L’Égypte et le canal de Suez/L’Égypte/Ancienne/02

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ii. — Les Satrapes. — Les Lagides.

Sous la conduite de Cambyse, les Perses se présentèrent en 525 (avant J.-C.) devant Péluse, clef de l’Égypte. Une célèbre bataille illustra ce lieu : les Égyptiens défendirent leur indépendance avec un grand courage ; mais accablés par le nombre ils furent vaincus. Cambyse marcha sur Memphis et sur Thèbes dont il saccagea les monuments : puis, comme saisi du vertige, il se jeta dans le désert d’Ammon dont les sables dévorèrent son armée.

Mais l’Égypte n’en était pas moins conquise. Livrée aux satrapes qui la gouvernèrent au nom du roi de Perse, elle vit dégénérer les arts, qui avaient fait sa fortune et sa gloire ; les traditions scientifiques, qui la plaçaient à la tête de la civilisation, s’altérèrent et se perdirent ; les campagnes disputées au fleuve et à la mer se dépeuplèrent, et les plus opulentes cités devinrent désertes. Cette ère de désordre et de rapine ne dura pas moins de deux siècles.

On ne doit donc pas s’étonner si lorsque, précédé par la renommée de son génie et de sa gloire,

Alexandre parut en Égypte, il y fut accueilli comme un sauveur.

Nul cependant ne pouvait prévoir, nul n’eût osé rêver la splendeur de la période qu’allait ouvrir à l’antique terre des Pharaons, l’invasion grecque.

« Pendant son règne trop court, mais si merveilleusement rempli, Alexandre, dit dans un récent et remarquable travail un écrivain contemporain[1], conçut et commença à exécuter d’immenses projets destinés, s’ils eussent tous abouti, à transformer tout d’un coup la face du monde.

« L’Égypte devait être la première à profiter de cette transformation qui, pour avoir été interrompue par la mort subite du grand roi, n’en a pas moins, à partir de cette époque, progressé rapidement. La reconnaissance des côtes de la mer Érythrée jusqu’aux embouchures de l’Euphrate ; reconnaissance accomplie delà manière la plus intelligente et la plus heureuse par Néarque à la tête d’une flotte nombreuse ; les premières relations commerciales par mer entre l’Inde et l’Égypte ; un essai de communication régulière avec les côtes de l’Afrique septentrionale jusqu’aux colonnes d’Hercule ; l’ extension des échanges avec toutes les contrées méditerranéennes ; la fondation d’Alexandrie et les grands travaux projetés pour relier cette ville à la mer Rouge : tout indique les espérances qu’Alexandre fondait sur la position de l’Égypte qui était, dans sa pensée, l’entrepôt naturel à la fois de l’Orient et de l’Occident.

« Par une heureuse exception, l’Égypte n’eût pas spécialement à souffrir des luttes engagées entre tes généraux qui se partagèrent l’empire d’Alexandre. Cette tranquillité relative, elle la dut à ce que Ptolémée en la recevant en partage, comprit la valeur de son lot et fit preuve, pour le conserver, de la plus sage modération. »

L’Égypte redevint donc sous les Ptolémées la principale puissance commerciale et maritime du monde ; les arts et les sciences y reprennent un éclat qui atteint en splendeur, si elle ne la surpasse, cette période brillante dont Champollion nous traçait, quelques pages plus haut, un trop rapide tableau... Enfin les travaux des géographes et des navigateurs y créent partout de nouveaux débouchés ; des villes et des ports, des canaux et des routes surgissent comme par enchantement sur le sol de la patrie régénérée, tandis que ses enfants vont jeter leurs comptoirs commerciaux ou leurs colonies militaires sur les côtes de la mer Rouge, dans le golfe Persique et jusque dans la mer des Indes.

Mais où se montre la supériorité de l’époque des Ptolémées sur les époques antérieures, c’est dans la forme et dans la puissance nouvelle que les progrès scientifiques de ce temps donnent à la canalisation.

Cette source de richesse et de grandeur acquise à l’Égypte depuis les temps les plus reculés, mais demeurée jusqu’alors à un état de simplicité toute primitive et qu’arrêtaient les plus légers obstacles, se développa tout à coup au moyen de barrages ou écluses rudimentaires formée de poutres superposées et mobiles. Bientôt le canal de Néchao et celui qu’avait plus tard creusé Darius, et qui, élargi et recreusé par Ptolémée-Philadelphe, prit le nom de canal des Ptolémées, mirent enfin en communication, malgré là différence des niveaux, d’une part, la branche pélusiaque du Nil avec le golfe Hèroopolite (ou lacs Amers), au centre de l’isthme de Péluse : d’autre part, le golfe Hèroopolite avec la mer Rouge.

Par malheur, la fin de cette race des Lagides qui avait si glorieusement débuté, fut marquée par une série presque continuelle de rivalités armées entre les branches collatérales qui souillèrent le sol de l’Égypte de complots, de meurtre et de guerre, sans gloire et sans issues.

Ou arrive ainsi à la trop célèbre Cléopâtre, qui après avoir enlevé la couronne à son frère Ptolémée, et, après s’être débarrassé par le poison d’un autre frère, resta souveraine maîtresse de l’Égypte ; Avec elle finit la race des Ptolémées et l’indépendance de leur empire.

Dès lors et pendant six siècles, l’histoire de la terre des Pharaons, réduite en provinces romaines, se confond avec celle de la métropole.

Lors de la division de l’empire romain, elle devint une des provinces de l’empire d’Orient et releva de Byzance.

Les désordres et les crimes qui marquèrent le cours de cette dernière période, eurent leur contrecoup en Égypte, qui depuis longtemps était fatiguée des intrigues et des exactions de ses dominateurs, lorsque se présenta tout à coup à elle un maître nouveau.

  1. Histoire de l’isthme de Suez, par Olivier Ritt.