L’Ève future/Livre 3/03

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Bibliothèque-Charpentier ; Eugène Fasquelle, éditeur (p. 155-158).


III

Chant des oiseaux


Ni le chant des oiseaux matineux,
ni la nuit et son oiseau solennel…

Milton, Le paradis perdu.


Sur le parterre vertical des talus fleuris, une foule d’oiseaux, balancés sur des corolles, raillaient la Vie au point, les uns, de se lustrer d’un bec factice et de se duyser la plume ; les autres, de remplacer le ramage par des rires humains.

À peine lord Ewald se fut-il avancé de quelques pas, que tous les oiseaux tournèrent la tête vers lui, le regardèrent, d’abord, silencieusement, puis éclatèrent, tous à la fois, d’un rire où se mêlaient des timbres de voix viriles et féminines : si bien qu’un instant il se crut en face d’une assemblée humaine.

À cet accueil inattendu, le jeune homme s’arrêta, considérant ce spectacle.

― Ce doit être, j’imagine, quelque hottée de démons que ce sorcier d’Edison a enfermés dans ces oiseaux-là ? pensa-t-il en lorgnant les rieurs.

L’électricien, resté dans l’obscurité du tunnel, achevait sans doute de serrer les freins de son ascenseur fantastique :

― Milord, cria-t-il, j’oubliais ! ― L’on va vous saluer d’une aubade. Si j’eusse été prévenu à temps de ce qui nous arrive à tous deux ce soir, je vous eusse épargné ce dérisoire concert en interrompant le courant de la pile qui anime ces volatiles. Les oiseaux de Hadaly sont des condensateurs ailés. J’ai cru devoir substituer en eux la parole et le rire humains au chant démodé et sans signification de l’oiseau normal. Ce qui m’a paru plus d’accord avec l’esprit du Progrès. Les oiseaux réels redisent si mal ce qu’on leur apprend ! Il m’a semblé plaisant de laisser saisir par le phonographe quelques phrases admiratives ou curieuses de mes visiteurs de hasard, puis de les transporter en ces oiseaux par voie d’électricité, grâce à une de mes découvertes encore inconnue là-haut. ― Du reste, Hadaly va les faire cesser. Ne leur accordez qu’une dédaigneuse attention pendant que j’amarre l’ascenseur. Vous comprenez, il ne faudrait pas qu’il nous jouât la mauvaise plaisanterie de remonter sans nous à la surface assez lointaine de la Terre.

Lord Ewald regardait l’Andréide.

La paisible respiration de Hadaly soulevait le pâle argent de son sein. Le piano, tout à coup, préluda seul, en de riches harmonies : les touches s’abaissaient comme sous des doigts invisibles.

Et la voix douce de l’Andréïde, ainsi accompagnée, se mit à chanter, sous le voile, avec des inflexions d’une féminéïté surnaturelle :

 
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Lord Ewald, à ce chant inattendu, se sentit envahir par une sorte de surprise terrible.

Alors, sur les versants en fleurs, une scène sabbatique, d’une absurdité à donner le vertige et qui présentait une sorte de caractère infernal, commença.

D’affreuses voix de visiteurs quelconques s’échappaient, à la fois, du gosier de ces oiseaux : c’étaient des cris d’admiration, des questions banales ou saugrenues, ― un bruit de gros applaudissements, même, d’assourdissants mouchoirs, d’offres d’argent.

Sur un signe de Hadaly, cette reproduction de la Gloire à l’instant même s’arrêta.

Lord Ewald reporta ses yeux sur l’Andréïde, en silence.

Tout à coup, la voix pure d’un rossignol s’éleva dans l’ombre. Tous les oiseaux se turent, comme ceux d’une forêt, aux accents du prince de la nuit. Ceci semblait un enchantement. L’oiseau éperdu chantait donc sous terre ? Le grand voile noir de Hadaly lui rappelait sans doute la nuit, et il prenait la lampe pour le clair de lune.


Le ruissellement de la délicieuse mélodie se termina par une pluie de notes mélancoliques. Cette voix, venue de la nature et qui rappelait les bois, le ciel et l’immensité, paraissait étrange en ce lieu.