L’École de la médisance/Acte 5

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Traduction par Hégésippe Cler.
Maurice Dreyfous (p. 133-167).



ACTE V




Scène I


La bibliothèque chez Joseph.


Entrent Joseph Surface et le Domestique.

Joseph. — M. Stanley !… et pourquoi avez-vous cru que je voulais le voir ? Vous deviez savoir qu’il vient pour me demander quelque chose.

Le Domestique. — Monsieur, je ne l’aurais pas laissé entrer, si M. Rowley ne l’avait accompagné.

Joseph. — Bah ! imbécile ! aller supposer que je suis d’humeur maintenant à recevoir la visite de parents pauvres !… Eh bien, qu’attendez-vous pour faire monter cet individu ?

Le Domestique. — J’y vais, monsieur… Mais, monsieur, ce n’est pas ma faute si sir Peter a découvert milady…

Joseph. — Assez, Idiot ! (Le domestique sort.) Vraiment, dame Fortune n’a jamais joué jusqu’ici pareil tour à un homme de ma force. Ma réputation aux yeux de sir Peter, mes espérances sur Maria, détruites en un instant ! Je suis dans une belle disposition d’esprit pour prêter attention aux malheurs des autres ! Je me sens incapable de faire à ce Stanley même la charité d’une maxime de bienfaisance… Allons ! le voici, accompagné de Rowley. Il faut cependant que je tâche de rentrer en possession de moi-même, et d’amener sur mon visage un peu de compassion. (Il sort.)


Entrent Sir Oliver Surface et Rowley.

Sir Oliver. — Comment ! il nous fuit !… N’est-ce pas lui qui sort ?

Rowley. — Si, monsieur. Mais je crois que vous êtes entré un peu trop inopinément. Ses nerfs sont sensibles à ce point, qu’il peut avoir de la peine à supporter la vue d’un parent pauvre. J’aurais dû me présenter d’abord pour l’y préparer.

Sir Oliver. — Oh ! peste soit de ses nerfs ! C’est donc là celui que sir Peter exalte comme un homme du caractère le plus serviable !

Rowley. — Pour ce qui est de son caractère, je ne saurais avoir la prétention de le juger ; car, à lui rendre justice, il paraît avoir autant de charité en théorie que quiconque du royaume. Seulement, il ne se livre pas souvent au plaisir de la mettre en pratique.

Sir Oliver. — Il doit avoir alors, je suppose, comme un chapelet de charitables préceptes au bout des doigts.

Rowley. — Ou plutôt au bout de la langue, sir Oliver ; car je crois qu’il n’y a pas ici de précepte plus estimé que celui de : « Charité bien ordonnée commence par soi-même. »

Sir Oliver. — Et la sienne, je présume, ressemble à ces gens casaniers qu’on ne voit jamais sortir de chez eux pour prendre un peu d’exercice.

Rowley. — Je crains que vous n’en fassiez vous-même l’expérience… Mais le voici. Il ne faut pas que j’aie l’air de vous gêner ; et, vous savez, immédiatement après que vous l’aurez quitté, je reviendrai annoncer votre arrivée sous votre nom véritable.

Sir Oliver. — Oui, et ensuite vous me rejoindrez chez sir Peter.

Rowley. — Sans perdre une minute. (Il sort.)

Sir Oliver. — Je n’aime pas cette physionomie doucereuse.


Entre Joseph Surface.

Joseph. — Monsieur, je vous demande mille pardons de vous avoir fait attendre un instant… monsieur Stanley, je crois ?…

Sir Oliver. — Pour vous servir.

Joseph. — Monsieur, je vous prie de vouloir bien me faire l’honneur de vous asseoir… Je vous en supplie, monsieur !…

Sir Oliver. — Mon cher monsieur… ce n’est pas la peine… (À part.) Beaucoup trop poli !

Joseph. — Je n’ai pas l’avantage de vous connaître, monsieur Stanley ; mais je suis heureux au dernier point de voir que vous ayez si bonne mine. Vous étiez proche parent de ma mère, je crois, monsieur Stanley ?

Sir Oliver. — Oui, monsieur… si proche parent que ma misère actuelle, je le crains, pourrait nuire à la considération de ses riches enfants ; sans cela, je n’aurais pas osé venir vous importuner.

Joseph. — Mon cher monsieur, il n’est pas besoin de vous excuser : celui qui est dans le malheur, lors même qu’il serait étranger, a le droit de revendiquer sa parenté avec les riches. Que ne suis-je du nombre de ces derniers ! Je le voudrais assurément, et qu’il fût en mon pouvoir de vous offrir seulement un léger secours.

Sir Oliver. — Si votre oncle, sir Oliver, était à Londres, j’aurais un ami.

Joseph. — Je voudrais qu’il y fût, monsieur, de tout mon cœur : je vous servirais d’avocat auprès de lui, croyez-moi, monsieur.

Sir Oliver. — Je n’en aurais pas besoin… il suffirait de mes malheurs pour me recommander. Mais je m’imaginais que, grâce à sa munificence, vous pouviez m’obliger à son défaut.

Joseph. — Mon cher monsieur, vous êtes fort mal renseigné. Sir Oliver est un brave homme, un très-brave homme ; mais l’avarice, M. Stanley, est le défaut de son âge. Je vous dirai, mon bon monsieur, en confidence, que ce qu’il a fait pour moi ou rien, c’est la même chose ; ce qui n’empêche pas, je le sais, que le monde ne pense le contraire ; et, quant à moi, je me suis bien gardé de démentir ce bruit.

Sir Oliver. — Comment ! il ne vous a pas fait parvenir des lingots… des roupies… des pagodes[1] ?

Joseph. — Oh ! cher monsieur, rien de semblable… Non, non… quelques cadeaux par-ci, par-là… des porcelaines, des châles, du thé noir, des diablotins et des pétards indiens… pas davantage, je vous l’assure.

Sir Oliver, à part. — Voilà son grand merci pour mes douze mille livres[2]… Des diablotins et des pétards indiens !

