Journal du voyage de Montaigne/Partie 3

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Aïant doné congé à celui de mes jans qui conduisoit cete bele besouigne, & la voïant si avancée, quelque incommodité que ce me soit, il faut que je la continue moi-mesmes.

Le 16 Fevrier, revenant de la station, je rancontray, en une petite Chapele, un Prêtre revêtu, ambesouigné à guerir un spiritato : c’étoit un home melancholique & come transi. On le tenoit à genous davant l’Autel, aïant au col je ne sçai quel drap par où on le tenoit ataché. Le Pretre lisoit en sa présance force oresons & exorcismes, comandant au Diable de laisser ce cors, & les lisoit dans son breviaire. Après cela il détournoit son propos au patiant, tantost parlant à lui, tantost parlant au Diable en sa personne, & lors l’injuriant, le battant à grans coups de pouin, lui crachant au visage. Le patiant repondoit à ses demandes quelques reponses ineptes : tantost pour soi, disant come où il santoit les mouvemans de son mal ; tantost pour le Diable, combien il creignoit Dieu, & combien ces exorcismes agissoint contre lui. Après cela qui dura longtams, le Pretre, pour son dernier effort, se retira à l’Autel & print la Custode de la mein gauche, où étoit le Corpus Domini ; en l’autre mein tenant une bougie alumée, la teste ranversée contre bas, si qu’il la faisoit fondre & consomer, prononçant cependant des oresons, & au bout des paroles de menasse & de rigur contre le Diable, d’une vois la plus haute & magistrale qu’il pouvoit. Come la premiere chandele vint à défaillir près de ses deits, il en print un’autre, & puis une seconde, & puis la tierce. Cela faict, il remit sa Custode ; c’est-à-dire, le vaisseau transparant où etoit le Corpus Domini, & vint retrouver le patiant, parlant lors à lui come à un home, le fit détacher & le randit aus siens pour le ramener au logis. Il nous dict que ce Diable là etoit de la pire forme, opiniatre, & qui couteroit bien à chasser & à dix ou douze Jantil’homes qui etions là, fit plusieurs contes de cete sciance, & des experiances ordineres qu’il en avoit, & notammant que le jour avant il avoit deschargé une fame d’un gros Diable, qui, en sortant, poussa hors cete fame par la bouche, des clous, des epingles & une touffe de son poil. Et parce qu’on lui respondit, qu’elle n’étoit pas encores du tout rassise, il dit que c’étoit une autre sorte d’esperit plus legier & moins malfaisant, qui s’y etoit remis ce matin-là, mais que ce janre (car il en scait les noms, les divisions, & plus particulieres distinctions), etoit aisé à esconjurer. Je n’en vis que cela. Mon home ne faisoit autre mine que de grinser les dents & tordre la bouche, quand on lui presantoit le Corpus Domini, & remachoit par fois ce mot, Si fata volent ; car il étoit Notere & scavoit un peu de latin.

Le premier jour de Mars, je fus à la station à S. Sixte. A l’Autel principal, le Prestre qui disoit la Messe, étoit audelà de l’Autel, le visage tourné vers le peuple : derriere lui il n’y avait personne. Le Pape y vint ce mesme jour : car il avoit quelques jours auparavant faict remuer de cete Eglise les Noneins qui y etoint, pour être ce lieu là un peu trop escarté, & y avoit faict accommoder tous les povres qui mandioint par la ville, d’un très bel ordre. Les Cardinaus donarent chacun vint escus pour acheminer ce trein, & fut faict des ausmosnes extremes par autres particuliers. Le Pape dota cet Hospital de 500 écus par mois. Il y a à Rome force particulieres devotions & confreries, où il se voit plusieurs grans tesmoingnages de pieté. Le commun me samble moins devotieus qu’aus bones villes de France, plus serimonieus bien : car en cete part là ils sont extremes. J’écris ici en liberté de consciance, en voici deus examples. Un quidam etant avecques une courtisane, & couché sur un lit & parmi la liberté de cete pratique là, voila sur les 24 heures, l’Ave Maria soner : elle se jeta tout soudein du lit à terre, & se mi à genous pour y faire sa priere. Etant avecques un’autre, voila la bone mere [car notammant les jeunes ont des vieilles gouvernantes, de quoi elles font des meres ou des tantes] qui vient hurter à la porte, & avecques cholere & furie arrache du col de cette jeune (fille) un lasset qu’elle avoit, où il pandoit une petite Notre-Dame, pour ne la contaminer de l’ordure de son peché : la jeune santit un’extreme contrition d’avoir oblié à se l’oster du col, come ell’avoit acostumé.

L’Ambassadur du Moscovite vint aussi ce jour-là à cete station, vetu d’un manteau d’escarlate, & une soutane de drap d’or, le chapeau en forme de bonnet de nuit de drap d’or fourré, & au-dessous une calote de toile d’arjant. C’est le deusieme Ambassadur de Moscovie qui soit venu vers le Pape. L’autre fut du tamps du Pape Pol 3e. On tenoit là que sa charge portoit d’emouvoir le Pape à s’interposer à la guerre que le Roy de Polouigne faisoit à son maistre, allegant que c’etoit à lui à soutenir le premier effort du Turc ; & si son voisin l’affoiblissoit, qu’il demeureroit incapable à l’autre guerre, qui seroit une grand fenestre ouverte au Turc, pour venir à nous ; offrant encore se reduire en quelques différences de relligion qu’il avoit avecq l’Eglise Romaine. Il fut logé ches le Castellan, come avoit été l’autre du tamps du Pape Pol, & nourri aus despans du Pape. Il fit grand instance de ne baiser pas les pieds du Pape, mais sulemant la main droite, & ne se vousit randre qu’il ne lui fût tesmoingné que l’Ampereur mesme etoit sujet à cete serimonie : car l’example des Rois ne lui suffisoit pas. Il ne savoit parler nulle langue que la siene, & étoit venu sans truchemant. Il n’avoit que trois ou quatre homes de trein, & disoit estre passé avecq grand dangier travesti, au travers de la Polouigne. Sa nation est si ignorante des affaires de deça, qu’il apporta à Venise des lettres de son maistre adressantes au grand Gouvernur de la Seigneurie de Venise. Interrogé du sans de cete inscription, (il répondit), qu’ils pansoint que Venise fût de la dition du Pape, & qu’il y envoïat des Gouvernurs, com’à Boulouigne & ailleurs. Dieu sache de quel gout ces magnifiques reçeurent cet’ignorancé. Il fit des presans & là & au Pape, de subelines & renars noirs, qui est une fourrure encores plus rare & riche.

Le 6 de Mars, je fus voir la Librerie du Vatican, qui est en cinq ou six salles tout de suite. Il y a un grand nombre de livres atachés sur plusieurs rangs de pupitres ; il y en a aussi dans des coffres, qui me furent tous ouverts ; force livres écris à mein & notammant un Seneque & les Opuscules de Plutarche. J’y vis de remercable la statue du bon Aristide à tout une bele teste chauve, la barbe espesse, grand front, le regard plein de douceur & de magesté : son nom est escrit en sa base très antique ; un livre de China, le charactere sauvage, les feuiles de certene matiere beaucoup plus tendre & pellucide que notre papier ; & parce que elle ne peut souffrir la teinture de l’ancre, il n’est escrit que d’un coté de la feuille, & les feuilles sont toutes doubles & pliées par le bout de dehors où elles le tienent. Ils tiennent que c’est la membrane de quelque abre. J’y vis aussi un lopin de l’antien papirus, où il y avoit des caracteres inconnus : c’est un écorce d’abre. J’y vis le Breviaire de S. Gregoire écrit à mein : il ne porte nul tesmoingnage de l’année, mais ils tienent que de mein à mein il est venu de lui. C’est Missal à peu-près come le nostre, & fut aporté au dernier Concile de Trante pour servir de tesmoingnage à nos serimonies. J’y vis un livre, de S. Thomas d’Aquin, où il y a des corrections de la mein du propre autheur, qui escrivoit mal, une petite lettre pire que la mienne. Item une Bible imprimée en parchemin, de celes que Plantein vient de faire en quatre langues, laquelle le roy Philippes a envoïée à ce Pape, come il dict en l’inscription de la relieure ; l’original du livre que le Roy Henry d’Angleterre composa contre Luter, lequel il envoïa il y a environ cinquante ans, au Pape Leon dixiesme, soubscrit de sa propre mein, avec ce beau distiche latin, aussi de sa mein

Anglorum Rex Henricus, Leo décime, mittit
Hoc opus, & fidei testem & amicitiae.

Je leus les Prefaces, l’une au Pape, l’autre au Lectur : il s’excuse sur ses occupations guerrieres & faute de suffisance ; c’est un langage latin bon pour scholastique. Je la vis (la Bibliothéque) sans nulle difficulté ; chacun la voit einsin, & en extrait ce qu’il veut ; & est ouverte quasi tous les matins, & si fus conduit partout & convié par un Jantilhome, d’en user quand je voudrois. M. notre Ambassadur s’en partoit en mesme tamps, sans l’avoir veue, & se pleignoit de ce qu’on lui vouloit faire faire la cour au Cardinal Charlet, maistre de cete Librerie pour cela ; & n’avoit, disoit-il, jamès peu avoir le moïen de voir ce Seneque ecrit à la mein ce qu’il desiroit infinimant. La fortune m’y porta, come je tenois sur ce tesmoingnage la chose pour desesperée. Toutes choses sont einsin aisées à certeins biais, inaccessibles par autres. «L’occasion & l’opportunité ont leurs privilieges, & offrent souvant au peuple ce qu’elles refusent aus Rois. La curiosité s’ampeche souvant elle mesme, comme faict aussi la grandur & la puissance ». J’y vis aussi un Virgile ecrit à mein, d’une lettre infiniemant grosse & de ce caractere long & etroit que nous voïons ici aus inscriptions du tamps des Ampereurs, come environ le siecle de Constantin, qui ont quelque façon gothique, & ont perdu cete proportion carrée qui est aus vieilles escritures latines. Ce Virgile me confirma, en ce que j’ai tousiours jugé, que les quatre premiers vers qu’on met en l’Æneide sont ampruntés: ce Livre ne les a pas. Il y a des Actes des Apostres escrits en très belle lettre d’or grecque, aussi viſve & recente que si c’etoit d’aujourd’hui. Cete lettre est massive, & a un cors solide & eslevé sur le papier, de façon que si vous passés la mein pardessus, vous y santés de l’espessur. Je croi que nous avons perdu l’usage de cete escriture.

Le 13 de Mars, un vieil Patriarche d’Antioche, Arabe, très-bien versé en cinq ou six langues de celes de delà, & n’aiant nulle connoissance de la grecque, & autres nôtres, avecq qui j’avois pris beaucoup de familiarité, me fit present d’une certene mixtion pour le secours de ma gravelle, & m’en prescrivit l’usage par escrit. Il me l’enferma dans un petit pot de terre, & me dît que je la pouvois conserver dix & vint ans, & en esperoit tel fruit, que de la premiere prinse je serois tout à fait guéri de mon mal. Afin que si je perdois son escrit, je le retreuve ici : il faut prandre cete drogue, s’en alant coucher, aïant legieremant soupé, de la grossur de deus pois, la mesler à de l’eau tiede ; l’aïant froissée sous les dois, & laissant un jour vuide entre deus, en prandre par cinq fois. Disnant un jour à Rome avecq nostre Ambassadur, où estoit Muret & autres sçavans, je me mis sur le propos de la traduction Françoise de Plutarche, & contre ceus qui l’estimoint beaucoup moins que je ne fais, je meintenois au moins cela: « Que ou le Traductur a failli le vrai sans de Plutarche, il y en a substitué un autre vraisamblable, s’entretenant bien aus choses suivantes & précédentes ». Pour me montrer qu’en cela mesme je lui donnois trop, il fut produit deus passages, l’un duquel ils attribuent l’animadversion au fils de M. Mangot, Avocat de Paris, qui venoit de partir de Rome, en la vie de Solon environ sur le milieu, où il dict que Solon se vantoit d’avoir affranchi l’Attique, & d’avoir osté les bornes qui faisoint les separations des hæritages. Il a failli, car ce mot grec signifie certenes marques qui se metoint sur les terres qui etoint engagées & obligées, affin que les acheturs fussent avertis de cete hypoteque. Ce qu’il a substitué des limites, n’a point de sans accommodable ; car ce seroit faire les terres non libres, mais communes. Le latin d’Estiene s’est aproché plus près du vrai. Le secont, tout sur la fin du treté de la nourriture des enfans, « d’observer, dict il, ces regles, cela se peut plustost souhaiter que conseiller ». Le Grec, disentils, sone, cela est plus desirable qu’esperable, & est une forme de proverbe qui se treuve ailleurs. Au lieu de ce sans cler & aisé, celui que le traductur y a substitué est mol & etrange ; parquoi recevant leurs præsuppositions du sans propre de la langue, j’avouai de bone foi leur conclusion.

Les églises sont à Rome moins belles qu’en la pluspart des bones viles d’Italie, & en general en Italie & en Allemaigne, encore communéemant moins belles qu’en France. A S. Pierre, il se voit à l’entrée de la nouvelle église, des enseignes pandues pour trophées : leur escrit porte, que ce sont enseignes gaignées par le Roy sur les Huguenots ; il ne spécifie pas où ou quant. Auprès de la chapelle Gregoriane, où il se voit un nombre infini de veux atachés en la muraille, il y a entr’autres un petit tableau carré, assés chetif & mal peint, de la bataille de Moncontour. En la salle audavant la chapelle S. Sixte ou en la paroi, il y a plusieurs peintures des accidens mémorables qui touchent le S. Siege, comme la bataille de Jan d’Austria, navale. Il y a la represantation de ce Pape, qui foule des pieds la teste de cet Amperur qui venoit pour lui demander pardon, & les lui baiser, non pas les paroles dictes, selon l’histoire, par l’un & par l’autre. Il y a aussi deus andrets où la blessure de M. l’Amiral de Chatillon est peinte & sa mort, bien authantiquemant.

Le 15 de Mars M. de Monluc me vint trouver à la pouinte du jour, pour executer le dessein que nous avions faict le jour avant, d’aler voir Ostia. Nous passames le Tibre, sur le pont Notre-Dame & sortismes par la porte del-Porto, qu’ils nomoint antienemant Portuensis : delà nous suivimes un chemin inégal & mediocremant fertile de vins & de bleds ; & au bout d’environ huit milles, venant à rejouindre le Tibre, descendimes en une grande pleine de preries & pascages, au bout de laquelle etoit assise une grande ville, de quoi il se voit là plusieurs belles & grandes ruines qui abordent au lac de Trajan, & qui est un regorgemant de la mer Tyrrehene, dans lequel se venoint randre les navires ; mais la mer n’y done plus que bien peu, & encore moins à un autre lac qui est un peu audessus du lieu, qu’on nomoit l’Arc de Claudius. Nous pouvions diner là avecq le Cardinal de Peruse qui y estoit, & il n’est à la vérité rien si courtois que ces Seigneurs-là & leurs serviteurs ; & me manda ledict Sr. Cardinal, par l’un de mes jans qui passa soudein par là, qu’il avoit à se pleindre de moi ; & ce mesme valet fut mené boire en la sommellerie dudict Cardinal, qui ne avoit nulle amitié ny connoissance de moi, & n’usoit en cela que d’une hospitalité ordineire à tous etrangiers, qui ont quelque façon ; mais je creignois que le jour nous faillit à faire le tour que je voulois faire, aïant fort alongé mon chemin pour voir ces deus rives du Tibre. Là nous passames à bateau un petit rameau du Tibre, & entrâmes en l’isle Sacrée, grande d’environ une grande lieue de Gascouigne, pleine de pascages. Il y a quelques ruines & colonnes de mabre, com’il y en a plusieurs en ce lieu de Porto, où estoit cete vieille ville de Trajan ; & en fait le Pape désenterrer tous les jours & porter à Rome. Quand nous eusmes traversé cet’isle, nous rancontrames le Tibre à passer, de quoi nous n’avions nulle commodité pour le regard des chevaus, & estions à mesmes de retourner sur nos pas ; mais de fortune voilà arriver à l’autre rive les sieurs du Bellai, Baron de Chasai, de Marivau, & autres : surquoi je passai l’eau, & vins faire troque avec ces jantils-homes qu’ils prinsent nos chevaus & nous les leurs. Einsin ils retournarent à Rome par le chemin que nous etions venus, & nous par le leur qui estoit le droit d’Ostia.

