L’Abbé (Montémont)/20

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L’Abbé ou suite du Monastère
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 14p. 210-226).


CHAPITRE XX.

le page de la reine.


Maintenant vous m’avez privé de notre soutien, du guide qui, de même que les hommes dressent de farouches faucons, a formé ma jeunesse à user de ma force avec discrétion ; je suis privé de mon compagnon et de mon conseil.
Ancienne comédie.


Le lendemain, au lever de l’aurore, on entendit frapper fortement à la porte de l’hôtellerie, et les arrivants, ayant annoncé qu’ils venaient au nom du régent, furent admis aussitôt. Quelques moments après, Michel-l’Aile-au-Vent était déjà au chevet du lit de nos voyageurs. « Debout ! debout ! s’écria-t-il, il n’est plus temps de dormir quand le comte de Murray commande. »

Les deux dormeurs se levèrent soudain et commencèrent à s’habiller.

« Vous, mon vieil ami, dit Michel à Woodcock, vous allez monter à cheval sur-le-champ pour porter ce paquet aux moines de Kennaquhair, et celui-ci au chevalier d’Avenel.

— Il s’agit d’ordonner aux moines d’annuler l’élection de leur abbé ; j’en réponds, » dit Woodcock en mettant les paquets dans son sac ; « et l’on charge mon maître d’y veiller. Cependant chasser un frère à l’aide d’un autre, ce n’est pas, il me semble, jouer un beau jeu.

— N’allez pas fourrer votre barbe là-dedans, mon vieux, reprit Michel : mettez-vous en selle à l’instant ; car si ces ordres ne sont pas exécutés, il ne restera que des murs à l’église de l’abbaye Sainte-Marie, et peut-être au château d’Avenel. J’ai entendu le comte de Morton parler bien haut avec le régent, et nous sommes dans une situation où nous ne pouvons nous disputer avec lui pour des bagatelles.

— Mais, reprit Adam, pour ce qui concerne l’abbé de la Déraison, que dit-on de cette équipée ? S’ils étaient hostilement disposés, je ferais mieux d’envoyer les paquets au diable, et de prendre pour protecteur l’autre côté des frontières.

— Oh ! on passe là-dessus comme sur une plaisanterie dont il n’est résulté que très-peu de mal. Mais écoutez-moi, Adam, s’il se trouvait sur votre route une douzaine d’abbayes vacantes, soit en plaisantant soit sérieusement, par raison ou par déraison, ne mettez pas une de leurs mitres sur votre tête : le temps n’y est pas favorable, mon ami ; d’ailleurs notre demoiselle brûle d’embrasser le cou d’un gros ecclésiastique.

— Elle ne caressera jamais le mien en cette qualité, » dit le fauconnier en enveloppant son large cou brûlé du soleil de deux ou trois doubles plis de son mouchoir. « Monsieur Roland ! monsieur Roland ! » cria-t-il en même temps ; « dépêchez-vous ! il faut retourner au perchoir et à la mue, et grâce au ciel plus qu’à notre esprit, avec nos os entiers et sans coup de poignard dans l’estomac.

— Le jeune page, dit Michel, ne retourne pas avec vous ; le régent a un autre emploi à lui donner.

— Miséricorde ! s’écria le fauconnier, Roland Græme rester ici, et moi retourner à Avenel ! mais cela ne peut être ! ce jeune homme ne peut se diriger sans moi dans cette ville immense ; je le demande, obéira-t-il à un autre sifflet que le mien ; quelquefois je puis à peine l’amener à mon leurre. »

Roland se sentait plus d’une observation maligne au bout de la langue, concernant la nécessité où ils étaient de s’aider mutuellement ; mais l’inquiétude réelle que témoignait Adam à la seule pensée de le quitter, lui ôta toute envie de faire une raillerie peu reconnaissante. Cependant le fauconnier n’échappa pas tout à fait ; car, en se tournant vers la croisée, son ami Michel aperçu à la dérobée son visage, et il s’écria : « Mais, mon cher Adam, qu’avez-vous donc fait de vos yeux ? ils sont enflés au point qu’il vous sortent de la tête.

— Ce n’est rien, » dit-il après avoir jeté un regard suppliant sur Roland ; « voilà ce qu’on gagne à dormir sur un maudit grabat sans oreiller.

— Ma foi ! Adam, vous êtes devenu étrangement délicat ; je vous ai vu dormir toute la nuit sans autre oreiller qu’un buisson de bruyère, et vous réveiller avec le soleil, aussi agile qu’un faucon. Mais aujourd’hui vos yeux ressemblent à…

— Qu’importe, mon ami, à quoi ils ressemblent ? qu’on me fasse rôtir une pomme, versons dessus un pot d’ale, pour nous arroser le gosier, et vous verrez du changement chez moi.

— Et vous chanterez votre charmante ballade sur le pape.

