L’Académie française sous l’ancien régime/Avant-propos

La bibliothèque libre.
L’Académie française sous l’ancien régime
Librairie Hachette et Cie (p. v-ix).
AVANT-PROPOS


Les chapitres de ce volume ont paru à différents intervalles dans la Revue des Deux Mondes[1] ; mais ils ont ceci de commun, qu’ils se rapportent tous à l’ancienne Académie française. Ils sont du temps où Gaston Boissier était devenu secrétaire perpétuel. Ce fut aussi la période où les choses de l’Académie, qui lui avaient toujours tenu au cœur, prirent nécessairement pour lui une importance encore plus grande. Lorsqu’il eut déposé le fardeau de son double enseignement à l’École Normale et au Collège de France, elles finirent par l'occuper tout entier. La dernière année de sa vie, il avait même pris congé de ses chers Latins ; il voulait consacrer tout ce qui lui restait de forces à la compagnie dont il était chargé de garder les traditions.

Il était fait pour elle, comme elle était faite pour lui : tous deux, dès le début, s’accordèrent à merveille. Il ne ressemblait guère à ce personnage, qu’il s’est plu à peindre cependant, parce qu’il trouvait en lui un merveilleux don de vie, à ce petit duc de Saint-Simon bilieux, rageur et rancunier, qui déclarait n’être point « sujet académique » par sa manière d’écrire, — et qui ne l’était non plus d’aucune autre manière. M. Boissier, à l’inverse, était vraiment, si l’on peut dire, académicien-né. J’entends par là qu’une société distinguée et choisie, une réunion d’hommes du monde, où l’on s’entretient de littérature et d’histoire, où les discussions perdent leur vivacité agressive pour faire place à des conversations courtoises, où l’esprit enfin garde tous ses droits, était le cadre où ses qualités trouvaient le mieux leur emploi, celui qui convenait à sa nature, à son goût si cultivé et si fin, à son tempérament modéré, à son talent de causeur.

Il avait souvent souhaité d’y être un jour accueilli. Dès l’époque où il était simple professeur au collège royal de Nîmes — c’est lui-même qui le rappelait, dans une allocution adressée précisément à ses compatriotes nîmois, — écrire à la Revue des Deux Mondes, puis entrer à l’Académie française lui apparaissait comme un but lointain, idéal peut-être, mais comme le but tout de même qu’il lui fallait proposer à son activité. Si une vie est belle, quand, selon le mot connu, elle est un rêve de jeunesse réalisé dans l’âge mûr, la sienne n’a pas été manquée, et il a du être heureux.

Il l’a été, en effet. Il jouissait d’être académicien, mais sans vanité, avec cette franche et souriante bonhomie qu’il mettait dans toute chose. Il avait plaisir à parler de ses occupations académiques, de ses fonctions de secrétaire perpétuel, auxquelles il apportait le zèle le plus actif et la conscience la plus scrupuleuse. Il aimait à raconter, toujours amusé, ce qui se disait ou faisait à telle ou telle séance. Il racontait d’ailleurs, avec la même information précise et sure, avec la même verve, ce qui s’y était fait ou dit autrefois. Car c’était un curieux de tout, du passé aussi bien que du présent ; ou plutôt, les choses passées lui redevenaient présentes elles-mêmes, tant il savait se rendre contemporain des époques antérieures, les ressusciter pour lui et pour les autres. L’histoire de l’Académie lui était ainsi plus familière qu’à personne : hommes et institution revivaient sous ses yeux. On pouvait l’interroger sur les origines de la compagnie, sur ses règlements, ses usages, ses travaux, sur le rôle des confrères qui l’avaient précédé ; il restait rarement sans réponse. Il avait consulté les archives, dépouillé les imprimés, pris des notes abondantes, beaucoup lu, beaucoup entendu, beaucoup retenu.

Ce sont ces notes et ces souvenirs qui ont fourni la matière des quatre articles que je réunis aujourd’hui en volume. Malheureusement les deux premiers seuls ont été entièrement écrits par lui. Les deux autres, relatifs à Chamfort, il les a préparés, en a déterminé le plan ; il commençait à les rédiger, quand la plume lui est tombée des mains. Ils ont été achevés après sa mort, complétés et mis au point d’après les papiers qu’il a laissés. Je dois ce détail au public, pour ne pas faire peser sur une mémoire chère une responsabilité qu’elle n’a point. Si l’on ne retrouve pas dans les pages en question la bonne grâce spirituelle, le joli tour d’une élégance si aisée, le charme de style auquel M. Boissier avait habitué ses lecteurs, on saura que ce n’est pas de lui que proviennent les défaillances.

Edmond COURBAUD.

Juin 1909.

  1. Sauf les pages sur Marmontel qui ont été lues le 29 octobre 1899 à Saint-Aubin-sur-Gaillon, quand fut inauguré dans cette petite commune du département de l’Eure, le monument du dernier secrétaire perpétuel de l’ancienne Académie.