OSTIA, quinse milles, est assise le long de l’antien canal du Tibre ; car il l’a un peu changé, & s’en esloingne tous les jours. Nous dejunasmes sur le pouin à une petite taverne ; audelà nous vismes la Rocca, qui est une petite place assés forte où il ne se fait nulle garde. Les Papes, & notammant celui-ci, ont faict en cete coste de mer dresser des grosses tours ou védettes, environ de mille en mille, pour prouvoir à la descente que les Turcs y faisoint souvant, mesme en tamps de vandange, y prenoint betail & homes. De ces tours à-tout un coup de canon, ils s’entravertissent les uns les autres d’une si grande soudeineté, que l’alarme en est soudein volée à Rome. Autour d’Ostia sont les salins, d’où toutes les terres de l’Eglise sont proveues : c’est une grande plene de marets où la mer se desgorge. Ce chemin d’Ostia à Rome, qui est via Ostiensis, a tout plein de grandes merques de son antienne beauté, force levées, plusieurs ruines d’aqueducs, & quasi tout le chemin semé de grandes ruines, & plus de deus parts dudict chemin encore pavé de ce gros cartier noir, de quoi ils planchoint leurs chemins. A voir cete rive du Tibre, on tient aiséemant pour vraïe cete opinion, que d’une part & d’autre tout étoit garni d’habitations de Rome jusques à Ostie. Entr’autres ruines, nous rancontrâmes environ à mi chemin sur notre mein gauche, une très-bele sepulture d’un Prætur Romein, de quoi l’inscription s’y voit encore entiere. Les ruines de Rome ne se voient pour la pluspart que par le massif & espais bastimant. Ils faisoint de grosses murailles de brique, & puis ils les encroutoint ou de lames de mabre ou d’autre pierre blanche, ou de certein simant ou de gros carreau enduit par dessus. Cete croute, quasi partout, a été ruinée par les ans, sur laquelle etoint les inscriptions : par où nous avons perdu la pluspart de la connoissance de teles choses. L’écrit se voit où le bastimant estoit formé de quelque muraille de taille espoisse & massifve. Les avenues de Rome, quasi par tout, se voient pour la pluspart incultes & steriles, soit par le défaut du terroir, ou, ce que je treuve plus vraisamblable, que cete ville n’a guiere de maneuvres & homes qui vivent du travail de leurs meins. En chemin je trouvai, quand j’y vins, plusieurs troupes d’homes de villages qui venoint des Grisons & de la Savoïe, gaigner quelque chose en la saison du labourage des vignes & de leurs jardins ; & me dirent que tout les ans c’etoit leur rante. C’est une ville toute cour & toute noblesse : chacun prant sa part de l’oisifveté ecclesiastique. Il n’est nulle rue marchande, ou moins qu’en une petite ville ; ce ne sont que palais & jardins. Il ne se voit nulle rue de la Harpe ou de St. Denis ; il me samble tousiours estre dans la rue de Seine, ou sur le cai des Augustins à Paris. La ville ne change guiere de forme pour un jour ouvrier ou jour de feste. Tout le Caresme il se faict des stations ; il n’y a pas moins de presse un jour ouvrier qu’un autre. Ce ne sont en ce temps que coches, Prélats & Dames. Nous revinmes choucher à

ROME, quinze milles. Le 16 de Mars, il me print envie d’aler essaïer les eteuves de Rome, & fus à celes de St. Marc, qu’on estime des plus nobles ; j’y fus tresté d’une moïenne façon, sul pourtant, & aveq tout le respect qu’ils peuvent. L’usage y est d’y mener des amies, qui veut, qui y sont frotées aveq vous par les garçons. J’y appris que de chaus vifve & orpimant, démeslé à-tout de la lessifve, deus part de chaus & la tierce d’orpimant, se faict cete drogue & ongant de quoi on faict tumber le poil, l’aïant appliqué un petit demi quart d’heure. Le 17, j’eus ma cholique cinq ou six heures supportable, & randis quelque tamps après une grosse pierre come un gros pinon & de cete forme. Lors nous avions des roses à Rome & des artichaus ; mais pour moi je n’y trouvois nulle chaleur extraordinere, vestu & couvert come chés moi. On y a moins de poisson qu’en France ; notammant leurs brochets ne valent du tout rien, & les laisse t’on au peuple. Ils ont rarement des soles & des truites, des barbeaus fort bons & beaucoup plus grans qu’à Bourdeaus, mais chers. Les daurades y sont en grand pris, & les mulets plus grands que les nostres & un peu plus fermes. L’huile y est si excellante, que cete picure qui m’en demure au gosier en France, quand j’en ai beaucoup mangé, je ne l’ai nullemant ici. On y mange des resins frès tout le long de l’an, & jusques à cet’heure il s’en treuve de très-bons pandus aus treilles. Leur mouton ne vaut rien, & est en peu d’estime. Le 18, l’Ambassadur de Portugal fit l’obédiance au Pape du Royaume de Portugal, pour le Roy Philippes. Ce mesme Ambassadur qui estoit ici pour le Roy trespassé & pour les Etats contrarians au Roy Philippes. Je rancontrai au retour de Saint Pierre un home qui m’avisa plesammant de deus choses : que les Portuguais faisoint leur obédiance la semmene de la Passion, & puis que ce mesme jour la station estoit a Saint Jean Porta Latina, en laquelle Eglise certains Portuguais, quelques années y a, étoint antrés en une étrange confrerie. Ils s’espousoint masle à masle à la messe, aveq mesmes serimonies que nous faisons nos mariages, faisoint leur pasques ensamble, lisoint ce mesme évangile des noces, & puis couchoint & habitoint ensamble. Les esperis romeins disoint que, parce qu’en l’autre conjonction de masle & femelle, cete sule circonstance la rand legitime, que ce soit en mariage, il avoit samblé à ces fines jans que cet’autre action deviendroit pareillemant juste qui l’auroit authorisée de serimonies & misteres de l’Eglise. Il fut brûlé huit ou neuf Portuguais de cete bele secte. Je vis la pompe Espaignole. On fit une salve de canons au Chateau St. Ange & au Palais, & fut l’Ambassadur conduit par les trompettes & tambours & archiers du Pape. Je n’entrai pas audedans voir la harangue & la serimonie. L’Ambassadur du Moscovite, qui étoit à une fenestre parée pour voir cete pompe, dict qu’il avoit été convié à voir une grande assamblée : mais qu’en sa nation, quand on parle de troupes de chevaus, c’est tousiours vint & cinq ou trante mille, & se moqua de tout cet appret, à ce que me dict celui mesmes qui étoit commis à l’antretenir par truchemant. Le Dimanche des Rameaus, je trouvai à vespres en un’église, un enfant assis au costé de l’autel sur une chese, vestu d’une grande robe de tafetas bleu neufve, la teste nue, aveq une courone de branches d’olivier, tenant à la mein une torche de cire blanche alumée. C’étoit un garçon de 15 ans ou environ, qui, par ordonnance du Pape, avoit été ce jour là délivré des prisons, qui avoit tué un autre garçon. Il se voit à St. Jean de Latran du mabre transparant. Landemein le Pape fit les sept Eglises. Il avoit des botes du costé de la cher, & sur chaque pied une crois de cuir plus blanc. Il mene tousiours un cheval d’Espaigne, une haquenée & un mulet, & une lettierre, tout de mesme parure ; ce jour là le cheval en étoit à dire. Son escuier avoit deus ou trois peres d’esperons dorés en la mein, & l’attendoit au bas de l’eschele Saint Pierre ; il les refusa & demanda sa lettierre, en laquele il y avoit deus chapeaus rouges quasi de mesme façon pandans atachés à des clous. Ce jour au soir me furent randus mes ESSAIS, chatiés selon l’opinion des Docturs Moines. Le Maestro del sacro palasso n’en avoit peu juger que par le rapport d’aucun Frater François, n’entandant nullemant notre langue ; & se contantoit tant des excuses que je faisois sur chaque article d’animadversion que lui avoit laissé ce François, qu’il remit à ma consciance de rabiller ce que je verrois être de mauvès gout. Je le suppliai, au rebours, qu’il suivît l’opinion de celui qui l’avoit jugé, avouant en aucunes choses, come d’avoir usé du mot de fortune, d’avoir nommé des Poëtes hæretiques, d’avoir excusé Julian, & l’animadversion sur ce que celui qui prioit, devoit être exampt de vitieuse inclination pour ce tamps ; item, d’estimer cruauté ce qui est audelà de mort simple ; item, qu’il falloit nourrir un enfant à tout faire, & autres teles choses, que c’etoit mon opinion, & que c’etoit choses que j’avois mises, n’estimant que ce fussent erreurs ; à d’autres niant que le correctur eût entendu ma conception. Ledict Maestro, qui est un habill’home, m’excusoit fort, & me vouloit faire santir qu’il n’étoit pas fort de l’avis de cete reformation, & pledoit fort ingénieusemant pour moi en ma presance, contre un autre qui me combatoit, Italien aussi. Ils me retindrent le livre des histoires de Souisses traduit en François, pour ce sulemant que le traductur est hæretique, duquel le nom n’est pourtant pas exprimé ; mais c’est merveille combien ils connoissent les homes de nos contrées : & le bon, ils me dirent que la préface étoit condamnée. Ce mesme jour en l’Eglise Saint Jean de Latran, au lieu des Poenitenciers ordineres qui se voient faire cet office en la pluspart des Eglises, Monseignur le Cardinal St. Sixte estoit assis à un couin, & donoit sur la teste de une baguette longue qu’il avoit en la mein, aus passans, & aus dames aussi, mais d’un visage sousriant & plus courtois, selon leur grandur & beauté. Le Mercredi de la semmene seinte, je fis les sept Eglises aveq M. de Foix, avant disner, & y mismes environ cinq heures. Je ne sçai pourquoi aucuns se scandalisent de voir libremant accuser le vice de quelque particulier Prelat, quand il est connu & publicq ; car ce jour là, & à S. Jean de Latran, & à l’Eglise Ste. Croix en Jerusalem, je vis l’histoire, escrite au long en lieu très apparant, du Pape Silvestre second, qui est la plus injurieuse qui se puisse imaginer.

Le tour de la ville que j’ai faict plusieurs fois du côté de la terre, depuis la porte del Popolo, jusques à la porte S. Paulo, se peut faire en trois bones heures ou quatre, alant en trousse, & le pas ; ce qui est delà la riviere se faict en une heure & demie, pour le plus. Entr’autres plesirs que Rome me fournissoit en caresme, c’étoint les sermons. Il y avoit d’excellans precheurs, come ce Rabi renié qui preche les Juifs le Samedi après dîner, en la Trinité. Il y a tousjours 60 Juifs, qui sont tenus de s’y trouver. Cetui étoit un fort fameus Doctur parmi eus ; & par leurs argumans, mesmes leurs Rabis, & le texte de la bible, combat leur creance. En cete sciance & des langues qui servent à cela, il est admirable. Il y avoit un autre prechur qui prechoit au Pape & aus Cardinaus, nomé Padre Toledo [en profondur de sçavoir, en pertinance & disposition, c’est un home très rare] ; un autre très-eloquent & populere, qui preschoit aus Jesuistes, non sans beaucoup de suffisance parmi son excellance de langage: les deus derniers sont Jesuites. C’est merveille combien de part ce colliege tient en la Chretianté ; & croi qu’il ne fut jamais confrerie & cors parmi nous qui tint un tel ranc, ny qui produisit enfin des effaicts tels que fairont ceus ici, si leurs desseins continuent. Ils possedent tantost toute la chretianté : c’est une pepiniere de grands homes en toute sorte de grandur. C’est celui de nos mambres qui menasse le plus les hæretiques de notre tamps. Le mot, d’un prechur fut que nous faisions les Astrolabes de nos coches. Le plus commun exercice des Romeins, c’est se promener par les rues, & ordineremant l’entreprinse de sortir du logis se faict pour aler sulemant de rue en rue, sans avoir ou s’arreter ; & y a des rues plus particulieremant destinées à ce service. A dire vrai, le plus grand fruit qui s’en retire, c’est de voir les Dames aus fenetres, & notammant les courtisanes qui se montrent à leurs jalousies, aveques un art si traitresse, que je me suis souvant esmerveillé come elles piquent ainsi notre veue ; & souvant etant descendu de cheval sur le champ, & obtenu d’être ouvert je admirois cela, de combien elles se montroint plus beles qu’elles n’étoint. Elles sçavent se presanter par ce qu’elles ont de plus agréable ; elles vous presanteront sulemant le haut du visage, ou le bas ou le costé, se couvrent ou se montrent, si qu’il ne s’en voit une sule lede à la fenêtre. Chacun est là à faire des bonetades & inclinations profondes, & à recevoir quelque euillade en passant. Le fruit d’y avoir couché la nuict pour un ecu ou pour quatre, c’est de leur faire einsin landemein la court en publiq. Il s’y voit aussi quelques Dames de qualité, mais d’autre façon, & contenance bien aisée à discerner. A cheval on voit mieus ; mais c’est affaire ou aus chetifs come moi, ou aus jeunes homes montés sur des chevaus de service qui manient.