— Oui, je le veux bien… c’est-à-dire quand nous aurons laissé cette ville paisible à la distance de cinq ou six milles derrière nous si vous voulez prendre votre cheval et me conduire jusque-là.

— Non, je ne le puis. Je n’ai que le temps de partager avec vous le coup du matin, et de vous voir à cheval. Je vais donner ordre qu’on selle votre monture, et qu’on vous fasse cuire une pomme sans perdre de temps. »

Pendant son absence, le fauconnier prit le page par la main : Puissé-je ne jamais chaperonner un faucon, lui dit le bon Adam si je ne suis pas chagrin de me séparer de vous tout comme si vous étiez mon propre enfant, vous demandant pardon de la liberté. Je ne puis vous dire ce qui fait que je vous aime tant, si ce n’est la même raison qui me faisait aimer ce diable de petit cheval noir vicieux que milord avait appelé Satan, nom que M. Warden changea en celui de Seyton ; car, disait-il, il est plus que téméraire de donner à une bête le nom du roi des ténèbres.

— Il était encore moins convenable, je pense, dit le page, de donner à un animal vicieux le nom d’une noble famille.

— Eh bien ! continua Woodcock, Scyton ou Satan, j’aimais ce petit cheval plus que tous les autres de l’écurie. Il n’y avait pas moyen de dormir sur son dos ; il caracolait, cabriolait, se cabrait, mordait, ruait, et vous donnait de la besogne : et bien souvent alliez-vous mesurer de votre dos l’étendue du terrain. Je pense que je vous préfère à tout autre jeune homme dans le château, précisément à cause des mêmes qualités.

— Merci, merci, mon cher Adam. Je me tiens redevable à vous pour la bonne opinion que vous avez de moi.

— Ne m’interrompez donc pas, dit le fauconnier : Satan était un bon cheval… Mais maintenant que j’y pense, je crois que je donnerai vos noms à deux jeunes faucons ; l’un s’appellera Roland et l’autre Græme ; et tant qu’Adam vivra, soyez sûr d’avoir un ami. Touchez là, mon cher enfant ! »

Roland lui rendit très-cordialement sa poignée de main, et Woodcock, ayant bu une grande rasade, continua son discours d’adieu.

« Maintenant que vous allez parcourir le monde, monsieur Roland, sans avoir mon expérience pour vous secourir, il y a trois choses contre lesquelles je dois vous prémunir. Premièrement, ne dégainez jamais votre poignard pour des motifs frivoles. Tout le monde n’a pas un justaucorps aussi bien rembourré que certain abbé de votre connaissance. Secondement, ne courez pas après chaque jolie fille, comme l’émerillon après la grive : vous ne gagneriez pas toujours une chaîne d’or pour vos peines. Et en parlant de cela, voici votre fanfaronne que je vous rends : gardez-la avec soin, elle est pesante, elle peut servir dans l’occasion à plus d’une fin. Troisièmement, et pour conclure, comme dit notre digne prédicateur, méfiez-vous du flacon. Il a noyé le jugement d’hommes plus sages que vous. Je pourrais vous en citer quelques exemples, mais la chose est inutile, car si vous oubliez vos fredaines, vous aurez peine à ne pas vous rappeler les miennes. Sur ce, adieu, mon cher enfant. »

Roland lui répondit par des souhaits non moins bienveillants, et ne manqua pas d’envoyer ses humbles respects à sa bonne maîtresse, chargeant en même temps le fauconnier de lui exprimer son regret de l’avoir offensée, et témoignant sa résolution de se comporter dans le monde de manière à ce qu’elle n’eût pas à rougir de la protection généreuse qu’elle avait accordée à l’orphelin.

Le fauconnier embrassa son jeune ami, monta sur le cheval vigoureux que le domestique qui l’avait accompagné tenait prêt à la porte, et prit la route du sud. Les pas du cheval formaient un son triste et monotone qui semblait indiquer le chagrin du brave homme qui le montait, et chaque pas retentissait pour ainsi dire, dans le cœur de Roland, à mesure qu’il entendait son compagnon s’éloigner avec si peu de sa vivacité ordinaire, et qu’il se sentait encore une fois seul sur le théâtre du monde.

Il fut tiré de sa rêverie par Michel-l’Aile-au-Vent, qui lui rappela qu’il était urgent de retourner au palais, le régent devant se rendre à la cour des Sessions de bonne heure dans la matinée. Ils y allèrent donc ; et Michel, vieux domestique favori, qui était admis dans l’intimité du régent, et plus près de sa personne que bien des gens dont les postes étaient plus élevés, introduisit bientôt Græme dans une petite chambre revêtue de nattes, où il eut une audience du chef qui dirigeait alors les destinées de la malheureuse Écosse. Le comte de Murray était en robe de chambre de couleur sombre, avec une toque et des pantoufles du même drap ; mais dans ce déshabillé même il tenait à la main son épée dans son fourreau, précaution qu’il adoptait lorsqu’il recevait des étrangers, plutôt par déférence pour les sérieuses remontrances de ses amis et de ses partisans que par crainte pour sa personne. Il répondit silencieusement par un signe de tête au salut respectueux du page, et sans parler fit un tour ou deux dans la chambre, en fixant son œil pénétrant sur Roland, comme s’il eût désiré lire dans son âme. Enfin il rompit le silence. « Votre nom est, je crois, Julien Græme ?