Joseph. — Et puis, mon cher monsieur, vous avez certainement entendu parler des folies de mon frère : il y a bien peu de gens capables de croire ce que j’ai fait pour ce malheureux jeune homme.

Sir Oliver, à part. — Ce n’est toujours pas moi !

Joseph. — Les sommes que je lui ai prêtées !… En vérité j’ai été excessivement blâmable ; mon amitié pour lui m’a fait commettre cette faiblesse, que je ne prétends pas excuser cependant, et que je me reproche doublement aujourd’hui, puisqu’elle me prive du plaisir de vous obliger, monsieur Stanley, malgré le désir que j’en ai.

Sir Oliver, à part. — Hypocrite ! (Haut.) Ainsi monsieur, vous ne pouvez pas me venir en aide ?

Joseph. — Pour le moment, je le dis avec peine, cela m’est impossible ; mais, dès que j’en aurai la faculté, vous pouvez compter que vous entendrez parler de moi.

Sir Oliver. — Je suis vraiment désolé.

Joseph. — Pas plus que moi, Je vous assure… Plaindre sans pouvoir soulager est encore plus pénible que d’implorer sans rien obtenir.

Sir Oliver. — Excellent monsieur, votre très-obéissant et très-humble serviteur.

Joseph. — Vous me laissez profondément affligé, monsieur Stanley… William, ne faites pas attendre monsieur.

Sir Oliver. — Oh ! cher monsieur, ne vous dérangez donc pas.

Joseph. — Votre tout dévoué.

Sir Oliver. — Votre très-respectueux.

Joseph. — Vous pouvez compter que vous entendrez parler de moi, quand je pourrai vous être utile.

Sir Oliver. — Charmant monsieur, vous êtes trop bon.

Joseph. — En attendant, je vous désire bonne santé et bon courage.

Sir Oliver. — Je suis à jamais votre humble et bien reconnaissant serviteur.

Joseph. — Monsieur, je suis sincèrement le vôtre.

Sir Oliver, à part. — Maintenant je suis édifié. (Il sort.)

Joseph. — Voilà un des désagréments d’une bonne réputation : c’est une invite aux malheureux, qui viennent vous solliciter, et il ne faut pas peu d’adresse pour conquérir un renom de bienfaisance sans faire de frais. L’argent pur de la charité véritable est un article coûteux du catalogue des vertus humaines ; tandis que le plaqué[3] sentimental dont je me sers à la place, fait tout aussi bon effet et ne paye pas d’estampille.


Entre Rowley.

Rowley. — Monsieur Surface, votre serviteur… Je craignais de vous déranger, bien que l’affaire qui m’amène réclame sur-le-champ votre attention, comme vous l’apprendra ce billet.

Joseph. — Toujours heureux de voir monsieur Rowley… (À part.) Un gredin ! (Lisant la lettre.) Sir Oliver Surface !… Mon oncle, arrivé !

Rowley. — Oui vraiment : nous venons de le quitter… en parfaite santé, après un rapide voyage, et impatient d’embrasser son digne neveu.

Joseph. — Je n’en reviens pas !… William, appelez M. Stanley, s’il n’est pas trop loin.

Rowley. — Oh ! il est hors de vue, je crois.

Joseph. — Pourquoi ne m’avez-vous rien dit quand vous êtes entré avec lui ?

Rowley. — Je pensais que vous aviez affaire tous les deux ; mais il faut que j’aille prévenir votre frère et lui donner rendez-vous ici pour voir votre oncle, qui sera auprès de vous dans un quart d’heure.

Joseph. — Oui, c’est ce qu’il me dit. Ma foi, je suis étrangement ravi de son arrivée !(À part.) Il n’y eut jamais, à coup sûr, contre-temps aussi détestable.

Rowley. — Vous serez agréablement surpris de voir comme il a bonne figure.

Joseph. — Oh ! je suis ravi de l’apprendre… (À part.) Juste en ce moment !

Rowley. — Je vais lui dire avec quelle impatience vous l’attendez.

Joseph. — Allez, allez ; présentez-lui, je vous prie, mes devoirs respectueux et mes meilleurs sentiments. En vérité, je ne puis exprimer tout ce que je sens à la pensée de le voir. (Exit Rowley.) Assurément, son arrivée juste en ce moment est le plus cruel coup de la fortune adverse. (Il sort.)




Scène II


Chez Sir Peter Teazle.


Entrent une Femme de chambre et Mrs Candour.


La femme de chambre. — En vérité, madame, milady ne peut recevoir personne maintenant.

Mrs Candour. — Lui avez-vous dit que c’était son amie, Mrs Candour ?

La femme de chambre. — Oui, madame ; mais elle vous prie de l’excuser.

Mrs Candour. — Retournez-y… Je serai contente de la voir, ne fût-ce qu’une minute, car je suis sûre qu’elle doit être dans un grand embarras (La femme de chambre sort.) Mon Dieu, quel ennui ! Je ne possède pas la moitié des détails ! L’affaire sera tout au long dans les journaux, avec les noms des acteurs, avant que j’aie pu aller en semer la nouvelle dans une douzaine de maisons.


Entre Sir Benjamin Backbite.

Mrs Candour. — Oh ! mon cher sir Benjamin ! vous avez appris, je suppose, l’aventure…

Sir Benjamin. — De lady Teazle avec M. Surface…

Mrs Candour. — Et la découverte de sir Peter…

Sir Benjamin. — Oh ! c’est la plus curieuse affaire, à coup sûr !

Mrs Candour. — Vraiment, je n’ai jamais été si surprise de ma vie. J’en suis désolée pour tous les trois, ma parole.

Sir Benjamin. — Ma foi, je ne plains pas du tout sir Peter : il était trop sottement coiffé de M. Surface.

Mrs Candour. — M. Surface ! Mais c’est avec Charles que lady Teazle a été prise sur le fait.

Sir Benjamin. — Pas du tout, je vous le répète… c’est M. Surface qui est le galant.

Mrs Candour. — Non, non, Charles ! C’est M. Surface qui a amené sir Peter exprès pour les pincer.

