L’Église romaine et les Négociations du Concordat (1800-1814)/04

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L’Église romaine et les Négociations du Concordat (1800-1814)
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 66 (p. 551-587).
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IV.

LA COUR DE ROME ET LE PREMIER CONSUL AVANT LE SACRE DE L’EMPEREUR.


I. Mémoires du cardinal Consalvi. — II. Œuvres complètes du cardinal Pacca. — III. Correspondance du cardinal Caprara. — IV. Correspondance de Napoléon Ier. — V. Dépêches diplomatiques et documens inédits français et étrangers, etc.


I

Les difficultés qui entravaient la publication du concordat venaient d’être levées, grâce aux concessions arrachées coup sur coup au représentant du saint-siège à Paris[1]. C’était entre le jeudi et le samedi saint qu’avait été négociée la douteuse rétractation des évêques constitutionnels, si légèrement attestée par la double signature de l’abbé Bernier et de M. de Pancemont. Rien ne s’opposait plus à la grande solennité religieuse dont les préparatifs éveillaient depuis longtemps l’attention publique. Le jour de Pâques était enfin arrivé. Dès huit heures du matin, le 18 avril 1802, un cortège moitié civil, moitié militaire, parcourait bruyamment les rues de la capitale. Il avait à sa tête M. Real, préfet de police, accompagné des douze maires et de leurs adjoints, des commissaires de police, des juges de paix, des officiers de l’état-major et de ceux de la gendarmerie de la Seine. Plusieurs détachemens de cavalerie avec leurs corps de trompettes escortaient le fonctionnaire chargé par les consuls de donner connaissance au public des articles de la loi relative au concordat. A onze heures, un autre spectacle excitait à son tour la curiosité de la foule. Le cardinal Caprara, revêtu de l’éclatant costume des membres du sacré-collège, précédé de la croix que les légats a latere ont dans les grandes solennités le privilège de faire porter devant eux, et suivi du nombreux personnel de son ambassade, franchissait le portail de l’église métropolitaine. Derrière lui marchaient, en habits épiscopaux, les archevêques et les évêques nouvellement nommés. L’un d’eux attirait particulièrement l’attention, c’était Mgr de Belloy, vieillard presque centenaire, qui venait d’être promu à l’archevêché de Paris. Mais si empressée que fût la multitude à repaître ses yeux de cette pompe ecclésiastique, depuis longtemps inusitée et tout à fait nouvelle pour les plus jeunes spectateurs, sa préoccupation était ailleurs. Elle se portait de préférence au-devant du principal auteur de cette surprenante innovation. On n’ignorait point que le premier consul avait eu à vaincre plus d’une résistance au sein du conseil d’état, composé en grande partie des membres de nos anciennes assemblées révolutionnaires. On avait ouï parler des protestations que plusieurs de ses anciens compagnons d’armes, les généraux de l’armée d’Italie, avaient osé porter devant lui contre le concordat; on savait aussi combien leurs représentations avaient été mal reçues et dans quels termes sévères il les avait rappelés au sentiment de l’obéissance qu’ils devaient, comme militaires, aux lois promulguées par l’état. Gourmandes comme des enfans par le jeune chef qui les avait si glorieusement commandés sur tant de champs de bataille, les plus hardis, Lannes et Augereau eux-mêmes, étaient restés interdits; mais hors de sa présence plusieurs s’étaient vantés qu’ils n’assisteraient point à la cérémonie. Se joindraient-ils à leurs camarades, ou tiendraient-ils bon jusqu’au bout? Cela intriguait fort les politiques. Les habitans des quartiers populaires avaient appris par les ouvriers employés à ces sortes de travaux que des préparatifs d’un luxe inaccoutumé se faisaient au palais des Tuileries. Les voitures de gala qui avaient naguère servi à Louis XVI venaient d’être réparées et mises à neuf. On parlait également de somptueux habits commandés pour les consuls. Dans les cercles bien informés, on racontait que non-seulement Napoléon avait personnellement engagé les principaux fonctionnaires du nouveau gouvernement à se montrer avec apparat dans le cortège qui se rendrait à Notre-Dame; mais il avait, disait-on, témoigné le désir que leurs femmes assistassent en grande toilette à la cérémonie. Les plus élégantes d’entre elles, celles dont Mme Bonaparte faisait sa compagnie habituelle, avaient été conviées à se réunir aux Tuileries pour prendre place à côté d’elle dans les voitures officielles et lui servir en quelque sorte de dames d’honneur. Il y avait dans ces simples arrangemens un premier essai d’étiquette et comme une tentative de cour propre à frapper bien des esprits. Tandis que le vulgaire, toujours pris par le côté extérieur des choses, sentait redoubler son admiration pour celui qui manifestait sa puissance en rendant à la population parisienne le plaisir de ces défilés splendides dont elle n’a point encore cessé d’être amoureuse, des observateurs plus avisés cherchaient à surprendre dans la mise en scène du spectacle qui se déroulait sous leurs yeux les signes du temps qui s’annonçait. L’importance et le nombre des personnages que bon gré mal gré le premier consul réussirait à entraîner à sa suite jusqu’au pied des autels allait mieux qu’aucun autre indice témoigner de la progression ascendante de sa fortune. Quel intérêt de pouvoir mesurer pour ainsi dire à l’œil la puissance et le crédit de ce maître futur que tant de gens commençaient à pressentir, et que la plupart s’apprêtaient à servir!

La famille du premier consul et tous ceux qui attachaient quelque espérance personnelle à la réussite de cette première exhibition d’un faste presque royal eurent lieu d’être pleinement satisfaits. Conformément au mot d’ordre qu’ils avaient reçu sans trop de déplaisir, les hauts dignitaires de la république n’avaient point manqué de se pourvoir d’équipages somptueux. Ceux des fonctionnaires inférieurs étaient naturellement moins riches. Quelques-uns, plus modestes ou plus parcimonieux, s’étaient contentés de faire disparaître les numéros des voitures de place qu’ils avaient louées pour la circonstance. Somme toute, malgré ce qu’il y avait d’un peu étrange et de nécessairement disparate dans l’étalage de ce luxe qui renaissait tout à coup après de si terribles bouleversemens, le cortège fut trouvé beau. Les voitures dorées de l’ancienne cour et les femmes jeunes et belles qui les relevaient encore par l’éclat de leur brillante parure excitèrent la vive admiration de la foule. Elle remarqua pour la première fois la livrée verte aux galons d’or qui devait devenir plus tard celle de la maison impériale. Cependant les regards s’attachaient surtout sur le groupe des généraux dont plusieurs portaient des noms déjà fameux. Malgré ce qu’on avait annoncé, ils étaient au grand complet. Une ruse innocente du ministre de la guerre avait eu raison de leur velléité d’opposition. Berthier les avait invités le matin à un grand déjeuner militaire. Le repas fini, il leur avait proposé de les conduire aux Tuileries pour féliciter le premier consul sur le rétablissement de la paix. Arrivés au moment où le cortège se mettait en marche. Napoléon leur avait dit de le suivre, et personne n’avait osé refuser. Ce fut donc environné de tout l’appareil imposant de sa double puissance civile et militaire qu’au bruit des tambours et d’une musique guerrière le premier consul, suivi de ses deux collègues à peine aperçus à ses côtés, fut reçu sous le dais à l’entrée de la nef de l’église métropolitaine par le nouvel archevêque de Paris et les évêques déjà consacrés. L’attitude de l’énorme assistance qui remplissait jusqu’au comble les galeries du pourtour de l’immense vaisseau de Notre-Dame n’était point différente de celle qui avait accueilli au dehors le passage du cortège. Les témoignages du temps s’accordent à reconnaître qu’elle tenait plus de la curiosité que de tout autre sentiment. Comme il arrive d’ordinaire en pareille circonstance, l’attention prêtée aux détails de la cérémonie suffisait de reste à faire à peu près oublier à la plupart des spectateurs la gravité de l’événement qu’elle avait pour but de célébrer. Loin de nous la pensée que l’indifférence pour le concordat qui venait d’être conclu entre l’église romaine et le gouvernement français fût alors générale ; encore moins voudrions-nous prétendre qu’il ait été reçu sans reconnaissance par la masse entière des catholiques. Non sans doute, et dans Notre-Dame même, au milieu du tumulte de la foule, plus d’un fidèle agenouillé dans l’ombre de quelque chapelle obscure aura trouvé moyen d’élever pieusement son âme à Dieu pour le remercier avec une joie sincère de l’accord inattendu qui venait de s’établir entre le chef de la vieille foi religieuse et le représentant actuel de cette France moderne qui l’avait naguère encore si cruellement persécutée. La même confiance dans un avenir qui leur semblait devoir combler leurs plus chères espérances animait, nous le croyons sans peine, et le légat qui officiait en ce jour, et les évêques appelés à prêter serment entre les mains du premier consul. Ce fut elle aussi, et non un vain besoin d’adulation, qui inspirait M. de Boisgelin, ancien archevêque d’Aix, nommé à l’archevêché de Tours, lorsque, le premier parmi ses collègues, il parla du haut de la chaire de la mission providentielle de Napoléon, invoquant par avance ces souvenirs de Pépin et de Charlemagne dont les noms devaient désormais retentir si souvent à ses oreilles. Cependant si l’honnête légat et ses pieux acolytes n’avaient pas été uniquement absorbés par leurs saintes fonctions, si l’orateur sacré n’avait pas été tout entier à l’effet qu’il attendait de son éloquente harangue, un coup d’œil jeté sur le groupe des personnages officiels qui environnaient de plus près l’autel eût suffi pour leur faire comprendre à quel point serait précaire cette alliance intime entre l’église et l’état qu’ils appelaient alors de tous leurs vœux. Ils en auraient pu pressentir la fragilité en remarquant le dédain affiché des membres du conseil d’état, la légèreté moqueuse des officiers et l’insouciante distraction de tous. Ils auraient pu la lire surtout sur la physionomie de celui qui se portait en ce moment l’héritier glorieux et nullement pénitent de la révolution française. « Immobile, le visage sévère, Napoléon, nous raconte M. Thiers avec une saisissante précision, restait calme, grave, dans l’attitude d’un chef d’empire qui fait un grand acte de volonté, et qui commande de son regard la soumission à tout le monde. »

Cette soumission, qui bientôt ne devait plus lui rien laisser à désirer, avait cette fois déjà dépassé son attente. Au dîner qui eut lieu au retour de Notre-Dame, il se montra aimable comme il était toujours quand les choses avaient tourné selon ses vues. Il fut singulièrement prévenant envers le cardinal. Il lui parla de la cérémonie qui venait d’avoir lieu avec une évidente satisfaction et de la personne du pape avec une sorte de tendresse. « Eh bien ! lui dit-il de ce ton familier dont il se servait habituellement quand il entretenait le légat, voilà qu’à Rome on commence à pouvoir se tenir sur ses jambes. Une journée comme celle-ci ne peut manquer d’y aider... Vous avez vu avec quelle solennité a été faite la publication du concordat, soit à l’église, soit hors de l’église; il aurait été impossible de faire davantage pour qualifier une religion de dominante, hormis de lui donner ce nom[2]. »

En ceci. Napoléon, soit à dessein, soit involontairement, était bien loin de la vérité. A considérer froidement les choses, il est douteux qu’une religion digne de ce nom tire jamais grand profit de l’appui purement extérieur qu’elle reçoit du chef de l’état, si puissant qu’il soit. Ce qui lui importe bien davantage, ce qui établit en réalité son ascendant, ce qu’elle doit honnêtement souhaiter avant tout de ceux qui la protègent, c’est l’adhésion sincère aux dogmes qu’elle professe. Quand l’alliance s’établit en dehors de cette condition, elle peut encore servir le prince sans lui faire toutefois grand honneur; elle peut même être passagèrement utile aux intérêts matériels de l’église qui s’abaisse jusqu’à l’accepter; en tout cas, elle ne tarde pas à lui faire dans l’esprit public un tort moral irréparable. Si bien gardées en effet que soient les apparences, il y a déjà longtemps qu’elles ne trompent plus personne. Elles ne trompent surtout pas le peuple, très clairvoyant en ces matières et naturellement porté à juger plus sévèrement ceux qui sont à ses yeux obligés par état de pratiquer la morale la plus pure et de professer les plus sévères principes; c’est pourquoi il pardonnera plus volontiers au pouvoir civil ses calculs ambitieux qu’au clergé sa profitable complaisance. Devant les consciences simples et droites, qu’il y ait ou méprise ou faiblesse, toute autorité spirituelle est perdue, qui a été, fût-ce un instant, la complice ou la dupe du mensonge.