Les persones de grade ne vont qu’en coche, & les plus licentieus, pour avoir plus de vue contremont, ont le dessus du coche entr’ouvert à clairvoises ; c’est ce que vouloit dire le prechur de ces astrolabes. Le Judy-saint au matin, le Pape en pontificat se met sur le premier portique de S. Pierre, au second etage, assisté des Cardinaus, tenant, lui, un flambeau à la mein. Là d’un costé, un Chanoine de St. Pierre lit à haute vois une bulle latine où sont excommuniés une infinie sorte de jans, entre autres les Huguenots, sous ce propre mot, & tous les Princes qui détiennent quelque chose des terres de l’Eglise : auquel article les Cardinaus de Medicis & Caraffe, qui etoint jouignant le Pape, se rioint bien fort. Cete lecture dure une bone heure & demie ; car à chaque article que ce Chanoine lit en latin, de l’autre costé le Cardinal Gonsague, aussi descouvert, en lisoit autant en Italien. Après cela le Pape jeta cete torche alumée contre bas au peuple, & par jeu ou autremant, le Cardinal Gonsague un’autre ; car il y en avoit trois alumées. Cela choit sur le peuple ; il se faict en bas tout le trouble du monde à qui ara un lopin de cete torche, & s’y bat-on bien rudemant à coup de pouin & de bâton. Pandant que cete condamnation se lit, il y a aussi une grande piece de taffetas noir qui pant sur l’accoudoir dudict portique, davant le Pape. L’excommunication faite, on trousse ce tapis noir, & s’en descouvre un autre d’autre colur ; le Pape lors done ses benedictions publiques. Ces jours se montre la Veronique qui est un visage ouvrageus, & de colur sombre & obscure, dans un carré come un grand miroir. Il se montre aveq serimonie du haut d’un popitre qui a cinq ou six pas de large. Le prestre qui le tient a les meins revetuës de gans rouges, & y a deus ou trois autres prestres qui le soutienent. Il ne se voit rien aveq si grande reverance, le peuple prosterné à terre, la pluspart les larmes aus yeux, aveq de ces cris de commiseration. Une fame, qu’on disoit estre spiritata, se tampetoit, voïant cete figure, crioit, tandoit & tordoit ses bras. Ces prestres se promenans autour de ce popitre, la vont presantant au peuple, tantost ici, tantost là ; & à chaque mouvemant, ceus à qui on la presante s’escrient. On y monstre aussi en mesme tamps & mesme serimonie, le fer de lance, dans une bouteille de cristal. Plusieurs fois ce jour se faict cete montre, aveq un assamblée de peuple si infinie, que jusques bien louin au dehors de l’Eglise, autant que la veue peut arriver à ce popitre, c’est une extreme presse d’homes & de fames. C’est une vraïe Cour Papale : la pompe de Rome & sa principale grandur, est en apparance de devotion. Il faict bean voir l’ardur d’un peuple si infini à la religion ces jours là. Ils ont çant confreries & plus, & n’est guieres home de qualité qui ne soit ataché à quelcune : il y en a aucunes pour les étrangiers. Nos Roys sont de cele du Gonfalon. Ces sociétées particulieres ont plusieurs actes de communication religieuse, qui s’exercent principalemant le Caresme ; mais ce jour-ici ils se promenent en troupes, vetus de toile : chacune compaignie a sa façon, qui, blanche, rouge, bleue, verte, noire, la pluspart les visages couvers. La plus noble chose & magnifique que j’aie vue, ny ici ny ailleurs, ce fut l’incroiable nombre du peuple espars ce jour là par la ville aus devotions, & notammant en ces compaignies. Car outre un grand nombre d’autres que nous avions veu le jour, & qui etoint venues à S. Pierre, come la nuict commança, cete ville sambloit être tout’en feu ; ces compaignies marchant par ordre vers S. Pierre, chacun portant un flambeau, & quasi tous de cire blanche. Je croi que il passa davant moi douse mille torches pour le moins ; car despuis huit heures du soir jusques à minuit, la rue fut tousiours plene de cete pompe, conduite d’un si bon ordre & si mesuré, qu’encore que ce fussent diverses troupes & parties de divers lieus, il ne s’y vit jamès de breche ou interruption : chaque cors aiant un grand cheur de musique, chantant tousiours en alant, & au milieu des rancs une file des Poenitanciers qui se foitent à tout des cordes ; de quoi il y en avoit cinq çans, pour le moins, l’eschine toute escorchée & ensanglantée d’une piteuse façon. C’est un oenigme que je n’entans pas bien encores ; mais ils sont tous meurtris & cruelemant blessés, & se tourmantent & batent incessammant. Si est-ce qu’a voir leur contenance, l’assurance de leur pas, la fermeté de leur paroles, (car j’en ouis parler plusieurs), & leur visage (car plusieurs estoint descouvers par la rue), il ne paroissoit pas sulemant qu’ils fissent en action penible, voire ny serieuse, & si y en avoit de junes de douse ou trese ans. Tout contre moi, il y en avoit un fort june, & qui avoit le visage agréable ; une june fame pleignoit de le voir einsin blesser. Il se tourna vers nous, & lui dit, en riant : Basta, disse che fo questo per li lui peccati, non per li miei. Non sulemant ils ne montrent nulle destresse ou force à cete action, mais ils le font aveq allegresse, ou pour le moins aveq tele nonchalance, que vous les voiés s’entretenir d’autres choses, rire, criailler en la rue, courir, sauter, come il se faict à une si grand presse où les rancs se troublent. Il y a des homes parmi eus qui portent du vin qu’ils leur presantent à boire : aucuns en prennent une gorgée. On leur done aussi de la dragée, & plus souvant ceus qui portent ce vin en metent en la bouche, & puis le soufflent & en mouillent le bout de leurs foits, qui sont de corde, & se caillent & colent du sang, en maniere que, pour le demesler, il les faut mouiller ; à aucuns ils soufflent ce même vin sur leurs plaïes. A voir leurs souliers & chausses, il parêt bien que ce sont persones de fort peu, & qui se vandent pour ce service, au moins la pluspart. On me dict bien qu’on gressoit leurs espaules de quelque chose ; mais j’y ai veu la plaïe si vive, & l’ossance si longue, qu’il n’y a nul medicamant qui en sceut oster le santimant ; & puis ceus qui les louent, à quoi faire, si ce n’etoit qu’une singerie? Cete pompe a plusieurs autres particularités. Come ils arrivoint à S. Pierre, ils n’y faisoint autre chose, sinon qu’on leur venoit à montrer el Viso Santo, & puis ressortoint & faisoint place aus autres. Les Dames sont ce jour là, en grande liberté ; car toute la nuit les rues en sont pleines, & vont quasi toutes à pied. Toutes fois, à la vérité, il samble que la ville soit fort reformée, notammant en cete desbauche. Toutes euillades & apparances amoureuses cessent. Le plus beau sepulchre c’est celui de Santa Rotonda, à cause des lumineres. Entr’autres choses, il y a un grand nombre de lampes roulant & tournoïant sans cesse de haut en bas. La veille de Pasques, je vis à S. Jean de Latran, les Chefs S. Pol & S. Pierre qu’on y montre, qui ont encore leur charnure, teint & barbe, come s’ils vivoint : S. Pierre, un visage blanc un peu longuet, le teint vermeil & tirant sur le sanguin, une barbe grise fourchue, la teste couverte d’une mitre papale ; & S. Pol, noir, le visage large & plus gras, la teste plus grosse, la barbe grise, espesse. Ils sont en haut dans un lieu exprès. La façon de les montrer, c’est qu’on apele le peuple au son des cloches, & que à secousses, on devale contre bas un rideau au derriere duquel sont ces testes, à costé l’une de l’autre. On les laisse voir le tamps de dire un Ave Maria, & soudein on remonte ce rideau : après on le ravale de mesmes, & cela jusques à trois fois : on refaict cete montre quatre ou cinq fois le jour. Le lieu est élevée, de la hautur d’une pique, & puis de grosses grilles de fer, au travers desqueles on voit. On alume autour par le dehors, plusieurs sierges ; mais est mal aisé de discerner bien cleremant toutes les particularités ; je les vis à deus ou trois fois. La polissure de ces faces avoit quelque ressamblance à nos masques. Le Mercredi après Pasques, M. Maldonat qui étoit lors à Rome, s’enquerant à moi de l’opinion que j’avois des mœurs de cete ville, & notammant en la Religion, il trouva son jugemant du tout conforme au mien, (sçavoir,) que le menu puple etoit, sans compareson, plus devot en France qu’ici ; mais les riches, & notammant courtisans, un peu moins. Il me dict davantage qu’à ceus qui lui allegoint que la France etoit toute perdue de heresie, notammant aus Espaignols, de quoi il y en a grand nombre en son Colliege, il maintenoit qu’il y avoit plus d’homes vraïmant religieus, en la sule ville de Paris, qu’en toute l’Espaigne ensamble.

Ils font tirer leurs bâteaus à la corde contremont la riviere du Tibre, par trois ou quatre paires de buffles. Je ne sçai come les autres se trouvent de l’air de Rome ; moi je le trouvois très-plesant & sein. Le Sr. de Vielart disoit y avoir perdu sa subjection à la migrene : qui étoit aider l’opinion du peuple, qui est très-contrere aus pieds & commode à la teste. Je n’ai rien si enemi, à ma santé, que l’ennui & 1’oisifveté : là, j’avois tousiours quelque occupation, sinon si plesante que j’eusse peu desirer, au moins suffisante à me desennuïer : comme à visiter les antiquités, les Vignes, qui sont des jardins & lieus de plesir, de beauté singuliere, & là où j’ai aprins combien l’art se pouvoit servir bien à pouint d’un lieu bossu, montueus, & inégal ; car eus ils en tirent des graces inimitables à nos lieus pleins, & se prævalent très-artificielemant de cete diversité. Entre les plus beles sont celes des Cardinaus d’Este, à Monte-Cavallo ; Farnese, al Palatino ; Urfino, Sforza, Medicis ; cele du Pape Jule ; cele de Madama ; les jardins de Farnèse, & du Cardinal Riario à Transtevere, de Cesio, fuora della porta del populo. Ce sont beautés ouvertes à quiconque s’en veut servir, & à quoi que ce soit, fut-ce à y dormir & en compaigne, si les maistres n’y sont, qui n’aiment guiere, ou aller ouir des sermons, de quoi il y en a en tout tamps, ou des disputes de Theologie ; ou encore par fois, quelque fame des publiques, où j’ai trouvé cet’incommodité, qu’elles vandent aussi cher la simple conversation (qui étoit ce que j’y cherchois, pour les ouïr deviser & participer à leurs subtilités,) & en sont autant espargnantes que de la négociation entiere. Tous ces amusemans m’embesouignoint assés : de melancholie, qui est ma mort, & de chagrin, je n’en avois nul’occasion, ny dedans ny hors la maison. C’est einsin, une plesante demure, & puis argumanter par-là, si j’eusse gouté Rome plus privéemant, combien elle m’eût agréé ; car, en vérité, quoique j’y aïe emploïé d’art & de souin, je ne l’ai connue que par son visage publique, & qu’elle offre au plus chetif etrangier. Le dernier de Mars, j’eus un accés de cholique, qui me dura toute la nuit, assés supportable ; elle m’emeut le ventre, avec des tranchées, & me dona un’acrimonie d’urine, outre l’accoutumée. J’en randis du gros sable & deus pierres. Le Dimanche de Quasimodo, je vis la serimonie de l’aumône des pucelles. Le Pape a, outre sa pompe ordinere, vint cinq chevaus qu’on mene davant lui, parés & houssés de drap d’or, fort richemant accommodés, & dix ou douze mulets, houssés de velours cramoisi, tout cela conduit par ses Estaffiers, à pied : sa lettiere couverte de velours cramoisi. Au davant de lui, quatre homes à cheval portoint, au bout de certeins batons, couverts de velours rouge, & dorés par le pouignet & par les bouts, quatre chapeaus rouges : lui étoit sur sa mule. Les Cardinaus qui le suivoint etoint aussi sur leurs mules, parés de leurs vetemans pontificaus, les cuhes de leurs robes étoint attachées à tout un’eguillette, à la tetiere de leurs mules. Les pucelles étoint en nombre çant & sept ; elles sont chacune accompaignée d’une vieille parante. Après la Messe, elles sortirent de l’Eglise & firent une longue procession. Au retour de là, l’une après l’autre passant au Cueur de l’Eglise de la Minerve, où se faict cete serimonie, baisoint les pieds au Pape ; & lui leur aïant doné la benediction, done à chacune, de sa mein, une bourse de damas blanc, dans laquelle il y a une cedule. Il s’entant qu’aïant trouvé mari, elles vont querir leur aumosne, qui est trante-cinq escus pour tête, outre une robe blanche qu’elles ont chacune ce jour là, qui vaut cinq escus. Elles ont le visage couvert d’un linge, & n’ont d’ouvert que l’endret de la veue.

Je disois des commodités de Rome, entr’autres, que c’est la plus commune ville du monde, & où l’etrangeté & differance de nation se considere le moins ; car de sa nature c’est une ville rappiecée d’étrangiers ; chacun y est come chés soi. Son Prince ambrasse toute la chretianté de son authorité ; sa principale jurisdiction oblige les etrangiers en leurs maisons, come ici, à son election propre ; & de tous les princes & Grans de sa Cour, la consideration de l’origine n’a nul pois. La liberté de la police de Venise, & utilité de la trafique la peuple d’étrangiers ; mais ils y sont come chés autrui pourtant. Ici ils sont en leurs propres offices & biens & charges ; car c’est le siege des persones ecclesiastiques. Il se voit autant ou plus d’étrangiers à Venise, (car l’affluance d’étrangiers qui se voit en France, en Allemaigne, ou ailleurs, ne vient pouint à cete compareson), mais de resseans & domiciliés beaucoup moins. Le menu peuple ne s’effarouche non plus de notre façon de vetemans, ou Espaignole ou Tudesque, que de la leur propre, & ne voit-on guiere de belitre qui ne nous demande l’aumosne en notre langue.

Je recherchai pourtant, & amploiai tous mes cinq sans de nature pour obtenir le titre de Citoyen Romein, ne fut-ce que pour l’antien honur, & religieuse memoire de son authorité. J’y trouvai de la difficulté ; toutefois, je la surmontai, n’y ayant amploïé nulle faveur, voire ny la sciance sulemant d’aucun François. L’authorité du Pape y fut amploïée, par le moïen de Philippo Musotti, son Maggior-domo, qui m’avoit pris en singuliere amitié, & s’y pena fort ; & m’en fut depeché lettres 3°. Id. Martii 1581, qui me furent randues le 5 d’Avril très-autantiques, en la mesme forme & faveur de paroles que les avoit eues le Seigneur Jacomo Buon-Compagnon, Duc de Sero, fils du Pape. C’est un titre vein ; tant-y-a que j’ai receu beaucoup de plesir de l’avoir obtenu. Le 3 d’Avril je partis de Rorne bon matin, par la porte S. Lorenzo Tiburtina. Je fis un chemin assés plein, & pour la pluspart fertile de bleds, & à la mode de toutes les avenues de Rome, peu habité. Je passai la riviere del Teverone, qui est l’antien Anio, premieremant au pont de Mammolo ; secondemant, au pont Lucan, qui retient encore son antien nom. En ce pont il y a quelques inscriptions antiques, & la principale fort lisable. Il y a aussi deus ou trois sepultures Romeines le long de ce chemin ; il n’y a pas autres traces d’antiquités & fort peu de ce grand pavé antien, & est Via Tiburtina. Je me randis à disner à