Sir Benjamin. — Je vous dis que je le tiens de quelqu’un…

Mrs Candour. — Et moi d’une personne…

Sir Benjamin. — Qui le tenait de quelqu’un, qui lui-même…

Mrs Candour. — Moi, d’une personne directement… Mais voici lady Sneerwell ; peut-être sait-elle l’affaire complète. (Elle passe.)


Entre Lady Sneerwell.

Lady Sneerwell. — Eh bien, ma chère. Mrs Candour, voici une triste affaire pour notre amie Teazle.

Mrs Candour. — Hein ! ma chère amie, qui aurait pensé…

Lady Sneerwell. — Ma foi, il n’y a plus moyen de se fier aux apparences, bien qu’à vrai dire, elle m’ait toujours paru trop légère.

Mrs Candour. — À coup sûr, elle avait des façons un peu trop libres ; mais aussi elle était si jeune !

Lady Sneerwell. — Et elle avait, après tout, quelques bonnes qualités.

Mrs Candour. — Oui, assurément… Mais savez-vous les détails ?

Lady Sneerwell. — Non ; mais tout le monde dit que M. Surface…

Sir Benjamin. — Là, voyez-vous ! Je vous disais bien que M. Surface était le héros.

Mrs Candour. — Non, non : parbleu, le rendez-vous était avec Charles.

Lady Sneerwell. — Avec Charles ! Vous m’inquiétez, Mrs Candour !

Mrs Candour. — Oui, oui, c’est lui l’amant. M. Surface, rendons-lui justice, n’a fait qu’avertir le mari.

Sir Benjamin. — Bon, je ne discuterai pas avec vous, Mrs Candour ; mais, quoi qu’il en soit, j’espère que la blessure de sir Peter ne sera pas…

Mrs Candour. — Sir Peter est blessé ! Oh ! quel malheur ! je n’ai pas entendu dire un mot de leur duel.

Lady Sneerwell. — Ni moi, pas une syllabe.

Sir Benjamin. — Ah ! bah ! Comment, vous ne savez rien du duel ? (Il passe.)

Mrs Candour. — Rien du tout.

Sir Benjamin. — Oh ! mais, ils se sont battus sur les lieux mêmes.

Lady Sneerwell. — Je vous en prie, racontez-nous cela.

Mrs Candour. — Oui, faites-nous le plaisir de nous parler du duel.

Sir Benjamin. — « Monsieur, dit sir Peter, aussitôt après la découverte, vous êtes le plus ingrat vaurien… »

Mrs Candour. — C’est cela, à Charles…

Sir Benjamin. — Non, non… à M. Surface… « le plus ingrat vaurien ; et, tout vieux que je suis, monsieur, dit-il, j’exige que vous me donniez sur-le-champ réparation. »

Mrs Candour. — Eh bien, cela ne pouvait s’adresser qu’à Charles ; car il n’est pas du tout vraisemblable que M. Surface se soit battu dans sa propre demeure.

Sir Benjamin. — Vive Dieu, madame, c’est ainsi… « que vous me donniez sur-le-champ réparation. » Là-dessus, madame, lady Teazle, voyant sir Peter si exposé, s’est élancée hors de la chambre en proie à une violente attaque de nerfs, et Charles l’a suivie, réclamant à grands cris des cordiaux et des sels. Alors, madame, ils commencèrent à se battre à l’épée…


Entre Crabtree.

Crabtree. — Au pistolet, mon neveu… au pistolet : je le tiens de bonne source.

Mrs Candour, allant à lui. — Oh ! M. Crabtree, tout cela est donc vrai !

Crabtree. — Que trop vrai en effet, madame, et sir Peter est grièvement blessé…

Sir Benjamin. — D’un coup de seconde qui lui a traversé le côté gauche…

Crabtree. — D’une balle dans la poitrine.

Mrs Candour. — Ah ! grands dieux ! Pauvre sir Peter !

Crabtree. — Oui, madame, quoique Charles ait fait tout ce qu’il a pu pour éviter d’en venir là.

Mrs Candour. — Quand je vous le disais ! Je savais bien que c’était Charles.

Sir Benjamin. — Mon oncle, je le vois, ignore entièrement l’affaire.

Crabtree. — Mais sir Peter l’a traité de lâche et d’ingrat.

Sir Benjamin. — Comme je vous ai dit, vous vous souvenez…

Crabtree. — Voyons… mon neveu, laissez-moi parler… Et il exigea sur-le-champ…

Sir Benjamin. — Une réparation ! Précisément ce que j’ai dit.

Crabtree. — Morbleu, mon neveu, souffrez que les autres sachent quelque chose aussi… Il y avait sur le bureau une paire de pistolets (car M. Surface, paraît-il, était revenu assez tard dans la nuit précédente de Salthill, où il avait été voir le Montem[4] avec un ami, qui a un fils à Eton) ; en sorte que, malheureusement, il avait laissé ses pistolets chargés.

Sir Benjamin. — Je n’ai rien entendu dire de semblable.

Crabtree. — Sir Peter contraignit Charles à en prendre un, et ils firent feu, paraît-il, presque en même temps l’un que l’autre. Le coup de Charles porta, comme je vous ai dit, et sir Peter ne l’atteignit pas ; mais, ce qu’il y a de plus extraordinaire, la balle, après avoir frappé un petit Shakespeare en bronze qui était placé sur la cheminée, fila par la fenêtre à angle droit et alla blesser le facteur, juste au moment où il arrivait à la porte avec deux lettres du Northamptonshire.

Sir Benjamin. — La version de mon oncle est plus détaillée, je l’avoue ; mais, malgré tout, je crois encore que la mienne est la seule authentique.

Lady Sneerwell, à part. — Je suis plus intéressée dans cette affaire qu’ils ne l’imaginent, et il faut que j’aille me renseigner pour le mieux. (Elle sort.)

Sir Benjamin. — Ah ! l’inquiétude de lady Sneerwell ne justifie que trop aisément mon dire.

Crabtree. — Oui, oui, il est vrai que l’on prétend… mais cela n’a rien à voir avec ce qui se passe.

Mrs Candour. — Voyons, je vous prie, où est sir Peter à présent ?

