L’Affaire Baudin (1868)

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L’Affaire Baudin (1868)
Revue des Deux Mondes5e période, tome 33 (p. 280-319).
L’AFFAIRE BAUDIN
(1868)


I

L’abolition du régime discrétionnaire de la presse n’eut pas seulement pour effet de rendre très hardie la polémique devenue plus indépendante des journaux de partis déjà autorisés tels que le Temps de l’orléaniste Nefftzer, l’Avenir national du jacobin Peyrat, l’Univers de Louis Veuillot[1], reparu après une longue suspension. Elle suscita en province et à Paris la création de nouveaux journaux non moins hostiles : la Tribune de Pelletan, l’Électeur libre de Picard, le Réveil de Delescluze et de Ranc, la Revue politique de Challemel-Lacour, etc. Cependant ces journaux, fondés avec de petites ressources, mal lancés, malgré le talent de leurs rédacteurs, n’obtenaient qu’un succès restreint et constituaient plutôt des centres d’action que des organes de publicité redoutables. Mais le samedi 31 mai 1868, des porteurs affairés venaient déposer dans tous les kiosques, surtout dans ceux des boulevards, une petite brochure rouge du prix élevé de 40 centimes, la Lanterne, par Henri Rochefort. Le marquis avait supprimé sa particule ; sur son frontispice il avait mis une lanterne et une corde. La lanterne signifiait : Je vais vous montrer ce qu’ils sont. Et la corde : Après cela il ne restera qu’à les pendre. On ouvre la brochure et on lit : « La France contient trente-six millions de sujets sans compter les sujets de mécontentement. » — Que c’est drôle ! s’écrie le bourgeois ravi. Il continue avidement : « J’ai été accusé, par l’employé supérieur qui m’a reçu, d’être un ennemi déclaré de l’état de choses actuelles, et un soutien de ces fameux anciens partis. Cette insinuation était d’autant moins fondée que (je n’ai pas à m’en cacher ici) je suis profondément bonapartiste. On me permettra cependant de choisir mon héros dans la dynastie. Parmi les légitimistes, les uns préfèrent Louis XVIII, d’autres Louis XVI, d’autres placent leurs sympathies sur la tête de Charles X. Comme bonapartiste, je préfère Napoléon II ; c’est mon droit. J’ajouterai même qu’il représente pour moi l’idéal du souverain. Personne ne niera qu’il ait occupé le trône, puisque son successeur s’appelle Napoléon III. Quel règne ! mes amis, quel règne ! Pas une contribution, pas de guerres inutiles, avec les décimes qui s’ensuivent ; pas d’expéditions lointaines dans lesquelles on dépense six cents millions pour aller réclamer quinze francs, pas de ministres cumulant chacun cinq ou six fonctions à cent mille francs pièce ; voilà le monarque tel que je le comprends. Oh ! oui, Napoléon II, je t’aime et je t’admire sans réserve... Qui donc osera prétendre maintenant que je ne suis pas bonapartiste ? » Ici l’enthousiasme déborde, et comme un certain matin Paris s’était éveillé en criant on ne sait pas pourquoi : « Ohé Lambert I avez-vous vu Lambert ? » de même, sur tous les boulevards ce soir-là, circula le cri : « Avez-vous lu la Lanterne ? Lisez la Lanterne ! »

On connaissait à peine Rochefort pour quelques chroniques écrites dans le Charivari ou dans le Figaro ; il devint tout à coup le héros, celui que l’on se montre dans les rues, celui auquel des dames mystérieuses écrivent des billets doux, celui que les jeunes gens applaudissent et qui entre de plain-pied dans la renommée. Son imprimeur s’était préparé pour un tirage de 15 000, on lui en demanda 120 000. Au second numéro, le succès s’accrut ; on se pâmait d’aise devant des phrases telles que celles-ci : « J’ai eu la bonne veine de saisir ce dialogue entre un garçon de café et un consommateur. — Garçon, la France. — Monsieur, quand elle sera libre. — Alors j’attendrai longtemps. » Et plus loin : « D’après une correspondance de Belgique, la démence de la princesse Charlotte, veuve de Maximilien, aurait pris un caractère tout particulier. Tout le temps que durent ses crises, elle s’écrie de minute en minute : « Dieu, comme tout est sale ! Allons qu’on nettoie tout de suite ! » Je ne suis pas aliéniste, mais si elle trouve que tout est sale et que le besoin d’un nettoyage se fait sentir, il me semble que nous n’avons pas dans toute l’Europe une princesse aussi lucide. »