Sur ce point, la perspicacité italienne du légat, trop dépaysée à Paris, lui faisait parfois défaut. C’est ainsi qu’au plus fort des contestations qui s’élevèrent au sujet de la publication du concordat, il s’était laissé prendre à une de ces illusions que n’eût jamais entretenue chez nous à cette époque le plus simple prêtre de paroisse. Soit en effet qu’il en eût reçu lui-même l’assurance, soit plutôt qu’il s’en fût trop aisément rapporté à des tiers qui avaient reçu ou s’étaient donné la mission de l’induire en erreur, Caprara avait mandé à Rome que le premier consul comptait communier à Pâques[3]. Déçu dans cette singulière espérance, il paraît avoir été quelque temps à se remettre de son mécompte. Les dépêches qu’il adresse à Rome, au lieu de se ressentir de la joie qu’aurait pu lui causer la grande solennité de Notre-Dame, dans laquelle il a joué le rôle principal, sont empreintes tout à coup du plus profond découragement. Il se plaint de l’abandon où, « depuis le jour de Pâques, l’a laissé le premier consul, et qu’il ne lui parle plus de rien[4]. » Il représente celui dont il se louait tant naguère comme fatigué de discuter incessamment avec lui et pensant à envoyer quelqu’un à Rome pour y traiter les affaires ecclésiastiques[5]. Dans une lettre confidentielle à Consalvi, mais qui ne paraît pas avoir été envoyée à sa destination, il se lamente de ce qu’on lui prête à Paris un caractère des plus noirs : « c’est lui qu’on accuse publiquement et tout haut de toutes les difficultés qui ont été faites ou qui se font encore pour la réconciliation des intrus, ou bien on s’en prend à Rome, qui manque à sa parole, qui n’est jamais contente, et qui viole les conventions qu’elle a proposées elle-même[6]. » Pendant cette courte période de mécontentement personnel, le cardinal est presque au moment de s’apercevoir que si le premier consul, comme il s’en vantait tout à l’heure, a beaucoup fait pour la pompe du culte et plus encore pour l’avancement de sa propre fortune, il s’en faut qu’il ait autant fait pour la religion.

Cependant une semblable disposition d’esprit était trop opposée à la pente naturelle de son caractère pour durer longtemps chez le représentant du saint-siège. De nouvelles et sérieuses difficultés allaient, après la publication du concordat, le remettre en présence du premier consul et par conséquent sous son charme; cette fois encore il était destiné à tout céder. C’est à peine en effet si les pompeuses solennités dont nous avons cherché à reproduire la véritable physionomie avaient un instant détourné la pensée toujours active de Napoléon de la portion vraiment épineuse de la tâche qu’il s’était imposée en mettant la main aux affaires de l’église. Il ne s’en dissimulait en aucune façon les embarras, sans peut-être les prévoir encore tous. Là comme ailleurs il ne désespérait point, grâce à son invincible résolution et à son ardeur infatigable, de pouvoir imposer en peu de temps la réconciliation entre les partis, l’ordre, la paix, et cette stricte discipline qui lui plaisait si fort partout, mais qui ne lui apparaissait nulle part mieux à sa place que dans les rangs du clergé. Il avait pour cela imaginé avec les meilleures intentions du monde un système qui lui semblait propre à atteindre vite et complètement un résultat si désirable. Les évêques constitutionnels devaient être tenus de choisir comme premier grand-vicaire un prêtre qui n’aurait point adhéré à la constitution civile du clergé. Aux évêques restés fidèles à la communion de l’église romaine, il entendait imposer la nomination d’un ecclésiastique qui aurait prêté le serment. L’exécution de cet ordre ne rencontra point d’opposition de la part des évêques constitutionnels; jamais ils n’avaient traité de schismatiques les prêtres insermentés; les plus obstinés s’étaient bornés à prendre pour premier grand-vicaire quelque vieillard faible ou incapable auquel ils n’avaient laissé que des fonctions purement honoraires. Ils avaient confié la direction des affaires véritablement importantes à des vicaires de leur choix naturellement portés à favoriser les curés qui partageaient leurs principes. Il s’en fallait de beaucoup à coup sûr que ces diocèses fussent tout à fait paisibles; mais dans ces diocèses c’étaient les partisans de l’ancien état de choses qui étaient seuls à se plaindre, à récriminer, à faire entendre de vives protestations. Le premier consul, qui, à tort ou à raison, se défiait extrêmement de cette fraction du clergé et favorisait ouvertement le parti constitutionnel, n’en prenait nul souci.

C’était le contraire qui se passait au sein des sièges épiscopaux dont les titulaires étaient restés dans la communion du saint-père. La plupart s’étaient montrés très faciles à l’égard de leurs subordonnés constitutionnels; quelques-uns, en bien petit nombre, ne l’étaient pas autant, et tous se sentaient gênés dans leur désir sincère d’obéir au premier consul par l’attitude que le Vatican et son représentant à Paris avaient prise dans la question du choix des évêques, et que le pape et le légat maintenaient encore au sujet des ecclésiastiques du second ordre. Aux yeux du saint-siège, les uns et les autres avaient gravement erré en matière de foi. Pour les simples prêtres comme pour les évêques, une rétractation était donc nécessaire; tout au moins fallait-il qu’avant de reprendre leurs fonctions ils fussent réconciliés avec l’église. La formule de cette réconciliation, rédigée en termes mesurés et qui paraissaient à peine suffisans aux exagérés du parti ultramontain, avait été envoyée de Rome au cardinal légat et communiquée par ce dernier aux évêques de France avec injonction de la présenter aux anciens prêtres assermentés. Plusieurs l’avaient souscrite sans réclamation; mais le plus grand nombre, assurés d’avance de l’appui du gouvernement, s’y étaient refusés, et réclamaient énergiquement auprès du premier consul contre ce qu’ils appelaient une odieuse persécution. On le voit, un second conflit tout pareil à celui qui avait précédé la publication du concordat surgissait derechef entre l’église et l’état sur une de ces matières où la puissance spirituelle se disait obligée par conscience à maintenir son droit, et dans laquelle, par des considérations politiques dont la valeur était incontestable, le gouvernement nouveau de la France se croyait non moins fondé à prononcer en dernier ressort. Le premier consul était dans cette occasion d’autant plus impatienté de voir les membres du clergé de France séparés en deux camps opposés, que, si tout d’abord, avec sa merveilleuse sagacité et son facile mépris des hommes, il découvrait les petites passions qui dominaient chez un trop grand nombre, il ne lui était peut-être pas donné de saisir aussi bien par quelles fibres délicates cette dissidence religieuse, si peu importante à ses yeux, se rattachait à l’essence même de la foi catholique, et devenait, pour ceux qui font profession de reconnaître dans l’évêque de Rome le dépositaire le plus auguste de l’autorité divine, une question de dogme et de salut. Contempteur assez dédaigneux de la conscience humaine, toujours surpris et irrité quand il la rencontrait dans les affaires de l’état comme un obstacle à ses volontés, il cessait absolument d’admettre et peut-être de comprendre les scrupules raffinés que, dans ce domaine autrement élevé et susceptible de la conscience religieuse, des âmes pieuses et fières opposaient à l’exécution des mesures qui lui paraissaient sages et bonnes. Il prêchait donc la réconciliation et la paix aux ecclésiastiques à peu près comme un colonel recommande la concorde et le bon ordre aux officiers de son régiment quand une querelle fâcheuse s’y est produite. L’appui que le légat, par suite des instructions du saint-siège, prêtait nécessairement aux évêques légitimes et à leurs adhérens, l’obéissance qu’il rencontrait dans ce parti, le plus nombreux, le plus considéré, mais soupçonné d’être le moins dévoué au chef de l’état, excitaient le ressentiment du premier consul, si jaloux de son autorité et toujours si profondément blessé quand il soupçonnait quelqu’un de vouloir entrer en lutte avec lui. La position du cardinal Caprara était des plus embarrassantes. Maintes et maintes fois il avait représenté Napoléon comme mal disposé au fond pour les constitutionnels. Il lui avait su naguère le meilleur gré du monde d’avoir expulsé plus de cinquante membres du corps législatif parce qu’ils contrariaient, écrivait-il à sa cour, ses pieux et favorables sentimens envers l’église romaine. Il lui fallait maintenant reconnaître à quel point il s’était trompé. Il n’en revenait point d’entendre le premier consul encourager publiquement la résistance des ecclésiastiques du second ordre, et M. Portails répéter après lui à tout venant « qu’il n’était besoin ni de rétractation ni d’aucune déclaration quelconque, et que le serment suivant le concordat suffisait pleinement[7] ».

Pour expliquer ce revirement inattendu, Caprara s’efforça d’abord de persuader au secrétaire d’état de sa sainteté que le nouveau chef du gouvernement français venait tout à coup de se laisser forcer la main par le parti des antireligieux et des indifférens, composé d’individus très puissans et protecteurs déclarés des constitutionnels. Ils ont, écrivait-il le 15 mai 1802, « jugulé le premier consul[8]. » Peu de temps après, mandé soudainement à la Malmaison, le cardinal Caprara eut occasion de se convaincre que le premier consul n’était, en cette circonstance comme toujours, que l’interprète de ses propres volontés. Son abord, en voyant le légat, fut des plus froids, et son langage impérieux et violent. « Il était indispensable, dit-il, de faciliter la réconciliation des prêtres, et pour cela il suffisait qu’ils promissent obéissance à leur évêque légitime. Exiger davantage était inutile, superflu, et, suivant lui, un trait d’orgueil de la cour de Rome. Par suite des difficultés ridicules que le légat suscitait dans cette affaire, les évêques et leurs troupeaux étaient jetés dans un état d’angoisses : cet unique motif portait des milliers de catholiques à demander à passer au protestantisme[9]. » À ce propos, le cardinal épouvanté protesta qu’on avait mal informé le premier consul, et que la conduite qu’il avait tenue avait toujours été des plus conciliantes. Il n’était pas libre toutefois de se départir de ce qu’exigeaient en cette circonstance non-seulement les prescriptions des canons, mais encore l’intérêt même de l’église de France. « Ah! oui, je le sais, s’écria Napoléon, c’est là le sentiment de vos prêtres, qui à force de sophistiqueries théologiques gâtent les affaires au lieu de les arranger. » L’entretien dura ainsi plus de deux heures sans avancer d’un pas. Tantôt le premier consul s’exprimait avec amertume, tantôt il exposait avec sang-froid et toute son éloquence naturelle la conduite qu’il croyait, suivant ses maximes, la plus propre à conjurer les dangers dont étaient menacés le repos public et cette grande œuvre du rétablissement de la religion, qui lui avait, disait-il, coûté tant de peine[10]; mais le cardinal ne se rendit pas. Assurant, avec force protestations, qu’il ne pouvait, sans manquer aux principes catholiques, tenir une conduite différente, il lit présenter au premier consul par Mgr Sala une copie de la formule proposée aux évêques, comme pouvant servir à la réconciliation des prêtres de leurs diocèses. « Certes il était impossible, fit-il remarquer à son interlocuteur, d’employer des expressions plus adoucies, mais aussi était-il également impossible de s’en départir. » Ces derniers mots parurent blesser vivement le premier consul. « Eh bien! si décidément vous soutenez ne pouvoir faire ce que je tiens pour indispensable au bien de la religion et du peuple français, dont une grande partie est dans l’alarme et presque sens dessus dessous, rien ne vous retient plus en France. Il reste encore onze évêques à nommer, et grâce aux sophistiqueries romaines et théologiques ce seront autant de constitutionnels. » Cela dit, il congédia le cardinal Caprara et Mgr Sala.