— Roland Græme, milord, et non pas Julien.

— C’est juste, j’étais trompé par ma mémoire ; Roland Græme du territoire contesté. Roland, vous connaissez les devoirs qui concernent le service d’une dame.

— Je devrais les connaître, milord, ayant été élevé sous les yeux de lady Avenel ; mais je me flatte de ne plus avoir à les remplir, le chevalier d’Avenel m’ayant promis…

— Silence, jeune homme interrompit le régent ; c’est à moi de parler, à vous d’entendre et d’obéir. Il est nécessaire, au moins pour quelque temps, que vous entriez derechef au service d’une dame, qui, par son rang, n’a pas d’égale eu Écosse : ce service accompli, je vous en donne ma parole de chevalier et de prince, vous verrez s’ouvrir devant vous une carrière digne de satisfaire les désirs ambitieux d’un homme à qui sa naissance donnerait le droit d’avoir les vues les plus hautes. Je vous prendrai dans ma maison et près de ma personne, ou, d’après votre choix, je vous donnerai le commandement d’une compagnie de ma garde. D’un côté comme de l’autre, c’est un avancement que le plus fier des lairds du pays serait enchanté d’assurer à son second fils.

— Oserai-je vous demander, milord, » dit Roland remarquant que le comte attendait une réponse, « à qui mes humbles services sont destinés ? »

— On vous le dira ensuite, » répondit Murray ; puis paraissant chercher à vaincre une répugnance secrète à s’expliquer davantage, il ajouta : « Au surplus, pourquoi ne vous dirais-je pas moi-même que vous allez entrer au service d’une très-illustre… d’une très-malheureuse dame… de Marie d’Écosse ?

— De la reine, milord ! » s’écria le page, incapable de cacher plus long-temps sa surprise.

« De celle qui fut la reine, » répondit Murray d’un ton de voix qui offrait un singulier mélange de mécontentement et d’embarras. Vous devez savoir, jeune homme, que son fils règne à sa place. »

Et il soupira avec une émotion qui était peut-être en partie naturelle et en partie affectée.

« Et dois-je servir Sa Grâce dans la prison où elle est renfermée ? milord, » demanda encore le page avec une simplicité franche et hardie qui déconcerta le politique rusé et puissant.

— Elle n’est point en prison, » répondit Murray avec aigreur : « à Dieu ne plaise qu’elle y soit ! Elle est seulement éloignée du gouvernement et des affaires publiques, jusqu’à ce que le royaume soit suffisamment consolidé, afin qu’elle puisse jouir sans empêchement de sa liberté naturelle, et sans que ses intentions royales puissent servir de prétexte aux menées des méchants et des ambitieux. Pour ce motif, ajouta-t-il, comme il faut lui procurer une suite convenable à son état de retraite actuelle, il devient nécessaire que je puisse avoir confiance dans les personnes qui l’entourent. Vous voyez donc que vous êtes appelé à occuper une place très-honorable en elle-même, et dont vous pourrez remplir les fonctions de manière à vous faire un ami du régent d’Écosse. Vous êtes, on me l’a dit, un jeune homme singulièrement pénétrant ; et je m’aperçois par votre regard que vous comprenez déjà ce que je voudrais vous dire sur cette affaire. Dans cet écrit sont tracés au long les points particuliers de votre devoir. Ce que j’exige de vous, c’est la fidélité ; j’entends la fidélité envers moi et envers l’État. Vous aurez donc à surveiller toutes les tentatives que l’on pourrait faire pour ouvrir quelque communication avec les lords qui se sont mis à la tête des bandes dans l’ouest, comme Hamilton, Seyton, Fleming et plusieurs autres. Il est vrai que ma gracieuse sœur, réfléchissant sur les maux infligés à ce pauvre royaume par les mauvais conseillers qui ont abusé de son caractère royal dans les temps passés, s’est déterminée de son propre mouvement à s’éloigner des affaires de l’État. Mais il est de notre devoir, comme agissant pour et au nom de notre neveu, de prévenir les malheurs qui pourraient résulter de tout changement et de toutes vacillations dans ses résolutions royales. Votre devoir sera donc de surveiller, et de rapporter à notre mère, dont notre royale sœur est la commensale pour le moment, tout ce qui peut indiquer quelque disposition à retirer sa personne du lieu de sûreté où elle est, ou à ouvrir des communications avec le dehors. Si pourtant, par vos observations, vous parveniez à découvrir quelque chose d’important, et qui allât au-delà du simple soupçon, ne manquez pas de m’en donner avis sur-le-champ par un messager spécial. Cet anneau vous servira d’autorisation pour commander ce service à un cavalier. Maintenant, partez. S’il y a dans votre tête la moitié autant d’intelligence qu’il y en a dans votre regard, vous comprenez parfaitement tout ce que j’ai voulu dire. Servez-moi fidèlement, et aussi vrai que je porte un ceinturon de comte, votre récompense sera grande. « Roland fit un profond salut, et se disposait à partir.