II

Ignorer la Lanterne n’était point praticable, car alors ses dévergondages de paroles fussent arrivés à un tel point qu’à moins de tomber sous le mépris public, on eût été obligé de les connaître et de les réprimer ; puisqu’on était, tôt ou tard, condamné à une exécution, il fallait l’opérer incontinent, et employer la corde destinée à pendre l’Empire à pendre la Lanterne elle-même. La liberté n’y eût rien perdu, car l’ordre moral est aussi une de ses conditions, et la Lanterne en tenait trop peu compte. Au lieu de cela on eut recours d’abord à un moyen misérable : n’osant pas frapper l’œuvre, on essaya de déshonorer l’auteur ; on fit signer et répandre, par des hommes du bas-fonds, des calomnies contre Rochefort, calomnies tellement stupides que les tribunaux durent en faire justice par de sévères condamnations. — « Le pauvre ! pécaïré ! comme on dit dans mon pays, ils veulent le perdre parce qu’il les démasque ! » Et la Lanterne monta aux nues. Alors on brandit sur l’engin maudit une épée de bois : on interdit sa vente dans les kiosques. La vente chez les libraires tripla. Invention plus spirituelle : on imagina de lui infliger d’interminables communiqués. Rochefort, que je n’avais jamais vu, m’aborde dans la salle des Pas-Perdus et me demande conseil. Je lui répondis qu’il était obligé d’insérer. Il les inséra en caractères minuscules, en fit des gorges chaudes, et le public de dire : « Ah ! comme ils le craignent, ils le traitent d’égal à égal ! » Et tous les samedis, dans les gares, sur les boulevards, le petit livre flamboyait dans les mains de milliers de lecteurs.

Quelques délicats résistaient à l’entraînement. Doudan écrivait : « M. de Rochefort n’a pas le même style que M. Paradol. Ses brochures du samedi ont une vogue extraordinaire. Sa hardiesse à tout dire est le trait principal, mais il est bien singulier qu’un public qui a eu, sur les affaires du pays, les pamphlets de Courier, de Benjamin Constant, qui a pu lire Swift et Junius, se prenne de passion pour ces clameurs, légitimes, il est vrai, mais terriblement vulgaires. Ses ennemis mêmes disent que, sans être un sage, c’est un homme incapable de jouer un double jeu et qu’il satisfait simplement sa haine. Il est extraordinaire que le gouvernement, qui a une sixième chambre pour châtier même l’innocence, ne s’en prenne pas à M. de Rochefort, mais il ne faut pas demander la raison des caprices à qui n’a que des caprices[2]. » — Je ne pensais pas autrement et j’écrivais à un ami : « Je ne me félicite pas de ce succès. C’est un signe des temps, voilà ce qu’on peut dire pour l’excuser. Mais je trouve affligeant que la foule, qui reste froide, indifférente devant tant d’œuvres sérieuses, se précipite sur un pamphlet âpre, haineux, bas. Je n’admire pas ceux qui, non contens de ne voir que le côté difforme des choses, s’occupent à rendre difforme même leur côté grave. Quand on est assez heureux pour n’être pas condamné aux larmes, je comprends le rire ; j’ai horreur de la grimace. »