L’opposition imprévue du cardinal Caprara et ses scrupules incommodes bouleversaient de fond en comble les desseins du premier consul; mais il n’avait pas oublié comment, dans une circonstance toute semblable, il en avait assez aisément triomphé, et tout de suite il résolut d’employer, sans y rien changer, les mêmes moyens qui lui avaient déjà si parfaitement réussi. Cette fois ce fut l’évêque de Vannes qui fut chargé d’ouvrir la marche et d’aller le premier jeter le trouble dans l’imagination déjà si fortement ébranlée du pieux légat. M. de Pancemont était porteur d’une lettre de M. Portails qui reproduisait, comme d’habitude, en termes beaucoup plus calmes et dans un langage infiniment plus mesuré, les mêmes raisons et les mêmes menaces qui, la veille, dans la bouche de Napoléon, n’avaient pas suffi à persuader le représentant du saint-siège. « Éminence, tout est en combustion, lui dit l’évêque de Vannes en lui remettant la lettre du conseiller d’état; le premier consul est irrité à ce point que personne n’a le courage de lui rien proposer qui diffère tant soit peu de ce qu’il a cru devoir adopter. » Tous les évêques allaient donc, ajouta-t-il, devenir les victimes de la volonté du gouvernement, et, si bonnes et droites que pussent être leurs intentions, ils ne pourraient plus faire aucun bien, parce qu’ils seraient contrecarrés dans toutes leurs actions par le pouvoir lui-même. « Quant à ce qui se disait du légat, de la légation et de Rome en général, le messager de M. Portalis n’osait prendre sur lui de le répéter, parce qu’il se sentait frémir rien qu’en y pensant[11]. »

Le cardinal Caprara, quoique déjà un peu agité, soutint assez fermement ce premier assaut. Objectant toujours les raisons de conscience qui lui interdisaient une autre conduite, il remit à l’évêque de Vannes une réponse qui maintenait avec de grands ménagemens ce qu’il avait dit au premier consul. Ce fut alors au tour de M. de Talleyrand de se produire. Dès le soir même, il se rendit en visite chez le légat. Jamais le ministre des relations extérieures de la république n’avait revêtu un air plus solennel, et ce fut du ton le plus pathétique que, s’adressant au cardinal, il lui dit : « Je viens vers vous pour vous déclarer que nous sommes au moment de voir perdre tous les soins employés au rétablissement de la religion. Ni le premier consul, ni aucun des membres du gouvernement ne veulent admettre qu’on exige des prêtres constitutionnels ce que votre éminence en a exigé jusqu’à présent, et ce qu’elle a suggéré aux évêques d’en exiger. Si les évêques le tentent, il en résultera des malheurs sans fin. Les populations sont soulevées à ce sujet. Les catholiques, dégoûtés de la dureté avec laquelle la cour de Rome entend traiter les prêtres, demandent à passer au protestantisme, où ils trouvent, disent-ils, la charité, qu’ils ne rencontrent plus dans le catholicisme. En un mot, tout sera mis à feu et à flamme, et c’est Rome, c’est votre éminence qui seront cause de la ruine de la religion, parce que dans des circonstances aussi douloureuses vous n’aurez pas voulu condescendre à des conditions de conciliation[12]. » A ces pressantes objurgations de l’ancien évêque d’Autun, le cardinal Caprara répondit avec assez d’à-propos et de fermeté : « Monsieur, le bienfait de l’unité et de la paix me tiennent à cœur autant qu’à qui que ce soit; mais je ne puis le procurer que par des voies qui ne blessent pas ma conscience et ne me rendent point prévaricateur. » — « Vous êtes maintenant averti des dispositions du premier consul, répliqua M. de Talleyrand en se retirant, et vous savez ce qui doit advenir. Réfléchissez, et calculez d’avance les conséquences qui découleront de votre détermination, non-seulement pour la France, mais pour les états voisins qui sont en relation avec ce pays. Tâchez donc, en conciliant les choses, d’apaiser la tempête qui s’élève, et songez que de là uniquement dépend ou la conservation ou la ruine totale de la religion et de l’église[13]. »

Les angoisses du cardinal-légat redoublaient; une anxiété extrême troublait son cœur, qui ne s’était point encore remis, écrit-il à Gonsalvi, de ce qu’il avait souffert dans l’entretien avec le premier consul. Cependant aucune trêve ne devait lui être accordée. Le lendemain au matin, l’ancien archevêque de Bordeaux, nommé récemment à Aix, accourut chez lui tout affligé et tout tremblant. « Tout sera en feu, lui annonçait ce prélat, s’il n’écrit aux évêques pour les autoriser à réconcilier provisoirement, en attendant la décision du saint-siège, les prêtres qui déclareraient adhérer au concordat. » Le cardinal refusa. A peine l’archevêque d’Aix était-il parti que revient l’évêque de Vannes avec une seconde lettre de M. Portails. Celle-ci était tout à fait péremptoire; il y fallait une réponse immédiate, et M. de Pancemont était chargé de la rapporter. En la demandant au nom du gouvernement français, l’évêque de Vannes redoubla ses instances. « Votre éminence, dit-il, ne peut se faire aucune illusion; à la décision que vous allez prendre est attaché le salut ou la perte de la religion catholique et de l’église, non pas seulement en France, mais ailleurs encore. Il y va de la paix publique et de la guerre civile, sans parler de la condition des évêques, qui ne se sont jamais trouvés dans une situation plus critique[14]. » La perplexité du cardinal était à son comble, et d’autant plus grande que Mgr Sala, Mgr Mario, l’abbé Rubbi, c’est-à-dire les ecclésiastiques les plus éminens de la légation, étaient tous d’avis qu’il ne pouvait accepter aucune transaction, et que l’arrangement proposé était d’ailleurs tout à fait inacceptable. Combien la position du légat était cruelle ! Avoir débuté par opposer un refus absolu tiré des scrupules de sa conscience et de l’inaltérable rigidité des principes catholiques, puis céder au dernier moment, c’était, par la plus fausse des conduites, donner contre soi au plus terrible des adversaires des armes dont il ne manquerait point de faire dans l’avenir, à chaque difficulté nouvelle, le plus dangereux usage. Le cardinal le sentait bien. Il n’ignorait pas non plus que sa complaisance dans l’affaire des évêques, si elle n’avait pas été publiquement improuvée, avait péniblement surpris ses collègues du sacré-collège et causé au saint-père et à son secrétaire d’état un déplaisir qu’ils ne lui avaient pas entièrement dissimulé[15]. Son crédit et sa considération en avaient reçu quelque atteinte au Vatican. Que décider cette fois? A quels reproches valait-il mieux s’exposer? Quel mécontentement était le moins rude à braver, celui du gouvernement français ou celui de sa propre cour? Caprara hésita longtemps. Le doux Pie VII était bien loin, Bonaparte était bien près. C’était au lendemain de son refus qu’il lui aurait fallu essuyer la terrible colère de celui que, dans son admiration italienne, Caprara appelait d’ordinaire il gran console. Cette dernière crainte fut la plus forte : non pas, est-il besoin de le dire? que le légat eût le moins du monde à redouter ou redoutât la moindre violence contre sa personne; c’est des périls affreux dont la religion lui semblait menacée que son âme pieuse fut alors uniquement occupée.

Nous voyons par ses lettres qu’il a pris au grand sérieux les pré- dictions effrayantes du premier consul et de M. de Talleyrand, corroborées par le témoignage des prélats amis de M. Portails. Les dépêches nombreuses dans lesquelles il s’applique à justifier la détermination qu’il a prise reproduisent à satiété ces mots de tempêtes, de fer, de feu et de flammes dont on a épouvanté ses oreilles. Il croit très sincèrement que de son refus, comme on le lui a dit, dépend la ruine de la religion catholique dans la presque totalité du monde; il voit en perspective éclater partout la guerre civile, et, chose plus épouvantable, la France entière devenir protestante. Qu’on ait un peu chargé le tableau afin d’agir sur sa conscience, l’idée ne lui en vient pas. Il ne semble pas se douter davantage du tort qu’il fait aux catholiques lorsque, par une injurieuse supposition, il semble admettre si facilement qu’à l’occasion d’un dissentiment purement religieux entre la puissance spirituelle et le pouvoir civil, ils sont tous prêts, sur un signe du nouveau maître, à abandonner la vieille foi de leurs pères. Quoi qu’il en soit des motifs qui décidèrent le légat, il finit par accepter la formule exigée par la lettre du conseiller Portalis. Il exprima seulement le désir qu’après avoir procédé à la réconciliation des prêtres constitutionnels, leur évêque légitime les avertît de pourvoir à leur propre conscience; mais cette clause déplut au premier consul, et les évêques furent expressément invités à n’en tenir aucun compte. A ceux qui seraient tentés de trouver excessive la complaisance de l’envoyé du saint-siège, il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’à cette époque les représentans des anciennes monarchies de l’Europe n’avaient pas une autre attitude vis-à-vis du chef de la grande démocratie française. Excepté les ministres de Russie et d’Angleterre, ils étaient, à l’envi l’un de l’autre, appliqués à renchérir en fait de condescendance obséquieuse et d’empressemens serviles sur les instructions qu’ils recevaient de leurs cabinets, tous si favorables alors au premier consul. Sans contredit, la nature des questions remises entre ses mains rend la situation d’un cardinal-légat particulièrement délicate. Dans les matières purement religieuses, il devient assez difficile de comprendre la convenance, peut-être faudrait-il dire la possibilité de ces transactions qui sont l’essence même des affaires humaines. Plus que tout autre, le cardinal Caprara avait donc tort, si telle était en effet la raison de sa conduite, de se prêter, pour se mettre en meilleurs termes avec le premier consul, à des concessions qu’il supposait devoir être désapprouvées par sa cour; mais une chose nous a paru vraiment touchante, qui peut-être lui fera aussi trouver grâce auprès des censeurs les plus sévères : c’est de le voir, après qu’il a demandé au cardinal secrétaire d’état Consalvi de juger sa conduite temporelle avec indulgence, dépouiller tout à coup son rôle d’ambassadeur, et, s’adressant humblement comme un simple fidèle au dispensateur de toutes les grâces spirituelles, supplier avec larmes le saint-père, s’il a, faute de lumières, erré en matière de dogme, de vouloir bien par son absolution pontificale rendre au moins la paix religieuse à son âme[16].

Malheureusement pour le légat, tout n’était pas simple dans sa situation. Une circonstance que nous avons déjà indiquée ne laissait pas que de gêner sa liberté d’action comme représentant du saint-siège, et contribuait, plus qu’il ne s’en doutait lui-même, à le placer sous la domination assez peu déguisée de Napoléon. Il avait accepté le riche archevêché de Milan. En sa qualité de titulaire de ce siège important, il était tenu de prêter le serment accoutumé entre les mains du premier consul, qui était en même temps président de la république italienne. Le hasard voulut justement que cette prestation de serment se fît dans la chapelle des Tuileries fort peu de jours après les scènes que nous venons de raconter. Huit autres évêques français avaient prêté serment en même temps que l’archevêque de Milan, et le soir de la cérémonie le consul Cambacérès, recevant à sa table son glorieux collègue et les nouveaux évêques, ne manqua point d’y inviter aussi le légat. C’était la première fois qu’ils se rencontraient depuis l’affaire de la réconciliation des prêtres constitutionnels. Le repas fini, Napoléon s’entretint longtemps avec le cardinal. Il se montra attentif pour lui, recherché et soigneux, comme il l’était volontiers avec ceux de qui il avait obtenu tout ce qu’il pouvait souhaiter. Il lui parla avec une vivacité extrême, parfois avec des paroles émues de ce qu’il avait fait pour le rétablissement de la religion, se plaignant d’en avoir été bien mal récompensé par l’opposition qu’il avait rencontrée chez les catholiques, et plus particulièrement parmi les ecclésiastiques ! Le cardinal vit bien qu’il était lui-même compris dans l’accusation générale. Il voulut se défendre ; mais le premier consul coupa court à ses excuses. « Nous ne sommes plus au temps où les prêtres pouvaient faire des miracles. Faites revenir ce temps-là, et je vous abandonnerai tout. Dans les circonstances actuelles, c’est moi que vous devez laisser agir en me prêtant une assistance poussée aussi loin que la religion peut le permettre. Les différends entre les catholiques et les constitutionnels ont fait naître chez les incrédules, les athées et les hommes qui ne s’occupent pas de religion l’idée de se jeter dans le protestantisme, religion, disent-ils, où il n’y a point de discussions, et dont les chefs et les directeurs font tout ce qu’ils peuvent pour induire le monde à entrer dans cette voie[17]. »