Le comte lui fit signe de rester.

« Je vous donne une grande preuve de confiance, jeune homme, ajouta-t-il ; car vous serez la seule personne de sa suite qui lui ait été envoyée par ma propre recommandation. Les femmes employées à son service ont été nommées par elle. Il eût été trop dur de la priver de ce privilège, quoique certains personnages aient regardé cela comme contraire à une politique sûre. Vous êtes jeune et fait pour plaire aux femmes ; mêlez-vous à leurs folies, et voyez si, sous l’apparence de la légèreté de leur sexe, elles ne couvrent pas de plus profonds desseins ; si elles creusent une mine, préparez une contre-mine. Du reste comportez-vous avec convenance et respect à l’égard de votre maîtresse. C’est une princesse, quoiqu’elle soit très malheureuse ; elle a été reine, quoique maintenant, hélas ! elle ne le soit plus. Montrez-vous donc plein de déférence, et rendez-lui tous les honneurs qui peuvent s’accorder avec la fidélité que vous devez au roi et à moi. Adieu maintenant. Cependant encore un mot. Vous allez voyager avec lord Lindesay, un homme de l’ancien monde, dur et honnête, quoique sans éducation. Prenez garde de l’offenser, car il ne souffre pas la raillerie, et vous êtes, à ce qu’on m’a dit, un peu railleur. » Il prononça ces mots en souriant, puis il ajouta : « J’aurais désiré que la mission de lord Lindesay eût été confiée à quelque grand seigneur d’un caractère moins farouche.

— Et pourquoi ce désir, milord ? » demanda le comte de Morton qui entrait dans ce moment ; « le conseil a décidé pour le mieux. Nous n’avons eu que trop de preuves de l’obstination de cette dame, et le chêne qui résiste au tranchant de la hache d’acier doit être fendu avec le coin de fer brut. Eh ! voilà donc son page ? Milord vous a sans doute donné ses instructions, jeune homme, et vous a dit comment vous deviez vous guider : je n’y ajouterai qu’un mot de mon côté. Vous allez dans le château d’un Douglas, où la trahison ne peut prospérer ; le premier instant de soupçon sera le dernier de votre vie. Mon parent William Douglas n’entend pas raillerie, et s’il a jamais sujet de vous croire perfide, vous flotterez au vent sur les créneaux du château, avant que le soleil se soit couché sur sa colère… Et la dame recevra-t-elle aussi un aumônier ?

— De temps en temps, Morton ; il serait dur de lui refuser les consolations spirituelles, qu’elle regarde comme essentielles à son salut.

— Vous avez toujours le cœur trop tendre, milord. Quoi ! un prêtre perfide pourra communiquer ses lamentations non seulement à nos ennemis en Écosse, mais aux Guise, à Rome, en Espagne, je ne sais où enfin !

— Ne craignez rien, nous prendrons de telles mesures qu’aucune trahison n’arrivera.

— Faites-y bien attention ; vous connaissez mon opinion sur la jeune fille que vous avez consenti à lui donner comme femme de chambre ; une jeune fille d’une famille qui, plus que toutes les autres, lui a toujours été dévouée, et a toujours été notre ennemie. Si nous n’avions pas agi avec prudence, elle se serait aussi pourvue d’un page, autant dans ses desseins que sa femme de chambre. J’ai entendu courir le bruit qu’une vieille fille, pèlerine catholique, qui passe au moins pour une demi-sainte, s’occupait à lui trouver une personne convenable.

— Nous avons du moins échappé à ce danger, et nous l’aurons tourné à notre avantage en lui envoyant ce jeune homme, élève de la maison de Glendinning : quant à la jeune femme de chambre, vous ne pouvez lui envier une pauvre fille en place de ses quatre nobles Marie et de leurs longues robes de soie.

— Peu m’importe la suivante, s’écria Morton ; mais je ne puis supporter l’aumônier. Je crois que les prêtres de toutes les sectes se ressemblent. Voilà John Knox, qui, après avoir tout renversé avec tant de zèle, vise maintenant à reconstruire, et a l’ambition de devenir fondateur d’écoles et de collèges avec les domaines des abbayes, les revenus des évêques, et autres dépouilles de Rome, que les nobles écossais ont gagnées l’épée à la main. Il voudrait aujourd’hui fonder de nouvelles ruches pour faire de nouveaux bourdons.