Toutefois tel n’était pas le sentiment général et d’aucuns, très délicats aussi, applaudissaient avec la foule. Le druidique Laprade défendait le pamphlet contre Pontmartin, qui, bien que grand faiseur de calembours lui-même, n’était pas séduit par ceux de Rochefort. « Pourvu qu’ils ne le fassent pas assassiner par un cent-gardes ! » s’écriait le poète avec exaltation en frappant du poing sur la table auprès de laquelle ils étaient assis. A quoi tenait cette fureur ? Ce n’était certainement point parce qu’elle discutait librement les actes du gouvernement, le Mexique, Sadowa. Au Corps législatif, depuis des années, Jules Favre, Picard, Thiers, avaient critiqué sans ménagement et avec plus de vigueur la politique intérieure et extérieure de Napoléon III. Le particulier et le nouveau dans la Lanterne , c’était l’attaque directe, personnelle, insultante, brutale, contre la personne même du souverain, sa famille, ses ministres. Prévost-Paradol avait décoché déjà quelques traits cruels, mais en passant et sous une forme relevée ; au contraire, les outrages en face étaient le fond même du style de Rochefort. — « Cette malheureuse personne du Souverain, a-t-il dit lui-même, je la tordais comme du vieux linge ; j’écrivais par exemple ceci : « L’État vient de commander à M. Barye la statue équestre de Napoléon III : on sait que M. Barye est un de nos plus célèbres sculpteurs d’animaux. » Et encore ceci : « M. Lachaud, le célèbre avocat d’assises, est présenté comme candidat officiel à la députation ; le choix est excellent, personne n’ignore que Lachaud défend admirablement les malfaiteurs. » Il appelait l’Impératrice a une grue couronnée, » déchirait Napoléon III dans son père et sa mère, l’appelait « le fils du Hollandais. » Et c’était précisément cela qui plaisait, transportait, produisait le formidable succès. Signe du temps, comme je l’écrivais, dont il fallait bien se rendre compte. Il s’expliquait d’abord par la haine persistante, inextinguible, des partis vaincus en 1848 et en 1851. Les Orléanistes, quoiqu’un grand nombre fussent dans les places, ne se consolaient pas d’avoir été privés du gouvernement par l’aventurier qu’ils avaient enfermé à Ham ; les républicains, auxquels on avait enlevé des dents la riche proie qu’ils avaient saisie le 24 février, n’étaient pas moins intraitables ; les légitimistes continuaient à détester quiconque n’était pas leur roi ; tous trouvaient dans ces coups de langue envenimés l’expression des colères, contenues jusque-là, qui grondaient impuissantes dans leurs cœurs. Mais cette cause, quoique très réelle, est une explication incomplète. Si Rochefort n’avait exprimé que les ressentimens des vieux partis, son tirage n’eût pas même atteint les quinze mille d’abord prévus par son éditeur. Il répondait à un sentiment beaucoup plus général, beaucoup plus intense. Tous les hommes de pensée, de travail, las de l’incertitude dans laquelle un gouvernement sans résolution nous tenait depuis 1866, étaient exaspérés d’avoir à se dire chaque matin : « Aurons-nous la paix ou la guerre ? la liberté ou la réaction ? » Ils étaient excédés de la persistance à maintenir une constitution vermoulue, chaque jour attaquée quoiqu’elle fût chaque jour déclarée intangible. Ils en voulaient au pouvoir personnel de se perpétuer, alors qu’il n’avait plus la force de s’imposer, ni d’inspirer confiance ; ils étaient impatientés de la présence au pouvoir des mêmes hommes, servant tour à tour les politiques les plus différentes avec la même conviction ; ils appelaient l’avènement d’hommes nouveaux, non compromis, qui ne fussent pas de jeunes vieux ; ils ne comprenaient pas pourquoi, ayant accordé peu près le droit de tout dire et de tout écrire, on refusait celui de participer à la conduite de la chose publique ; ils brûlaient de sortir de cet état incohérent où l’on ne retrouvait du passé que ce qui avait été faiblesse et imperfection. « Partout, écrivait George Sand, on entend sortir de la terre et des arbres, et des maisons et des nuages ce cri : En voilà assez ! et ceux qui se plaignent et se fâchent le plus aujourd’hui sont ceux qui, depuis quinze ans, défendaient l’idée napoléonienne[3]. » On en était arrivé à ce moment critique qu’ont connu au moins provisoirement tous les gouvernemens, « où tous jouent au mécontent et ont oublié toutes autres sortes de jeux, et dans lesquels, en tout ce qui se présente contre l’autorité, le chemin est aplani et sans épines[4]. »‘