Caprara était, dès les premiers mots, retombé sous le charme du grand homme ; cette tendresse pour la religion catholique le touchait profondément de sa part. « Le premier consul ne veut pas entendre parler, écrit-il à sa cour, d’un changement de culte, et cela lui coûte des efforts énergiques pour l’empêcher… Il désire passionnément, comme il le dit lui-même par suite de sa propre conviction, que sa religion se soutienne ; il le veut aussi en sa qualité de chef de gouvernement qui se sent responsable envers toute la terre. Il le veut enfin par l’amour-propre qu’il met à réussir dans tout ce qu’il entreprend[18]. » C’est en sortant de l’une de ces conversations familières où le premier consul s’ouvrait à lui de ses projets sur ce ton de supériorité qui se passe de tout artifice, et semble d’autant plus aimable qu’elle est plus franche, que le cardinal traçait ingénument à sa cour le plan de la seule conduite qu’il crût bonne à suivre vis-à-vis de ce redoutable adversaire. « Celui qui est destiné à traiter avec le premier consul doit toujours avoir présent à la pensée qu’il traite avec un homme qui est l’arbitre des choses de la terre, un homme qui a paralysé, on peut le dire, toutes les autres puissances de l’Europe, qui a conçu des projets dont l’exécution paraissait impossible et qui les a conduits avec un bonheur qui étonne le monde entier. Lors donc qu’on s’aperçoit que ce grand homme veut décidément quelque chose, il faut d’abord chercher à conclure l’affaire en cédant... Quand je suis obligé de dire au premier consul qu’une chose est impossible, il s’afflige, il se dépite et trouve à l’instant même quelqu’un pour le pousser aux extrémités. C’est pourquoi, quand l’accord proposé n’est pas en contradiction avec les principes, il faut, dis-je, avoir toujours présent à l’esprit qu’on est accrédité auprès d’une nation où la religion catholique n’est point dominante, ni même seulement en paix. Ici tous les personnages puissans, il ne faut pas se le dissimuler, sont contre elle, et ils luttent tant qu’ils peuvent contre le premier consul. Il est le seul qui la veuille. Par malheur, il en sera d’elle comme il l’entend, mais au moins la veut-il très efficacement[19]. »

L’idée continuellement exprimée qu’on peut beaucoup attendre du premier consul en faveur de la religion et qu’il ne faut rien attendre que de lui sert de fond à la correspondance comme à la politique du cardinal Caprara. Il a mis aussi une grande partie de ses espérances sur M. de Talleyrand. Il va parfois jusqu’à dire, en se lamentant sur l’état de la religion en France et sur la situation de l’église, que les seuls protecteurs de l’une et de l’autre ont été jusqu’à présent Napoléon et l’ancien évêque d’Autun. « Si ce dernier est rebuté, que devons-nous attendre[20]? » Il énumère les services que M. de Talleyrand peut rendre et le mal qu’il pourrait faire. Il est d’avis non-seulement qu’on se hâte de le rendre à la vie laïque, mais qu’on lui permette d’épouser Mme Grand, ce à quoi le ministre des relations extérieures paraissait, à cette époque de sa carrière, tenir vivement. Il écrit à ce sujet lettre sur lettre, toutes plus pressantes les unes que les autres. « Le premier consul désire beaucoup lui-même qu’on fasse cette grâce à son ministre, afin, dit-il, de faire cesser les caquets. Votre éminence dira peut-être : Mais il n’y a pas d’exemple! Ici, on vous répondra qu’il s’agit d’un objet de discipline. La première fois qu’il a été dérogé à un point de discipline, cela s’est fait très certainement parce que les circonstances du moment l’avaient rendu nécessaire. L’église aura grand’peine à prouver que cette première dispense ait été accordée dans des circonstances plus impérieuses que celles d’aujourd’hui[21]. »

Tant de complaisances érigées en système, tant de soins pris afin de ménager la bienveillance de ceux qui possédaient la puissance, avaient-ils pour effet d’assurer quelque crédit au légat ou tout au moins de rendre tant soit peu agréable sa position personnelle ? Il résulte au contraire de sa correspondance que le premier consul ne prête jamais la moindre attention à ses plus justes et plus modestes réclamations. Il a tout concédé; on ne lui accorde rien en retour. Ses plaintes à ce sujet sont fréquentes. « Quand je parle avec le premier consul, écrit-il à sa cour, la controverse n’aboutit jamais; nous discutons, et chacun demeure dans son sens; car tandis que je lui pousse des argumens religieux, il me répond par des raisons politiques sans tenir compte de la réalité des choses[22]. » Quelquefois il lui échappe de véritables lamentations et comme des cris de désespoir. « Parler raison, c’est jeter ses paroles au vent. Ma vie est ici un crève-cœur continuel. On n’y entend dire que des horreurs. Affirmer que la discipline de l’église exige des soins particuliers ne sert qu’à provoquer des injures, pour ne pas dire pis[23].... Quand le premier consul est indisposé contre nous, les choses marchent avec une rapidité effrayante[24]. » Malheureusement chez le premier consul ces retours de mauvaise humeur n’étaient pas rares. En général il était gracieux avec le cardinal, c’est-à-dire qu’il le traitait avec un sans-façon familier, ce qui, de sa part, était, dès cette époque, une marque signalée de faveur. Il usait le plus souvent avec lui de ces manières de parler moitié caressantes, moitié railleuses, que les personnes du monde emploient volontiers avec les gens de l’église lorsque ceux-ci s’en accommodent, et Caprara paraissait y trouver plaisir; mais Napoléon rencontrait-il quelque résistance ou seulement un peu de retard dans l’exécution de ses volontés, la rudesse reprenait le dessus. Le malheureux légat redoutait tellement les accens impétueux de cette mauvaise humeur toujours prête à éclater, qu’il remettait de jour en jour et même se dispensait absolument d’exécuter les instructions qu’il recevait du Vatican, lorsqu’elles couraient risque de déplaire au premier consul[25]. D’autres fois il prétextait l’absence de pouvoirs; mais cela même ne le sauvait pas. « Ah bah! s’écriait le premier consul, ce sont là de vos tours habituels[26]. » Par momens le représentant du saint-siège en arrivait à se rendre à peu près compte de la situation que lui avaient faite ses concessions toujours répétées et toujours inutiles. Il devinait qu’il avait en partie perdu la confiance du pape et du cardinal secrétaire d’état sans avoir conquis la moindre influence sur l’esprit de celui qui gouvernait la France. Son découragement alors devenait tel qu’il demandait instamment son rappel[27].

II.

Après avoir suffisamment établi, pièces en main, quelle était à Paris la situation du représentant du saint-siège vis-à-vis du premier consul pendant les années qui précédèrent et qui suivirent la publication du concordat, il nous faut transporter maintenant nos lecteurs au Vatican pour qu’ils puissent également se rendre compte par eux-mêmes et juger, pour ainsi dire, au doigt et à l’œil de la nature des rapports qui existaient la veille et le lendemain du sacre entre le pape et l’empereur. On verra s’ils étaient beaucoup plus satisfaisans.

Au 5 mai 1802, les dépêches du cardinal Caprara n’étaient point, par je ne sais quel retard, arrivées jusqu’à Rome. Pie VII et le cardinal Consalvi se trouvaient ne savoir rien encore que par les journaux allemands de ce qui s’était passé le 18 avril à la cérémonie de Notre-Dame. Ces feuilles étrangères se bornant à reproduire la version et les articles des journaux autorisés de Paris, le saint-père et son ministre y lurent avec la dernière surprise le serment prêté par le légat non-seulement de ne pas manquer aux lois de la république, mais de reconnaître les libertés de l’église gallicane. Ils furent surtout émus d’y trouver les articles organiques relatés comme faisant partie du concordat, et un discours du conseiller d’état Portails qui semblait avoir pour but d’accréditer cette fausse interprétation. « Le saint-père, écrit Consalvi au légat, attend vos lettres avec une anxieuse inquiétude. » Quand les lettres arrivèrent, qui confirmaient entièrement ces appréhensions de la cour de Rome, elles jetèrent Pie VII dans une sorte de morne désespoir. « Les nouvelles reçues ces jours derniers ont tellement abattu le pape que, sans exagération, il est méconnaissable. Je tremble pour sa santé, et même pour sa vie, s’écrie son fidèle secrétaire d’état. Il est on ne peut plus sensible à toutes ces émotions. Et si le général Murat, qui vient de passer à Rome, l’a trouvé si digne de pitié, votre éminence peut juger combien les derniers événemens ont augmenté ce qu’il y a de triste et de pénible dans sa situation[28]. »

Cette douloureuse angoisse du saint-père devient facile à comprendre à qui sait se rendre compte de son caractère. Pie VII était avant tout un saint prêtre, et nullement un politique, comme l’ont été tant d’autres de ses prédécesseurs. Pour lui, le concordat qu’il avait signé comme pontife, non comme souverain temporel, était, en ce qui le concernait, un acte essentiellement et purement religieux. Sans doute il n’avait pas été insensible à la gloire mondaine qui en rejaillirait sur lui; cependant, au moment même où il prêtait son plus cordial concours à cette grande œuvre qui devait, pensait-il, illustrer dignement son passage sur le siège de saint Pierre, c’étaient les questions d’orthodoxie catholique et de conscience spirituelle qui avaient le plus préoccupé son âme scrupuleuse. Seul et à genoux dans son oratoire, il s’était plus d’une fois demandé devant Dieu s’il avait bien réellement le droit de faire ce qui lui semblait exigé par les circonstances. Plus d’une fois, sondant avec tremblement la pureté de ses motifs, lui, le juge souverain en matière de foi, l’arbitre infaillible qui devait guider tous les autres et que personne ne pouvait diriger, il s’était presque surpris à douter par momens de l’étendue de son pouvoir et à mettre en question sa propre autorité. La mesure par laquelle il avait déclaré privés de leurs sièges les anciens évêques non démissionnaires lui avait en particulier causé une cuisante douleur, qui dans les heures de crise semblait tenir du remords. Les protestations par lesquelles ces évêques faisaient appel à sa justice, en citant les textes des canonistes les plus estimés à Home, venaient justement d’être remises au saint-père. Sa susceptibilité de pontife et de théologien avait souffert de la résistance opposée à ses décisions souveraines ; mais il y avait autre chose dans ces protestations. Aux reproches non dépourvus d’amertume se joignaient des paroles émues et tendres, comme celles qu’adresseraient des fils respectueux au père dont ils croiraient avoir à se plaindre. Ces plaintes avaient ébranlé l’âme si douce de Pie VII. Rien n’était plus propre à achever d’y porter le trouble que l’annonce successive du serment prêté par le légat, de la nomination des évêques constitutionnels, et enfin de la publication des articles organiques présentés comme faisant partie du concordat.

Qu’allaient dire maintenant ces évêques? Qu’allait penser cette partie du sacré-collège qui n’avait pas entièrement approuvé le concordat? Le premier consul, si préoccupé des difficultés que lui causait, dans le gouvernement des affaires de Rome, la division profonde qui régnait entre les ecclésiastiques insermentés et les prêtres constitutionnels, était parfaitement décidé à ne tenir aucun compte des embarras assez semblables que le saint-père rencontrait dans la direction spirituelle de son église. C’était bien de propos délibéré, parce que cela servait à leur assurer le respect du clergé et des fidèles, qu’il avait présenté les articles des lois organiques comme ayant été combinés d’accord avec le saint-siège. Aucune précaution n’avait été oubliée pour accréditer cette opinion. Ces lois avaient été secrètement délibérées au conseil d’état longtemps après la conclusion du concordat; elles avaient pour but de tenir lieu d’un certain article relatif aux conditions de l’exercice du culte, article que le cardinal Consalvi n’avait jamais voulu signer, dont la discussion avait failli amener la rupture des négociations, et sur lequel on n’avait pu s’entendre qu’en le supprimant. Cependant ces dispositions législatives, élaborées exclusivement par le gouvernement français, tout à fait inconnues à la cour de Rome, qui n’en apprit l’existence que par la promulgation, furent livrées au public dans un gros volume officiel ayant pour titre Concordat, avec la même date que la convention synallagmatique conclue avec le saint-siège. La signature de Consalvi seule y manquait. Afin d’égarer davantage les esprits superficiels, dans l’exposé des motifs du projet de loi présenté au corps législatif et portant approbation du concordat, ils étaient qualifiés articles organiques de ladite convention[29], et M. Portails ne manqua point, insistant sur le tout, d’expliquer comment, la convention et les articles organiques étant un contrat passé avec une puissance étrangère, ils devaient, d’après la constitution, être également soumis au corps législatif[30].