TIVOLI, quinse milles : c’est l’antien Tiburtum couché aux racines des monts, s’etandant la ville le long de la premiere pante, assés roide, qui rant son assiete & ses veues très-riches : car elle comande une pleine infinie de toutes parts, & cete grand Rome. Son prospect est vers la mer & ha derriere soi les monts ; cete riviere du Teverone la lave, & prés de là prant un merveilleus saut, descendant des montaignes & se cachant dans un trou de rochier, cinq ou six çans pas, & puis se randant à la pleine où elle se joue fort diversemant & se va joindre au Tibre un peu au dessus de la ville. Là se voit ce fameus palais & jardin du Cardinal de Ferrare : c’est une très-bele piece, mais imparfaite en plusieurs parties, & l’ouvrage ne s’en continue plus par le Cardinal presant. J’y considerai toutes choses fort particulieremant ; j’essaïerois de le peindre ici, mais il y a des livres & peintures publiques de ce sujet. Ce rejallissemant d’un infinité de surjons d’eau bridés & eslancés par un sul ressort qu’on peut remuer de fort louin, je l’avoi veu ailleurs en mon voïage & à Florance, & à Auguste, come il a été dict ci dessus. La musique des orgues, qui est une vraïe musique & d’orgues natureles, sonans tousïours toutefois une mesme chose, se faict par le moïen de l’eau qui tumbe aveq grand violance dans une cave ronde, voutée, & agite l’air qui y est, & le contreint de gaigner, pour sortir, les tuyaus des orgues & lui fournir de vent. Un’autre eau poussant une roue à tout certeines dents, faict batre par certein ordre le clavier des orgues ; on y oit aussi le son de trompetes contrefaict. Ailleurs on oit le chant des oiseaus, qui sont des petites flutes de bronse qu’on voit aus regales, & randent le son pareil à ces petits pots de terre pleins d’eau que les petits enfants souflent par le bec ; cela par artifice pareil aus orgues, & puis par autres ressorts on faict remuer un hibou, qui, se presantant sur le haut de la roche, faict soudein cesser cete harmonie, les oiseaus étant effraïés de sa presance & puis leur faict encore place : cela se conduit einsin alternativement, tant qu’on veut. Ailleurs il sort come un bruit de coups de canon ; ailleurs un bruit plus dru & menu ; come des harquebusades : cela se faict par une chute d’eau soudeine dans des canaux, & l’air se travaillant en mesme tamps d’en sortir, enjandre ce bruit. De toutes ces invantions ou pareilles, sur ces mesmes raisons de nature, j’en ai veu ailleurs. Il y a des estancs ou des gardoirs, aveq une marge de pierre tout au tour, aveq force piliers de pierre de taille haus, audessus de cet accoudoir, esloignés de quatre pas environ l’un de l’autre. A la teste de ces piliers sort de l’eau aveq grand force, non pas contre-mont, mais vers l’estanc. Les bouches étant einsi tournées vers le dedans & (se) regardant l’une l’autre, jetent l’eau, & l’esperpillent dans cet estanc, avec tele violance, que ces verges d’eau viennent à s’entrebatre & rancontrer en l’air, & produisent dans l’estanc une pluïe espesse & continuelle. Le soleil tumbant là-dessus enjandre, & au fons de cet estanc & en l’air, & toutautour de ce lieu, l’arc du ciel si naturel & si apparant qu’il n’y a rien à dire de celui que nous voïons au Ciel. Je n’avois pas veu ailleurs cela. Sous le palais, il y a des grans crus, faits par art, & soupiraus, qui randent une vapur froide & refrechissent infinimant tout le bas du logis : cete partie n’est pas toutefois parfaicte. J’y vis aussi plusieurs excellantes statues, & notammant une Nympe dormante, une morte ; & une Pallas celeste ; l’Adonis qui est chés l’Eveque d’Aquino ; la Louve de bronse ; & l’Enfant qui s’arrache l’espine, du Capitole ; le Laocoon & l’Antinoüs, de belvedere ; la Comedie, du Capitole ; le Satyre, de la vigne du Cardinal Sforza ; & de la nouvelle besouigne, le Moïse, en la sepulture de S. Pietro in Vincula ; la belle fame qui est aus pieds du Pape Pol tiers en la nouvelle Eglise de S. Pierre. Ce sont les statues qui m’ont le plus agréé à Rome. Pratolino est faict justemant à l’envi de ce lieu. En richesse & beauté des grottes, Florance surpasse infinimant ; en abondance d’eau, Ferrare ; en diversité de jeus & de mouvemans presans tirés de l’eau, ils sont pareils ; si le Florantin n’a quelque peu plus de mignardise en la disposition & ordre de tout le cors du lieu. Ferrare en statues antiques, & en palais ; Florance en assiete du lieu, béauté du prospect, surpasse infinimant Ferrare, & dirois en tout faveur de nature, s’il n’avoit ce malheur extreme que toutes ses eaus, sauf la fontene qui est au petit jardin tout en haut, & qui se voit en l’une des salles du palais, ce n’est qu’eau du Teveron duquel il a desrobé une branche, & lui a donné un canal à part pour son service. Si c’étoit eau clere & bone à boire, come elle est aucontraire trouble & lede, ce lieu seroit incomparable, & notammant sa grande fontene qui est la plus belle manufacture & plus belle à voir, aveq ses despendances, que null’autre chose ny de ce jardin ny dailleurs. A Pratoline, au contrere, ce qu’il y a d’eau est de fontene & tirée de fort louin. Parce que le Teveron descent des montaignes beaucoup plus hautes, les habitans de ce lieu s’en servent come ils veulent, & l’example de plusieurs privés rant moins esmerveillable cet ouvrage du Cardinal. J’en partis landemein après disner, & passai à cete grande ruine à mein droite du chemin de nostre retour, qu’ils disent contenir six milles & être une ville, come ils disent être le Proedium d’Adrian, l’Ampereur. Il y a sur ce chemin de Tivoli à Rome, un ruisseau d’eau souffreuse qui le tranche. Les bors du canal sont tout blanchis de souffre, & rand un odur à plus d’une demie lieue de là: on ne s’en sert pas de la medecine. En ce ruisseau se treuvent certeins petits corps bastis de l’escume de cete eau, ressamblant si propremant à notre dragée, qu’il est peu d’homes qui ne s’y trompent, & les habitans de Tivoli en font de toutes sortes de cete mesme matiere, de quoi j’en achetai deus boîtes 7 f. 6. d. Il y a quelques antiquités en la ville de Tivoli, comme deus Termes qui portent une forme tres antique, & le reste d’un Tample où il y a encore plusieurs piliers entiers : lequel Tample ils disent avoir été le Tample de leur antiene Sybille. Toutefois sur la cornice de cet’Eglise, on voit encore cinq ou six grosses lettres qui n’étoint pas continuées ; car la suite du mur est encore entiere. Je ne sçais pas si au davant il y en avoit, car cela est rompu, mais en ce qui se voit, il n’y a que Ce..Ellius L. F. Je ne sçai ce que ce peut estre. Nous nous randimes au soir à

ROME, quinse milles, & fis tout ce retour en coche sans aucun ennui, contre ma costume. Ils ont un’observation ici beaucoup plus curieuse qu’ailleurs : car ils font differance aus rues, aus cartiers de la ville, voire aus departemens de leurs maisons, pour respect de la santé, & en font tel estat qu’ils changent de habitation aus sesons ; & de ceus mesmes qui les louent, qui tient deus ou trois Palais de louage à fort grand despance, pour se remuer aux sesons, selon l’ordonance de leurs Medecins. Le 15 d’Avril, je fus prandre congé du Maistre del sacro Palazzo & de son compaignon, qui me priarent « ne me servir pouint de la censure de mon Livre en laquelle autres François les avoint avertis qu’il y avoit plusieurs sotises ; qu’ils honoroint & mon intention & affection envers l’Eglise & ma suffisance, & estimoint tant de ma franchise & consciance, qu’ils remetoint à moi-mesmes de retrancher en mon Livre, quand je le voudrois réimprimer, ce que j’y trouverois trop licentieus, & entr’autres choses, les mots de fortune ». Il me sambla les laisser fort contans de moi ; & pour s’excuser de ce qu’ils avoint einsi curieusemant veu mon Livre & condamné en quelques choses, m’allegarent plusieurs Livres de notre tamps de Cardinaus & Religieus de très-bone réputation, censurés pour quelques teles imperfections, qui ne touchoint nulemant la reputation de l’authur ny de l’euvre en gros ; me priarent d’eider à l’Eglise par mon éloquance (ce sont leurs mots de courtoisie), & de faire demure en cete ville paisible & hors de trouble aveques eus. Ce sont persones de grande authorité & cardinalables.

Nous mangions des artichaus, des fèves, des pois, environ la mi-Mars. En Avril il est jour à leur dix heures, & crois aus plus longs jours, à neuf. En ce tamps là je prins, entr’autres, connoissance à un Polonois le plus privé ami qu’eût le Cardinal Hosius lequel me fit presant de deus examplaires du livret qu’il a faict de sa mort, & les corrigea de sa mein. Les douceurs de la demure de cete ville s’estoint de plus de moitié augmentées en la praticant ; je ne goutai jamais air plus tamperé pour moy, ny plus commode à ma complexion. Le 18 de Avril j’alai voir le dedans du Palais du Sig. Jan George Cesarin, où il y a infinies rares anticailles & notamant les vraies testes de Zenon, Possidonius, Euripides, & Carneades, come portent leurs inscriptions græques très antienes. Il a aussi les portrets des plus belles Dames Romeines vivantes, & de la seignora Cloelia-Fascia Farnese, sa fame, qui est, sinon la plus agréable, sans compareson la plus eimable fame qui fût pour lors à Rome, ny que je sçache ailleurs. Celui ci dict être de la race des Coesars, & porte par son droit le confalon de la noblesse Romeine ; il est riche & a en ses armes la colonne avec l’ours qui y est ataché, & au dessus de la colonne un’egle eploiée.

C’est une grande beauté de Rome que les vignes & jardins, & leur seson est fort en esté. Le Mercredy, 19 d’Avril, je partis de Rome après disner, & fumes conduits jusques au pont de Mole par MM. de Marmoutiés de la Trimouille, du Bellay, & autres jantils homes. Aïant passé ce pont, nous tournames à mein droite, laissant à mein gauche le grand chemin de Viterbe par lequel nous etions venus à Rome, & à mein droite le Tibre & les Monts. Nous suivimes un chemin decouvert & inégal, peu fertile & pouint habité ; passames le lieu qu’on nome prima porta, qui est la premiere porte à sept milles de Rome ; & disent aucuns que les murs antiens de Rome aloint jusques là, ce que je ne treuve nullemant vraisamblable. Le long de ce chemin, qui est l’antiene via Flaminia, il y a quelques antiquités inconnues & rares ; & vinmes coucher à

CASTEL-NOVO, sese mille. Petit castelet qui est de la case Colonne, enseveli entre des montaignetes en un sit qui me represantoit fort les avenues fertiles de nos montagnes Pirenées sur la route d’Aigues-Caudes. Landemein 20 d’Avril, nous suivimes ce mesme païs montueus, mais très plesant, fertile & fort habité, & vinmes arriver à un fons le long du Tibre à

BORGUET, petit castelet apartenant au Duc Octavio Farnese. Nous en partismes après disner, & après avoir suivi un très plesant vallon entre ces collines, passames le Tibre à Corde, où il se voit encore des grosses piles de pierre, reliques du pont qu’Auguste y avoit faict faire pour atacher le païs des Sabins, qui est celui vers lequel nous passames, aveq celui des Falisques, qui est de l’autre part. Nous rancontrâmes après Otricoli, petite villette apartenant au Cardinal di Peruggi. Au davant de cete ville, il se voit en une belle assiete, des ruines grandes & importantes ; le païs montueus & infinimant plesant, presante un prospect de region toute bossée, mais très fertile partout & fort peuplée. Sur ce chemin se rancontre un escrit, où le Pape dict avoir faict & dressé ce chemin, qu’il nome viam Boncompaignon, de son nom. Cet usage de mettre enisi par escrit & laisser tesmouignage de tels ouvrages, qui se voit en Italie & Allemaigne, et un fort bon eguillon ; & tel qui ne se soucie pas du publiq, sera acheminé par cet esperance de reputation, de faire quelque chose de bon. De vrai, ce chemin étoit plus la pluspart mal aisé, & a presant on l’a randu accessible aus coches mesmes jusques à Lorette. Nous vinmes coucher à

NARNI, dix milles, Narnia en latin. Petite ville de l’Eglise, assise sur le haut d’un rochier, au pied duquel roule la riviere Negra, Nar en latin ; & d’une part ladite ville regarde une très plesante plene où ladicte riviere se joue & s’enveloppe estrangement. Il y a en la place une très-belle fontene. Je vis le dôme, & y remercai cela que la tapisserie qui y est, a les escrits & rimes Françoises de notre langage antien. Je ne sçeus aprendre d’où cela venoit ; bien aprins je du peuple qu’ils ont de tout tamps grand’inclination à notre faveur. Ladicte tapisserie est figurée de la passion, & tient tout l’un costé de la nef. Parceque Pline dict qu’en ce lieu là se treuve certeine terre qui s’amollit par la chaleur & se seche par les pluies, je m’en enquis aus habitans qui n’en sçavent rien. Ils ont a un mille près de là, des eaus fredes qui font mesme effaict des nôtres chaudes ; les malades s’en servent ; mais elles sont peu fameuses. Le logis, selon la forme d’Italie, est des bons, si est-ce que nous n’y avions pouint de chandelle, eins par tout de la lumiere à huile. Le 21, bon matin, nous descendismes en une très plesante vallée où court ladicte riviere Negra, laquele riviere nous passâmes sur un pont aus portes de Tarni que nous traversames, & sur la place vismes une colonne fort antique qui est encore sur ses pieds. Je n’y aperçus nulle inscription, mais à côte il y a la statue d’un Lion relevée, audessous de laquelle il y a en vieilles lettres une dédicace à Neptune, & encore ledict Neptunius insculpé en mabre à tout son equipage. En cete mesme place il y a une inscription, qu’ils ont relevée en lieu eminant, à un A. Pompeius A. F. Les habitans de cete ville, qui se nome Interamnia, pour la riviere de Negra qui la presse d’un côté & un autre ruisseau par l’autre, ont erigé une statue pour les services qu’il a faict à ce peuple ; la statue n’y est pas, mais je jugeai la vieillesse de cet escrit, par la forme d’escrire en diptonge periculeis & mots semblables. C’est une belle villete (Narni) en singulieremant plesante assiete. A son cul d’où nous venions, ell’a la pleine très fertile de cete valée, & au delà, les coteaus les plus cultivés, habités. Et entr’autres choses, pleins de tant d’oliviers, qu’il n’est rien de plus beau à voir, attandu que parmi ces couteaus, il y a quelquefois des montaignes bien hautes qui se voient jusques sur la sime labourées & fertiles de toutes sortes de fruis. J’avois bien fort ma cholique, qui m’avoit tenu 24 heures, & étoit lors sur son dernier effort ; je ne lessai pourtant de m’agreer de la beauté de ce lieu là. Delà nous nous engajames un peu plus avant en l’Appennin, & trouvasmes que c’est à la vérité une belle grande & noble reparation, que de ce nouveau chemin que le Pape y a dressé, & de grande despanse & commodité. Le peuple voisin a été contreint à le bâtir ; mais il ne se pleint pas tant de cela que de ce que sans aucune recompanse, où il s’est trouvé des terres labourables, vergiers, & choses samblables, on n’a rien espargné pour cete esplanade. Nous vismes à nostre mein droite une tête de colline plesante, sesie d’une petite villette. Le peuple la nome Colle Scipoli : ils disent que c’est antienemant

Castrum Scipionis. Les autres montaignes sont plus hautes, seches & pierreuses, entre lesquelles & la route d’un torrant d’hyver, nous nous randismes à

SPOLETO, dix-huit milles. Ville fameuse & commode, assise parmi ces montaignes, & au bas. Nous fumes contreins d’y montrer notre bollette, non pour la peste qui n’estoit lors en nulle part d’Italie, mais pour la creinte en quoi il sont d’un Petrino, leur citoïen, qui est le plus noble bani volur d’Italie, & duquel il y a plus de fameus exploits, duquel ils creignent & les villes d’alentour d’être surpris. Cete contrée est semée de plusieurs tavernes ; & où il n’y a pouint d’habitation, ils font des ramées où il y a des tables couvertes & des eufs cuits & du fromage & du vin. Ils n’y ont pouint de burre & servent tout fricassé de huille. Au partir de là, ce mesme jour après disner, nous nous trouvasmes dans la vallée de Spoleto, qui est la plus bele pleine entre les montaignes qu’il est possible de voir, large de deus grandes lieues de Gascouigne. Nous descouvrions plusieurs habitations sur les croupes voisines. Le chemin de cette pleine et de la suite de ce chemin que je vien de dire du Pape, droit à la ligne, come une carriere faicte à poste. Nous laissâmes force villes d’une part & d’autre ; entr’autres sur la mein droite, la ville de Trevi. Servius dict sur Virgile, que c’est Oliviferæque Mutiscæ, de quoi il parle Liv. 7. Autres le nient & argumantent au contrere ; tant-y-a que c’est une ville pratiquée sur une haute montaigne & d’un endret étandue tout le long de sa pante jusques à mi montaigne. C’est une très-plesante assiete, que cete montaigne chargée d’oliviers tout au tour. Ce chemin là nouveau, & redressé depuis trois ans, qui est le plus beau qui se puisse voir, nous nous randismes au soir à