III

Rochefort ne trouvait devant lui aucun adversaire de taille à le mater. Celui qui y prétendait, Paul de Cassagnac, le rédacteur du Pays, manquait de tout ce qui peut ramener une opinion irritée ; il ne savait que l’exaspérer. Au virtuose du coq-à-l’âne, du calembour, des cabrioles drolatiques, il répondait par le lyrisme de l’injure et de « l’engueulement. » Il se définissait ainsi lui-même : « Nous sommes la meute ardente et acharnée qui hurle et qui mord. Les seuls maîtres que nous acceptions en fait de style et de ton, ce sont les maîtres de la Grande Révolution, ce sont Camille Desmoulins, Marat, Loustalot, Champcenetz, Rivarol et consorts[5]. » Entre les deux champions il y avait encore cette différence : l’un se prenait au sérieux, et, de nature violente, rageait véritablement, tandis que l’autre, sceptique, se moquait de lui comme des autres et s’amusait. De plus, le rédacteur du Pays écrivait sans risque, car il était du côté du manche et son journal était subventionné, soit par les fonds secrets, soit par la cassette de l’Empereur. Rochefort, au contraire, s’exposait tous les jours à des condamnations sévères, à l’amende, à la prison, à l’exil. Tous les deux eussent pu cependant faire mieux que de parader sur les tréteaux pour obtenir des applaudissemens et des sous, car Rochefort, quand il oubliait ses nigauds du boulevard, savait écrire de solides et savoureux morceaux, et Cassagnac des pages éclatantes de coloris et d’éloquence. La perspective d’être dévoré par la meute Maratiste ne plaisait pas au public ; elle poussait encore plus vers Rochefort, dans lequel on voyait le bâton qui la forcerait à rentrer au chenil.

Il fallut cependant en finir par où l’on aurait dû commencer et poursuivre : Rochefort fut condamné contradictoirement à quatre mois de prison pour coups et blessures portés à l’imprimeur qui avait édité des calomnies contre lui, puis successivement, par défaut, à un an de prison et 10 000 francs d’amende (14 août), et à 13 mois de prison et 10 000 francs d’amende (29 août). Il se réfugia en Belgique auprès de Victor Hugo et y continua sa Lanterne, devenue alors une œuvre anti-patriotique, car elle était lue seulement par des étrangers, qu’elle excitait au mépris du gouvernement national, et, malgré toutes les ruses, elle ne pénétra presque plus en France.


IV

Un autre signe du temps fut l’applaudissement général avec lequel fut accueilli un livre de Ténot : Paris en décembre 1851. L’auteur se faisait modeste afin que le gouvernement ne l’arrêtât point au passage : simple narrateur, il s’abstiendra de tout jugement ; il ne qualifie pas les faits, il les expose ; seulement, dans cet exposé, les faits même exacts cessent de l’être grâce à l’art perfide où les enchâsse un récit venimeux. Néanmoins il n’atteignait pas encore aux fantasmagories de l’Histoire d’un Crime[6]. Il reconnaît même que la fameuse fusillade du boulevard Poissonnière n’a été qu’une panique de soldats affolés et non l’exécution préméditée d’une sauvagerie du coup d’État aux abois. Peu d’années auparavant, Ténot avait publié un livre sur la province en 1851, peu remarqué. Celui-ci fut lu, commenté, reproduit, et opéra une résurrection de colère contre l’Empereur.