Des coups si répétés, tant de ruses et de petites perfidies dans une affaire où il avait mis tout son cœur et une si ardente bonne foi attristèrent le pape, mais ne l’aigrirent point. Il n’écouta pas les conseils de ceux qui à Rome n’auraient peut-être point été fâchés de le voir se brouiller si vite avec le gouvernement français. Il n’eut point pour les ultras de sa cause les ménagemens dont le premier consul, au dire de Caprara lui-même, usait à l’égard du parti anti-religieux. Sur les trois points qui l’affectaient plus particulièrement, sa sollicitude pontificale fut empreinte de patience et d’une sorte de modération résignée. Au sujet du serment du légat, le secrétaire d’état se contenta de faire remarquer de la part du saint-père au légat qu’il y aurait peut-être lieu pour lui à demander une rectification, puisque le Moniteur ne le rapportait pas tel qu’il l’avait réellement prêté. Cependant il n’insiste pas[31]. Quant aux évêques constitutionnels, le pape, n’ayant pas encore connaissance du démenti que plusieurs d’entre eux avaient donné au procès-verbal de leur rétractation signé par MM. Rernier et de Pancemont, s’exprima sur leur compte avec la plus grande douceur. « Sa sainteté, les ayant pressés contre son sein, a la plus ferme confiance qu’elle n’aura point à se repentir de la bénignité que les avantages de l’unité lui ont fait déployer à leur égard[32]. » Sur l’affaire autrement grave des articles organiques, le cardinal Consalvi s’empressa d’écrire, dès le lendemain de l’arrivée à Rome de cette pénible nouvelle, « que le pape allait immédiatement donner l’affaire à examiner, avec le désir ardent de pouvoir la terminer le mieux possible. Vous connaissez mieux que personne l’intérêt qu’elle y met, son attachement pour le premier consul, et toute sa sollicitude pour la France[33]. »

Ces assurances étaient parfaitement sincères. Il s’en fallait de beaucoup que les affaires importantes de l’église fussent à l’époque dont nous nous occupons uniquement décidées et conduites comme elles paraissaient l’être de nos jours par le saint-père en personne. La doctrine de l’absolu pouvoir du chef de la catholicité en matière religieuse n’était pas dominante alors, pas même à Rome. C’était l’ancien usage du Vatican, c’était le goût particulier du modeste Pie VII de consulter les membres du sacré-collège et de tenir le plus grand compte de leurs avis, librement exprimés et toujours exactement suivis. Les cardinaux furent donc convoqués peu de jours après l’arrivée à Rome de la nouvelle de la publication du concordat. Dans son allocution consistoriale, imprimée à l’heure même. Pie VII, s’adressant aux conseillers naturels du saint-siège, saisit cette occasion pour protester en face du monde catholique contre les lois organiques. Il prit soin d’établir qu’elles lui étaient absolument inconnues, qu’il n’y en avait eu nulle part, qu’elles lui causaient la peine la plus vive, et qu’il allait présenter à ce sujet au premier consul ses plus pressantes réclamations. Il ajouta que le grand homme qui gouvernait la France, après avoir désiré, par le concordat, rétablir la religion catholique, ne voudrait certainement point se contredire lui-même en maintenant des prescriptions qui lui étaient si contraires.

Le ministre de France à Rome, M. Cacault, lorsqu’il eut connaissance par une note officielle du cardinal Consalvi des déterminations du pape, s’en montra satisfait. Il n’y répondit point dans la même forme, car, en homme sage, il n’aimait pas les écritures diplomatiques inutiles. « Je vous ai plus défendu au sujet des évêques constitutionnels que le cardinal Caprara ne paraît vous avoir soutenu à Paris, et peut-être ai-je été jusqu’à me compromettre; mais n’importe. Quant aux articles organiques, vous avez prié de les modifier : on ne les modifiera pas; mais votre protestation va partir. Elle est décente et réservée dans les termes, quoique courageuse et assez déterminée au fond. De tout cela, il reste donc la grande affaire du concordat, et celle-là marche bien... C’est ainsi, gardant chacun la police de son camp, qu’il devient possible de faire sans bassesse quelques avances, de supporter sans honte quelques, dégoûts et de se faire respecter sans se nuire. » Le premier consul ne prit pas aussi tranquillement son parti de l’allocution pontificale. Il chargea son ministre des relations extérieures de témoigner son mécontentement de ce que le pape avait blâmé la loi organique en plein consistoire, et de représenter qu’un pareil langage dans une occasion aussi solennelle était peu convenable ; « les réclamations du chef de la chrétienté contre des actes de souveraineté nationale ne comportaient point une telle publicité, capable de jeter des inquiétudes dans les esprits et de mettre obstacle au bien[34]. » Chose singulière! c’était la cour de Rome qui appelait la discussion et la lumière sur les affaires qui s’étaient traitées entre les deux gouvernemens, et c’était le chef de la république issue de la révolution de 89 qui voulait mettre à leur place le silence et l’obscurité. La raison en était que, dans cette circonstance, Napoléon s’était proposé de donner le change aux consciences catholiques. Dans une proclamation récente, il avait dit : « La voix du chef de l’église s’est fait entendre aux pasteurs; ce qu’il approuve, le gouvernement l’a consenti, et les législateurs en ont fait une loi de la république[35]. » L’allocution pontificale, si précise sur ce point, jetait bas tout cet habile échafaudage, et faisait connaître aux moins clairvoyans l’état réel des choses. Le premier consul en était d’autant plus irrité qu’il portait en ce moment la peine commune à tous les gouvernemens qui n’ont souci que d’envelopper leur politique du plus profond mystère. Les paroles prononcées par sa sainteté avaient franchi les monts malgré les soins de la police. Les malveillans leur avaient donné une signification et une portée qu’elles n’avaient point; un certain trouble avait gagné les rangs du clergé, où déjà circulait le bruit qu’une rupture était imminente entre le pape et le premier consul au sujet des lois organiques. Afin de couper court à ces nouvelles mensongères, Napoléon se résigna, bien à contre-cœur, à faire insérer l’allocution pontificale dans le Moniteur; mais en même temps, pour en atténuer l’effet et infirmer aux yeux du public la condamnation prononcée par le pape contre les lois organiques, il eut soin d’ajouter, en dehors de toute vérité, par une note insérée dans la feuille officielle, qu’il ne s’agissait là que de l’une des réserves habituelles à la cour de Rome, qui lui servaient depuis tant d’années à réclamer contre les libertés de l’église gallicane[36]. Survint bientôt une autre affaire qui touchait moins à la conscience de Pie VII, mais qui atteignait au plus haut point sa dignité de souverain et de pontife. Le premier consul, toujours ardent à tirer des résolutions qu’il avait prises tous les avantages qu’elles comportaient, mit tout à coup en avant, sous une forme singulièrement brusque, quelques-unes de ces exigences impérieuses dont le refus ne manquait jamais d’exciter sa colère. Puisque la France nouvelle était maintenant réconciliée avec le saint-siège, il fallait qu’on lui accordât des cardinaux. La désignation qu’il en ferait lui-même, leur présence à Paris dans le groupe des personnages officiels qui étaient en train de former peu à peu autour de lui une véritable cour, ajouteraient encore au prestige dont il était alors, par ambition politique plus que par vanité personnelle, si désireux de s’environner. « Il y a cinq places de cardinaux vacantes au sacré-collège, écrit-il au ministre des relations extérieures; vous ferez savoir au citoyen Cacault que je désire que ces places soient données à la France... Le citoyen Cacault fera connaître que le cardinal Montmorency, loin d’être Français, devrait être destitué, puisqu’il a refusé, que Rohan est évêque d’Allemagne….. Du reste, je m’en rapporte au pape. Si on n’adhère pas à ma juste demande, je renonce dès ce moment à toute nomination de cardinaux, parce que je préfère que la France n’ait rien de commun avec le sacré-collège à ce qu’elle soit moins bien traitée que les autres puissances[37]. » Ce coup de boutoir, comme le qualifie M. Cacault, quoique atténué par une lettre tout à fait convenable du premier consul au pape et par les dépêches infiniment plus mesurées de M. de Talleyrand, surprit étrangement le Vatican. On y était accoutumé à voir les cabinets étrangers se disputer entre eux avec ardeur les chapeaux vacans, quand l’occasion se présentait de choisir quelques cardinaux en dehors de ce qu’on appelle communément la promotion des couronnes. Il était tout à fait nouveau que l’une d’elles voulût se faire elle-même sa part et sur un pareil ton. Il ne paraissait pas moins singulier à la chancellerie romaine de s’entendre dire qu’un Montmorency n’était plus Français, ou qu’un Rohan était devenu Allemand parce que l’évêché de Strasbourg avait juridiction de l’autre côté du Rhin. Cependant, laissant de côté toute susceptibilité et ne s’appliquant qu’à tâcher d’aplanir les embarras trop réels que lui causait la prétention du premier consul, prétention excessive, mais qui semblait elle-même une preuve de ses favorables dispositions à l’égard du saint-siège, le pape, par l’intermédiaire de son habile et conciliant secrétaire d’état, s’adressa avec confiance aux autres puissances étrangères, quoiqu’il les sût jalouses au fond des égards si multipliés que le saint-siège avait depuis peu pour le chef du gouvernement français. Consalvi n’hésita pas à demander et obtint des ministres de ces différentes cours qu’elles se désisteraient en faveur de la France du droit qu’elles avaient de nommer prochainement un cardinal[38]. Juste au moment où, cette concession préalable obtenue, le saint-père venait d’accorder les chapeaux demandés, le premier consul, comprenant qu’il s’était peut-être fourvoyé dans la forme donnée à sa première réclamation, écrivait à M. de Talleyrand une seconde lettre qui ouvrait la voie à une sorte de transaction; mais, comme s’il ne pouvait s’empêcher de demeurer blessant, alors même que la droiture naturelle de son esprit le faisait rentrer dans la modération et le bon sens, il ajoutait en finissant : « Je désire que vous fassiez connaître ce mezzo termine au citoyen Cacault, pour lui servir de règle dans le cas où l’embarras du pape pour la nomination des cardinaux ne serait pas feint, mais existerait réellement[39]. »

Cette méfiance gratuite, qui tombait si mal à propos, ne pouvait manquer de chagriner profondément le saint-père. Elle eut surtout pour effet de le mettre sur ses gardes et de lui inspirer de premiers soupçons sur les véritables intentions d’un homme qui n’en voulait jamais supposer de bonnes à personne. Napoléon était en instance pour obtenir du saint-père en faveur de l’Italie un concordat qui ne fût pas trop différent du concordat français. Il voulait absolument traiter cette affaire avec Caprara. Pie YII, qui avait appris à connaître la faiblesse de son représentant à Paris, aurait souhaité un autre intermédiaire. Cela eût été trop difficile; il se résigna, après quelques hésitations, à envoyer au cardinal les pouvoirs nécessaires. Cependant il voulut prendre au moins ses précautions, afin, dit Consalvi, d’empêcher cette fois qu’à l’aide de lois organiques ou de quelque autre moyen on ne réussît à battre en brèche le nouvel édifice aussitôt qu’il serait élevé[40]. Il tint donc la main à ce qu’on y insérât un article très net par lequel il fut stipulé qu’on ne pourrait rien innover dans les affaires ecclésiastiques de l’Italie sans s’être concerté avec le saint-siège. Cette rédaction si claire ne garantit point le pape des atteintes qu’il redoutait. « A l’instar de ce qui s’était passé en France, on vit apparaître avec le concordat d’abord les décrets du président Melzi, et ensuite, sur les réclamations du saint-père, les ordonnances du ministre des cultes et les décrets du premier consul lui-même révoquant en apparence les arrêtés de Melzi, mais les maintenant en réalité[41]. »

