L’Adjuvilo/II

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Chapitre II
Le Principe fondamental de la langue auxiliaire
Comment il est appliqué dans l’Ido simplifié ou Adjuvilo

1. — La réforme devra consister essentiellement et avant tout dans les points suivants :

Régularisation de l’accentuation des mots ;

Régularisation et simplification de la règle de formation du pluriel dans l’article, les adjectifs, les substantifs, les pronoms ;

Suppression complète de l’accusatif ;

Simplification de la conjugaison par la suppression de la voix passive synthétique et des cinq infinitifs superflus.

Simplification dans la formation des adjectifs possessifs, et suppression des formes irrégulières ;

Régularisation de la dérivation, et unification des désinences adjectives-pronominales.

Amélioration de l’aspect général de la langue, à laquelle on donnera un caractère plus naturel, ainsi qu’une sonorité plus grande.

Revision sérieuse des affixes et du vocabulaire : Suppression de plusieurs défectuosités de détail et substitutions de formes meilleures aux formes mauvaises où insuffisamment internationales.

2. — Le pluriel Espéranto en j, que la plupart des réformistes trouvent insuffisamment harmonieuse[1], a cependant sur le pluriel de l’Ido primitif un très grand avantage : Il est plus simple, et s’ajoute sans aucune difficulté à la terminaison des noms, adjectifs, pronoms relatifs, tout en respectant et l’accentuation normale, et la finale caractéristique. Ces deux points sont particulièrement Importants,

Il faudra donc en revenir à l’ancienne forme du pluriel, ou bien en adopter une autre qui soit aussi bonne ou meilleure.

La terminaison s qui est usitée comme marque du pluriel par plus de 350 millions d’individus, apparaît immédiatement comme la solution de tous points la plus satisfaisante. Elle s’ajoutera avec une extrême facilité à tous les mots susceptibles de prendre la marque du pluriel. Par elle la langue gagnera en force, en harmonie et en sonorité : elle revêtira ce cachet de franc néolatinisme postulé par son vocabulaire, néolatinisme dont la langue castillane nous apparaît comme l’incarnation la plus pure.

Ce cachet manque à l’Ido primitif ; il fait à ceux qui voudraient le parler, l’impression d’une langue inachevée.

La sonorité que gagnera la langue Ido par cette nouvelle forme de pluriel augmentera sa compréhensibilité. Avec moins d’efforts l’orateur des futurs congrès internationaux se fera entendre de tous ; avec plus de douceur et de force à la fois la langue internationale exprimera dans la littérature et dans la poésie[2] nos sentiments et nos impressions.

3. — Évidemment, nous devrons donner à la conjugaison une terminaison nouvelle. Mais nous n’aurons pas à perdre au change : La terminaison s est arbitraire. La terminaison n ne l’est pas, et, par une remarquable coïncidence, se rencontre dans la conjugaison d’une multitude de langues appartenant aux familles les plus diverses. Nous l’adopterons, et nous n’aurons pas à regretter de dire : las avios kantan sur las arboros de nosa jardeno[3], au lieu de : la uceli kantas sur la arbori di nia gardeno (les oiseaux chantent sur les arbres de notre jardin).

4. — Naturellement pour rien au monde nous ne conserverons l’horrible ez, pour marquer le subjonctif impératif ; la terminaison en vient trop bien à point, et là encore, en disant « Propagen vos Adjuvilo » nous serons immédiatement compris des allemands qui diront : « Verbreiten Sie Adjuvilo ! », et des espagnols qui disent : « Propagen Vds Adjuvilo ! »

5. — L’infinitif en i commun d’ailleurs à 6 ou 7 langues a d’innombrables avantages : il laisse à la racine son accentuation normale, il assigne au verbe une caractéristique simple, immédiatement correspondante aux finales o, a, e du substantif, de l’adjectif et de l’adverbe.

Il peut de plus s’ajouter sans choquer aux racines latines quelle qu’en soit la conjugaison (dormi, veni) ainsi qu’aux racines germaniques qui gémissaient de se voir affublées brutalement par l’Ido d’un ar qui n’a rien d’artistique (ex. lernar, drinkar, aussi grossiers que dormar et venar).

6. — Quant à l’accusatif, il est regrettable que l’Ido primitif n’ait fait qu’en compliquer l’usage, alors qu’il était si facile de le supprimer radicalement.

Il’est un cas, disent-ils, où l’accusatif est utile, et un cas où il est nécessaire. Il est utile dans les inversions. — Mais l’Espagnol et l’italien ne le possèdent pas et ont des inversions tout de même ! On évitera simplement les inversions qui seraient amphibologiques ; on pourra traduire : J’ai acheté des livres, par : Libros me komprin ; mais on ne fera pas d’inversion dans des phrases de ce genre : Pierre a battu Monsieur X… parce qu’il y aurait amphibologie. Il n’est qu’un seul cas où l’accusatif soit nécessaire, c’est dans l’usage du relatif complément. À l’exemple de l’anglais, de l’espagnol et de toutes les langues néolatines, nous aurons un pronom complément à forme invariable. À côté de qua (qui) de quo (quoi) nous aurons que (que), qui se présente à nous comme le plus international.

