Journal du voyage de Montaigne/Dédicace

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À MONSIEUR
LE COMTE
DE BUFFON,

Intendant du Jardin du Roi, de l’Académie Françoise,
de l’Académie Royale des Sciences, &c. &

Monsieur,

Le premier Livre qu’on dédia, fut un préſent de l’amitié : le ſecond fut un hommage au génie, à la ſupériorité des connoiſſances, des lumieres, du goût, &c. Je ne chercherai point le motif qui fit dédier le troiſiéme. L’intérêt, la flatterie & la vanité ont tout brouillé depuis long-tems chez les hommes : en calculant autant que Neuton, on ne trouveroit pas aiſément le minimum ou le maximum du procédé moral le moins compliqué.

Si je vous préſentois, Monſieur, quelque bon ouvrage de Phyſique, on verroit d’abord le but de mon offrande ; mais dans les Voyages de Montaigne, il n’y a pas même un trait d’Hiſtoire Naturelle. On demandera donc quel rapport j’ai pû trouver entre Montaigne & vous ? Plus que n’en pourront imaginer la plus part des Auteurs à Dédicaces, entre leurs Patrons & les écrits dontil leur font les honneurs. Il y a dans les hommes de génie, quelque intervalle que le genre de leurs facultés ſemble mettre en eux, un point de contact qui les rapproche. J’ai cru l’appercevoir entre l’Obſervateur des eſprits, du cœur humain, de lui-même, & le Pline François : il m’est devenu même très-ſenſible. Rien ne m’a donc paru plus ſimple que de rapprocher deux noms célèbres, qui ſeront toujours chers aux Gens de bien, aux vrais Philoſophes, aux Curieux de la Nature, à toute la Nation, &c. &c.

Je ſuis avec le reſpect le mieux fondé chez les hommes & le plus réel,

MONSIEUR,

Votre très-humble & très-obéiſſant ſerviteur,
Querlon.