— John est un homme de Dieu, dit le régent, et son projet est d’une imagination dévote. »

Le sourire composé avec lequel ceci fut dit ôta à Morton toute possibilité de conjecturer si Murray voulait approuver le plan du réformateur écossais, ou en parler en dérision. Se tournant alors vers Roland Græme, comme s’il eût pensé qu’il avait été assez long-temps témoin de cette conversation, il lui ordonna de monter à cheval sur-le-champ, attendu que lord Lindesay était prêt depuis long-temps. Le page salua et sortit de l’appartement.

Conduit alors par Michel, il trouva son cheval sellé et préparé pour le voyage, en face de la porte du palais où étaient assemblés une vingtaine de gens d’armes, dont le chef donnait des signes non équivoques d’impatience.

« Est-ce là ce singe de page que nous avons attendu si longtemps ? demanda-t-il à l’Aile-au-Vent ; lord Ruthven atteindra le château bien avant nous. » Michel répondit affirmativement, et ajouta que le jeune homme avait été retenu par le régent pour recevoir ses dernières instructions. Le chef prononça quelques mots inarticulés qui exprimaient son acquiescement, et il appela un des gens de sa suite : « Edward, dit-il, chargez-vous de ce gaillard, et qu’il ne parle à personne. » Puis, s’adressant à un vieux gentilhomme qu’il appela sir Robert, dont l’air était très respectable, et le seul de la compagnie qui parût au-dessus du rang de domestique, il fit observer qu’ils devaient monter à cheval à la hâte.

Pendant ce discours, et tandis qu’ils traversaient la rue du faubourg, Roland eut le temps d’examiner plus exactement les regards et la figure du baron, qui était à leur tête. Lord Lindesay de Byres n’avait encore que faiblement senti le poids des ans ; sa taille droite et ses membres robustes prouvaient qu’il était encore en état de soutenir tous les travaux et toutes les fatigues de la guerre ; ses sourcils épais, grisonnant en partie, s’abaissaient sur des yeux grands et pleins d’un feu sombre, que rendait plus sombre encore la profondeur de leur cavité ; ses traits, naturellement prononcés et durs, étaient rendus plus rudes par une ou deux cicatrices qu’il avait reçues à la guerre. Ces traits, qui semblaient faits pour exprimer de fortes passions, étaient ombragés par un casque d’acier sans visière, sur le gorgerin duquel tombait la barbe noire et grisonnante du vieux baron, et qui cachait entièrement la partie inférieure de sa figure. Le reste de son habillement était un justaucorps de buffle, peu serré, qui avait été autrefois doublé de soie et orné de broderies, mais qui paraissait très fatigué par les voyages, et endommagé par des entailles qu’il avait sans doute reçues dans les combats ; ce vêtement couvrait un corselet d’acier jadis poli et bien doré, mais maintenant attaqué par la rouille. Une épée, de forme antique, et d’une longueur peu commune, faite pour être maniée des deux mains, espèce d’arme qui commençait alors à n’être plus en usage, était attachée à son baudrier, et disposée de manière à longer toute sa personne, de sorte que l’énorme poignée de l’arme s’élevait au-dessus de son épaule gauche, et que la pointe, atteignant de bien près le talon droit, frappait son éperon lorsqu’il marchait. Cette arme pesante ne pouvait être dégainée qu’en élevant la poignée au-dessus de l’épaule gauche par le moyen de la lame elle-même, car aucun bras humain n’était assez long pour la tirer de la manière ordinaire. Tout l’équipement de lord Lindesay était celui d’un soldat grossier, négligeant son extérieur comme un sombre misanthrope. Son ton bref, dur et hautain envers ses subordonnés, appartenait à ce même caractère de rudesse.

Le personnage qui marchait avec lord Lindesay, à la tête de la troupe, offrait un contraste frappant par ses manières, son air et ses traits. Ses cheveux fins comme la soie étaient déjà blancs, quoiqu’il ne parût pas avoir plus de quarante-cinq à cinquante ans. Son ton de voix était doux et insinuant ; sa taille mince et maigre s’était courbée par habitude. Sa figure pâle exprimait la finesse et l’intelligence ; son œil était vif, quoique plein de douceur, et toutes ses manières étaient gracieuses. Il montait un petit cheval habitué à l’amble, tels que ceux dont se servaient ordinairement les dames, les ecclésiastiques et les hommes livrés à des professions paisibles. Il portait un habit de cavalier en velours noir, avec une toque et une plume de même couleur, attachée avec un médaillon d’or : enfin, par pure ostentation, et comme une marque de son rang plutôt que pour en faire usage, il avait au côté une épée de ville, rapière courte et légère, sans aucune autre arme offensive ou défensive.