Il ne faudrait point s’imaginer cependant que le chef du gouvernement français n’ait eu systématiquement que de mauvais procédés envers le saint-siège depuis la publication du concordat. Dans toutes les choses qui n’intéressaient pas directement sa puissance et qui n’étaient point contraires aux idées qu’il voulait faire prévaloir, il avait semblé enclin à se rendre agréable à la cour de Rome, et plus d’une fois il avait déployé dans ses rapports avec Pie VII une certaine recherche d’amabilité et de bonne grâce. C’est ainsi qu’il lui avait rendu, sans aucune sollicitation préalable, la petite ville de Pesaro et plus tard Ancône. Il avait insisté vivement auprès de la cour de Naples pour qu’elle lui restituât Benavente et Ponte-Corvo. Il avait mis beaucoup d’empressement à s’entendre avec le saint-père pour la nomination du futur grand-maître de l’ordre de Malte. Il s’agissait de faire abandonner cette île par les Anglais, et la coopération officielle du saint-siège secondait merveilleusement sa politique en rendant plus incommode la situation du cabinet britannique, qui répugnait beaucoup à cette évacuation. C’est pourquoi l’on peut presque dire que dans cette affaire du rétablissement d’un vieil ordre semi-monastique semi-militaire, qui ne correspondait plus guère aux circonstances modernes, l’ardeur du premier consul de la république française dépassait de beaucoup la traditionnelle longanimité du Vatican. Un jour, avec une générosité pleine de bon goût et d’à-propos, il avait envoyé à Civita-Vecchia, pour en faire cadeau au pape, deux bricks de guerre mis à neuf, et dont il lui faisait hommage pour qu’il pût défendre les rivages de ses états contre les invasions des Barbaresques. La restitution, même partielle, des territoires qu’on avait autrefois enlevés au saint-siège, l’appui que le premier consul lui prêtait dans ses réclamations près la cour des Deux-Siciles, sa bonne volonté pour les chevaliers de Malte, les attentions personnelles dont il était l’objet, touchaient sincèrement le saint-père. Ses lettres, si nous pouvions les citer en entier, montreraient à quel point il était disposé à tout prendre en bonne part et combien il était désireux de s’entendre avec l’homme extraordinaire dont il appréciait autant que personne les prodigieuses facultés. Il prenait la peine de lui écrire de sa main, presque toujours en italien, sur les questions qui intéressaient particulièrement sa conscience de pontife, de longues lettres que le premier consul ne trouvait point toujours le temps de lire. Le pape le savait et n’en était point rebuté. Il aurait aimé à pouvoir l’entretenir de vive voix, s’imaginant qu’il pourrait ainsi découvrir le moyen d’avoir prise sur cette volonté indomptable. « Nous vous avons ouvert notre cœur tout entier, lui écrit-il un jour; vous voyez l’envie que nous avons à vous satisfaire, et toute la peine que nous prenons pour y réussir. Ce n’est pas la volonté, c’est la possibilité qui nous manque. Comment voulez-vous, cher fils, que nous luttions contre l’impossible? Les obligations auxquelles nous sommes assujetti ne vous sont point connues, ou vous sont mal expliquées à Paris... Nous comprenons qu’au milieu de vos grandes affaires le temps vous manque pour lire nos lettres. Il faudrait que nous puissions nous voir et nous parler. Si vous veniez à Milan comme vous l’avez annoncé, ne pourriez-vous pas saisir cette occasion pour venir nous trouver et nous entendre ainsi parfaitement? Nous ne saurions éprouver une plus grande joie[42]. »

Ce n’était pas évidemment dans la pensée de l’entretenir de sa reconnaissance pour le bien qu’il avait fait à la religion que le saint-père désirait si vivement voir le premier consul. Sa correspondance suffisait à lui porter à distance la touchante expression de sa sincère gratitude. Il aurait au contraire attaché un grand prix à lui pouvoir exposer ses cruelles tribulations. Comme souverain pontife chargé du gouvernement suprême des affaires de la chrétienté, il était mis dans de continuelles alarmes par la conduite non pas encore violente ni hostile, favorable plutôt en beaucoup de points, mais intermittente et saccadée, que Napoléon n’avait point cessé de tenir à son égard, et qui déjà lui inspirait les plus sérieuses appréhensions. Ou nous avons en effet mal expliqué le caractère de Pie VII, ou nos lecteurs ont dû deviner que l’assistance diplomatique prêtée au prince temporel dans ses rapports avec les cours étrangères et les égards personnels que le chef de l’état se plaisait parfois à lui témoigner, n’étaient pas à beaucoup près ce qui importait le plus au pieux pontife. La responsabilité qui, d’après sa propre foi, retombait tout entière sur le successeur actuel du prince des apôtres était sans cesse présente à la pensée du pape. Et de fait il est impossible d’imaginer un fardeau plus accablant pour la pauvre faiblesse humaine que celui dont se sentait chargé l’honnête et saint vieillard qui se tenait en toute sincérité, dans des circonstances aussi menaçantes, pour le directeur nécessaire d’une église divisée et de tant de consciences catholiques en détresse. Naturellement humble d’esprit et de cœur, Pie VII en était horriblement troublé. A défaut du chef du gouvernement, auquel il eût préféré confier ses douleurs, Pie VII s’adressait à son ministre à Rome, et le prenait avec candeur pour confident de sa triste situation. « Sa sainteté m’a dit l’autre jour, écrit M. Cacault : Nous voudrions ne jamais rien refuser aux désirs du premier consul; mais, par grâce, qu’on ne nous jette pas hors des bornes de ce qu’un pape peut permettre... Ce que nous avons fait à l’égard de la France était nécessaire et sera pour nous un mérite devant Dieu; mais le souverain pontife est le conservateur et le gardien des lois et des règles de la religion catholique. Nous ne voudrions pas troubler le monde en nous mettant en hostilité avec les autorités temporelles qui abrogent les institutions religieuses, mais nous ne saurions non plus être le premier pape qui agirait contre les principes de notre foi[43]... » Pour faire connaître les véritables sentimens du saint-père, rien de mieux que de laisser pour un moment la parole à M. Cacault. Ses opinions ne sauraient être suspectes; il jugeait avec perspicacité ce qui se passait sous ses yeux et en rendait compte avec franchise, lorsqu’il écrivait à M. de Talleyrand : « La cour de Rome s’aperçoit bien de ses énormes pertes dans tous les pays catholiques... Elle n’est plus en état de déclarer la guerre à personne par des excommunications. Elle laissera donc faire partout ce qu’on voudra; mais si on lui demande son concours pour des choses contraires à ses maximes fondamentales, pour des mesures subversives de l’ordre de choses qui fait son existence et des lois qui tiennent unis par les mêmes liens tous les membres du clergé catholique, elle s’y refusera en vertu du droit naturel que chacun a de ne pas s’égorger soi-même, et par l’effet de la crainte secrète qu’auront toujours les papes de voir s’élever, contre des décisions qui seraient trop philosophiques, une partie considérable des peuples restés attachés aux règles et aux institutions anciennes[44]. » — « Il ne faut pas, avec cette cour, en être esclave, ni faire le savant dans les matières théologiques, parce qu’alors tout dégénérerait en discussions interminables. Il ne faut pas non plus attaquer le système et renverser les règles au point qu’on ne se reconnaîtrait plus. C’est par un mélange de respect pour les principes de la religion et de fermeté dans ceux de la raison que l’on parvient ici, jusqu’à un certain point, à obtenir du pape les changemens nécessaires; mais si l’on veut tailler à bras raccourcis dans la vigne du Seigneur au nom de Bonaparte, devant qui l’Europe demeure interdite et obéissante, on ne gagne autre chose ici que de jeter la terreur et de faire perdre la tête à des vieillards qui, avec beaucoup d’esprit, ne sont que sensibles et nullement courageux. Il n’y a nul mérite à prendre le ton haut avec de telles gens quand on a derrière soi la puissance de la France. Ce serait le moyen de tout gâter, et s’il arrivait qu’on en fût à ce point, il faudrait le dire bonnement, simplement et froidement, pour que cela eût son effet. Un ton plus haut produirait trop d’épouvante et la confusion des esprits...[45]. » — « Voyant la sensibilité du pape, je dois faire connaître au premier consul, qui certainement ne veut pas faire mourir de chagrin un religieux respectable, qu’il est nécessaire de le solliciter à ce que l’on veut sans trop le fâcher. Il a déjà accordé tant de choses qu’en poussant au-delà trop vigoureusement on pourrait mettre au désespoir non-seulement le pape, mais encore les vieux cardinaux qui ont passé quatre-vingts ans et qui disent : Je vais paraître devant Dieu auquel seul je devrai compte, et que m’importe la puissance de la France[46] ? »

M. Cacault, qui savait faire entendre à Paris de si judicieux conseils, remplissait non moins consciencieusement son devoir en répétant à Rome les raisons que le premier consul mettait en avant pour obtenir du saint-père les concessions qu’il avait tant de peine à lui arracher. Il lui servit entre autres cet argument favori de Bonaparte, que, si le pape ne cédait pas sur ces questions qu’il disait être pour lui des affaires de conscience, il risquait de jeter la nation française aux bras du protestantisme. À cette menace déguisée le saint-père fit la réplique qu’on va lire, et sur laquelle nous prenons la liberté d’appeler l’attention de tous les esprits réfléchis, et en particulier celle des catholiques qui repoussent comme trop contraire aux intérêts de la religion la séparation entre l’église et l’état. « Hélas ! m’a répondu le pape du fond de l’âme, nous n’avons de vraie paix et de vrai repos que dans le gouvernement des catholiques sujets des infidèles ou des hérétiques. Les catholiques de Russie, d’Angleterre, de Prusse et du Levant ne nous causent aucune peine : ils demandent les bulles, les directions dont ils ont besoin, et ils marchent après cela de la manière la plus tranquille, suivant les lois de l’église... Rien de si malheureux aujourd’hui que le souverain pontife : il est le gardien des lois de la religion, il est le chef suprême... On croit avoir besoin de nous pour opérer sans cesse des subversions, et l’on ne considère pas que c’est notre conscience et notre honneur qui se refusent à tous ces changemens. On repousse avec humeur, avec colère, nos objections, et les demandes nous arrivent presque toujours accompagnées de menaces[47]. » M. Cacault était d’assez bonne foi pour reconnaître la justice de ces doléances du saint-père. « Il est bien vrai, écrit-il, qu’en lui demande sans cesse, et il accorde sans fin... Personne ne s’embarrasse de rechercher si en cédant à tout le pape ne tomberait pas dans l’infamie et le mépris. Le patriarche grec, sujet du Grand-Turc à Constantinople, est assujetti à des avanies auxquelles il satisfait en faisant payer les frais à son troupeau; mais le sultan ne le force jamais à rendre des décisions à la turque sur le dogme et la discipline, tandis que le pape est sans cesse tourmenté par les potentats, ses chers fils, pour de nouveaux sacrifices des anciennes règles. Il n’y a pas de fétiche qui ait été aussi battu par son nègre que le saint-siège, le pape et le sacré-collège l’ont été depuis dix ans par les fidèles catholiques[48]. »


III.

Le moment est venu d’examiner ce qu’il y avait de fondé dans les réclamations du saint-père contre la direction donnée par le gouvernement à la conduite des affaires ecclésiastiques en France. Si importante que fût pour l’église romaine et pour la religion catholique la nature des relations du premier consul soit avec le saint-père à Rome, soit avec le légat à Paris, relations dont nous venons d’esquisser un rapide, mais fidèle crayon, une chose les touchait de plus près toutes les deux : c’était la manière dont était comprise et journellement pratiquée l’exécution du concordat et des lois organiques. A cet égard les documens ne nous font pas non plus défaut, et, quoique nous ne soyons plus ici sur le terrain de nos études habituelles, l’application que Bonaparte a entendu faire de la convention passée avec le saint-siège a cependant joué un trop grand rôle dans les querelles subséquentes entre le chef du premier empire et celui de la catholicité, pour que nous ne soyons pas obligé de toucher en courant quelques mots d’une question qui fait si intimement partie de notre sujet.

Depuis le jour de la réconciliation officielle de l’église romaine et du gouvernement français, M. Portalis, conseiller d’état et l’un des membres les plus distingués de cet illustre corps, avait été désigné pour diriger toutes les affaires qui depuis ont formé l’attribution du département considérable dont il a été lui-même le premier titulaire, et qui depuis a porté le nom de ministère des cultes. Ce que nous avons dit de M. Portalis fait présager l’esprit qui inspira son habile administration. Hors le défaut d’abonder trop vite et trop complètement, alors même qu’il ne les partageait point, dans les vues du maître qu’il servait, M. Portalis était l’homme le plus capable par son esprit et le plus digne par son caractère de se tirer heureusement de la tâche épineuse qui lui était confiée. Laissé à lui seul, sa large et patiente modération eût réussi à tout concilier; mais le texte des lois organiques était impératif: plus impératif encore était l’homme qui les avait voulues, qui d’un œil jaloux en surveillait l’exécution, toujours prêt à porter la main, et quelle main ! irritée et violente, dans les moindres affaires qui ne marchaient pas à son gré. Est-il besoin d’ajouter qu’à ces heures de crise, qui devaient devenir de plus en plus fréquentes, M. Portalis n’était plus consulté, se gardait bien d’offrir des avis qu’on ne lui demandait pas, se contentait de donner cours le plus doucement qu’il pouvait aux instructions qu’il recevait du premier consul, lesquelles étaient parfois d’une difficile exécution.