Crabtree. — Oh ! on l’a transporté chez lui, et il est ici maintenant, bien que les domestiques aient reçu l’ordre de dire le contraire.

Mrs Candour. — « Je le crois comme vous ; et lady Teazle, je suppose, est auprès de lui ?

Crabtree. — Oui, oui ; et j’ai vu entrer un homme de l’art au moment où j’arrivais.

Sir Benjamin. — Tiens ! qui vient ici ?

Crabtree. — Oh ! c’est lui, le médecin, assurément.

Mrs Candour. — Oh ! certes, ce ne peut être que le médecin ; et nous allons donc savoir…


Entre Sir Oliver Surface.

Crabtree. — Eh bien, docteur, avez-vous de l’espoir ?

Mrs Candour. — Oui, docteur, comment va votre patient ?

Sir Benjamin. — Voyons, docteur, n’est-il pas blessé d’un coup d’épée ? (Ils descendent et entourent sir Oliver.)

Crabtree. — D’une balle dans la poitrine, par tous les diables !

Sir Oliver. — Docteur ! blessé d’un coup d’épée ! et d’une balle dans la poitrine ! Parbleu ! êtes-vous fous, mes braves gens ?

Sir Benjamin. — Monsieur n’est peut-être pas docteur ?

Sir Oliver. — Ma foi, si je le suis, c’est à vous que je suis redevable de mes titres.

Crabtree. — Tout simplement un ami de sir Peter, alors, je présume. Mais, monsieur, vous devez savoir quelque chose de son accident ?

Sir Oliver. — Pas un mot !

Crabtree. — Vous ne savez pas qu’il a reçu une grave blessure ?

Sir Oliver. — Est-il Dieu possible !

Sir Benjamin. — Un coup d’épée à travers le corps…

Crabtree. — Une balle dans la poitrine…

Sir Benjamin. — D’un des messieurs Surface…

Crabtree. — Oui, le plus jeune.

Sir Oliver. — Eh ! la peste soit de vous ! vous avez l’air de différer étrangement dans vos rapports. Cependant, vous vous accordez à dire que sir Peter est grièvement blessé ?

Sir Benjamin, passant derrière lui. — Oh ! oui, nous nous accordons sur ce point.

Crabtree. — Oui, oui, je crois qu’il ne peut y avoir là-dessus aucun doute.

Sir Oliver. — Alors, sur ma foi, pour un homme dans cette position, il est d’une imprudence sans pareille, car le voilà qui se promène par ici, comme s’il ne lui était rien arrivé du tout.


Entre Sir Peter.

Sir Oliver. — Sur mon âme, sir Peter, vous voilà fort à propos, je vous assure ; car nous étions en train de vous enterrer.

Sir Benjamin. — Parbleu, mon oncle, c’est là une bien prompte résurrection !

Sir Oliver. — Voyons, mon garçon, comment avez-vous pu vous lever avec un coup d’épée à travers le corps et une balle en pleine poitrine ?

Sir Peter. — Un coup d’épée et une balle !

Sir Oliver. — Certainement, ces messieurs voulaient vous envoyer dans l’autre monde sans autre forme de procès, et me baptiser docteur, pour me faire leur complice.

Sir Peter, allant à sir Benjamin. — Comment, que veut dire tout cela ?

Sir Benjamin. — Nous sommes enchantés, sir Peter, que l’histoire du duel soit fausse, et sincèrement affligés de votre autre mésaventure. (Il remonte un peu.)

Sir Peter, à part. — Allons, allons, elle a déjà fait le tour de la ville.

Crabtree. — Quoique, sir Peter, vous soyez certainement fort blâmable de vous être marié à votre âge. (Il remonte.)

Sir Peter. — Monsieur, de quoi vous mêlez-vous ?

Mrs Candour. — Oui, mais en vérité sir Peter faisait un si bon mari, qu’il est très à plaindre. (Elle passe.)

Sir Peter. — Au diable votre compassion, madame ! Je ne vous demande rien.

Sir Benjamin, s’avançant. — Cependant, sir Peter, vous auriez tort de vous arrêter aux rires et aux plaisanteries qui vous accueilleront dans cette circonstance.

Sir Peter. — Monsieur, monsieur, je désire être le maître chez moi.

Crabtree. — Le cas n’est pas nouveau, et c’est toujours une consolation.

Sir Peter. — Je vous répète que je tiens à être seul ; allons, voyons, tôt, dénichez d’ici et sans cérémonie !

Mrs Candour. — Bien, bien, on s’en va ; et fiez-vous à nous du soin de raconter les choses du mieux que nous pourrons.

Sir Peter. — Sortez !

Crabtree. — Nous dirons quelle avanie vous avez dû subir…

Sir Peter. — Hors d’ici !

Sir Benjamin. — Et avec quelle patience vous vous y soumettez. (Il sort ainsi que Mrs Candour et Crabtree.)

Sir Peter. — Vous en irez-vous !… Démons ! vipères ! furies ! Oh ! que ne crèvent-ils de leur propre venin ! (Il passe.)

Sir Oliver. — Il est certain qu’ils sont d’une audace peu commune, sir Peter.


Entre Rowley.

Rowley. — J’entends des paroles vives : que vous a-t-on fait, monsieur ?

Sir Peter. — Peuh ! à quoi bon le demander ? Chaque jour qui s’écoule ne m’amène-t-il pas des épreuves nouvelles ?

Rowley. — Eh bien, je ne vais pas plus loin.

Sir Oliver. — La curiosité n’est pas mon fait non plus ; je viens vous dire seulement que j’ai vu mes deux neveux de la façon dont nous étions convenus.

Sir Peter. — Un joli couple, ma foi !

Rowley. — Oui, et sir Oliver est convaincu que votre jugement était juste, sir Peter.

Sir Oliver. — Oui, je trouve que Joseph est en effet l’homme que vous disiez.

Rowley. — Certes, comme sir Peter le disait, c’est un homme à principes.

Sir Oliver. — Et dont la conduite est conforme aux principes qu’il professe.

Rowley. — On est vraiment édifié de l’entendre parler.