FOLIGNI douze milles. Ville bele, assise sur cet pleine qui me represanta à l’arrivée le plan de Sainte-Foi, quoiqu’il soit beaucoup plus riche & la vile beaucoup plus bele & peuplée sans compareson. Il y a une petite riviere ou ruisseau qui se nome Topino. Cete ville s’apelloit antienemant Fulignium, autres Fulcinia, bastie au lieu de Forum Flaminium. Les hosteleries de cete route, où la pluspart, sont comparables aux Françoises, sauf que les chevaus n’y treuvent guiere que du soin à manger. Ils servent le poisson mariné & n’en ont guiere de frais. Ils servent des feves crues par toute l’Italie, & des pois & des amandes vertes, & ne font guiere cuire les artichaux. Leurs aires sont pavés de carreau. Ils atachent leurs beufs par le muffle, à tout un fer qui leur perce l’entredeus des naseaus come des buffles. Les mulets de bagage, de quoi ils ont foison & fort beaus, n’ont leurs pieds de davant ferrés à notre mode, einsi d’un fer ront, s’entretenant tout au tour du pied, & plus grand que le pied. On y rancontre en divers lieus les Moines qui donent l’eau benite aus passans, & en atandent l’aumône ; & plusieurs enfans qui demandent l’aumône, prometant de dire toute leur disene de pati-nôtres, qu’ils montrent en leurs meins, pour celui qui la leur aura baillée. Les vins n’y sont guere bons. Landemein matin, aïant laissé cete bele pleine, nous nous rejetâmes au chemin de la montaigne, où nous retrouvions force beles pleines, tantost à la teste, tantost au pied du mont. Mais sur le comancemant de cete matinée, nous eusmes quelque tamps un très-bel object de mille diverses collines, revetues de toutes pars de très-beaus ombrages de toute sorte de fruitiers & des plus beaus bleds qu’il est possible, souvant en lieu si coupé & præcipitus, que c’étoit miracle que sulemant les chevaus puissent avoir accès. Les plus beaus vallons, un nombre infini de ruisseaus, tant de maisons & villages par-ci par-là, qu’il me resouvenoit des avenues de Florance, sauf que ici il n’y a nul palais ny maison d’apparance ; & là le terrein est sec & sterile pour la pluspart, là ou en ces collines il n’y a pas un pousse de terre inutile. Il est vrai que la seson du printamps les favorisoit. Souvant, bien louin au-dessus de nos testes, nous voions un beau vilage ; & sous nos pieds, come aus Antipodes, un’autre aiant chacun plusieurs commodités & diverses : cela mesme n’y done pas mauvès lustre, que parmi ces montaignes si fertiles l’Apennin montre ses testes refrouignées & inaccessibles, d’où on voit rouller plusieurs torrans, que aïant perdu cete premiere furie, se randent là tost-après dans ces valons des ruisseaus très-plesans & trèsdous. Parmi ces bosses, on descouvre & au haut & au bas plusieurs riches pleines, grandes par fois à perdre de veue par certein biaiz du prospect. Il ne me samble pas que nulle peinture puisse represanter un si riche païsage. De-là nous trouvions le visage de notre chemin, tantost d’une façon, tantost d’un’autre, mais tousiours la voïe très-aisée ; & nous randismes à disner à

LA MUCCIA, vingt milles. Petite villote assise sur le fluve de Chiento. De-là nous suivismes un chemin bas & aisé au travers ces mons, & parceque j’avoi donné un soufflet à notre vetturin, qui est un grand excès selon l’usage du païs, temouin le vetturin qui tua le Prince de Trésignano, ne me voiant plus suivre audict vetturin, & en étant tout à part moi un peu en humur, qu’il fit des informations ou autres choses, je m’arretai contre mon dessein (qui étoit d’aler à Tolentino) à souper à

VALCHIMARA, huit milles. Petit village, & la poste, sur ladicte riviere de Chiento. Le Dimanche landemein, nous suivimes tousiours ce valon entre des montaignes cultivées & fertiles jusques à Tolentino, petite villete, au travers de laquele nous passames & rancontrames après le païs qui s’applanissoit, & n’avions plus à nos flancs que des petites cropes fort accessibles, raportant cete contrée fort à l’Agenois, où il est le plus beau le long de la Garonne ; sauf que, come en Souisse, il ne s’y voit nul chateau ou maison de gentilhome, mais plusieurs villages, ou ville s sur les côteaus. Tout cela fut, suivant le Chiento, un très-beau chemin, & sur la fin, pavé de brique, par où nous nous randismes à disner à

MACERATAdix-huit milles. Belle ville de la grandur de Libourne, assise sur un haut en forme aprochant du ront, & se haussant de toutes pars egalemant vers son vantre. Il n’y a pas beaucoup de bastimans beaus. J’y remercai un Palais de pierre de taille, tout taillé par le dehors en pouinte de diamans carrée ; come le Palais du Cardinal d’Este à Ferrare cete forme de constructure est plesante à la veue. L’antrée de cete ville, c’est une porte neufve, où il y a descrit : Porta Boncompaigno, en lettres d’or ; c’est de la suite des chemins que ce Pape a redressés. C’est ici le siege du Legat pour le païs de la Marque. On vous presante en ces routes la cuiton du cru, quand ils offrent leurs vins : car ils en font cuire & bouillir jusques au dechet de la moitié, pour le randre meilleur. Nous santions bien que nous etions au chemin de Lorette, tant les chemins etoint pleins d’alans & venans ; & plusieurs, non homes particuliers sulemant, mais compaignies de personnes riches faisant le voïage à pied, vestus en pelerins, & aucunes avec un’enseigne & puis un crucifix qui marchoit davant & eus vetus d’une livrée. Après disner, nous suivismes un païs commun, tranchant tantost des pleines & aucunes rivieres, & puis aucunes collines aisées, mais le tout très-fertile & le chemin pour la pluspart pavé de carreau couché de pouinte. Nous passames la ville de Recanati, qui est une longue ville assise en un haut, & etandue suivant les plis & contours de sa colline ; & nous randismes au soir à

LORETTE, quinze milles. C’est un petit village clos de murailles, & fortifié pour l’incursion des Turcs, assis sur un plant un peu relevé, regardant une très-bele pleine, & de bien près la mer Adriatique ou golfe de Venise ; si qu’ils disent que, quant il fait beau, ils descouvrent au delà du golphe les montaignes de l’Esclavonie : c’est enfin une très-bele assiete. Il n’y a quasi autres habitans que ceus du service de cete devotion, come hostes plusieurs, (& si les logis y sont assés mal propres), & plusieurs marchans, sçavoir est, vandurs de cire, d’images, de pastenostres, agnus Dei, de Salvators, & teles danrées, de quoi ils ont un grand nombre de beles boutiques & richemant fournies. J’y lessai près de 50 bons escus pour ma part. Les Prestres, jans d’Eglise, & Colliege de Jesuites, tout cela est rassemblé en un grand Palais qui n’est pas antien, où loge aussi un Gouverneur, home d’Eglise, à qui on s’adresse pour toutes choses, sous l’authorité du Legat & du Pape. Le lieu de la devotion, c’est une petite maisonete fort vieille & chetifve, bastie de brique, plus longue que large. A sa teste, on a faict un moïen, lequel moïen a à chaque costé, une porte de fer : à l’entredus une grille de fer : tout cela grossier, vieil, & sans aucun appareil de richesse. Cete grille tient la largeur d’une porte à l’autre ; au travers d’icelle, on voit jusques au bout de cete logette, & ce bout, qui est environ la cinquieme partie de la grandur de cete logette, qu’on renferme, c’est le lieu de la principale relligion. Là se voit au haut du mur, l’image Notre Dame, faicte, disent-ils, de bois ; tout le reste est si fort pavé de vœux riches de tant de lieus & princes, qu’il n’y a jusques à terre pas un pousse vuide, & qui ne soit couvert de quelque lame d’or ou d’arjant. J’y peus trouver à toute peine place, & avec beaucoup de faveur, pour y loger un tableau dans lequel il y a quatre figures d’arjant attachées: cele de Notre-Dame, la miéne, cele de ma fame, cele de ma fille. Au pieds de la miéne, il a insculpé sur l’arjant : Michael Montanus, Gallus Vasco, Eques Regij Ordinis 1581 ; à cele de ma fame, Francisca Cassaniana uxor ; à cele de ma fille, Leonora Montana filia unica ; & sont toutes de ranc à genous dans ce tableau, & la Notre Dame au haut au devant. Il y a un’autre antrée en cete chapelle que par les deus portes de quoi j’ai parlé, laquelle antrée respont au dehors. Entrant donc par là en cete chapelle, mon tableau est logé à mein gauche contre la porte qui est à ce couin, & je l’y ai laissé très curieusemant ataché & cloué. J’y avois faict mettre une chenette & un aneau d’arjant, pour par icelui le pandre à quelque clou ; mais ils amarent mieus l’atacher tout à faict. En ce petit lieu est la cheminée de cete logette, laquelle vous voiés en retroussant certeins vieus pansiles qui la couvrent. Il est permis à peu d’y entrer ; voire par l’escriteau de devant la porte, qui est de metal très-richemant labouré, & encore y a-t-il une grille de fer audavant cete porte, la defance y est que, sans le congé du Gouvernur, nul n’y entre. Entr’autres choses, pour la rarité, on y avoit laissé parmi d’autres presans riches, le cierge qu’un Turc frechemant y avoit envoïé, s’étant voué à cette Nostre-Dame, estant en quelque extreme necessité, & se voulant eider de toutes sortes de cordes. L’autre part de cete casete, & la plus grande sert de chapelle, qui n’a nulle lumiere du jour, & a son Autel audessous de la grille contre ce moïen duquel j’ai parlé. En cete chapelle, il n’y a nul ornemant, ni banc, ny accoudoir, ny peinture ou tapisserie au mur ; car de foi mesmes il sert de reliquere. On n’y peut porter nulle espée, ny armes, & n’y a nul ordre ny respect de grandur. Nous fismes en cete chapelle-là nos Pasques, ce qui ne se permet pas à tous ; car il y a lieu destiné pour cet effaict, à cause de la grand’presse d’homes qui ordineremant y communient. Il y a tant de ceus qui vont à toutes heures en cete chapelle, qu’il faut de bon’heure mettre ordre qu’on y face place. Un Jésuite Allemand m’y dît la messe, & dona à communier. Il est défendu au peuple de rien esgratigner de ce mur ; & s’il etoit permis d’en amporter, il n’y en auroit pas pour trois jours. Ce lieu est plein d’infinis miracles, de quoi je me raporte aus Livres ; mais il y en a plusieurs & fort recens de ce qui est mésavenu à ceus qui par devotion avoint amporté quelque chose de ce batimant, voire par la permission du Pape ; & un petit lopin de brique qui en avoit été osté lors du concile de Trante, y a été raporté. Cete casete est recouverte & appuiée par le dehors en carré, du plus riche bastimant, le plus labouré & du plus beau mabre qui se peut voir ; & se voit peu de pieces plus rares & excellantes. Tout autour & audessus de ce carré, est une belle grande Eglise, force beles chapelles tout au tour, tumbeaus, & entr’autres celui du Cardinal d’Amboise, que M. le Cardinal d’Armaignac y a mis. Ce petit carré est come le Cœur des autres Eglises ; toutefois il y a un cœur mais c’est dans une encouignure. Toute cete grande Eglise est couverte de tableaus, peintures, & histoires. Nous y vismes plusieurs riches ornemans, & m’étonai qu’il ne s’y en voïoit encore plus, veu le nom fameus si antienemant de cete Eglise. Je croi qu’ils refondent les choses antienes, & s’en servent à autres usages. Ils estiment les aumones en arjant monoïé à dix mille escus. Il y a là plus d’apparance de relligion qu’en nul autre lieu que j’aïe veu. Ce qui s’y perd, je dis de l’arjant ou autre chose, digne, non d’être relevée sulemant, mais desrobée, pour les jans de ce metier, celui qui le treuve, le met en certein lieu publique & destiné à cela ; & reprant là, quiconque le veut reprandre, sans connoissance de cause. Il y avoit, quand j’y etois, plusieurs teles choses, patenostres, mouchoirs, bourses sans aveu, qui etoint au premier occupant. Ce que vous achetés pour le service de l’Eglise & pour y laisser, nul artisan ne veut rien de sa façon, pour, disent-ils, avoir part à la grâce : vous ne païés que l’arjant ou le bois, d’aumone & de liberalité bien, mais en verité ils le refusent. Les jans d’Eglise, les plus officieus qu’il est possible à toutes choses, pour la confesse, pour la communion, & pour nulle autre chose, ils ne prennent rien. Il est ordinere de doner à qui vous voudrés d’entre eus de l’arjant, pour le distribuer aus pauvres en vostre nom, quand vous serés parti. Come j’étois en ce sacrere, voilà arriver un home qui offre au premier Prestre rancontré, une coupe d’arjant en disant en avoir faict veu ; & parceque il l’avoit faict de la despanse de douse escus, à quoi le calice ne revenoit pas, il paya soudein le surplus audict Prestre, qui pleidoit du païemant & de la monnoïe, comme de chose due très-exactemant, pour eider à la parfaicte & consciantieuse execution de sa promesse ; cela faict, il fit entrer cet home en ce sacrere, offir lui-mesme ce calice à NostreDame, & y faire une courte oreson, & l’arjant le jeta au tronc commun. Ces examples, ils les voient tous les jours, & y sont assés nonchalans. A peine est reçu à doner qui veut, au moins c’est faveur d’être accepté. J’y arretai Lundi, Mardi & Mercredi matin ; après la messe j’en partimes. Mais, pour dire un mot de l’experience de ce lieu, où je me plus fort, il y avoit en mesme tamps là Michel Marteau, seigneur de la Chapelle, Parisien, june home très riche, avcq grand trein. Je me fis fort particulieremant & curieusemant reciter & à lui & à aucuns de sa suite, l’evenemant de la guerison d’une jambe qu’il disoit avoir eüe de ce lieu ; il n’est possible de mieus ny plus exactemant former l’effaict d’un miracle. Tous les Chirurgiens de Paris & d’Italie s’y étoint faillis. Il y avoit despandu plus de trois mille escus : son genou enflé, inutile, & très-dolureus, il y avoit plus de trois ans, plus mal, plus rouge, enflammé, & enflé, jusques à lui doner la fievre ; en ce mesme instant, tous autres médicamans & secours abandonés, il y avoit plusieurs jours ; dormant, tout à coup, il songe qu’il est gueri, & lui samble voir un escler ; il s’eveille, crie qu’il est gueri, apele ses jans, se leve, se promene, ce qu’il n’avoit faict onques depuis son mal ; son genou désenfle, la peau fletrie tout autour du genou & come morte, lui tousiours despuis, en amandant, sans null’autre sorte d’eide. Et lors il étoit en cet etat d’entiere guerison, etant revenu à Lorette ; car c’étoit d’un autre voïage d’un mois ou deus auparavant qu’il étoit gueri & avoit eté cepandant à Rome aveq nous. De sa bouche & de tous les siens, il ne s’en peut tirer pour certein que cela. Le miracle du transport de cete maisonete, qu’ils tienent être celle là propre où en Nasaret nasquit Jesus-Christ, & son remuemant premieremant en Esclavonie, & depuis près d’ici, & enfin ici, est attaché à de grosses tables de mabre en l’Eglise le long des piliers, en langage Italien, Esclavon, François, Alemant, Espaignol. Il y a au Cœur, un’anseigne de nos Rois pandue, & non les armes d’autre Roy. Ils disent qu’ils y voient souvant les Esclavons à grans tropes venir à cete devotion, aveq des cris, d’aussi loin qu’ils descouvrent l’Eglise de la mer en hors, & puis sur les lieus tant de protestations & promesses à Nostre-Dame, pour retourner à eus ; tant de regrets de loi avoir doné occasion de les abandoner, que c’est merveille. Je m’informai que de Lorette, il se peut aler le long de la marine, en huit petites journées, à Naples, voiage que je desire de faire. Il faut passer à Pescare & à la cita de Chiete, où il y a un Procaccio qui part tous les Dimanches pour Naples. Je offris à plusieurs Prestres de l’arjant ; la pluspart s’obstina à le refuser, & ceus qui en acceptarent, ce fut à toutes les difficultés du monde. Ils tienent là & gardent leur grein dans des caves, sous la rue. Ce fut le 25 d’Avril que j’offris mon veu. A venir de Rome à Lorette, auquel chemin nous fumes quatre jours & demi, il me couta six écus de monnoïe, qui sont 50 sols piece, pour cheval, & celui qui nous louoit les chevaus les nourrissoit & nous. Ce marché est incommode, d’autant qu’ils hastent vos journées, à cause de la despanse qu’ils font, & puis vous font treter le plus escharsemant qu’ils peuvent. Le 26, j’allai voir le Port, à trois milles delà, qui est beau, & y a un fort qui despant de la communauté de Ricanate. Don Luca-Giovanni Benefìciale, & Giovanni-- Gregorio da Cailli, Custode de la Secrestia, me donnarent leurs noms, affin que, si j’avois affaire d’eus ou pur moi ou pour autrui, je leur escrivisse : ceus-là me firent force courtoisies. Le premier comande à cete petite chapelle, & ne vousit rien prandre de moi. Je leur suis obligé des effaictes & courtoisies qu’ils m’ont faictes de parole. Ledict Mercredi après disner, je suivis un païs fertile, descouvert, & d’une forme meslée, & me randis à souper à

