Journal des économistes/Décembre 1845/Introduction

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INTRODUCTION
À LA CINQUIÈME ANNÉE.



Nous ne venons plus cette fois, comme les années précédentes, faire à nos lecteurs des promesses, leur dénoncer un programme, leur expliquer à l’avance le but que nous voulons atteindre, ou développer les moyens que nous nous proposons de suivre.

Nous venons avec confiance parler des promesses tenues, parler de nos efforts constants, et remercier le public qui nous en a tenu compte.

Après quatre années d’existence, nous avons la satisfaction de voir l’avenir du journal reposer enfin sur une base solide, et sa position dans le monde sérieux de mieux en mieux assise.

Qu’on nous permette de le croire et de le dire, il y a quelque gloire attachée à l’accomplissement de la tâche que nous nous sommes imposée. Au milieu du tumulte du monde, au sein de l’agitation du moment, il fallait parler haut pour se faire entendre ; et cependant, grâce à la plume de nos savants collaborateurs, notre voix a été entendue. Nous vivons en un temps avec lequel les temps passés n’ont point d’analogie. Poussées par l’accroissement de la population, autrefois les nations émigraient. Elles ravageaient les pays traversés par leur tourbe immense, comme les sauterelles ravagent les champs où elles s’abattent. Aujourd’hui, les nations s’émeuvent et s’agitent encore ; mais elles travaillent, et c’est désormais dans la production qu’elles cherchent le bien-être auquel leur intelligence leur permet d’aspirer.

Ce mouvement, nous ne le voyons que trop, est encore désordonné ; c’est sans en avoir conscience que les nations progressent ; elles méprisent les lois qui les guident, et ce n’est que dans la mauvaise fortune qu’elles se rappellent, pour la maudire, la science de l’économie politique, qui, inutile Cassandre, les a dès longtemps averties.

Et cependant, si l’on arrête un moment sa pensée sur la marche du genre humain, n’est-il pas consolant, pour les hommes de méditation et de science, de voir s’accomplir en leur temps les décrets de la Providence, et n’est-ce pas avec raison qu’on peut dire, en économie sociale comme on l’a dit en morale, l’homme s’agite et Dieu le mène ?

La science marche ; la science, c’est la connaissance du pouvoir de l’homme sur la nature, et ce pouvoir, c’est le mouvement. Or, le mouvement croît en progression géométrique. — Un jour vint que les hommes, mieux à l’aise, eurent du loisir pour écouter. Alors le temps des livres était venu aussi, l’imprimerie put aider à la diffusion de la pensée de tous. Aujourd’hui la pensée a germé, il s’agit de l’appliquer, de la matérialiser, de pratiquer la science, d’étendre le mouvement, en un mot. Voici que la vapeur, les chemins de fer viennent donner une impulsion toute nouvelle aux prodigieux efforts de l’humanité vers le bien-être.

N’est-ce pas assez pour l’orgueil de l’homme ? Le pouvoir de se réunir les uns aux autres, de se transporter à une distance prodigieuse en quelques heures, n’est-il pas encore suffisant à leur gloire ? Veulent-ils que la pensée, plus rapide que la lumière, rapide comme elle-même, soit, au moment où elle se produit, connue à l’extrémité du globe ? qu’ils dressent un faible fil de fer, et cette pensée fera dix fois dans un instant le tour du monde. N’est-ce pas le comble du prodige ; et l’homme, en découvrant les secrets de la nature, ne se rapproche-t-il pas de la Divinité devant laquelle il incline sa faible raison ?

Et quand toutes les découvertes du génie tendent à rapprocher ainsi les hommes, à créer entre eux une entière solidarité, combien ne doivent pas sembler mesquines les combinaisons appelées politiques, qui cherchent encore à séparer les intérêts, à parquer chaque nation dans son coin de terre, à faire enfin de ces grandes questions du bien-être de l’humanité de basses et viles questions de rapine, de cupidité et d’exploitation !