Nous avons trop parlé de l’affaire de la réconciliation des ecclésiastiques du second ordre pour être tenu d’y revenir encore. Elle fut du nombre de celles qui donnèrent à M. Portalis le plus de tracas et dans lesquelles, s’il avait pu suivre son penchant naturel, il eût probablement été porté à prendre plutôt parti en faveur du légat et des évêques dits légitimes. La matière était délicate, s’il en fut, car rien ne touchait de plus près à la conscience. Les termes par lesquels, dans une circulaire nécessairement soumise au premier consul, il avait dû blâmer les mesures prises par plusieurs évêques à l’égard des prêtres constitutionnels, n’en avaient pas moins été empreints d’une extrême sévérité. De telles mesures, disait-il, seraient un délit[49], et les évêques avertis se gardèrent bien de se mettre en contravention.

Cela leur devenait cependant de jour en jour plus difficile, car, après avoir veillé à la manière dont les évêques réglaient les affaires de conscience des curés de leurs diocèses, le gouvernement venait tout à coup d’élever la prétention de prendre à l’avance connaissance de leurs mandemens. Ce ne fut point M. Portalis qui fut chargé cette fois de leur rien enjoindre directement. Cela eût été trop choquant, et cela lui aurait peut-être trop coûté. On prit une voie détournée. Le droit commun les eût protégés, si la liberté de la presse eût alors existé; mais le premier consul était justement occupé à en réprimer les écarts, et cela même lui avait valu l’approbation à peu près unanime des nouveaux prélats. Rien ne lui parut donc plus simple que de les ranger, eux aussi, sous la règle, c’est-à-dire sous la servitude commune. Le ministre de l’intérieur prescrivit aux préfets de soumettre à la censure tous les écrits qui se répandaient dans leurs départemens, y compris bien entendu les lettres pastorales et les mandemens des pasteurs[50]. Déjà l’on avait procédé par insinuation auprès de quelques-uns d’entre eux, qui, sans accepter l’ordre, avaient par esprit de conciliation pris bénévolement les conseils du magistrat chargé de l’administration de leur département[51], Cela ne suffisait plus : Napoléon préférait maintenant une mesure générale et obligatoire. À cette occasion, nombre d’évêques, et ceux-là mêmes qui avaient témoigné le plus d’aversion pour la liberté de la presse, se mirent à protester. La position de quelques-uns était vraiment intenable. Comme le nombre des évêques était inférieur à celui des préfets, il y en avait qui relevaient à la fois de deux préfets. De ces préfets, il arrivait souvent que l’un était partisan zélé de l’ancien clergé assermenté, et l’autre un fougueux ultramontain. Plusieurs préfets appartenaient à la religion protestante; il y en avait peut-être, en tout cas il pouvait y en avoir de juifs. Ce que l’un des préfets approuvait dans le mandement qui lui était soumis, son collègue du département voisin n’en voulait pas. Que devait faire alors le malheureux évêque ? Et quelle plus singulière position que celle d’un évêque de l’église romaine obligé, avant de s’adresser à son troupeau, d’aller solliciter l’approbation préalable d’un fonctionnaire public qui, au sortir du cabinet où il a exercé son rôle de censeur catholique, va se rendre soit au prêche, soit à la synagogue, si même il se rend quelque part! Il est vrai que l’administration, qui dès cette époque pensait à tout, avait eu soin d’établir qu’il n’était pas nécessaire que le visa de l’approbation préfectorale fût imprimé au bas du mandement épiscopal; il suffisait que l’évêque l’eût communiqué à temps et qu’il eût été approuvé. Par surcroît de précautions, afin qu’une ligne de leur écriture ne pût jamais échapper à l’attention de l’autorité, on avertit les évêques qu’ils ne pourraient rien faire imprimer qu’à l’imprimerie de la préfecture; par compensation, celle-ci devait en supporter les frais. C’était encore un moyen ingénieux de donner la plus grande publicité aux mandemens agréables et de diminuer la circulation de ceux dont on était moins satisfait. À la pratique, il se trouva que l’ensemble de cette mesure était à peu près inexécutable. Elle avait donné lieu dès l’abord à des incidens singuliers, quelques-uns presque comiques. Les évêques des contrées voisines de son département ayant, par leurs mandemens de carême, permis aux habitans de leurs diocèses l’usage des alimens gras pendant certains jours de la semaine, le préfet de l’Aveyron se plaignit très haut qu’une pareille faveur n’eût pas été accordée à ses administrés. Il en était diminué à leurs yeux. À toute force, il voulait obliger l’évêque de son département à concéder quelque chose, sans quoi il n’approuverait pas le mandement. M. Portails fut forcé d’intervenir pour calmer le préfet de l’Aveyron, et de déployer sa plus belle prose pour lui expliquer qu’il se mêlait d’une chose qui ne le regardait pas. Tous ces conflits entre les évêques et les préfets tendaient à devenir embarrassans ou ridicules. On fut donc obligé, pour couper court aux divisions doctrinales trop choquantes qui éclataient entre les préfets, érigés tout à coup en professeurs de droit canon, de mettre chaque évêque sous la censure exclusive du préfet de sa résidence. Plus tard, M. Portalis, qui n’avait guère été consulté dans cette affaire, intervint pour protéger les évêques contre les empiétemens des subordonnés de son collègue, le ministre de l’intérieur. La censure des évêques fut transportée des bureaux particuliers de chaque préfet au bureau central de Paris, qui agissait sous l’œil du premier consul et plus tard de l’empereur. Peu à peu elle trouva de moins en moins à s’exercer, sans doute parce que l’administration de M. Portalis était plus avisée, mais aussi parce que, le temps et leur soumission aidant, il n’y avait plus rien à reprendre dans les mandemens des évêques. Les employés de la direction des cultes ne restèrent pas toutefois absolument inoccupés ; leurs fonctions n’avaient fait que changer. Ils envoyaient dans les grandes occasions aux prélats particulièrement zélés, avec les bulletins qu’il leur fallait lire à l’église, des canevas de mandemens tout faits, qui ne couraient aucun risque de déplaire, et auxquels il ne restait plus qu’à mettre la forme et la couleur ecclésiastiques[52].

Par ce même canal, les évêques étaient continuellement invités, surtout dans les départemens de l’ouest et en Belgique, où les populations suivaient volontiers les impulsions du clergé, à appuyer et à faire appuyer par les curés de toute l’influence de leur ministère la loi sur la conscription. En même temps qu’on leur défendait d’aborder en chaire, d’aussi loin que ce fût, aucun sujet politique, on leur enjoignait non moins expressément de bien expliquer à leurs ouailles que la défense de la patrie était une des principales obligations du citoyen et du chrétien, et qu’il était conséquemment de leur devoir d’inviter les pasteurs du second ordre à mettre sous les yeux de leurs paroissiens toutes les considérations politiques et religieuses qui pouvaient déterminer ceux pour qui la religion et la patrie n’étaient pas de vains mots. Une question des plus délicates fut celle des dispenses à accorder aux personnes qui se mariaient dans des conditions admises par le code civil, mais qui, pour cause de parenté ou autrement, avaient besoin de demander à Rome l’autorisation pontificale, sans laquelle leurs curés refusaient de consacrer leur union à l’église. Il y avait des unions déclarées licites par les lois françaises pour lesquelles le saint-siège n’avait jamais ou bien rarement accordé de dispense. Le cardinal-légat fut d’avis que la cour de Rome se prélat à concéder toutes celles qui seraient demandées pour les mariages légitimement contractés devant le pouvoir civil. « Dans la disposition actuelle des esprits, il faut s’attendre, écrivait-il au cardinal secrétaire d’état, qu’on voudra ici forcer les évêques à les donner directement eux-mêmes; votre éminence peut être certaine que les plus purs s’y prêteront, en dehors même des évêques constitutionnels, et si quelqu’un s’y refuse, il provoquera contre lui les mesures les plus rigoureuses, sous prétexte qu’il trouble la tranquillité publique. Il appartient à la sagesse du souverain pontife de prendre cette affaire en mûre considération

Dieu nous a donné dans sa miséricorde le pape vénéré qui est assis, au milieu de ces temps difficiles, sur le trône de saint Pierre. Chacun convient que sans lui le concordat ne se serait jamais fait, ce qui aurait ramené la religion à l’état sauvage dans une grande partie de la terre. Les hommes sont dévoyés en fait de matières religieuses, et l’on ne peut les choquer sans être assuré d’avance d’occasionner des plaies encore plus profondes à l’église, qui se trouvera bientôt contrainte à consentir des sacrifices encore plus pénibles... Je n’ai, quant à moi, rien à désirer ni à craindre, et je parle avec un pied dans la tombe….. Mais je connais l’état vrai des choses, et je voudrais que cet état fût connu de même à Rome par les personnes que j’estime et que j’aime le plus au monde. Si les hommes prévenus viennent à s’indisposer contre nous, parce que nous n’aurons pas voulu user de condescendance sur les matières de discipline, ils iront plus loin, et voudront nous forcer la main sur les questions de dogme, comme pour le divorce par exemple. Pour ces questions-là, nous devons tout souffrir plutôt que de céder[53]. »

Le cardinal avait sans doute raison de conseiller un arrangement sur la question des dispenses ; mais en quoi il se trompait, c’est en supposant que cette concession empêcherait le gouvernement français de pousser trop rudement la cour de Rome sur la question soulevée par la faculté du divorce reconnue et réglée dans le code civil français. La circulaire de M. Portails, que nous avons déjà citée, ne laissait aucun doute sur les intentions du gouvernement. On y lisait : « Le divorce est admis par la loi civile. Il serait donc aussi injuste qu’imprudent de refuser la bénédiction nuptiale à tous ceux qui contracteraient un second mariage après un divorce[54]. »

Après les questions qui par leur nature touchaient directement au dogme, il nous est impossible de ne pas dire aussi un mot de la manière dont le premier consul, pendant la période consulaire assez courte qui précéda le sacre, se comporta envers le corps si nombreux du clergé catholique. La façon d’en user avec les personnes est le meilleur indice des sentimens qu’on leur porte, et la correspondance de Napoléon Ier nous fournit à cet égard les élémens d’une saine appréciation. Ainsi que nous l’avons déjà raconté, il était porté à favoriser extrêmement les prêtres constitutionnels ; nous en avons donné la preuve. Les lettres dans lesquelles il prend parti pour eux et veut les imposer de force aux évêques qui répugnent à les employer dans leur diocèse sont si fréquentes qu’il serait fastidieux de les citer toutes. Quant aux prêtres restés en communication avec le saint-siège, s’ils ne lui ont pas donné ce qu’il appelle des gages particuliers de leur dévouement, il entretient à leur égard une incurable défiance, particulièrement à l’endroit de ceux qui sont sortis de France. Ce n’est pas tant à la correspondance de ses préfets qu’aux rapports des agens de sa police et surtout des officiers supérieurs de la gendarmerie qu’il s’en remet pour apprécier la conduite des évêques et des curés de France. « Je vous envoie, citoyen conseiller d’état, écrit-il à M. Portails, une note que me fait passer l’inspecteur de la gendarmerie sur l’évêque de Rennes (M. de Maillé). Mon intention est que vous lui écriviez qu’il est temps que cela finisse, qu’il est coupable d’avoir ôté sa place à un constitutionnel et de l’avoir remplacé par un prêtre nouvellement rentré sans ma permission… Si la morale de l’Évangile n’est pas suffisante pour retenir ses passions, il doit agir par politique et par crainte des poursuites que le gouvernement pourrait faire contre lui, comme perturbateur de la paix publique. Écrivez à l’évêque de Clermont (M. de Dampierre) dans un style moins dur… Son diocèse est rempli de prêtres constitutionnels amis de l’ordre et qui jouissent de la confiance du peuple. Il est à la fois impolitique et immoral d’éloigner de l’état et de l’église des hommes si utiles... C’est une conduite insensée. Écrivez à l’évêque de Bayeux qu’il a déplacé dans la commune de Balleroy le curé qui y était, qu’il n’avait pas ce droit et que cela est contraire à mon intention... Mettez bien en tête à tous les évêques que, dans l’arrangement définitif, je veux des constitutionnels, tant parmi les curés que parmi les grands-vicaires et chanoines. » M. Portails ne satisfaisait pas toujours le premier consul; il le tance alors sévèrement, a Je n’ai pu qu’être très affligé de la conduite que tiennent certains évêques; vous n’avez donc pas prévenu les préfets?... Vous trouverez ci-joint le rapport du chef de légion de gendarmerie à ce sujet. Je désire que vous ayez sur cet objet une explication avec le cardinal Caprara[55]... » A l’archevêque de Lyon son oncle, il mande : « Quant à quelques réfractaires exagérés, je les ferai enlever. Méfiez-vous des Sulpiciens... ce sont des intrigans[56]. » Il engage le ministre de la justice à faire connaître par une circulaire aux commissaires du gouvernement auprès des tribunaux que son intention est de poursuivre et réprimer tout prêtre qui ne serait pas dans la communion de son évêque, et qui dès lors doit être considéré comme rebelle à l’état et au pape. Il n’approuve pas les principes de tolérance dont ont paru animés quelques préfets, pensant que c’étaient des querelles d’opinion étrangères à l’autorité civile[57]. Plus son pouvoir semble se consolider, plus sa fortune va croissant, plus il redouble de méfiance et de rigueurs à l’égard des prêtres chez lesquels il suppose un esprit d’opposition.