Sir Oliver. — Oh ! c’est un modèle pour les jeunes gens de l’époque… Mais qu’est cela, sir Peter ? Vous ne vous joignez pas à nous pour faire l’éloge de votre ami Joseph, contre mon attente.

Sir Peter. — Sir Oliver, nous vivons dans un monde étrangement pervers, et le moins qu’on le louera sera le mieux.

Rowley. — Comment ! est-ce vous qui parlez ainsi, sir Peter, vous qui ne vous êtes jamais trompé de votre vie ?

Sir Peter. — Chansons ! Allez au diable tous les deux ! Je vois à votre air que vous savez toute l’histoire. Vous me ferez perdre la tête !

Rowley. — Allons, pour ne pas vous taquiner plus longtemps, sir Peter, il est vrai que nous avons tout appris. J’ai rencontré lady Teazle à son retour de chez M. Surface, dans une confusion telle qu’elle a daigné me prier de lui servir d’avocat auprès de vous.

Sir Peter. — Et sir Oliver est-il instruit de tout ?

Sir Oliver. — De point en point.

Sir Peter. — Quoi ! le cabinet et le paravent, hein ?

Sir Oliver. — Oui, oui, et la petite modiste française. Oh ! l’histoire m’a prodigieusement diverti. Ah ! ah ! ah !

Sir Peter. — C’était très-drôle.

Sir Oliver. — Je n’ai jamais tant ri de ma vie, je vous assure. Ah ! ah ! ah !

Sir Peter. — Oh ! c’est divertissant au possible. Ah ! ah ! ah !

Rowley. — À coup sur… Joseph, avec ses principes. Ah ! ah ! ah !

Sir Peter. — Oui, oui, ses principes, Ah ! ah ! ah ! Hypocrite coquin !

Sir Oliver. — Bon, et voyez-vous cet animal de Charles tirant sir Peter du cabinet. Ah ! ah ! ah !

Sir Peter. — Ah ! ah ! C’était diablement amusant, en vérité.

Sir Oliver. — Ah ! ah ! ah ! Parbleu, sir Peter, j’aurais voulu voir votre tête quand le paravent est tombé. Ah ! ah !

Sir Peter. — Oui, oui, ma tête quand le paravent est tombé. Ah ! ah ! ah ! (À part.) Oh ! c’est à ne plus oser la montrer désormais !

Sir Oliver. — Mais, voyons, voyons ; ce n’est pas bien à nous de rire ainsi de vous, mon vieil ami, quoique, sur mon âme, je ne puisse me retenir.

Sir Peter. — Oh ! je vous en prie, ne vous gênez donc pas pour moi : je ne m’en blesse pas du tout ! Je ris moi-même de toute cette affaire. Oui, oui, j’imagine que servir de jouet à toutes ses connaissances est la plus heureuse des situations. Oh ! oui, et puis, un de ces matins, lire dans les journaux des entrefilets sur M. S., lady T. et sir P., voilà aussi un divertissement ! Je suis résolu à quitter Londres demain, et à ne plus avoir dorénavant visage humain devant les yeux. (Il passe.)

Rowley. — N’exagérez rien, sir Peter ; vous pouvez mépriser les railleries des sots… Mais j’aperçois lady Teazle qui se dirige vers la pièce à côté : je suis sûr que vous devez désirer un rapprochement aussi vivement qu’elle-même.

Sir Oliver. — Peut-être ma présence ici l’empêche-t-elle de venir à vous. (Il passe.) Aussi, je laisse le brave Rowley comme médiateur entre vous deux ; mais il faudra qu’il vous conduise tout à l’heure chez M. Surface, où je vais retourner, sinon pour corriger le séducteur, du moins pour découvrir l’hypocrite. (Il sort.)

Sir Peter. — Ah ! je voudrais à mon tour, de tout mon cœur, assister à votre découverte, bien que ce soit un bien triste endroit pour les découvertes… Elle ne vient pas ici, vous voyez, Rowley.

Rowley. — Non, mais elle a laissé la porte de la chambre ouverte, vous remarquez. Voyez, elle pleure.

Sir Peter. — Sans doute, un peu de repentir va très-bien à une femme. Ne pensez-vous pas que ce serait un service à lui rendre de la laisser languir au peu ?

Rowley. — Oh ! ce n’est guère généreux à vous.

Sir Peter. — Ma foi, je suis indécis. Vous rappelez-vous la lettre que j’ai trouvée, écrite de sa main et évidemment destinée à Charles ?

Rowley. — Pure contrefaçon, sir Peter, placée à dessein sur votre route. C’est un des points sur lesquels Snake, j’en ai l’idée, éclairera votre religion.

Sir Peter. — Je voudrais en avoir une fois le cœur net… Elle regarde de notre côté. Que de grâce et d’élégance dans ses mouvements de tête ! Rowley, je vais la trouver.

Rowley. — Certainement.

Sir Peter. — Par exemple, quand on saura que nous sommes réconciliés, on rira de moi dix fois plus.

Rowley. — Laissez rire le monde, et ne répliquez à sa malice qu’en lui montrant que vous êtes heureux, quoi qu’il en ait.

Sir Peter. — Ma foi, ainsi ferai-je ! et, si je ne m’abuse, nous pouvons être encore le plus heureux ménage d’Angleterre.

Rowley. — Voyez-vous, sir Peter, celui qui se résout à mettre les soupçons de côté…

Sir Peter. — Arrêtez, maître Rowley ! Si vous avez pour moi quelque égard, que je ne vous entende jamais proférer une maxime de morale quelconque : j’en ai une provision suffisante pour le reste de mes jours ! (Ils sortent.)




Scène III.


La bibliothèque chez Joseph.


Entrent Lady Sneerwell et Joseph Surface.

Lady Sneerwell. — Impossible ! Sir Peter ne va-t-il pas immédiatement se réconcilier avec Charles, et, par conséquent, ne pas s’opposer plus longtemps à son union avec Maria ? Cette pensée me rend folle.

Joseph. — La passion ne peut-elle fournir un remède ?

Lady Sneerwell. — Non, pas plus que la ruse. Oh ! j’étais insensée, stupide, de me liguer avec un tel maladroit !