Le monsieur que vous avez vu ici possède ces champs que nous avons admirés pendant notre voyage : La siro que vu vidin hike, posedan las agros, que nos admirin dum nosa voyajo.

De même dans la forme interrogative on pourra dire : Que vu vidin ? pour traduire : Qui ou quoi avez-vous vu ? Si l’on veut nettement faire la distinction personnechose, singulier ou pluriel, rien de plus simple que d’employer les formes qua-que vu vidin ? quo-que vu vidin ? quas-que vu vidin ? formes absolument équivalentes aux formes françaises qui-est-ce que ? ou qu’est-ce que ? N’entendons-nous pas chaque jour les enfants, les paysans et les hommes du peuple dire beaucoup plus simplement, bien qu’incorrectement, quoique vous désirez, Monsieur ? qui que vous voulez voir ? En Adjuvilo nous emploirons cette forme simple ; (quoque vu komprin ? équivaut à quo estas tio que vu komprin ?)[4]

7. — Nous avons vu que pour personnaliser un adjectif, l’Ido lui donne tantôt la terminaison o (bono, richo), tantôt simplement la terminaison a (mea, ta, ca, qua) et tantôt la terminaison u (ulu, nulu, irgu), sans que rien ne puisse justifier cette multiplicité de formes. Une étude attentive nous a convaincu que non seulement une désinence spéciale pour la personne n’est point nécessaire, mais qu’elle conduit à d’inévitables complications.

Dans presque toutes les langues, d’ailleurs y compris l’Esperanto, la forme adjective suffit pour les personnes et est employée dans beaucoup de cas. On dit en français : Nul ne sait : aussi bien que Personne ne sait ; en Esperanto : Neniu scias ; pourquoi ne dirait-on pas en Ido : Nula savan ?

De plus si nous adoptions les formes nulu, omnu, altru, kelku, nous devrions au pluriel ou suivre la règle générale, et nous aurions nulus, omnus, altrus, etc., ce qui est choquant, ou bien introduire une exception, et qui est contraire au principe inviolable de la plus grande facilité. — On dira donc en gardant simplement la terminaison a :

Algunas asertan, algunas negan, las unas diran blanke, las altras diran nigre, omnas pensan divers-maniere : (Les uns affirment, les autres nient, tous pensent de diverse façon).

Ce système vaudra non seulement pour les adjectifs-pronoms relatifs, démonstratifsindéfinis, mais encore pour les adjectifs qualificatifs. Sans recourir chaque fois au suffixe ulo comme le fait l’Esperanto, on dira très bien : un richa au lieu de un richulo ; la richas e la matrichas au lieu de la richulos e la malrichulos, etc. (Les adjectifs ainsi isolés s’appliqueront naturellement aux personnes et ne désigneront les choses que si le contexte l’indique. Il n’y a donc pas de confusion possible).

8. — Dans le vocabulaire nous reverrons avec soin toutes les racines : à plusieurs trop arbitraires et insuffisamment internationales, nous en substituerons de meilleures : Ucelo purement italien sera remplacé par avio ; hano, hanino deviendront galo et galino ; dio perdra son sens de jour et redeviendra dieu ; kelka, purement français sera remplacé par alguna, commun à trois grandes langues ; cen redeviendra scen ; kam, kin et kande redeviendront : quam, quin et quande. — Le sanscrit (?) ad sera remplacé par le latin num ; l’italien di sera remplacé par l’international de ; l’arbitraire ol sera remplacé par it. Damszelo, signifiera non point mademoiselle mais Damoiseau (jeune monsieur) et demoiselle se dira damzelino. Si tranchi signifie « couper en général » razi « Couper avec un rasoir » tondi « couper avec une tondeuse » pourquoi kuti ne signifierait-il pas « couper avec un couteau » ? Nous aurions pour « couteau » kutilo comme nous avons pour « rasoir » razilo et pour tondeuse tondilo.

Voilà dans quel sens nous reverrons le vocabulaire de l’Ido.

Nous augmenterons l’internationalité de certains mots par l’adoption des racines hybrides : Ex : sulo, (soleil) que l’on trouve dans maints dialectes latins ou germains unira les tributaires du sol à ceux du sun : dago (jour) représente à la fois le tag allemand et le day anglais, etc.

Enfin, nous ferons disparaître les horribles[5] terminaisons en yo, qui font ressembler la langue internationale à quelque grossier patois, et nous écrirons — comme tout le monde — familio, filio, etc.

9. — Il nous reste à revoir les affixes.

Peut-on dire que décoller soit le contraire de coller au même titre que mauvais est le contraire de bon ? de même déplier est-il, par rapport à plier ; ou découvrir relativement à couvrir, ce que sot est rapport à sage ? Est-il logique d’employer le préfixe mal dans l’un et l’autre cas ? Évidemment non !