Dans les mois qui précédèrent et qui suivirent la conspiration avortée de George et de Pichegru, les ordres d’exil et d’arrestation se multiplient le plus souvent sur de simples soupçons. C’est par dizaines qu’il exige le renvoi ou ordonne l’incarcération de pauvres ecclésiastiques obscurs, contre lesquels il n’avance pas d’autres griefs que de n’avoir pas adhéré au concordat, ni d’autres preuves que les dénonciations de ses agens[58]. Un curé de Strasbourg est arrêté parce qu’il a logé une baronne de Reich; un prêtre de Marseille devient suspect parce qu’il a demeuré à Gibraltar. Quelques ecclésiastiques dissidens du département du Pas-de-Calais correspondent avec l’infâme évêque d’Arras. « Je veux savoir, écrit-il à ce sujet à M. Portails, quelles seraient les formes canoniques à employer pour les dégrader, afin qu’ils soient livrés à la rigueur de la justice, car je pense, ajoute-t-il, qu’il faut un exemple qui frappe tout le clergé. Je ne suis plus content du vicaire de Saint-Sulpice : c’est un homme également à dégrader[59]. » Depuis qu’il a été nommé consul à vie, et lorsque le moment approche où il va devenir empereur, sa correspondance devient de plus en plus acerbe. Elle revêt un caractère plus marqué d’irritation et de menaces à l’égard non-seulement de ceux qui sont des opposans en politique, ce qui serait assez simple, mais aussi à l’égard de ceux qui ne sont que de simples dissidens dans les matières purement religieuses. Il les confond volontairement et les poursuit de la même haine. Le succès, comme il serait naturel, n’apaise pas son âme. Devenu plus puissant, il en profite pour se rendre, plus terrible. Les informations de M. Portails sur les mouvemens que plusieurs prêtres se sont donnés en Vendée pendant que l’on tramait une conspiration contre lui ne lui paraissent point assez complètes. En les transmettant au ministre de la justice, qui est aussi celui de la police, il lui signale un certain nombre d’entre eux qui ont autrefois refusé d’adhérer au concordat. Il se rappelle vaguement que l’évêque de La Rochelle lui en aurait dénoncé neuf ou dix. Il écrit là-dessus à M. Régnier de les faire arrêter... « Dans le diocèse de Liège, il faut également prendre des renseignemens et faire arrêter dix des principaux. Je veux bien encore être indulgent et consentir à ce que ces prêtres (quelle indulgence!) soient déportés à Rimini; mais je désire que vous me fassiez connaître la peine qu’encourt un prêtre en place qui se sépare de la communion de son évêque, et qui abjure un serment qu’il a prêté. Dieu le punira dans l’autre monde, mais César doit le punir aussi dans celui-ci[60]. »

A coup sûr, il y a lieu de blâmer les procédés du premier consul à l’égard de cette portion bien minime du clergé qu’il croyait à tort ou à raison contraire à ses desseins; mais que dire de la façon dont il en usait avec les gens d’église qu’il savait lui être entièrement dévoués? A ceux-là il n’interdisait pas la politique; il les y introduisait lui-même, et de quelle façon, on va le voir. Un mot grossier a été prêté à Napoléon : « il n’y a rien que je ne puisse faire avec mes gendarmes et avec mes prêtres. » Nous ne savons s’il l’a prononcé; il faut beaucoup se méfier de ces phrases qui ont la prétention de résumer sous forme de sentence toute une politique; elles sont la plupart du temps inventées après coup. Ce qui est malheureusement vrai, c’est qu’il avait tout à fait pris au pied de la lettre cette portion du serment des évêques par laquelle, « si dans leurs diocèses ou ailleurs ils apprenaient qu’il se tramait quelque chose au préjudice de l’état, ils s’engageaient à le faire savoir au gouvernement. » Nous le voyons par exemple écrire lui-même à l’évêque d’Orléans pour le remercier des renseignemens qu’il lui a transmis sur les menées de ses ennemis dans son diocèse, et lui recommander de bien surveiller certains coupables[61]. Apprenant qu’il y a eu des agitations dans l’ouest, il témoigne son étonnement de n’en avoir rien appris par Bernier, ce qui le surprend d’autant plus qu’à la tête de ce mouvement est un ancien chef vendéen et plusieurs autres individus qui avaient confiance en lui[62]. Les apparences seules lui avaient été contraires, et l’évêque d’Orléans n’avait point, paraît-il, manqué en cette occasion à tout ce qu’on attendait de lui. Le premier consul est même si satisfait de ses services en ce genre qu’il charge M. Portails de le consulter sur le choix qu’il faudrait faire d’un ancien chouan qui jouirait très secrètement à Paris d’un bon traitement, afin d’y découvrir les hommes suspects de l’ouest[63]. Quand les circonstances sont tout à fait pressantes, le premier consul montre une telle confiance dans cet évêque qui est si bien selon son cœur, qu’il n’hésite pas à lui faire l’honneur de le traiter cette fois en véritable officier de gendarmerie. Il le charge donc non plus seulement de surveiller, mais de faire arrêter, s’il le peut, deux anciens chouans de sa connaissance[64].

Rien de plus triste que tous ces détails, et l’on ne sait en vérité de quoi s’affliger davantage, car si la conduite de M. Bernier est choquante et indigne d’un évêque, combien choquante aussi et indigne d’un chef d’état celle de Napoléon ! Lui qui parle de dégrader de pauvres prêtres soupçonnés de ne pas adhérer au concordat, quelle dégradation morale il inflige à celui qui a pris sous sa direction la part principale à cette grande œuvre dont il est si fier, et dont il s’apprête à recueillir le fruit ! Pour notre goût, nous aurions mieux aimé nous en taire ; mais après avoir scrupuleusement raconté quels étaient, à la veille du sacre, les rapports du premier consul avec le cardinal-légat à Paris, avec le pape à Rome, avec le clergé catholique en France, il nous a semblé utile de montrer quelle idée il se faisait au fond de l’âme du rôle qui revient aux ministres de cette religion dont le représentant le plus vénéré allait être appelé à venir dans quelques jours consacrer par une solennité inconnue depuis des siècles entiers son élévation à l’empire.


D’HAUSSONVILLE.

  1. Voyez la Revue du 1er avril et du 1er mai 1805, et du 1er septembre 1866.
  2. Cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 24 avril 1802.
  3. « Le premier consul compte même se conformer à Pâques à l’usage catholique en accomplissant, comme il dit, les devoirs imposés par l’église. » Dépêche du cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 27 mars 1802. — Il ne nous est pas possible de donner toujours le texte même des documens que nous citons. Ce serait trop allonger notre récit; mais si nous nous décidons, comme plusieurs personnes ont bien voulu nous y inviter, à refondre un jour en un ouvrage plus complet ces études d’un côté vraiment curieux de notre histoire nationale, nous donnerons comme appendice les pièces originales et manuscrites qui nous ont servi dans ce travail. On y verra jusqu’à quel point nous avons poussé le scrupule, non-seulement en tachant de rendre la véritable physionomie des faits et des personnes que nous mettons en scène, mais en nous servant le plus souvent, et autant que cela nous a été possible, des expressions employées dans les documens contemporains que nous avons sous les yeux.
  4. Dépêche du cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 30 avril 1802.
  5. Idem, 28 avril 1802.
  6. Dépêche du cardinal Caprara au cardinal Consalvi.
  7. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 15 mai 1802.
  8. Ibid.
  9. Ibid., 13 juin 1802.
  10. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 13 juin 1802.
  11. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 13 juin.
  12. Ibid., 13 juin 1802.
  13. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 13 juin 1802.
  14. Ibid., 13 juin 1802.
  15. Dépêche du cardinal Consalvi au cardinal Caprara.
  16. Dépêche du cardinal Caprara au cardinal Consalvi. Lettre au pape, 18 avril, 13 juin 1802,
  17. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 25 juin 1802.
  18. Ibid.
  19. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi.
  20. Ibid., 3 juillet 1802.
  21. Lettre particulière du cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 3 juillet 1803.
  22. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 3 juillet 1803.
  23. Ibid, 10 juillet 1803.
  24. Dépêche du 30 octobre 1803.
  25. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, dépêche du 25 juillet 1802.
  26. Ibid., 3 juillet 1802.
  27. Ibid., 15 août 1802.
  28. Le cardinal Consalvi au cardinal Caprara, 15 mai 1802.
  29. Moniteur du 17 germinal an X, p. 791.
  30. Discours de M. Portalis au corps législatif, Moniteur du 16 germinal an X, p. 790.
  31. Lettre du cardinal Consalvi au cardinal Caprara, 5 et 12 mai 1802.
  32. Note du cardinal Consalvi à M. Cacault.
  33. Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 377.
  34. Dépêche à M. Cacault, 1802.
  35. Moniteur du 27 germinal an X (avril 1802).
  36. Moniteur du mardi 19 prairial an X. Il en coûtait peu au premier consul et plus tard à l’empereur de mettre au Moniteur des assertions qui n’avaient rien de fondé, et parfois aussi d’arranger à sa guise et toujours à son avantage les documens étrangers qui avaient trait aux affaires de France. En ce qui regarde la cour de Rome, cette habitude commence aux jours de ses premiers rapports avec elle, et depuis n’a guère cessé. En voici un exemple : dans la bulle de ratification du concordat, le saint-père donne au premier consul le titre de vir illustris, et ajoute Deus... eadem cupiditate finem tot malis imponendi i,flammavit eum. — Le Moniteur, qui mit d’ailleurs le texte original en regard, traduit pour ceux qui ne savent pas le latin : « Dieu a fait naître dans le cœur généreux de l’homme célèbre et juste les mêmes désirs... » Dans ce cas particulier, la fausseté de la traduction est plus puérile qu’elle n’est importante, mais elle fait nombre, et nous en rencontrerons prochainement d’autres et de plus graves.
  37. Correspondance de Napoléon Ier, 8 juillet 1802.
  38. Dépêche circulaire de Consalvi aux nonces de Vienne, de Madrid et de Lisbonne, 22 juillet 1802.
  39. Correspondance de Napoléon Ier, 25 juillet 1802.
  40. Mémoires de Consalvi, t. II, p. 380.
  41. Mémoires de Consalvi, t. II, p. 381.
  42. Le pape Pie VII au premier consul Bonaparte, 29 juin 1802.
  43. Dépêche de M. Cacault, 29 juillet 1802.
  44. Ibid.
  45. Dépêche de M. Cacault.
  46. Ibid.
  47. Dépêche de M. Cacault.
  48. Ibid.
  49. Lettre circulaire de M. Portalis aux évêques de France, 10 prairial an X (juin 1802).
  50. Circulaire de M. le ministre de l’intérieur, 12 vendémiaire an XI (5 septembre 1803).
  51. Vie de Mgr Osmond, évêque de Nancy, par l’abbé Guillaume.
  52. Vie de Mgr Osmond, évêque de Nancy, par l’abbé Guillaume.
  53. Dépêche du cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 19 septembre 1802.
  54. Circulaire de M. Portails, 10 prairial an X. (juin 1802).
  55. Correspondance de Napoléon Ier, t. VIII, p. 28.
  56. Ibid. p. 93.
  57. Ibid.
  58. Ibid., t. IX, p. 307.
  59. Correspondance de Napoléon Ier, p. 240, 306, 320, 339, 474.
  60. Ibid, t. IX, p. 310.
  61. Correspondance de Napoléon Ier, t. VIII, p. 158.
  62. Ibid., t. IX, p. 137.
  63. Ibid., t. IX, p. 225.
  64. Ibid, t. IX, p. 225.