Joseph. — Vraiment, lady Sneerwell, je suis le plus à plaindre ; pourtant, vous le voyez, je supporte la mésaventure avec calme. Eh bien, j’admets que je sois blâmable. Je confesse que je n’ai pas suivi la bonne route… dans le mal, mais je ne pense pas non plus que nous ayons entièrement perdu la partie.

Lady Sneerwell. — Voyons cela ?

Joseph. — Vous me dites que vous avez mis Snake à l’épreuve depuis notre dernière rencontre, et que vous croyez encore qu’il nous est fidèle.

Lady Sneerwell. — Je le crois, en effet.

Joseph. — Et qu’il a pris sur lui, au besoin, d’affirmer et de prouver que Charles est actuellement lié à vous par des engagements d’honneur, ainsi que peuvent l’attester plusieurs de ses lettres précédentes à votre adresse.

Lady Sneerwell. — Cela pourrait, en effet, nous être d’un grand secours.

Joseph. — Allons, allons, tout n’est pas encore désespéré. (On frappe à la porte.) Mais, écoutez ! voici probablement mon oncle, sir Oliver : retirez-vous dans cette chambre ; nous achèverons de nous entendre quand il sera parti.

Lady Sneerwell. — Bien ; mais s’il allait aussi vous pénétrer ?

Joseph. — Oh ! je suis tranquille là-dessus. Sir Peter gardera sa langue dans l’intérêt de son honneur personnel… et, vous pouvez y compter, je ne serai pas long à trouver le côté faible de sir Oliver.

Lady Sneerwell. — Je ne suis pas en peine de vous ; mais tenez-vous-en à une seule coquinerie à la fois. (Elle sort.)

Joseph. — Oui, oui… Par exemple ! il est joliment dur, après un pareil revers, de se voir morigéner par ses complices. C’est égal, quoi qu’il advienne, ma réputation est tellement supérieure à celle de Charles, que je suis sûr… Hein !… comment !… ce n’est pas sir Oliver, mais encore le vieux Stanley. La peste l’étouffe ! revenir m’importuner juste en ce moment ! Sir Oliver n’aurait qu’à survenir et le rencontrer ici… et…


Entre Sir Oliver Surface.

Joseph. — Vive Dieu, monsieur Stanley, pourquoi revenir m’assommer en ce moment ? Il m’est impossible de vous recevoir maintenant, sur ma parole.

Sir Oliver. — Monsieur, je sais que votre oncle Oliver est attendu ici ; et, malgré sa ladrerie envers vous, je veux tenter une démarche auprès de lui.

Joseph. — Monsieur, il n’y a pas moyen que vous restiez ici à présent : ainsi, faites-moi le plaisir… Venez dans un autre moment et, je vous le promets, on vous assistera.

Sir Oliver. — Non : il faut que je voie sir Oliver.

Joseph. — Morbleu, monsieur ! j’exige alors que vous sortiez d’ici tout à l’heure.

Sir Oliver. — Cependant, monsieur…

Joseph. — Monsieur, je l’exige… Holà, William ! montrez la porte à monsieur. Puisque vous m’y forcez, monsieur… pas une minute de plus… on n’a jamais vu insolence pareille ! (Il va pour le pousser dehors.)

Entre Charles Surface.

Charles. — Eh ! qu’est-ce donc ? Que le diable m’emporte, mais c’est mon petit brocanteur que vous tenez là ! Parbleu, mon frère, ne faites pas de mal au petit Premium. (Il passe.) Qu’y a-t-il, mon petit camarade ?

Joseph. — Comment ! il a donc été aussi chez vous ?

Charles. — Certainement, il y est allé. Ma foi, c’est le plus honnête petit… Mais voyons, Joseph, emprunteriez-vous de l’argent aussi, vous ?

Joseph. — Emprunter ! non !… Mais, mon frère, vous savez que nous attendons sir Oliver ici, d’un moment à…

Charles. — Pardieu, c’est vrai ! L’oncle Noll ne doit pas trouver le petit brocanteur ici, à coup sûr !

Joseph. — Cependant M. Stanley insiste…

Charles. — Stanley ! mais il s’appelle Premium.

Joseph. — Non, monsieur, Stanley.

Charles. — Non, non, Premium.

Joseph. — Enfin, n’importe… mais…

Charles. — Oui, oui, Stanley ou Premium, cela n’y fait rien, comme vous dites ; car je suppose qu’il a cinquante noms à son service, en dehors du café, où l’on respecte l’anonyme.

Joseph. — Morbleu ! voici sir Oliver qui frappe. Allons, je vous prie, M. Stanley…

Charles. — Oui, oui, s’il vous plaît, M. Premium…

Sir Oliver. — Messieurs…

Joseph. — Monsieur, au nom du ciel, allez vous-en !

Charles. — Oui, qu’il sorte, évidemment !

Sir Oliver. — Une telle violence…

Joseph. — Monsieur, ne vous en prenez qu’à vous-même.

Charles. — Mettons-le dehors, il n’y a pas à dire. (Tous deux obligent sir Oliver à sortir.)


Entrent Lady Teazle et Sir Peter, Maria et Rowley.

Sir Peter. — Mon vieil ami, sir Oliver… hé ! Comment, c’est prodigieux !… Voilà de respectueux neveux… qui assaillent leur oncle à sa première visite !

Lady Teazle. — Ma foi, sir Oliver, nous entrons à propos pour vous secourir.

Rowley. — En effet ; car je vois, sir Oliver, que le personnage du vieux Stanley ne vous a pas garanti.

Sir Oliver. — Non plus que celui de Premium… Les besoins du premier n’ont pu arracher un shilling[5] à ce bienfaisant gentleman, et, avec l’autre, j’ai failli subir un traitement pire que mes ancêtres, et tomber sous les coups au lieu de tomber sous les enchères.

Joseph. — Charles !

Charles. — Joseph !

Joseph. — Voilà le bouquet !

Charles. — Vous l’avez dit !

