L’Abîme (Rollinat)/Le Roman

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L’Abîme. PoésiesG. Charpentier et Cie, éditeurs. (p. 126-127).


LE ROMAN


Un auteur contrefait le manuscrit du Mal,
Il ne reproduit pas son texte original,
Si fourmillant, si faux, si compact et si trouble
Que le remords s’égare en en prenant le double.

C’est pourquoi le roman où le plus noir cerveau
A machiné la mort, le crime et la folie,
Ne dégage à coup sûr le frisson du nouveau
Que pour le cœur épais qui s’ignore ou s’oublie.


Car l’homme conscient de sa perversité,
N’y voyant qu’un portrait vaguement reflété
De sa propre hantise et de son propre drame,
Se dit : « J’ai déjà lu tout cela dans mon âme !

« Or, le démon avide au labeur dépêché
Presse les attentats que mon rêve élucubre ;
Il apporte partout sa trouvaille lugubre,

« Son imprévu hideux au roman du péché,
Et je suis sa dictée avec un tel délire
Hélas ! que je n’ai pas le temps de me relire. »