Au milieu de cette tendance encore générale où les gouvernements sont poussés par les intérêts les plus puissants, du jour où vient la discussion, ce n’est pas sans une grande joie que nous voyons se grouper autour de nous un cercle de lecteurs de plus en plus nombreux. Ce n’est pas sans quelque orgueil que nous entendons citer l’opinion du Journal des Economistes comme une autorité, et que souvent les solutions données par lui finissent par prévaloir. Au reste, la raison de ce fait intéressant est facile à saisir ; les rédacteurs du journal sont en même temps les hommes qui occupent le premier rang parmi nos corps savants et politiques ; dans toutes les réunions d’hommes qui concourent à l’administration, les rédacteurs du Journal des Économistes ont une place distinguée ; dans les Chambres, dans les Conseils généraux, dans la magistrature, au Conseil d’État, aux Conseils municipaux, dans les Facultés, dans les Académies, leur voix est prépondérante. On ne saurait donc s’étonner de la voir un jour écoutée par le public, ni que leur force individuelle, réunie en faisceau, pesât d’un poids considérable dans la balance de l’opinion.

Unis dans un but commun, ces hommes ont pu suivre une ligne politique différente, mais ils se sont groupés pour la science, groupés dans le noble but d’aider leurs concitoyens à dépouiller leurs vieilles erreurs, leurs antiques préjugés, à vaincre leur apathie, à respecter la voix de leur conscience, quoique sollicités par leur intérêt privé.

Tout ardue qu’elle est, cette tâche a des charmes bien grands. Elle ne se borne pas en effet à consigner des vérités faciles. Le Journal des Économistes est en même temps à la tête de la science théorique et pratique. Assez longtemps le monopole de l’administration publique a été laissé aux hommes à courte vue : le journal a sollicité de ses rédacteurs l’élaboration de toutes les parties de l’art administratif. Désormais, grâce à MM. Horace Say, Vée, Vivien, Vincens, etc., ce sont des économistes qui commentent les faits administratifs ; ce sont des administrateurs qui appellent la science à l’aide de la direction des affaires.

Nous ne pouvons pas analyser ici les travaux dont le Journal des Économistes s’est occupé dans l’année qui vient de s’écouler. Peu de questions actuelles sont restées sans solution. Elles ont été traitées en leur temps, et selon que l’opinion publique en était saisie ; mais en même temps des Mémoires importants sur des questions d’avenir ou sur des points de science encore obscurs, ont trouvé place dans nos colonnes.

La condition des classes ouvrières, les réformes financières de la Grande-Bretagne, l’agitation de la Ligue, les coalitions d’ouvriers, les complications survenues au sujet des céréales, la discussion de la loi des douanes, l’influence des cultures sur l’économie sociale, le principe de population, ont été traités par les économistes de l’Académie des sciences morales ou par des savants du premier ordre, MM. Passy, Dunoyer, Rossi, Théodore Fix, Léon Faucher, Louis Reybaud, Frédéric Bastiat, etc. La statistique a eu pour interprètes MM, Villermé et Ch. de Brouckère, etc.

Nous avons tenu nos lecteurs au courant des leçons de MM. Blanqui, Michel Chevalier et Wolowski. Nos abonnés ont vu reparaître, dans l’appréciation des ouvrages et la discussion de plusieurs questions, les noms de MM. Renouard, Hippolyle Dussard, Wolowvski, De La Farelle, L. Leclerc, Massé, Monjean, Joseph Garnier, Eugène Daire, Ad. Blaise, H. Richelot, P. Clément, etc. Enfin, plusieurs correspondants ont bien voulu nous communiquer des travaux remarquables : tels sont ceux de MM. Cieszkowski, David (d’Auch), Fayet, Coudroy, Rapet, etc.

Ainsi, nous pouvons le répéter, le Journal des Économistes a donné à ses abonnés plus qu’il n’avait promis ; cependant il ne bornera pas là ses efforts, et il se propose cette année de donner plus de place aux questions agricoles considérées sous le point de vue de la production.