ANCONA, quinze milles. C’est la maitresse ville de la Marque : la Marque etoit aus latins Picoenum. Elle est fort peuplée & notammant de Grecs, Turcs, & Esclavons, fort marchande, bien bastie ; costoiée de deus grandes butes qui se jetent dans la mer, en l’une desqueles est un grand fort par où nous arrivasmes. En l’autre qui est fort voisin, il y a un’Eglise entre ces deus butes, & sur les pandans d’icelles, tant d’une part que d’autre, est plantée cete ville : mais le principal est assis au fons du vallon & le long de la mer, où est un très-beau port, où il se voit encores un grand arc à l’honur de l’Amperur Trajan, de sa feme, & de sa seur. Ils disent que souvant en huit, dix, ou douse heures, on trajecte en Esclavonie. Je croi que pour six escus ou un peu plus, j’eusse treuvé une barque qui m’eût mené à Venise. Je donai 33 pistolets pour le louage de huit chevaus jusques à Lucques, qui sont environ huit journées. Doit le vetturin nourrir les chevaus, & au cas que j’y sois quatre ou cinq jours plus que de huit, j’ai les chevaus, sans autre chose que de paier les despans des chevaus & garçons. Cete contrée est pleine de chiens couchans excellans, & pour six escus il s’y en trouveroit à vandre. Il ne fut jamais tant mangé de cailles, mais bien maigres. J’arrestai le 27 jusques après disner, pour voir la beauté & assiete de cete ville : à St. Creaco, qui est l’Eglise de l’une des deus butes, il y a plus de reliques de nom, qu’en Eglise du monde, lesqueles nous furent montrées. Nous averasmes que les cailles passent deça de la Sclavonie a grand foison, & que toutes les nuits on tand des rets au bord de deça & les apele-t-on à tout cete leur voix contrefaicte, & les rapele-t-on du haut de l’air où elles sont sur leur passage ; & disent que sur le mois de Septambre elles repassent la mer en Sclavonie. J’ouis la nuit un coup de canon de la Brusse, au roiaume & audelà de Naples. Il y a de lieuë en lieuë une tour ; la premiere qui descouvre une fuste de Corsere, faict signal à tout du feu à la seconde vedette ; d’une tele vitesse qu’ils ont trouvé qu’en une heure du bout de l’Italie l’avertissemant court jusques à Venise. Ancone s’apeloit einsin antienemant du mot grec, pour l’encouignure que la mer faict en ce lieu ; car ses deus cornes s’avancent & font un pli enfoncé, où est la ville converte par le davant de ces deus testes & de la mer, & encore par derriere d’une haute bute, où autrefois il y avoit un fort. Il y a encores une Eglise Grecque, & sur la porte, en une vieille pierre, quelques lettres que je pense Sclavones. Les fames sont ici communemant beles, & plusieurs homes honêtes & bons artisans. Après disner, nous suivismes la rive de la mer qui est plus douce & aisée que la nôtre de l’Ocean, & cultivée jusques tout jouignant de l’eau, & vinmes coucher à

SENIGAGLIA, vint milles. Bele petite ville, assise en une très-bele pleine tout jouignant la mer, & y faict un beau port ; car une riviere descendant des mons la lave d’un costé. Ils en font un canal garni & revestu de gros pans d’une part & d’autre, là ou les bateaus se metent à l’abri & en est l’entrée close. Je n’y vis nulle antiquité ; aussi logeames-nous hors la ville, en une belle hostelerie qui est la seule de ce lieu. On l’apeloit antienemant Senogallia, de nos ancetres qui s’y plantarent, quand Camillus les eut batus ; elle est de la juridiction du Duc d’Urbin. Je ne me trouvois guiere bien. Le jour que je partis de Rome, M. d’Ossat se promenant aveq moi, je vousis saluer un autre jantilhome : ce fut d’une tele indiscretion, que de mon pousse droit j’allai blesser le couin de mon euil droit, si que le sang en sortit soudein, & j’y ai eu longtamps une rougeur extreme ; lors elle se guerissoit, Erat tunc dolor ad unguem sinistrum. J’obliois à dire, qu’à Ancone, en l’Eglise de St. Creaco, il y a une tumbe basse d’une Antonia Rocamoro, patre, matre, Valletta, Galla, Aquitana, Paciocco Urbinati, Lusitano nupta, qui est enterrée depuis dix ou douze ans. Nous en partismes bon matin, & suivismes la marine par un très-plesant chemin jouignant nostre disnée ; nous passames la riviere Metro, Metaurus, sur un grand pont de bois, & disnames à

FANO, quinze milles. Petite ville en une bele & très-fertile pleine, jouignant la mer, assés mal bastie, bien close. Nous y fumes très-bien tretés de pein, de vin & de poisson ; le logis n’y vaut guiere. Ell’a cela sur les autres villes de cete coste, come Senigaglia, Pesaro, & autres, qu’elle a abondance d’eaus douces, plusieurs fontenes publiques & puis particulieres, là où les autres ont à chercher leur eau jusques à la montaigne. Nous y vismes un grand arc antien, où il y a un’inscription sous le nom d’Auguste, qui muros dederat. Elle s’apelloit Fanum, & étoit Fanum Fortunæ. Quasi en toute l’Italie, on tamise (la farine) à tout des roues, où un Boulanger fait plus de besouigne en un’heure que nous en quatre. Il se treuve quasi à toutes les hosteleries, des rimeurs, qui sont sur le champ des rimes accommodées aus assistans. Les instrumans sont en toutes les boutiques jusques aus ravaudurs des carrefours des rues. Cete ville est fameuse sur toutes celes d’Italie : de belles fames nous n’en vismes nulle, que très-ledes ; & à moi qui m’en enquis à un honête-home de la ville, il me dit que le siecle en estoit passé. On païe en cete route environ dix sous pour table, vint sous par jour pour home, le cheval pour le louage & despans environ 30 s. Cete ville est de l’Eglise. Nous laissames sur cete mesme voïe de la Marine, à voir un peu plus outre, Pesaro, qui est une bele ville & digne d’être veuë, & puis Rimini, & puis cet’antiene Ravenne ; & notammant à Pesaro, un beau bastimant d’étrange assiete que faict faire le Duc d’Urbin, à ce qu’on m’a dict : c’est le chemin de Venise contre bas. Nous laissames la Marine & primes à mein gauche, suivant une large pleine au travers de laquele passe Metaurus. On descouvre partout d’une part & d’autre des très beaus couteaus, & ne retire pas mal le visage de cete contrée à la pleine de Blaignac à Castillon. En cete pleine de l’autre part de cete riviere, fut donée la bataille de Salinator & Claudius-Nero, contre Asdrubal, où il fut tué. A l’antrée des montaignes qui se rancontrent au bout de cete pleine, tout sur l’antrée se treuve

FOSSOMBRUNE quinze milles, appartenant au Duc d’Urbin : ville assise contre la pante d’une montaigne, aïant sur le bas une ou deus beles rues fort droites, égales & bien logées ; toutefois ils disent que ceus de Fano sont beaucoup plus riches qu’eus. Là il y a sur la place un gros piédestal de mabre, aveq une fort grande inscription, qui est du tamps de Trajan, à l’honur d’un particulier habitant de ce lieu, & un’autre contre le mur qui ne porte nulle enseigne du tamps. C’etoit antienemant Forum Sempronij ; mais ils tienent que leur premiere ville étoit plus avant vers la pleine & que les ruines y sont encores en bien plus bele assiete. Cete vile a un pont de pierre, pour passer le Metaurus, per viam Flaminiam. Parceque j’y arrivai de bon’heure, (car les milles sont petites & nos journées n’étoint que de sept ou huit heures à chevaucher), je parlai à plusieurs honetes jans qui me contarent ce qu’ils savoint de leur ville & environs. Nous vismes là un jardin du Cardinal d’Urbin, & force pieds de vigne entés d’autre vigne. J’entretins un bon home faisur de Livres, nomé Vincentius Castellani, qui est de là. J’en partis landemein matin, & après trois milles de chemin, je me jetai à gauche & passai sur un pont la Cardiana, le fluve qui se mesle à Metaurus, & fis trois milles le long de aucunes montaignes & rochiers sauvages, par un chemin etroit & un peu mal aisé, au bout duquel nous vismes un passage de bien 50 pas de long, qui a été pratiqué au travers de l’un de ces haus rochiers ; & parceque c’est une grande besouigne, Auguste qui y mit la mein le premier, il y avoit un’inscription en son nom que le tamps a effacée, & s’en voit encores un’autre à l’autre bout, à l’honur de Vespasien. Autour de là il se voit tout plein de grans ouvrages des bastimans du fons de l’eau, qui est d’une extreme hautur, au dessous du chemin, des rochiers coupés & aplanis d’une espessur infinie, & le long de tout ce chemin qui est via Flaminia, par où on va à Rome, des traces de leur gros pavé qui est enterré pour la pluspart, & leur chemin qui avoit 40 pieds de large n’en a plus que quatre. Je m’étois détourné pour voir cela & repassai sur mes pas, pour reprandre mon chemin que je suivis par le bas d’aucunes montaignes accessibles & fertiles. Sur la fin de notre trete, nous comançames à monter & à descendre, & vinmes à

URBIN, seize milles. Ville de peu d’excellence, sur le haut d’une montaigne de moïene hautur, mais se couchant de toutes parts selon les pantes du lieu, de façon qu’elle n’a rien d’esgal, & partout il y a à monter & à descendre. Le marché y estoit, car c’étoit Sammedi. Nous y vismes le Palais qui est fort fameus pour sa béauté : c’est une grand’masse, car elle prant jusques au pied du mont. La veue s’étand à mille autres montaignes voisines, & n’a pas beaucoup de grace. Come tout ce bastimant n’a rien de fort agreable ny dedans ny autour, n’aïant qu’un petit jardinet de 25 pas ou environ. Ils disent qu’il y a autant de chambres que de jours dans l’an ; de vrai, il y ‘en a fort grand nombre, & à la mode de Tivoli & autres Palais d’Italie. Vous voiés au travers d’une porte, souvant 20 autres portes qui se suivent d’un sans, & autant par l’autre sans, ou plus. Il y avoit quelque chose d’antien, mais le principal fut basti en 1476, par Frederic Maria de la Rovere, qui ha leans plusieurs titres & grandurs de ses charges & exploits de guerre ; de quoi ses murailles sont fort chargées, & d’une inscription qui dict que c’est la plus bele maison du monde. Ell’est de brique, toute faicte à voutes, sans aucun planchier, come la pluspart des bastimans d’Italie. Cetui-ci est son arriere neveu ; c’est une race de bons Princes & qui sont eimés de leurs sujets. Ils sont de pere en fis tous jans de lettres, & ont en ce Palais une bele Librairie ; la clef ne se treuva pas. Ils ont l’inclination Espaignole. Les armes du Roy d’Espaigne se voient en ranc de faveur, de l’ordre d’Engleterre & de la Toison, & rien du nôtre. Ils produisent eus mesmes, en peinture, le premier Duc d’Urbin, june home qui fut tué par ses sujets pour son injustice : il n’etoit pas de cete race. Cetui-ci a épousé la sur de M. de Ferrare, plus vieille que lui de dix ans. Ils sont mal ensamble & séparés, rien que pour la jalousie d’elle, à ce qu’ils disent. Einsin, outre l’eage d’elle qui est de 45 ans, ils ont peu d’esperance d’enfans, qui rejetera, disent-ils, cete duché à l’Eglise, & en sont en peine. Je vis là, l’effigie au naturel de Picus Mirandula. Un visage blanc, très-beau, sans barbe, de la façon de 17 ou 18 ans, le nés longuet, les yeus dous, le visage maigrelet, le poil blon, qui lui bat jusques sur les espaules, & un estrange accoutremant. Ils ont en beaucoup de lieus d’Italie cete façon de faire des vis, voire fort droites & etroites, qu’à cheval vous pouvés monter à la sime ; cela est aussi ici avec du carreau mis de pouinte. C’est un lieu, disent-ils, froit, & le Duc faict ordinere d’y estre sulemant l’esté ; pour prouvoir à cela, en deus de leurs chambres, il s’y voit d’autres chambres carrées en un couin, fermées, de toutes pars, sauf quelque vitre qui reçoit le jour de la chambre ; au dedans de ces retranchemans est le lit du maistre. Après disner je me destourné encores de cinq milles, pour voir un lieu que le peuple de tout tamps apele Sepulchro d’Asdrubale, sur une colline fort haute qu’ils noment Monte deci. Il y a là quatre ou cinq mechantes maisonetes & une Eglisete, & se voit aussi un bastimant de grosse brique ou carreau, rond de 25 pas environ, & haut de 25 pieds. Tout au tour il y a des accoudoirs, de mesme brique de trois en trois pas. Ie ne sçai comant les massons apelent ces pieces, qu’ils font pour soutenir come des becs. On monta au dessus, car il n’y a null’entrée par le bas. On y trouva une voute, rien dedans, nulle pierre de taille, rien d’escrit ; des habitans disent qu’il y avoit un mabre, où il y avoit quelques marques, mais que de notre eage il a été pris. D’où ce nom lui a été mis, je ne sçai, & je ne crois guiere que ce soit vraïmant ce qu’ils disent. Bien est-il certein qu’il fut defaict, & tué assés près de là. Nous suivismes après un chemin fort montueus, & qui devint fangeus pour une sole heure qu’il avoit pleu, & repassames Metaurus à gué, come ce n’est qu’un torrant qui ne porte pouint de bateau, lequel nous avions passé un’autrefois depuis la disnée, & nous randismes sur la fin de la journée par un chemin bas & aisé à

CASTEL DURANTE, quinze milles. Villete assise en la pleine, le long de Metaurus, apartenant au duc d’Urbin. Le peuple y faisoit fus de joïe & feste de la naissance d’un fils masle, à la Princesse de Besigna, sur de leur Duc. Nos vetturins déselent leurs chevaus à mesure qu’ils les débrident, en quelqu’etat qu’ils soint, & les font boire sans aucune distinction. Nous bevions ici des vins sophistiqués, & à Urbin, pour les adoucir ....50. Le Dimanche matin nous vinmes le long d’une pleine assés fertile & les couteaus d’autour, & passames premieremant une petite bele vile, S. Angelo, apartenant audit Duc, le long de Metaurus, aïant des avenues fort beles. Nous y trouvasmes en la ville des petites reines du micareme parceque c’étoit la veille du premier jour de Mai. De là suivant cete pleine nous traversames encores une autre villete de mesme jurisdiction, nomée Marcatello, & par un chemin qui comançoit deja à santir la montaigne de l’Apennin, vinmes diner

BORGO-A-PASCI dix milles. Petit village & chetif logis pour une soupée, sur l’encouignure des mons. Après disner nous suivismes premieremant une petite route sauvage & pierreuse, & puis vinmes à monter un haut mont de deus milles de montée, & quatre milles de pante ; le chemin escailleus & ennuïeus : mais non effroïable ny dangereus, les præcipices n’estant pas coupés si droit que la veue n’aïe ou se soutenir. Nous suivismes le Metaurus jusques à son gite, qui est en ce mont ; einsi nous avons veu sa naissance & sa fin, l’aïant veu tumber en la mer à Senogallia. A la descente de ce mont, il se presantoit à nous une très belle & grande pleine, dans laquele court le Tibre qui n’est qu’à 8 milles ou environ de sa naissance, & d’autres monts audelà : prospet representant assés celui qui s’offre en la Limaigne d’Auvergne, à ceus qui descendent le Pui de Domme à Clermont. Sur le haut de nostre mont se finit la Jurisdiction du Duc d’Urbin, & comance cele du Duc de Florance & cele du Pape à mein gauche. Nous vinmes souper à

