L’Abîme (Rollinat)/Le Sceptique

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L’Abîme. PoésiesG. Charpentier et Cie, éditeurs. (p. 186-188).


LE SCEPTIQUE


L’Homme à Part entre tous les temps,
Le fabuleux homme moderne
Débite ainsi d’une voix terne,
Quelques aveux impénitents :

« Suis-je bon ? non, je suis mauvais
Je note le bien que je fais.

Pardonneur ? j’en ai l’air. Pourquoi ?
Parce que je hais de sang-froid.


Sincère ? à peine avec l’enfant ;
Avec l’homme un peu moins souvent.

Modeste ? dame ! il est certain
Que j’ai l’orgueil fort clandestin.

Juste ? en cherchant, il se pourrait
Que j’eusse un faux poids, l’Intérêt.

Mystique ? Allons donc ! c’est ma chair
Qui me coûte encor le plus cher.

Doux ? entre nous, est-ce le nom ?
Doucereux, je ne dis pas non.

Sage ? très ou pas, ça dépend,
Car je suis linotte ou serpent.

Voilà ! ne croyez pas surtout
Qu’au fond je me prenne en dégoût !

Le Pervers tranquille et moqueur,
Le Franc Sceptique, c’est mon cœur ! »


— Dans ta confession où perce la jactance
Tout est vrai hors le dernier point :
Indifférent ? tu ne l’es point,
Tu n’as que le dépit pour railler l’existence,
Et tu mâches ton fiel intérieurement,
Hypocrite du calme et du ricanement.
Va ! tes vices tirent la chaîne
De la vieille Perversité ;
Dans l’ornière du mal, ta misère se traîne ;
Et ta moderne vanité
Ne rabâche que la rengaine
De la si monotone et plate humanité.