L’Abîme (Rollinat)/Le Vieux Serpent

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L’Abîme. PoésiesG. Charpentier et Cie, éditeurs. (p. 109-112).


LE VIEUX SERPENT


Dans le ravin de la tristesse
Peut-elle nous faire du tort,
La lubrique scélératesse ?

Le cœur plane sur l’étroitesse
Humaine ! Âme et chair sont d’accord
Dans le ravin de la tristesse !

Le Rêve y courbe Son Altesse
Devant Sa Majesté la Mort !
La lubrique scélératesse ?


Allons donc ! quelle poétesse
Pourrait nous rimer du remord
Dans le ravin de la tristesse ?

Mais sous sa toute petitesse
On n’a pas deviné d’abord
La lubrique scélératesse

Qui de loin, lente avec prestesse,
Nous suit au milieu comme au bord,
Dans le ravin de la tristesse.

Puis, outre sa délicatesse,
Sa patience et son ressort,
La lubrique scélératesse

A déférence et politesse
Envers les éclopés du sort,
Dans le ravin de la tristesse.


Sachant que malgré sa rudesse,
Notre chagrin n’est pas bien fort,
La lubrique scélératesse

Siffle avec tant de morbidesse
Qu’on en éprouve un réconfort
Dans le ravin de la tristesse.

Tandis qu’elle gagne en vitesse
Toujours plus, toujours plus encor
La lubrique scélératesse,

La pessimiste prophétesse
La Prudence flâne et s’endort
Dans le ravin de la tristesse.

Bref, on reprend sa vieille hôtesse ;
Sur notre âme, elle se retord
La lubrique scélératesse.


On l’écrasera ! Mais quand est-ce ?
En attendant, elle nous mord
Dans le ravin de la tristesse
La lubrique scélératesse.