BORGO S. SEPOLCHRO, treize milles. Petite ville en cete pleine, n’aiant nulle singularité, audict Duc de Florance ; nous en partimes le premier jour de May. A un mille de cete ville, passames sur un pont de pierre la riviere du Tibre, qui a encores là ses eaus cleres & belles, qui est signe que cete colur sale & rousse, Flavum Tiberim, qu’on lui voit à Rome, se prant du meslange de quelqu’autre riviere. Nous traversames cete pleine de quatre milles, & à la premiere colline trouvames une villete à la teste. Plusieurs filles & là & ailleurs sur le chemin, se metoint au devant de nous, & nous sesissoint les brides des chevaus, & là en chantant certeine chanson pour cet effaict, demandoint quelque liberalité pour la feste du jour. De cete colline, nous nous ravalames en une fondriere fort pierreuse, qui nous dura longtamps le long du canal d’un torrant, & puis eusmes à monter une montaigne sterile & fort pierreuse, de trois milles à monter & descendre, d’où nous descouvrimes une autre grande pleine, dans laquele nous passames la riviere de Chiasso, sur un pont de pierre, & après la riviere d’Arno, sur un fort grand & beau pont de pierre, au deça duquel nous logeames à

50 Il manque ici quelque chose

PONTE BORIANO, petite maisonete, dix-huit milles. Mauvés logis, come sont les trois præcedans, & la pluspart de cete route. Ce seroit grand folie de mener par ici des bons chevaus, car il n’y a pouint de souin. Après disner, nous suivismes une longue pleine toute fendue de horribles crevasses que les eaus y font d’une estrange façon, & croi qu’il y faict bien led en hiver ; mais aussi est-on après à rabiller le chemin. Nous laissames sur nostre mein gauche, bien près de la disnée, la ville d’Arezzo, dans cete mesme pleine, à deus milles de nous ou environ. Il samble toutefois que son assiete soit un peu relevée. Nous passames sur un beau pont de pierre de grande hautur la riviere de Ambra, & nous randismes à souper à

LAVENELLE, dix milles. L’hostellerie est audeça dudict village d’un mille ou environ, & est fameuse ; (aussi) la tient-on la meilleure de Thoscane & a-t-on raison ; car à la raison des hosteleries d’Italie, elle est des meilleures. On en faict si grand feste, qu’on dict que la noblesse du païs s’y assamble souvant, come chés le More, à Paris ; ou Guillot, à Amians. Ils y servent des assietes d’estein, qui est une grande rarité. C’est une maison sule, en très bele assiete, d’une pleine qui a la source d’une fonteine à son service. Nous en partismes au matin, & suivismes un très beau chemin & droit en cete pleine, & y passames au travers quatre villetes ou bourgs fermés, Mantenarca, S. Giovanni, Fligline & Anchisa & vinmes disner à

PIANDELLA FONTE, douze milles. Assés mauvés logis, où est aussi une fonteine un peu au dessus ledict bourg d’Anchisa, assis au val d’Arno, de quoi parle Petrarca, lequel on tient nai dudict lieu Anchisa, au moins d’une maison voisine d’un mille, de laquelle on ne treuve plus les ruines que bien chetifves ; toutefois ils en remerquent la place. On semoit là lors des melons parmi les autres qui y etoint deja semés, & les esperoit-on recueillir en Aoust. Cete matinée j’eus une pesantur de teste & trouble de veue come de mes antienes migrenes, que je n’avois santi il y avoit dix ans. Cete valée où nous passames, a eté autrefois toute en marès, & tient Livius, que Annibal fut contreint de les passer sur un Elefant, & pour la mauvese seson y perdit un euil. C’est de vrai un lieu fort plat & bas, & fort sujet au cours de l’Arne. Là je ne vousis pas disner, & m’en repantis ; car cela m’eût eidé à vomir, qui est ma plus prompte guerison : autremant je porte cete poisantur de teste un jour & deus, come il m’avint. Alors, nous trouvions ce chemin plein du peuple du païs, portant diverses sortes de vivres à Florance. Nous arrivasmes à

FLORANCE, douze milles, par l’un des quatre pons de pierre qui y sont sur l’Arne. Landemein, après avoir ouï la messe, nous en partismes, & biaisant un peu le droit chemin, allames pour voir Castello, de quoi j’ai parlé ailleurs ; mais parceque les filles du Duc y etoint, & sur cete mesme heure aloint par le jardin ouïr la messe, on nous pria de vouloir atandre, ce que je ne vousis pas faire. Nous rancontrions en chemin force prossessions ; la baniere va devant, les fames après, la pluspart fort belles, a tout des chapeaus de paille, qui se font plus excellans en cete contrée qu’en lieu du monde, & bien vetues pour fames de village, les mules & escarpins blancs. Après les fames, marche le Curé, & après lui les masles. Nous avions veu le jour avant une prossession de Moines, qui avoint quasi tous de ces chapeaus de paille. Nous suivismes une très bele pleine fort large, & à dire le vrai, je fus quasi contreint de confesser que ny Orleans, ny Tours, ny Paris, mesmes en leurs environs, ne sont accompaignés d’un si grand nombre de maisons & villages, & si louin que Florance : quant à beles maisons & Palais, cela est hors de doubte. Le long de cete route, nous nous randismes à disner à

PRATO, petite ville, dix milles, audict Duc, assise sur la riviere de Bisanzo, laquelle nous passames sur un pont de pierre à la porte de ladicte ville. Il n’est nulle region si bien accommodée, entr’autres choses, de pons & si bien estoffés ; aussi le long des chemins partout on rancontre des grosses pierres de taille, sur lesqueles est escrit ce que chaque contrée doit rabiller de chemin, & en respondre. Nous vismes là au Palais dudict lieu les armes & nom du Legat du Prat, qu’ils disent être oriunde de là. Sur la porte de ce Palais et une grande statue coronée, tenant le monde en sa mein, & à ses pieds, Rex Robertus. Ils disent là que cete ville a été autreffois à nous ; les flurs de lis y sont partout : mais la ville de soi porte de gueules semé de flurs de lis d’or. Le dome y est beau & enrichi de beaucoup de mabre blanc & noir. Au partir de là, nous prismes un’autre traverse de bien 4 milles de destour, pour aler al Poggio, maison de quoi ils font grand feste apartenant au Duc, assis sur le fluve Umbrone ; la forme de ce bastimant est le modele de Pratolino. C’est merveille, qu’en si petite masse il y puisse tenir çant très beles chambres. J’y vis entr’autres choses des lits grand nombre de tres-bele etoffe, & de nul pris : ce sont de ces petites etoffes bigarrées, qui ne sont que de leine fort fine, & les doublent de tafetas à quatre fils de mesme colur de l’estoffe. Nous y vismes le cabinet des distiloirs du Duc & son ouvroir du tour, & autres instrumans : car il est grand mechanique. Delà par un chemin très droit & le païs extrememant fertile, le chemin clos d’abres, ratachés de vignes qui faict la haie, chose de grande beauté, nous nous randismes à souper à

PISTOIE, quatorze milles. Grande ville sur la riviere d’Umbrone ; les rues fort larges, pavées come Florance, Prato, Lucques, & autres, de grandes plaques de Pierre fort larges. J’obliois à dire que des salles de Poggio, on voit Florance, Prato & Pistoïa, de la table : le Duc etoit lors à Pratolino. Audict Pistoïe, il y a fort peu de peuple, les Eglises belles, & plusieurs belles maisons. Je m’enquis de la vante des chapeaus de paille, qu’on fit 15 s. Il me samble qu’ils vaudroint bien autant de francs en France. Auprès de cette ville & en son territoire, fut ancienemant deffaict Catilina. Il y a à Poggio, de la tapisserie represantant toute sorte de chasses ; je remercai entr’autres une pante de la chasse des Autruches, qu’ils font suivre à gens de cheval & enferrer à tout des Javelots. Les Latins apelent Pistoïa, Pistorium ; elle est au Duc de Florance. Ils disent que les brigues antienes des maisons de Cancellieri & Pansadissi, qui ont eté autrefois, l’ont einsi randue come inhabitée, de maniere qu’ils ne content que huit mille ames en tout ; & Lucques qui n’est pas plus grande, fait vint & cinq mille habitans & plus. Messer Tadeo Rospiglioni, qui avoit eu de Rome lettre de recommandation en ma faveur, de Giovanni Franchini, me pria à disner le landemein, & tous les autres qui etions de compaignie. Le Palais fort paré, le service un peu farouche pour l’ordre des mets, peu de viande, peu de valets ; le vin servi encores après le repas, comme en Allemaigne. Nous vismes les Eglises : à l’élevation, on y sonnoit en la maitresse Eglise les trompettes. Il y avoit parmi les enfans de ceurs des Prestres revestus, qui sonnoint des saquebutes. Cete poure ville se païe de la libéralité perdue sur cete veine image de sa forme antiene. Ils ont neuf premiers & un Gonfalonier qu’ils elisent de deus en deus mois. Ceus-ci ont en charge la police, sont nourris du Duc, com’ils étoint antienemant du Publiq, logés au Palais, & n’en sortent jamais guiere que tous ensamble, y etant perpetuelemant enfermés. Le Gonfalonier marche devant le Potesta que le Duc y envoïe, lequel Potesta en effaict a toute puissance ; & ne salue ledict Gonfalonier personne, contrefaisant une petite roïauté imaginere. J’avois pitié de les voir se paitre de cete singerie, & cependant le Grand-Duc a accreu les subsides des dix pars sur les antiens. La pluspart des grans jardins d’Italie nourrissent l’herbe aus maistresses allées & la fauchent. Environ ce tamps-là comançoint à murir les serises ; & sur le chemin de Pistoïe à Luques, nous trouvions des jans de village qui nous presentoint des bouquets de freses à vandre. Nous en partismes Jeudi, jour de l’Ascension après disner, & suivismes premieremant un tamps cete pleine, & puis un chemin un peu montueus, & après une très-belle & large pleine. Parmi les champs de bled, ils ont force abres bien rangés, & ces abres couverts & ratachés de vigne de l’un à l’autre : ces champs samblent être des jardins. Les montaignes qui se voïent en cete route sont fort couvertes d’abres, & principalemant d’oliviers, chataigniers, & muriers pour leurs vers à soïe. Dans cete pleine se rancontre.

LUCQUES, vint milles. Ville d’un tiers plus petite que Bourdeaus, libre, sauf que pour sa foiblesse elle s’est jettée sous la protection de l’Ampereur & maison d’Austriche. Elle est bien close & flanquée ; les fossés peu enfoncés, où il court un petit canal d’eaus, & pleins d’herbes vertes, plats & larges par le fons. Tout au tour du mur, sur le terre-plein de dedans, il y a deux ou trois rancs d’abres plantés qui servent d’ombrage, & disent-ils de fascines à la nécessité. Par le dehors vous ne voyés qu’une forest qui cache les maisons. Ils font tousiours garde de trois cens soldats etrangiers. La ville fort peuplée, & notammant d’artisans de soïe ; les rues étroites, mais belles, & quasi partout des belles & grandes maisons. Ils passent au travers un petit canal de la riviere Cerchio ; ils batissent un Palais de cent trente mille escus de despanse, qui est bien avansé. Ils disent avoir six vins mille ames de sujets, sans la ville. Ils ont quelques Chatelets, mais nulle ville en leur subjection. Leurs Jantilshommes & jans de guerre font tous estat de marchandises : Les Buonvisi y sont les plus riches. Les Estrangiers n’y entrent que par une porte où il y a une grosse Garde. C’est l’une des plus plesantes assietes de ville que je vis jamais, environnée de deus grans lieus de pleine, belle par excellance au plus étroit, & puis de belles montaignes & collines, où pour la pluspart ils se sont logés aus champs. Les vins y sont mediocremant bons ; la cherté à vint sols par jour ; les hosteleries à la mode du païs, assés chetives. Je receus force courtoisies de plusieurs particuliers, & vins & fruits & offres d’arjant. J’y fus Vandredi, Sammedi & en partis le Dimanche après disner, pour autrui, non pas pour moi qui etois à jun. Les collines les plus voisines de la ville sont garnies de tout plein de maisons plesantes, fort espais ; la plus part du chemin fut par un chemin bas, assés aisé entre des montaignes, quasi toutes fort ombragées & habitables partout le long de la riviere de Cerchio. Nous passames plusieurs villages & deus fort bourgs Reci & Borgo, & au-deça ladicte riviere que nous avions à notre mein droite, sur un pont de hautur inusitée, ambrassant d’un surarceau une grande largeur de ladicte riviere, & de cette façon de pons nous en vismes trois ou quarre. Nous vinmes sur les deus heures après midi au

