L’Abîme (Rollinat)/Le Doute

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L’Abîme. PoésiesG. Charpentier et Cie, éditeurs. (p. 238-241).


LE DOUTE


Quand je serai mort, après ?
Le Ciel m’ouvrira sa porte ?
— Dame ! clapote un cyprès.

Vers moi, les anges tout prêts
Prendront leur volée accorte :
Quand je serai mort, après ?

La chair se dérobe exprès
Pour que la pensée en sorte ?
— Dame ! clapote un cyprès.


La tombe et ses noirs apprêts
Fêtent l’âme en quelque sorte ?
Quand je serai mort, après ?

Dans l’argile ou le marais
C’est le corps seul qu’on transporte ?
— Dame ! clapote un cyprès.

Sur ces lugubres guérets
L’esprit plane ! donc qu’importe !
Quand je serai mort, après !

L’autre vie est là, si près !
Le dernier soupir y porte !
— Dame ! clapote un cyprès.

Malgré ses tourments secrets
Ma vieille foi reste forte
Quand je serai mort, après !


Le Mal doit payer ses frais,
Il faut que le Bien rapporte !
— Dame ! clapote un cyprès.

Eh quoi ! défunt, je serais
Moins qu’un ver et qu’un cloporte !
Quand je serai mort, après ?

Pour toujours je m’en irais
Où s’en va la feuille morte ?
— Dame ! clapote un cyprès.

Mon doute retend ses rets,
Et ma peur se réconforte.
Quand je serai mort, après ?

Mais alors les intérêts
Des jeûnes que je supporte ?
— Dame ! clapote un cyprès.


Dans ces coffres en bois frais
C’est tout l’homme qu’on emporte ?…
Quand je serai mort, après…

L’herbe ayant pompé l’engrais
Et les sucs de ma chair morte ?…
— Dame ! clapote un cyprès.

Mais au moins quelques regrets
Seront ma cendreuse escorte,
Quand je serai mort, après ?…
— Dame ! clapote un cyprès.