Sir Oliver. — Sir Peter, mon ami, et vous aussi, Rowley… regardez cet homme, l’aîné de mes neveux. Vous savez qu’il a déjà reçu des preuves de mes bontés ; et vous savez également avec quelle joie je lui destinais la moitié de ma fortune : jugez donc de mon désappointement, en découvrant qu’il était dépourvu de franchise, de cœur et de reconnaissance.

Sir Peter. — Sir Oliver, votre déclaration me surprend d’autant moins, que je l’ai trouvé moi-même égoïste, traître et jésuite.

Lady Teazle. — Et, si monsieur n’avoue pas, je vous prie de le laisser me charger de sa défense.

Sir Peter. — Maintenant, je crois inutile d’en dire davantage : s’il se voit tel qu’il est, il considérera que sa moindre punition est d’être démasqué publiquement.

Charles, à part. — S’ils traitent ainsi la vertu, que vont-ils donc me dire, à moi ? (Sir Peter, lady Teazle et Maria remontent.)

Sir Oliver. — Quant à ce dissipateur, son frère, voilà…

Charles, à part. — Bon, c’est mon tour : le diable soit des portraits de famille ! Je ne m’en relèverai pas.

Joseph. — Sir Oliver… mon oncle, voulez-vous me faire l’honneur de m’entendre ?

Charles, à part. — Voyons, pourvu que Joseph fasse un de ses longs discours, je pourrai me recueillir un peu.

Sir Oliver, à Joseph. — Je crois que vous voulez entreprendre de vous justifier ?

Joseph. — J’en ai l’espoir.

Sir Oliver. — Allons donc ! en jetant votre coquinerie par-dessus bord, parce qu’elle ne vous a pas réussi, et en essayant de vous justifier, vous montrez que vous valez encore moins que je ne pensais. (À Charles.) Eh bien, monsieur ! vous pourriez vous justifier aussi, je suppose ?

Charles. — Je n’ai pas cette prétention, sir Oliver.

Sir Oliver. — Ah ! ah !… le petit Premium a été mis trop avant dans le secret, alors ?

Charles. — C’est vrai, monsieur ; mais ce sont des secrets de famille, et on ne devrait plus en reparler, vous savez.

Rowley. — Allons, sir Oliver, je sais que vous ne pouvez parler des folies de Charles en vous fâchant.

Sir Oliver. — Ma foi, non, ni retenir mon sérieux. Sir Peter, figurez-vous, le brigand a fait marché avec moi pour tous ses ancêtres ; il m’a vendu les juges et les généraux à la toise, et les vieilles filles, ses tantes, au prix de la porcelaine cassée.

Charles. — À coup sûr, sir Oliver, j’ai agi un peu cavalièrement avec les toiles de famille, c’est la vérité. Mes ancêtres sont certainement fondés à se lever pour témoigner contre moi : il n’y a pas à le contester ; mais croyez à ma sincérité quand je vous dis… et, sur mon âme, je ne dis que ce qui est… que, si je n’ai pas l’air confondu devant l’exposé de mes folies, c’est que je suis tout entier livré à la joie de vous voir, mon généreux bienfaiteur.

Sir Oliver. — Charles, je vous crois ; donnez-moi une seconde fois la main : le petit bonhomme à mauvaise mine, au-dessus de la causeuse, nous a réconciliés ensemble.

Charles. — Alors, monsieur, c’est accroître encore ma reconnaissance envers l’original.

Lady Teazle, s’avançant avec Maria à côté d’elle. — Pourtant, je crois, sir Oliver, que voici quelqu’un avec qui Charles est encore plus impatient de se réconcilier.

Sir Oliver. — Oh ! je sais que son cœur est pris de ce côté ; et, que la jeune demoiselle me pardonne, mais, si j’en juge bien… cette rougeur…

Sir Peter. — Voyons, mon enfant, ne craignez pas de parler.

Maria. — Monsieur, j’ai peu de choses à dire, sinon que je serai heureuse de le savoir heureux ; pour moi… quelque droit que j’eusse à son affection, je m’en démets volontiers en faveur d’une personne qui y a de meilleurs titres.

Charles. — Comment, Maria !

Sir Peter. — Eh bien ! quel est ce nouveau mystère ?… Tant qu’il a fait l’effet d’un incorrigible coureur, vous ne vouliez épouser que lui ; et maintenant qu’il est disposé à s’amender, voilà que vous n’en voulez plus !

Maria. — Son cœur et celui de lady Sneerwell savent pourquoi.

Charles. — Lady Sneerwell !

Joseph. — Mon frère, c’est avec bien du regret que je suis forcé d’intervenir ici ; mais mon respect de la justice m’y contraint, et les griefs de lady Sneerwell doivent enfin se faire jour. (Il ouvre la porte.)


Entre Lady Sneerwell.

Sir Peter. — Encore ! une autre modiste française ! Pardieu, il faut qu’il en ait plein sa maison, une dans chaque pièce !

Lady Sneerwell. — Ingrat Charles ! Vous avez bien le droit d’être surpris et ému en face de la situation où m’ont placée votre indélicatesse et votre perfidie.

Charles. — Dites-moi, je vous prie, mon oncle, est-ce que c’est encore un plat de votre métier ? car, sur ma vie, je ne comprends pas.

Joseph. — Je crois, monsieur, qu’il n’est plus besoin que du témoignage d’une autre personne pour éclaircir tout à fait la chose.

Sir Peter. — Et cette personne, j’imagine, est M. Snake. Rowley, vous avez eu joliment raison de l’amener avec nous. Ayez l’obligeance de l’appeler.

Rowley. — Entrez, M. Snake.


Entre Snake.

Rowley. — Je pensais que nous pourrions avoir besoin de son témoignage. Seulement, et ceci est fâcheux, il se trouve qu’il vient confondre lady Sneerwell, au lieu de la soutenir.

Lady Sneerwell. — Le misérable ! Me trahir au dernier moment !… Parlez, drôle ! vous êtes-vous, aussi, ligué contre moi ?

Snake. — Je vous demande dix mille fois pardon, madame : vous m’avez payé très-généreusement pour mentir en cette occasion ; mais, malheureusement, on m’a offert le double pour dire la vérité.

