet-apens dans lequel les spéculateurs hardis font tomber les hommes laborieux, — exécuteur des hautes œuvres du monopole, etc., etc. (Voyez page 59.)

Nous ne combattrons pas cette proposition fondamentale et les autres propositions accessoires qui viennent s’y greffer. M. Louis Blanc n’a pas prouvé que la liberté de l’industrie fût la cause de la concurrence que les bourgeois, comme il dit lui-même , peuvent se faire. Les exemples qui soutiennent son argumentation sont empruntés à des branches de travail où il y a excès de travailleurs, disproportion entre le travail et le capital. Le principe de liberté, qui n’y peut rien, remplacé par le règlement, qui pourra moins encore, ne nous fait pas l’effet d’être un remède. Ici encore M. Louis Blanc a fait confusion.

La troisième proposition de l’auteur est que la concurrence est condamnée par l’exemple de l’Angleterre. Il poursuit toujours le principe de liberté sous le nom de concurrence, et il le confond sans cesse avec l’excès de population. Or, l’erreur est ici d’autant plus palpable pour ceux surtout qui sont au courant de l’agitation des ligueurs, que c’est le système réglementaire et le monopole qui ont avant tout contribué à compliquer la position sociale de l’Angleterre. Que si , au dire de M. Rubichon approuvé par M. Louis Blanc, il est vrai que la nation anglaise est celle qui a le plus travaillé et le plus jeûné, Ricardo et Malthus n’y sont pour rien, ce qui n’empêche pas M. Louis Blanc de dire : « Là devait conduire en effet cette économie politique dont Ricardo a si complaisamment posé les prémisses et dont Malthus a tiré avec tant de sang-froid l’horrible conclusion. » Nous citons textuellement cette phrase pour avoir occasion de dire qu’il y en a beaucoup de semblables dans l’écrit de M. Louis Blanc. Or, nous en appelons à ceux qui ont médité Ricardo et Malthus, est-il possible que M. Louis Blanc ait lu les ouvrages de ces deux savants ?


Nous renvoyons encore M. Louis Blanc aux discours des ligueurs pour la réponse à sa quatrième proposition : que « la concurrence (lisez toujours liberté) aboutit nécessairement à une guerre à mort entre la France et l’Angleterre. » Enfin nous arrivons à la combinaison dans laquelle l’auteur établit comment on peut, selon lui, organiser le travail, c’est-à-dire changer l’ordre actuel, qui est radicalement mauvais. (Page 84.)

Le gouvernement serait l’agent suprême de la réforme. Sa tâche serait de fonder aux frais de la société des ateliers dit sociaux pour forger le fer, tanner le cuir, tisser le drap, etc., et de rédiger les statuts de ces entreprises. Le gouvernement choisirait des ouvriers moraux et leur donnerait de bons salaires. M. Blanc admet par hypothèse que ces ateliers donneraient un produit net et feraient en outre une si bonne concurrence à l’industrie privée, que celle-ci se transformerait en ateliers sociaux. M. Louis Blanc trouve que c’est là une transition équitable et pacifique. Mais passons. Pour la première année seulement, le gouvernement réglerait la hiérarchie des fonctions ; l’an d’après, la hiérarchie sortirait du principe électif.

Les salaires seraient réglés par le gouvernement. Les membres de l’atelier ORGANISATION DU TRAVAIL. 425

social en disposeraient à leur convenance, et « l’incontestable excellence de la vie en commun ne tarderait pas à faire naître de l’association des travaux la volontaire association des plaisirs. »

Moitié faute d’emploi, moitié par attrait, les capitaux s’engageront dans l’atelier social. Ils toucheront un intérêt qui sera décrété par la loi.

L’ensemble des ateliers sociaux formerait l’association universelle. L’État tendrait à fournir en définitive aux propriétaires du travail les deux autres instruments, le capital et la terre : ce serait le banquier commanditaire de la communauté.

Quant à l’excès de population, comme il n’y a que la misère qui soit prolifique, et comme l’atelier social ferait disparaître la misère, il n’y a plus lieu de s’en préoccuper. (Page 100.)

Une révolution sociale doit donc être tentée. (Page 101.)

M. Louis Blanc est un peu sobre d’explications dans l’exposition de son « mécanisme », qui, il ne faut pas s’y tromper, n’est simple que parce qu’il n’est pas exposé en entier. En lisant le supplément dans lequel il a jugé à propos de combattre les objections que quelques journaux lui ont faites, on voit mieux ce qu’il y a d’incomplet dans cette conception , fille au moins de trois pères, le saint-simonisme, le fouriérisme, le communisme, avec le concours de la politique et d’un peu, de très-peu d’économie politique.