Nous devons donc introduire le suffixe international des devant les racines exprimant une action, (racines verbales). Mal sera employé devant les racines exprimant une qualité (racines adjectives). Ex : Le malheureux homme déplia son manteau. La malfelicha viro desfaldis sua mantelo.

À côté de al signifiant « qui a rapport à » on introduira de même facultativement le suffixe ik dans le sens de « qui procède de », « qui découle de », « qui est la conséquence de ».

Ex. Cela, c’est de l’enfantillage : Tio estan nur infantikajo. Du reste ces deux suffixes ne seront employés que dans les cas de réelle utilité, quand la simple désinence a (moins précise) ne suffit pas.

Le préfixe ek marquera, comme en Esperanto, l’inchoation : ekklami s’écrier, ekdormi s’endormir etc., tandis que esk aura le sens précis de devenir tel : Ex. : Malyuneski, vieilli, — nokteski devenir nuit. —

isk, qui équivaut à at- ou it-eski, (dont on pourra le considérer comme une contraction) ne s’emploiera qu’avec les racines verbales, et traduira ce que M. de Beaufront rappelle « les faux verbes réfléchis ». Ex. : troviski, se trouver (= trovateski — ou troviteski).

if aura son vrai sens international de rendre tel : belifi, rendre beau, embellir ; bonifi, bonifier ; simplifi, simplifier, etc…

ig, faire ne s’emploiera qu’avec les verbes : amigi, faire aimer ; kantigi, faire chanter ; lernigi, faire apprendre, etc…

ac (suffixe nouveau) signifiera « produire naturellement, engendrer, secréter », floraci, fleurir ; fruktaci fructilier ; sangaci, saigner, etc…

Mais on ne dira pas sigaraci ou armaci, ce qui serait absurde.

er signifiera qui porte (même signification que yer en ido primitif). Kandelero, chandelier ; pomero, pommier ; figero, figuier ; sigarero, fume-cigare, etc.

on a le sens d’unité, et s’emploie pour une chose déterminée dont la collection forme un tout : Sablo, sable, sablono, un grain de sable ; grelo, grêle, grelono, un grélon ; kateno chaîne, katenono un chênon ; cent, cent, centono un centième ; dek, dix, dekono un dixième, etc. Il est très intéressant de remarquer, que ce suffixe est l’opposé direct de aro, et qu’il ne peut s’ajouter qu’a des mots qui ont un sens collectif Sablo = sabl-on-aro ; kateno = katen-on-aro, de même que cento = cent-on-aro.

el (suffixe nouveau) indique le fragment, la parcelle (non l’unité) : sablono, grain de sable sablonelo, parcelle ou fragment de grain de sable ; polvelo signifie un brin de poussière ; fayrelo, une étincelle, vitrelo un fragment de verre, etc.

or, qui ne s’adaptera qu’aux racines verbales, signifiera l’agent[6] et par extension, désignera l’amateur. Instrukti, instruktoro ; inspehti, inspektoro. Combiné avec ad (suffixe de durée) il nous ramène tout à fait à la forme espagnole en ador : kantadoro, paroladoro, pensadoro, korektadoro, ludadoro.

En résumé :

L’Ido simplifié, conserve avec le sens primitif les préfixes bo, ge, mal, mi, mis, ne, pre, re, retro, seules suffixes : ach, ad, aj, al, an, ar, atr, ebl, eg, em, end, es, estr, et, ey, id, il, in, ind, ism, ist, iv, iz, oz, ul, um, ur, uy.

Sept affixes ont un sens différent de l’Ido primitif : Ce sont :
les préfixes : ek et mal.
les suffixes, er, if, ig, on, esk.

L’Ido simplifié accepte six affixes nouveaux : des, ik, or, ac, el, isk, et supprime ij et yun.


  1. Prononcée comme elle doit l’être, la terminaison en j n’est nullement inharmonieuse. Mais le principe d’internationalité nous oblige à lui préférer la terminaison s.
  2. À ceux qui craindraient, au point de vue de l’euphonie la fréquence des s, nous leur rappellerons que l’Espagnol, l’une des langues les plus harmonieuses, sinon la plus harmonieuse de toutes, en contient 12 % de plus que l’Adjuvilo. Lui en fit on jamais un reproche ? On pourrait éviter d’ailleurs sans inconvénient aucun, d’employer le pluriel dans l’article et les participes où il n’y a pas la même nécessité que dans les autres cas. Ex : Nos estin rigardanta la kumpos au lieu de : Nos estin rigardantas las Kampos.
  3. En espagnol : los pajaros cantan sobre los arboles de nuestro jardin.
  4. Si l’on craint que cette forme — qui sera du reste rarement employée, — soit trop lourde, on pourra beaucoup plus simplement distinguer le complément du sujet par la place qu’ils occupent dans la proposition. Qua vu vidin = Qui avez-vous vu ? Qua vidin vu = Qui vous a vu ?
  5. Ce qualificatif est emprunté à un partisan de l’Ido lui-même.
  6. ist subsistera avec son sens de métier, profession.