Sir Peter. — À fourbe, fourbe et demi ! Je vous félicite, madame, du succès de votre entreprise.

Lady Sneerwell, passant. — Honte et tourments d’enfer sur vous tous !

Lady Teazle. — Arrêtez, lady Sneerwell : avant de vous en aller, laissez-moi vous remercier de la peine que vous avez prise avec monsieur d’écrire des lettres de moi à l’adresse de Charles, et d’y répondre vous-même ; laissez-moi aussi vous prier de présenter mes respects à l’institution médisante que vous présidez, et informer vos collègues que lady Teazle, licenciée, se permet de leur renvoyer le diplôme qui lui a été conféré, car elle renonce à exercer et à tuer désormais les gens dans leur honneur.

Lady Sneerwell. — Vous aussi, madame !… Vous provoquez… vous insultez ! Puisse votre mari vivre encore cinquante ans ! (Elle sort.)

Sir Peter. — Dieux ! quelle furie !

Lady Teazle. — C’est une méchante créature, en vérité !

Sir Peter, lui prenant la main. — Comment ! pas pour son dernier souhait ?

Lady Teazle. — Oh ! non !

Sir Oliver, à Joseph. — Eh bien, monsieur, qu’avez-vous à dire à présent ?

Joseph. — Monsieur, je suis si stupéfait de voir que lady Sneerwell ait été capable de chercher à corrompre ainsi M. Snake pour nous en imposer à tous, que je ne sais que dire. Cependant, de peur que, revenue à elle, elle ne s’empresse de machiner quelque vengeance contre mon frère, je n’ai rien de mieux à faire que de la rejoindre tout de suite. Car l’homme qui essaye de… (Il sort.)

Sir Peter. — Moral jusqu’au bout !

Sir Oliver. — Oui, et épousez-la, Joseph, si vous pouvez. Parbleu ! vous irez fort bien ensemble.

Rowley. — Je crois que nous n’avons plus besoin de M. Snake, à présent.

Snake. — Avant de partir, je demande pardon, une fois pour toutes, aux personnes présentes, des désagréments quelconques dont je n’ai été que l’humble instrument.

Sir Peter. — Bien, bien, vous avez racheté tout cela par une bonne action à la fin.

Snake. — Mais je dois supplier la compagnie de ne pas la révéler.

Sir Peter. — Eh ! la peste soit de vous !… Avez-vous honte d’avoir fait quelque chose de bien une fois dans votre vie ?

Snake. — Ah ! monsieur, considérez que c’est ma mauvaise réputation qui me fait vivre : si l’on apprenait jamais que j’ai trahi mon passé en commettant une bonne action, je perdrais tous les amis que j’ai au monde. (Il sort.)

Sir Oliver. — Bien, bien ; nous ne vous diffamerons pas en disant quoi que ce soit à votre louange, soyez tranquille.

Lady Teazle. — Voyez, sir Oliver, il n’est plus nécessaire de prêcher maintenant pour réconcilier votre neveu avec Maria.

Sir Oliver. — Oui, oui, cela marche comme il faut ; et, parbleu, nous ferons les fiançailles demain matin.

Charles. — Merci, mon bon oncle !

Sir Peter. — Comment, monsieur le vaurien ! est-ce que l’on ne demande pas d’abord le consentement de la demoiselle ?

Charles. — Oh ! je l’ai demandé il y a longtemps… il y a une minute… et ses yeux m’ont dit oui.

Maria. — Fi donc, Charles !… Je proteste, sir Peter, il n’y a pas eu un mot.

Sir Oliver. — C’est bien, allons, le moins que l’on parle est le mieux… Puissiez-vous l’un et l’autre vous aimer toujours autant que cela !

Sir Peter. — Et être aussi heureux que lady Teazle et moi nous nous proposons de l’être !

Charles. — Rowley, mon vieil ami, je suis sûr que vous vous réjouissez de ma joie ; et je soupçonne que je vous dois beaucoup.

Sir Peter. — Oui, le brave Rowley a toujours dit que vous vous corrigeriez.

Charles. — Ma foi, pour ce qui est de cela, sir Peter, je ne promets rien, et c’est une preuve selon moi que j’ai l’intention de m’y mettre ; mais j’aurai là mon régent… mon charmant guide. Ah ! puis-je dorénavant quitter le sentier de la vertu, avec ces yeux-là pour m’éclairer ?

Quand même tu serais, ma chère, moins jolie,
Je subirais encor — car je le veux — ta loi.
Repentant, et fuyant désormais la Folie,
Je n’ai d’asile sûr que l’Amour près de toi.

(Au public.)

Il appartient à vous de calmer notre émoi.
Vous pouvez, de vos mains, nous redonner la vie,
Et tuer pour toujours la médisante Envie.


FIN.



  1. Monnaies d’or et d’argent ayant cours dans l’Hindoustan.
  2. 300,000 francs.
  3. Le texte porte métal français, tout comme nous disons en France métal anglais. La rencontre ne manque pas d’originalité.
  4. Fête en l’honneur de Saint-Nicolas (patron des écoliers) qui eut lieu, jusqu’en 1759, le 6 décembre de chaque année. Voici en quoi elle consistait :
    Les élèves du collége d’Eton (petite ville à 33 kilomètres de Londres, dans le comté de Buckingham) appartenant aux familles les plus riches d’Angleterre, se rendaient sur une colline voisine, Salthill, tous les trois ans, le mardi de la Pentecôte. Là, ils formaient une sorte de procession militaire et prélevaient sur toutes les personnes qui pénétraient dans le comté une contribution d’au moins une pièce d’argent (c’est-à-dire au moins six pence, 62 centimes). La somme recueillie de cette manière s’élevait parfois au chiffre considérable de 1,000 livres (25,000 fr.). On l’employait à l’entretien, à l’université de Cambridge, du plus ancien élève alors au collége.
    Le Montem, cette singulière Saint-Charlemagne d’outre-Manche, a été aboli en 1847. Il remontait à 1440, époque même de la fondation du collége d’Eton par Henri VI.
  5. Pièce d’argent valant 1 fr. 25 cent.