D’après les explications de M. Louis Blanc, l’État ne serait que régulateur, législateur, protecteur de l’industrie, et non fabricant et producteur universel. Mais comme il protège exclusivement les ateliers sociaux pour détruire l’industrie privée , il arrive forcément au monopole et retombe dans la théorie saint-simonienne malgré lui, au moins quant à la production. Toutefois la hiérarchie sortirait du principe électif, comme dans le fouriérisme, comme dans la politique constitutionnelle. Mais encore ces ateliers sociaux , réglementés par la loi, seront-ils autre chose que des corporations ? Quel est le lien des corporations ? la loi. Qui fera la loi ? le gouvernement. Vous supposez qu’il sera bon, n’est-ce pas ? Eh bien ! l’expérience a démontré qu’il ne s’était jamais entendu à réglementer les innombrables accidents de l’industrie. Vous nous dites qu’il fixera le taux des profits, le taux des salaires ; vous espérez qu’il le fera de façon que les travailleurs et les capitaux se réfugieront dans 1 atelier social. Mais vous ne nous dites pas comment s’établira l’équilibre entre ces ateliers qui auront tendance à la vie en commun , au phalanstère ; vous ne nous dites pas comment ces ateliers éviteront la concurrence intérieure et extérieure, comment ils pourvoiront à l’excès de population par rapport au capital , comment les ateliers sociaux manufacturiers différeront de ceux des champs, et bien d’autres choses encore. Je sais bien que vous répondrez : «Par la vertu spécifique de la loi. » Mais cette loi, il faut la faire. Et si votre gouvernement, votre Etat ne savent pas la faire ? Ne voyez-vous donc pas que vous glissez sur la pente, et que vous êtes obligé de vous raccrocher à quelque chose d’analogue à la loi vivante ? On le voit bien en vous lisant : vous vous préoccupez surtout d’inventer un pouvoir susceptible d’être appliqué à votre système ; mais je déclare qu’après vous avoir lu attentivement, je ne pense pas que vous ayez encore une notion claire et précise de ce qu’il vous faut. Ce qui vous manque, ainsi qu’à nous tous, c’est la véritable notion de la liberté et de l’égalité, que vous ne voudriez pas méconnaître et que vous êtes obligé de sacrifier, quelques précautions que vous preniez.

T. XI. — Juillet 1845

426 JOURNAL DES ÉCONOMISTES.

Ne connaissant pas la nature et les fonctions du pouvoir, du gouvernement, de l’État que vous mettez à la tête de votre système, vous n’avez pas osé vous arrêter sur une seule explication, vous n’avez pas donné le moindre exemple. Quant à l’expérience de la maison Leclaire, elle peut servir au système de tout le monde, mais à personne exclusivement.

Admettons que les ateliers fonctionnent pour produire ; ce seront des ateliers commerciaux qui feront aussi circuler les produits, qui feront les échanges. Et qui donc réglera le prix ? encore la loi ? En vérité, je vous le dis, il vous faudra une nouvelle apparition sur le mont Sinaï , sans quoi vous ne vous en tirerez pas, quel que soit votre Conseil d’État, ou votre Chambre des représentants, ou votre aréopage de sénateurs. Vous répondez que l’État sera un meilleur régulateur du marché que la concurrence ; mais vous ne prouvez pas, et trouvez bon que nous ne changions pas encore de conviction.

M. Louis Blanc voit (page 90) dans l’exemple de Napoléon faisant marcher à son pas un million de soldats une preuve de la possibilité de réglementer par le pouvoir toutes les branches de travail ; car il n’est pas dans la nature des choses «que produire avec ensemble soit impossible, lorsqu’il est si aisé de détruire avec ensemble. » Ceci est une figure de rhétorique ; mais, encore une fois, la question n’est pas là : il s’agit seulement de savoir si l’ensemble que vous proposez est le bon ensemble, celui que « Dieu a mis dans le destin providentiel des sociétés. »

M. Louis Blanc a ajouté à son livre sur l’organisation du travail un autre écrit sur la propriété littéraire, que nous passons sous silence et qui mériterait un examen détaillé.

Dans la discussion des matières économiques, malgré la clarté de ses expressions, l’élégance et le bonheur de sa forme, la phrase de M. Louis Blanc a quelque chose de vague et comme qui dirait de peu arrêté et d’ombré. Cela ne tiendrait-il pas à ce que l’auteur a plus senti que raisonné, à ce que son système n’a pas été suffisamment mûri, si toutefois M. Louis Blanc n’a pas une trop bonne tête pour concevoir et enfanter des systèmes.