BEIN DELLA VILLA, seize milles. C’est un païs tout montueus. Audavant du bein, le long de la riviere, il y a une pleine de trois ou quatre çans pas, audessus de laquele le bein est relevé le long de la côte d’une montaigne médiocre, & relevé environ come la fontaine de Banieres, où l’on boit près de la ville. Le Site où est le bein a quelque chose de plein, où sont trante ou quarante maisons très-bien accommodées pour ce service, les chambres jolies, toutes particulieres, & libres qui veut, à-tout un retret (chacune) & ont un’entrée pour s’entreatacher, & un autre pour se particulariser. Je les reconnus quasi toutes avant que de faire marché, & m’aretai à la plus belle, notammant pour le prospect qui regarde (au moins la chambre que je choisis) tout ce petit fons, & la riviere de la lima, & les montaignes qui couvrent ledict fons, toutes bien cultivées & vertes jusques à la sime, peuplées de chataigniers & oliviers, & ailleurs de vignes qu’ils plantent autour des montaignes, & les enceignent en forme de cercles & de degrés. Le bort du degré vers le dehors un peu relevé, c’est vigne ; l’enfonceure de ce degré, c’est bled. De ma chambre j’avois toute la nuit bien doucemant le bruit de cette riviere. Entre ces maisons est une place à se proumener, ouverte d’un costé en forme de terrasse, par laquele vous regardés ce petit plein sous l’allée d’une treille publique, & voiés le long de la riviere dans ce petit plein, à deus cens pas, sous vous, un beau petit village qui sert aussi à ces beins, quand il y a presse. La pluspart des maisons neufves, un beau chemin pour y aler, & une belle place audict village. La pluspart des habitans de ce lieu se tienent là l’hiver, & y ont leurs boutiques, notammant d’apotiquerie ; car quasi tous sont Apotiqueres. Mon hôte se nome le Capitene Paulini, & en est un. Il me donna une salle, trois chambres, une cuisine & encore un’apant pour nos jans, & là dedans huit lits, dans les deus desquels il y avoit pavillon ; fournissoit de sel, serviete le jour, à trois jours une nape, tous utansiles de fer à la cuisine, & chandeliers, pour unse escus, qui sont quelques sous plus que dix pistolets pour quinze jours. Les pots, les plats, assietes qui sont de terre, nous les achetions, & verres & couteaus ; la viande s’y treuve autant qu’on veut, veau & chevreau ; non guiere autre chose. A chaque logis on offre de vous faire la despanse, & croi qu’à vint sous par home on l’aroit par jour ; & si vous la voulés faire, vous trouvés en chaque logis quelque home ou fame capable de faire la cuisine. Le vin n’y est guiere bon ; mais qui veut en fait porter ou de Pescia ou de Lucques. J’arrivai là le premier, sauf deus Jantilhomes Bolonois qui n’avoint pas grand trein ; einsi j’eus à choisir &, à ce qu’ils disent, meilleur marché que je n’eusse eu en la presse, qu’ils disent y être fort grande ; mais leur usage est de ne comancer qu’en Juin, & y durer jusques en Septambre : car en Octobre ils le quittent & s’y fait des assamblées souvant pour la sule recreation ; ce qui se faict plustot, come nous en trouvasmes qui s’en retournoint y aïant deja été un mois, ou en Octobre, est extraordinere. Il y a en ce lieu une maison beaucoup plus magnifique que les autres des Sieurs Buonvisi, & certes fort belle ; ils la noment le Palais. Elle a une fontene belle & vive dans la salle, & plusieurs autres commodités. Elle me fut offerte, au moins un appartement de quatre chambres que je voulois, & tout, si j’en eusse eu besouin. Les quatre chambres meublées come dessus, ils me les eussent laissées pour vint escus du païs pour quinse jours ; j’en vousis doner un escu par jour pour la consideration du tamps & pris, qui change. Mon hoste n’est obligé à notre marché que pour le mois de May ; il le faudra refaire, si j’y veus plus arrester. Il y a ici de quoi boire & aussi de quoi se beigner. Un bein couvert, vouté, & assés obscur, large come la moitié de ma salle de Montaigne. Il y a aussi certein esgout qu’ils noment la Doccia ; ce sont des tuïeaus par lesquels on reçoit l’eau chaude en diverses parties du cors & notamment à la teste, par des canaus qui descendent sur vous sans cesse, & vous vienent batre la partie, l’echauffent, & puis l’eau se reçoit par un canal de bois, come celui des buandieres, le long duquel elle s’écoule. Il y a un autre bein vouté de mesme & obscur pour les fames : le tout d’une fonteine de laquelle on boit, assés mal plaisammant assise, dans une enfonceure où il faut descendre quelques dégrés. Le Lundi huit de Mai au matin, je pris à grande difficulté de la casse que mon hoste me presenta, non pas de la grace de celui de Rome, & la pris de mes meins. Je disnai deus heures après, & ne peus achever mon disner ; son operation me fit randre ce que j’en avois pris, & me fit vomir encores despuis. J’en fis trois ou quatre selles avec grand dolur de vantre, à cause de sa vantosité qui me tourmenta près de vint-quatre heures, & me suis promis de n’en prandre plus. J’eimerois mieus un accès de cholique, aiant mon vantre einsin esmeu, mon gout altéré, ma santé troublée de cette casse : car j’étois venu là en bon estat, en maniere que le Dimanche après souper, qui étoit le sul repas que j’eusse faict ce jour, j’alai fort alegremant voir le bein de Corsena, qui est à un bon demi mille de là, à l’autre visage de cete mesme montaigne, qu’il faut monter & devaler après, environ à mesme hautur que les beins de deça. Cet autre bein est plus fameus pour le bein & la Doccia ; car le nostre n’a nul service receu communéemant ny par les Medecins ny par l’usage, que le boire ; & dict-on que l’autre est plus antienemant conu. Toutefois pour avoir cete vieillesse qui va jusques au siecles des Romeins, il n’y a nulle trace d’antiquité ny en l’un ny en l’autre. Il y a là trois ou quatre grans beins voutés, sauf un trou sur le milieu de la voute, com’un soupirail ; ils sont obscurs & mal plaisans. Il y a un’autre fonteine chaude à deus ou trois çans pas de là un peu plus haut en ce mesme mont, qui se nome de Saint Jan, & là on y a faict une loge à trois beins aussi couverts ; nulle maison voisine, mais il y a de quoi y loger un materas pour y reposer quelque heure du jour. A Corsena, on ne boit du tout pouint. Au demeurant, ils diverisifient l’operation de ses eaus qui refreche qui eschauffe, qui pour telle maladie, qui pour telle autre, & là-dessus mille miracles ; mais en somme, il n’y a nulle sorte de mal qui n’y treuve sa guerison. Il y a un beau logis à plusieurs chambres, & une vintene d’autres non guiere beaus. Il n’y a nulle compareson en cela de leur commodité à la nostre, ny de la beauté de la veue, quoiqu’ils aïent nostre riviere à leurs pieds & que leur veue s’étande plus longue dans un vallon, & si sont beaucoup plus chers. Plusieurs boivent ici, & puis se vont beigner là. Pour cet’heure Corsena a la reputation. Le Mardi, neuf de Mai 1581, bon matin, avant le soleil levé, j’alai boire du surjon mesme de notre fonteine chaude, & en beus sept verres tout de suite, qui tienent trois livres & demie : ils mesurent einsi. Je croi que ce seroit à douze, notre carton. C’est un’eau chaude fort moderéemant, come celle d’Aigues-Caudes ou Barbotan, aïant moins de gout & saveur que nulle autre que j’aïe jamais beu. Je n’y peus apercevoir que sa tiedur, & un peu de douceur. Pour ce jour elle ne me fit null’operation, & si fus cinq heures despuis boire jusques au disner, & n’en randis une sule goute. Aucuns disoint que j’en avois pris trop peu : car là ils en ordonent un fiasque : sont deus boccals qui sont huit livres, sese ou dix sept verres des miens. Moi je pense qu’elle me trouva si vuide à-cause de ma medecine, qu’elle trouva place à me servir d’alimant. Ce mesme jour je fus visité d’un jantil home Boulonois, Colonel de douse çans homes de pied, aus gages de cete seigneurie, qui se tient à quatre milles des beins ; & me vint faire plusieurs offres, & fut aveq moi environ deus heures ; comanda à mon hoste & autres du lieu de me favoriser de leur puissance. Cete seigneurie a cete regle de se servir d’Officiers etrangiers, & leur done un Colonel à leur comander : qui a plus grande, qui moindre charge. Les Colonels sont païés ; les Capitaines qui sont des habitans du païs ne le sont qu’en guerre, & comandent aus compaignies particulieres lors du besouin. Mon Colonel avoit sese escus par mois de gages, & n’a charge que de se tenir prest. Ils vivent plus sous regle en ces beins ici qu’aus nostres, & junent fort, notammant du boire. Je m’y trouvois mieus logé qu’en nuls autres beins, fut-ce à Banieres. Le sit du païs est bien aussi beau à Banieres, mais en nuls autres beins ; les lieus à se beigner à Bade surpassent en magnificence & commodité tous les autres de beaucoup ; le logis de Bade comparable à tout autre, sauf le prospet d’ici. Mercredi bon matin, je rebeus de cet’eau, & etant en grand peine du peu d’operation que j’en avoi senti le jour avant ; car j’avoi bien faict une selle soudein après l’avoir prise, mais je randois cela à la medecine du jour præcedant, n’aiant faict pas une goute d’eau qui retirât à celle du bein. J’en prins le Mecredi, sept verres mesurés à la livre, qui fut pour le moins double de ce que j’en avois pris pour l’autre jour, & croi que je n’en ai jamais tant pris en un coup. J’en santis un grand desir de suer, auquel je ne vousis nullemant eider, aïant souvant oui dire que ce n’etoit pas l’effaict qu’il me faloit ; &, come le premier jour, me contins en ma chambre, tantost me promenant, tantost en repos. L’eau s’achemina plus par le derriere, & me fit faire plusieurs selles lâches & cleres, sans aucun effort. Je tien qu’il me fit mal de prandre cete purgation de casse, car l’eau trouvant nature acheminée par le derriere & provoquée, suivit ce trein-la ; là où je l’eusse, à-cause de mes reins, plus desirée par le devant ; & suis d’opinion, au premiers beins que je pranderai, de sulemant me preparer aveq quelque june le jour avant. Aussi crois-je que cet’eau soit fort lâche & de peu d’operation, & par conséquant sûre & pouint de hasard : les aprantis & delicats y seront bons. On les prant pour refreschir le foïe, & oster les rougeurs de visage : ce que je remerque curieusemant pour le service que je dois à une très vertueuse Dame de France. De l’eau de Saint Jan, on s’en sert fort aus fars, car ell’est extrememant huileuse. Je voïois qu’on en emportoit à pleins barrils aus païs etrangiers, & de cele que je beuvois encore plus, à force asnes & mulets, pour Reggio, Modène, la Lombardie, pour le boire. Aucuns la prenent ici dans le lit, & leur principal ordre est de tenir l’estomac & les pieds chaus, & ne se branler guieres. Les voisins la font porter à trois ou quatre milles à leurs maisons. Pour montrer qu’elle n’est pas fort apéritive, ils ont en usage de faire aporter de l’eau d’un bein près de Pistoïe, qui a le goust acre & très chaude en son nid ; & tienent les Apotiqueres d’ici pour en boire avant celle d’ici, un verre, & tienent qu’elle achemine cete ci, etant active & apéritive. Le segond jour je rendis de l’eau blanche, mais non sans quelque altération de colur, com’ailleurs, & fis force sable ; mais il etoit acheminé par la casse. J’appris là un accidant mémorable. Un habitant du lieu, soldat qui vit encore, nomé Giuseppe, & comande à l’une des galeres des Genevois en forçat, de qui je vis plusieurs parans proches, etant à la guerre sur mer, fut pris par les Turcs. Pour se mettre en liberté, il se fit Turc, (& de cete condition il y en a plusieurs, & notammant des montaignes voisines de ce lieu, encore vivans), fut circuncis, se maria là. Estant venu piller cete coste, il s’elouigna tant de sa retrete que le voilà, aveq quelques autres Turcs, attrapé par le Peuple qui s’etoit soublevé. Il s’avise soudein de dire qu’il s’estoit venu randre à esciant, qu’il estoit Chrétien, fut mis en liberté quelques jours après, vint en ce lieu, & en la maison qui est vis à vis de cele où je loge : il entre, il rancontre sa mere. Elle lui demande rudemant qui il etoit, ce qu’il vouloit : car il avoit encore ses vestemans de Matelot, & étoit estrange de le voir là. Enfin il se faict conètre : car il etoit perdu despuis dix ou douse ans, ambrasse sa mere. Elle aïant faict un cri, tumbe toute éperdue, & est jusques au landemein qu’on n’y conessoit quasi pouint de vie, & en étoint les Medecins du tout désesperés. Elle se revint enfin & ne vescut guiere depuis, jugeant chacun que cete secousse lui acoursit la vie. Nostre Giuseppe fut festoïé d’un checun, receu en l’Eglise à abjurer son erreur, reçeut le Sacremant de l’Eveque de Lucques, & plusieurs autres serimonies : mais ce n’etoit que baïes. Il étoit Turc dans son ceur, & pour s’y en retourner, se desrobe d’ici, va à Venise, se remesle aus Turs, reprenant son voïage. Le voilà retumbé entre nos meins, & parceque c’est un home de force inusitée & soldat fort entandu en la Marine, les Genevois le gardent encore, & s’en servent, bien ataché & garroté. Cete Nation a force soldats qui sont tous enregistrés, des habitans du païs, pour le service de la seigneurie. Les Colonels n’ont autre charge que de les exercer souvant, faire tirer, escarmoucher, & teles choses, & sont tous du païs. Ils n’ont nuls gages, mais ils peuvent porter armes, mailles, harquebouses, & ce qui leur plait ; & puis ne peuvent étre sesis au cors pour aucun debte, & à la guerre reçoivent païe. Parmi eus sont les Capitenes, Anseignes, Sarjans. Il n’y a que le Colonel qui doit estre de nécessité étrangier & païé. Le Colonel del Borgo, celui qui m’étoit venu visiter le jour avant, m’envoïa dudict lieu (qui est à quatre milles du bein) un home, avec sese citrons & sese artichaus. La douceur & foiblesse de cet’eau s’argumante encore de ce que elle se tourne si facilemant en alimant ; car elle se teint & se cuit soudein, & ne done pouint ces pouintures des autres à l’appetit d’uriner, come je vis par mon experiance & d’autres en mesme tamps. Encore que je fusse plesammant & très commodemant logé, & à l’envi de mon logis de Rome, si n’avois-je ny chassis ny cheminée, & encore moins vitres en ma chambre. Cela montre qu’ils n’ont pas en Italie les orages si frequans que nous ; car cela, de n’avoir autres fenetres que de bois quasi en toutes les maisons, ce seroit une incommodité insupportable : outre ce, j’étois couché très-bien. Leurs lits, ce sont petits mechans treteaus sur lesquels ils jetent des esses, selon la longur & largeur du lit ; là dessus une paillasse, un materas, & vous voilà logé très bien, si vous avés un pavillon. Et pour faire que vos treteaus & esses ne paroissent, trois remedes : l’un d’avoir des bandes, de mesme que le pavillon, come j’avois à Rome ; l’autre, que votre pavillon soit assés long pour pandre jusques à terre, & couvrir tout, ce qui est le meillur ; le tiers, que la couverte qui se ratache par les couins avec des boutons, pande jusques à terre, qui soit de quelque legere etoffe, come de suteine blanche, aïant audessous un’autre couverte pour le chaut. Au moins j’aprans pour mon trein cet’epargne pour tout le commun de chés moi, & n’ai que faire de chalits. On y est fort bien, & puis c’est une recette contre les punèses. Le mesme jour, après disner, je me beignai, contre les regles de cete contrée, où on dict que l’une operation ampeche l’autre ; & les veulent distinguer, boire tout de suite, & puis beigner tout de suite. Ils boivent huit jour, & beignent trante : boire en ce bein & beigner en l’autre. Le bein est très-dous & plesant ; j’y fus demi heure, & ne m’esmeut qu’un peu de sueur : c’etoit sur l’heure de souper. Je me cochai au partir delà, & soupai d’une salade de citron sucrée, sans boire ; car ce jour je ne beus pas une livre, & croi, qui eût tout conté jusques au landemein, que j’avoi randu par ce moien à peu près l’eau que j’avoi prise. C’est une sotte costume de conter ce qu’on pisse. Je ne me trouvais pas mal, eins gaillard, come aus autres beins ; & si etois en grand peine de voir que mon eau ne se randoit pas, & à l’advanture m’en etoit il autant advenu ailleurs. Mais ici de cela, ils font un accidant mortel, & dès le premier jour si vous faillés à randre les deus pars au moins, ils vous conseillent d’abandoner le boire, ou prandre medecine. Moi, si je juge bien de ces eaus, elles ne sont ny pour nuire beaucoup, ny pour servir : ce n’est que lâcheté & foiblesse, & est à craindre qu’elles eschauffent plus les reins qu’elles ne les purgent ; & croi qu’il me faut des eaus plus chaudes & apéritives. Le Jeudi matin j’en rebus cinq livres, creignant d’en estre mal servi & ne les vuider. Elles me firent faire une selle, uriner fort peu, & ce mesme matin escrivant à M. Ossat, je tumbe en un pansemant si pénible de M. de la Boétie, & y fus si longtamps, sans me raviser, que cela me fit grand mal. Le lit de cet’eau est tout rouge & rouillé, & le canal par où elle passe : cela, meslé à son insipidité, me faict crère qu’il y a bien du fer, & qu’elle resserre. Je ne randis le Jeudi, en cinq heures que j’atandis à disner, que la cinquiesme partie de ce que j’avois beu. La vaine chose que c’est que la medecine. Je disois par rancontre, que me rapantois de m’estre tant purgé, & que cela faisoit que l’eau me trouvant vuide, servoit d’alimans & s’arretoit. Je vien de voir un Medecin imprimé parlant de ces eaus, nomé Donati, qui dit qu’il conseille de peu disner, & mieus souper. Come je continuai landemein à boire, je croi que ma conjecture lui sert : son compaignon Franciotti, est au contrere, come en plusieurs autres choses. Je santois ce jour là quelques poisanteurs de reins que je creignois que les eaus mesmes me causassent, & qu’elles s’y croupissent : si est-ce qu’à conter tout ce que je randois en 24 heures, j’arrivois à mon pouint à peu près, atandu le peu que je beuvois aus repas. Vandredi je ne beus pas, & au lieu de boire, m’alai beigner au matin & m’y laver la teste, contre l’opinion commune du lieu. C’est un usage du païs d’eider leur eau par quelque drogue meslée, come de sucre candi, ou manne, ou plus forte medecine, encore qu’ils meslent au premier verre de leur eau & le plus ordineremant, de l’eau del Testuccio, que je tâtai : elle est salée. J’ai quelque soupçon que les Apotiqueres, au lieu de l’envoïer querir près de Pistoïe où ils disent qu’elle est, sophistiquent quelque eau naturelle : car je lui trouvai la saveur extraordinaire, outre la salure. Ils la font rechaufer & en boivent au comancemant un, deus, ou trois verres. J’en ai veu boire en ma presance, sans aucun effaict. Autres mettent du sel dans l’eau au premier & second verre ou plus. Ils y estiment la sueur quasi mortelle, & le dormir, aïant beu. Je santois grand action de cet’eau vers la sueur.