La cavalcade avait quitté la ville, et s’avançait d’un pas ferme vers l’ouest. À mesure qu’elle poursuivait sa route, Roland aurait été charmé d’apprendre quelque chose de précis concernant le but de ce voyage ; mais l’air du personnage près duquel on l’avait placé dans le cortège lui ôta tout désir de familiarité. Le baron lui-même ne paraissait pas plus farouche et plus inaccessible que ne l’était son fidèle Edward : ce silencieux personnage avait une barbe grise qui lui tombait sur la bouche, telle que la herse devant la porte d’un château, comme pour empêcher qu’aucun mot ne s’en échappât sans nécessité absolue. Le reste de la troupe semblait sous la même influence de taciturnité, et marchait sans échanger un seul mot, ressemblant plutôt à une compagnie de chartreux qu’à une troupe de serviteurs militaires. Roland Græme fut surpris d’une discipline aussi sévère, car même dans la maison du chevalier d’Avenel, distinguée par l’exactitude du décorum, une marche était une époque de liberté où il était loisible de plaisanter, de chanter, en un mot de faire tout ce qui ne dépassait pas les bornes d’une gaieté convenable. Ce silence extraordinaire fut cependant agréable sous un rapport à notre jeune héros ; car il lui donna le temps de concentrer toutes les forces de son jugement pour examiner sa situation, qui, aux yeux de toute personne raisonnable, aurait paru des plus dangereuses et des plus embarrassantes.

Il était tout à fait évident que, par suite de plusieurs circonstances indépendantes de sa volonté, Roland avait formé des liaisons avec chacune des deux factions ennemies dont les querelles troublaient le royaume, bien qu’il ne fût, à proprement parler, attaché ni à l’une ni à l’autre. Il paraissait également certain que la place de page dans la maison de la reine déposée, à laquelle il venait d’être promu par l’influence du régent, lui avait été destinée par son enthousiaste aïeule, Madeleine Græme ; car, à ce sujet, les paroles qui étaient échappées à Morton avaient été pour lui un rayon de lumière. Cependant il n’était pas moins évident que le régent et Madeleine Græme, l’un ennemi déclaré, l’autre fougueux défenseur de la religion catholique, l’un à la tête du nouveau gouvernement du roi, l’autre regardant ce gouvernement comme une usurpation criminelle, devaient exiger et attendre des services bien différents de l’individu qu’ils s’étaient accordés à recommander. Il ne fallait que très-peu de réflexion pour prévoir que ces prétentions contradictoires pourraient le placer bientôt dans une situation où son honneur ainsi que sa vie se trouveraient en danger. Mais Roland n’était pas d’humeur à prévoir le mal avant qu’il arrivât, ou à se préparer à combattre des difficultés avant qu’elles se présentassent. « Je vais voir, disait-il, cette belle et infortunée Marie Stuart dont j’ai tant ouï parler ! et il sera bien assez temps alors de me décider si je me rangerai du parti du roi ou de celui de la reine. Ni l’un ni l’autre ne peut dire que je lui aie engagé ma parole, ni que je lui aie fait de promesse ; car ils m’ont tous entraîné en aveugle, sans me donner la moindre lumière sur ce que j’avais à faire. Mais il est heureux que le farouche Douglas soit entré ce matin dans le cabinet du régent, autrement je ne me serais jamais débarrassé de lui sans jurer solennellement de faire tout ce qu’il attendait de moi : et après tout c’est jouer un tour infâme à cette pauvre reine prisonnière que de placer près d’elle un page pour l’espionner. »

Ayant passé aussi légèrement sur une matière de cette importance, le jeune étourdi laissa errer ses pensées sur des sujets plus agréables. Tantôt il admirait les tours gothiques de Barnbougle, qui, s’élevant sur un rocher battu par la mer, dominent un des plus beaux paysages de l’Écosse ; tantôt il considérait combien le pays varié où il voyageait devait procurer de plaisir aux amateurs de la chasse, aux chiens et aux faucons ; tantôt enfin il comparait la marche lente et monotone de ce voyage aux délices de parcourir librement les collines et les vallons pour se livrer à ses amusements favoris. Excité par ce joyeux souvenir, il donna un coup d’éperon à son cheval, et lui fit exécuter une caracole ; ce qui lui attira aussitôt une réprimande de son austère voisin, qui lui signifia de garder le pas, et de marcher tranquillement et en bon ordre, à moins qu’il ne désirât qu’on prît de ses mouvements hors de la ligne, une note qui probablement lui serait très-désagréable.