En dernière analyse, le livre de M. Louis Blanc sur l’organisation du travail est plutôt un pamphlet qu’un travail de science : il agite plus qu’il ne convainc, et dès lors il nous semble inutile, sinon dangereux ; et quand nous disons dangereux, nous nous empressons d’ajouter que nous parlons toujours au point de vue de la science économique. En pareille matière, nous croyons d’ailleurs que l’intervention de l’autorité est toujours inintelligente. Nos pères ont d’ailleurs conquis la liberté de penser, et finalement nous croyons avec l’auteur que les notions fausses disparaissent au vent de la discussion. Mais alors pourquoi le livre serait-il dangereux ? C’est parce qu’au lieu de se présenter dans son ensemble comme un recueil de recherches, comme un essai d’organisation, il a l’immodestie de se croire non pas lui mélange de paille et de grain, mais tout grain, de circonvenir la classe ouvrière et de faire naître dans son esprit un espoir qu’il n’est pas au pouvoir de M. Blanc de réaliser. Mais au fait, pourquoi ne pas dire en deux mots que ce petit livre a le tort grave de faire de la stratégie politique avec des questions qui ne sauraient se prêter à cet usage ?

Combien il est à regretter qu’un talent comme celui de M. Louis Blanc n’ait pas voulu se résoudre à commencer par le commencement et à méditer sur les analyses économiques faites avant lui, et qu’il lui était peut-être donné de BULLETIN. 427

compléter ; au lieu de ramasser les matériaux détachés des diverses constructions socialistes pour élever à son tour un monument d’un ordre douteux et d’un usage impossible !

Joseph GARNIER. 

BULLETIN. 

Caisse d’épargne. — L’assemblée générale des directeurs et administrateurs de la Caisse d’épargne de Paris a eu lieu le 17 mai dernier, et, fidèles à nos habitudes, nous reproduisons ici dans toutes ses parties essentielles le rapport présenté par le président, M. Benjamin Delessert ; rapport qui emprunte cette année un intérêt spécial des discussions qui ont eu lieu dans les Chambres législatives sur l’institution en elle-même. Nous louerons de nouveau le rapporteur de ce qu’il a soin de généraliser ses considérations et de s’occuper de toutes les caisses d’épargne en même temps que de celle de Paris ; il ne néglige pas non plus de comparer ce qui se fait en France avec ce qui a lieu à l’étranger, et le sujet prend ainsi sous sa plume une étendue et une importance qui appelle la sympathie de tous les lecteurs.

« Messieurs, a dit M. Benjamin Delessert, nous venons vous rendre le compte annuel des opérations de la Caisse d’épargne pendant l’année 1844.

« C’est la vingt-septième fois que vous êtes réunis pour entendre le résumé des progrès de cette utile institution, qui a pris de si grands développements. Nous aurons plus particulièrement à vous entretenir, cette année, de l'installation dans notre nouveau local, et des changements projetés dans l’organisation actuelle des Caisses d’épargne.

« Quoiqu’il n’y ait rien de plus aride et de moins attrayant que la lecture d’un rapport hérissé de chiffres, nous pensons que vous voudrez bien écouter avec quelque intérêt celui que nous allons vous présenter, à cause des résultats importants qui s’y trouvent constatés.

a 11 résulte du mouvement général des opérations de la Caisse d’épargne, pendant l’année 1844, qu’elle a reçu pour le compte des déposants :

« En 298,548 versements, dont 35,750 nouveaux livrets, la somme de................................................... 41,946,472 fr. 0 c.

« En 1,096 transferts-recettes............................. 961,947 43

« En intérêts et arrérages de rentes....................... 4,041,292

« Total de la recette en 1844.... 46,949,711 fr. 68 c.

« Elle a remboursé par contre :

« En 88,876 payements, dont 25,887 pour solde, la somme

de................................. 38,509,296 fr. 46 c.

« Et en 1,287 transferts-payements.. 1,162,016 16

« Par suppressions d’intérêts....... 2,726 87


39,674,039 49

« Excédant dés recettes sur les remboursements............ 7,275,672 fr. 19 c.

« Lesquels ajoutés au solde de l’année 1843.............. 104,786,243 39

donnent une somme totale de.............................. 112,061,915 fr. 58 c.

due aux 173,515 déposants, le 31 décembre 1844.

« Ce solde de 112,061,915 fr. 58 c. était représenté :