L’Âme des saisons/Stella matutina

La bibliothèque libre.
Veuve Fred. Larcier, Editeur (p. 72-74).
IV


Stella matutina


O Dame, toute vie est comme une eau qui fuit,
Le cœur en battements incessants se soulève,
Le jour pousse le jour, le rêve suit le rêve,
Entre hier et demain on partage aujourd’hui,
Jusqu’au jour où la peur fait claquer les vertèbres
Devant le grand silence et le froid des ténèbres...
 
Heureux celui qui voit l’Etoile à l’horizon !
Qu’il foule le roc dur ou le moelleux gazon,
Qu’il trébuche parmi les roses ou les ronces,
Sa route est bonne vers l’Etoile qui dénonce,
Parmi l’immensité de l’horizon lointain,
La région mystérieuse du Matin.


Ah ! faites que je sois celui-là, douce Dame !
Ne permettez jamais que je sois abattu
Tout à fait, comme quand on a perdu son âme,
Et faites que toujours mes yeux, même battus,
Même quand la tristesse ou le remords les voile,
Se lèvent avec confiance vers l’Etoile !…

Tel un bois, avant l’aube, au déclin de la nuit :
L’ombre est encore dense où baigne la feuillée
Entre le ciel nocturne et la terre mouillée ;
Pourtant le bois ramage en sourdine et bruit,
À cause du Flambeau de neige et d’or qui brûle
Dans l’opale et le lait nacré du crépuscule.

D’abord claque la caille, au loin, on ne sait où…
Puis le bruant pépie à notes de rosée ;
Puis le rossignol lance une fraîche fusée ;
Puis le loriot flûte, et puis le sourd coucou
Bégaie, et puis pinsons, verdiers, fauvettes, merles
Font un jaillissement de cristal et de perles…


Tel ce bois, c’est ainsi que je voudrais mon âme,
Devant un orient de nacre et de satin
Où brûle doucement l’Etoile du matin ;
Tel ce bois qui gazouille et qui roucoule, ô Dame,
En attendant qu’avec un tumulte vermeil
Il tressaille dans l’or sublime du Soleil !...


Mai 1905.