Cette censure et la contrainte à laquelle Roland se trouva obligé rappelèrent à son souvenir son guide, son compagnon Adam Woodcock, toujours accommodant, toujours de bonne humeur. De ce point de départ, son imagination fit une rapide excursion jusqu’au château d’Avenel, à la vie libre et paisible des habitants, à la bonté de la protectrice de son enfance, n’oubliant pas les hôtes des écuries, des chenils et de la fauconnerie. Mais tous ces sujets de méditation firent bientôt place au souvenir de Catherine Seyton, de cette énigme vivante, qui se présentait à son esprit, tantôt sous ses formes féminines, tantôt sous ses vêtements de page, tantôt sous les deux à la fois : tel un songe fantastique nous offre au même instant le même individu sous deux caractères différents. Le don mystérieux qu’il en avait reçu revint aussi à sa mémoire : cette épée qu’il portait alors à son côté, et qu’il ne devait tirer du fourreau que par l’ordre de sa souveraine légitime. Mais il était probable qu’il allait trouver la clef de ce mystère à la fin de son voyage.

Comme de pareilles idées passaient dans son esprit, Roland Græme, avec la troupe de lord Lindesay, arriva sur les bords du Queen’s-Ferry : ils le traversèrent dans des bateaux qu’on tenait prêts à les recevoir. La seule aventure qui leur survint dans ce passage fut qu’un de leurs chevaux s’estropia en entrant dans le bateau, accident qui n’était pas rare alors, et qui n’a cessé que depuis quelques années, le passage ayant été rendu plus facile. Mais un fait qui caractérise plus particulièrement ces temps reculés, c’est qu’on fit feu sur la cavalcade, d’une couleuvrine placée sur les créneaux du vieux château de Rosythe, situé au nord de ce lac, château dont le seigneur, se trouvant avoir quelque querelle publique ou privée avec lord Lindesay, employait cette manière d’exprimer son ressentiment. L’insulte cependant n’ayant eu aucun résultat fâcheux, resta sans vengeance, et nul événement digne de remarque n’eut lieu jusqu’à ce que la troupe fût arrivée à l’endroit où le Lochleven étendait ses magnifiques nappes d’eau aux rayons d’un brillant soleil.

Un antique château, qui occupe une île située presque au centre de ce lac, rappela au page le manoir d’Avenel où il avait été élevé. Mais ce lac était beaucoup plus considérable, et parsemé de plusieurs îles, indépendamment de celle sur laquelle la forteresse était située. Au lieu d’être entouré de collines comme Celui d’Avenel, le Lochleven avait seulement, du côté du sud, un majestueux rempart de montagnes, formé par l’extrémité de l’une des chaînes du Ben-Lomond : de l’autre côté, le lac était environné par la vaste et fertile plaine de Kinross.

Roland contempla, non sans une sorte de consternation, cette forteresse entourée d’eau, qui, alors comme aujourd’hui, ne consistait qu’en un large donjon environné d’une cour, laquelle était flanquée de deux tours rondes à ses angles, et renfermait dans son circuit d’autres bâtiments de peu d’importance. Quelques vieux arbres groupés près du château faisaient seuls diversion au sombre aspect de cette retraite. Le page, en considérant cet édifice si complètement isolé, ne put s’empêcher de gémir sur la situation d’une princesse captive, condamnée à demeurer dans de pareils lieux, et de se plaindre un peu en même temps de sa propre destinée.

« Il faut, pensa-t-il, que je sois né sous l’astre qui préside aux dames et aux lacs ; car je ne puis, d’aucune manière, éviter d’entrer au service des unes, et de demeurer au milieu des autres. Mais s’ils ne m’accordent là-bas une liberté complète dans mes amusements et mes exercices, ils trouveront qu’il n’est pas plus difficile d’y enfermer un canard sauvage qu’un jeune homme en état de nager comme lui. »

La troupe venait d’atteindre le bord de l’eau, et un des hommes s’avança en déployant l’étendard de lord Lindesay et en l’agitant de droite et de gauche, tandis que le baron lui-même sonnait fortement de son cor de chasse. Pour répondre à ce signal, on arbora au même instant une bannière sur le toit du château, et deux hommes s’occupèrent à démarrer une barque sur le rivage de l’île.

« Il faudra encore quelque temps avant qu’ils puissent arriver jusqu’à nous, dit le compagnon de lord Lindesay : ne ferions-nous pas bien d’aller jusqu’à la ville pour mettre ordre à notre toilette avant de paraître en présence ?…

— Faites ce qu’il vous plaira, sir Robert, répondit Lindesay : quant à moi, je n’ai ni le temps ni l’envie de penser à de telles vanités. Cette femme m’a coûté plus d’une pénible promenade à cheval, et maintenant elle ne s’offensera pas d’un manteau usé et d’un pourpoint troué : c’est la livrée à laquelle elle a habitué l’Écosse.

— Ne parlez pas si durement, dit sir Robert, si elle a eu des torts, elle les a chèrement payés ; et en lui ôtant tout pouvoir réel, on ne voudrait pas lui refuser les hommages extérieurs qui sont dus à une femme et à une princesse.

— Je vous le répète, sir Robert, faites ce qu’il vous plaira ; quant à moi, je suis maintenant trop vieux pour m’ajuster comme un galant afin d’orner le boudoir des dames.

— Le boudoir des dames, milord ! » dit Robert Melville en regardant la vieille tour grossière, « est-ce à ce sombre château, prison d’une reine captive, que vous donnez un nom si riant ?

— Nommez-le comme il vous plaira, répondit Lindesay ; si le régent avait désiré envoyer un homme capable d’entretenir galamment une reine captive, il est plus d’un noble à sa cour qui aurait brigué l’occasion de répéter quelque beau discours tiré d’Amadis des Gaules ou du Miroir de la chevalerie. Mais, quand il a nommé le vieux et rude Lindesay, le comte de Murray savait que Lindesay parlerait à une femme mal conseillée, comme ses anciennes fautes et sa situation actuelle l’exigent. Je n’ai pas recherché cet emploi ; on m’a pour ainsi dire forcé de le prendre, et pour le remplir, je ne veux pas m’astreindre à plus de cérémonie qu’il n’en faut en pareille circonstance. »

À ces mots, lord Lindesay sauta à bas de son cheval, et, s’enveloppant de son manteau de cavalier, s’étendit nonchalamment sur le gazon, en attendant l’arrivée de la barque qu’on voyait alors venir du château vers le rivage. Sir Robert Melville, qui avait aussi mis pied à terre, se promenait çà et là sur le rivage, les bras croisés sur la poitrine, regardant souvent le château, et offrant dans tout son air un mélange de chagrin et d’inquiétude. Le reste de la troupe était immobile à cheval comme un groupe de statues, et l’on ne voyait pas même remuer le bout des lances dressées perpendiculairement vers le ciel.

Dès que le bateau s’approcha d’un quai mal construit qui servait de lieu d’embarquement et de débarquement, et près duquel on s’était arrêté, lord Lindesay se leva, et demanda à l’homme qui gourvernait la barque, pourquoi il n’en avait pas amené une plus vaste pour transporter sa suite,

« Sous votre bon plaisir, répondit le batelier, notre maîtresse nous a ordonné de ne pas amener au château plus de quatre personnes.

— Ta maîtresse est bien prudente, s’écria lord Lindesay, de me soupçonner de trahison ! Si j’en avais le dessein, qui m’empêcherait de te jeter dans le lac, toi et tes camarades, et d’emplir le bateau de mes gens ? »

En entendant ces mots, le batelier s’empressa de faire signe à ses compagnons, qui se mirent à ramer, et s’éloignèrent du rivage qu’ils étaient près de toucher.

« Eh bien, animal ! » s’écria encore plus fort Lindesay, « penses-tu sérieusement que j’en veuille à ton imbécile de tête ? Écoute, mon ami, je ne quitterai pas le rivage sans avoir avec moi trois de mes gens ; et sir Robert Melville exigera d’être accompagné au moins d’un de ses domestiques. Ce sera donc à vos risques et à ceux de votre maîtresse, si vous refusez de nous admettre, étant venu ici pour des affaires d’un grand intérêt national. »

Le batelier répondit avec fermeté, quoique avec beaucoup de politesse, qu’on lui avait recommandé positivement de n’amener que quatre personnes dans l’île : il offrit pourtant de retourner pour obtenir une révocation de cet ordre.

« Allez, mon ami, répondit sir Robert Melville, après s’être efforcé en vain de persuader à son opiniâtre compagnon de consentir à diminuer sa suite : « retournez au château, puisque vous ne pouvez faire mieux, et obtenez les ordres de votre maîtresse pour y transporter lord Lindesay, moi-même et notre suite.

— Écoute, ajouta lord Lindesay, prends ce page dans ta barque, il vient servir la dame qui demeure chez ta maîtresse. Allons, jeune drôle, pied à terre, » dit-il en s’adressant à Roland, « et embarque-toi avec eux.

— Et que deviendra mon cheval ! objecta Roland ; j’en suis responsable envers mon maître.

— Je te soulagerai de ce soin, répliqua Lindesay ; tu auras peu affaire avec les chevaux d’ici à dix ans.

— Si je le croyais !… » s’écria Roland. Mais sir Robert Melville l’interrompit en lui disant d’un air de bonne humeur : « Ne disputez pas, mon jeune ami, la résistance ne servirait à rien, et pourrait même vous être dangereuse. » Roland Græme sentit la justesse de ces paroles ; et quoiqu’il ne fût charmé, ni pour le fond, ni pour la forme, de ce que lord Lindesay venait de lui dire, il jugea à propos de se soumettre à la nécessité, et de s’embarquer sans répliquer davantage.

Les rameurs se mirent aussitôt en activité. Le quai et les cavaliers semblaient s’éloigner des yeux du page, tandis que le château et l’île paraissaient s’en approcher dans la même proportion. En peu d’instants il aborda sous l’ombrage d’un vieil arbre immense qui dominait le lieu de débarquement. Le patron et Græme sautèrent sur le rivage, tandis que les bateliers, appuyés sur leurs rames, restèrent prêts au moindre signal.