Ces publications hostiles enflammaient l’imagination de la jeunesse des Écoles, toujours du parti de l’opposition, jusqu’à ce que, vieillie et engraissée, elle se moque de ses enthousiasmes d’autrefois. Ce qui est plus grave, leur succès agit fortement sur la génération déjà prête à franchir le seuil de la vie active. La plupart républicains, un petit nombre seulement orléanistes, avides d’action, ils m’avaient approuvé de prêter le serment et m’acceptaient, d’un accord unanime, comme leur chef incontesté et, j’ajoute, aimé : c’est encore un de mes doux souvenirs. Quand, après le décret du 24 novembre 1860, je me décidai à pousser la politique constitutionnelle jusqu’à ses conséquences logiques en poursuivant la transformation de l’Empire autoritaire en Empire libéral, quelques-uns tels que Floquet, Hérold, déjà radicaux, Delprat, Gournot ne me suivirent pas ; d’autres, tels que Philis, Adelon, Jules Ferry, Gambetta, etc., restèrent avec moi. Aux élections de 1863, Gambetta me défendit éloquemment dans le comité Carnot contre l’attaque des purs. Jules Ferry dédia son livre sur la lutte électorale : « Aux cinq députés démocratiques et libéraux qui ont reconstitué en France l’opposition légale. » Il y affirmait que « le pouvoir impérial était né d’une expression sincère de la volonté nationale. Un jour les masses agricoles montrèrent qu’elles pouvaient vouloir ; le paysan voulut couronner sa légende et d’un mot fit l’Empire : ce mot-là fut passionné, libre, sincère ; il le répéta trois fois[7]. » C’était, en d’autres termes, le langage tenu par Thiers déclarant indiscutable le droit de la dynastie[8]. Lors de la rupture amenée en 1864 par la loi des coalitions, ces jeunes gens se déclarèrent contre Jules Simon et pour moi, toutefois avec quelques précautions. La lettre impériale du 19 janvier 1867 fortifia mon crédit auprès d’eux parce qu’ils crurent que je leur apportais le succès. L’avortement partiel de la réforme les consterna, les irrita, et surtout les avertit. Chaque coup porté sur moi était un conseil de ne pas m’imiter. Voyant se resserrer le cercle de haines dans lequel les forcenés de droite comme ceux de gauche travaillaient à m’étouffer, ils s’évadèrent de ma politique, même avant l’heure du sauve-qui-peut. Et comme ils étaient fortement compromis, ils se firent pardonner d’avoir été constitutionnels en se proclamant irréconciliables.

Ils n’eurent pas à se donner de peine pour formuler leur nouveau programme. Jules Simon leur en offrit un tout fait. Il réunit avec une préface ses principaux discours sous le titre de : « Politique radicale. » Cet accouplement de mots avait de quoi sur- prendre de la part d’un philosophe en sa pleine maturité. Radical signifie l’absolu, politique, le relatif. Politique radicale rapprochait donc deux termes contradictoires et équivalait à « amour haineux, » ou bien « vérité mensongère. » Le programme exposé sous ce titre comprenait tous les lieux communs démagogiques du temps : en matière de presse, liberté totale ; en matière d’enseignement, liberté totale ; en matière de droit de réunion, de droit d’association, liberté totale ; en matière de liberté religieuse, de liberté de conscience, liberté totale : point d’autorisation préalable, point de restrictions, point de salaire du clergé, point d’alliance avec Rome, point de Concordat. Quelle doit être la théorie de l’École sur l’origine des fonctions ? le suffrage universel ; sur l’organisation de la justice ? l’élection des juges, la généralisation du jury ; sur l’impôt ? l’impôt unique ; sur les douanes, sur l’octroi ? abolition ; sur les patentes ? abolition ; sur le livret ? abolition ; sur les ministres ? responsabilité ; sur les agens administratifs à tous les degrés ? responsabilité ; suppression de l’article 75[9] ; sur les communes ? affranchissement de la tutelle administrative, liberté totale dans la gestion de leurs affaires, élection du maire par le suffrage universel. Point de guerres de conquête, point d’armée permanente, point d’autre alliance politique que nos alliances naturelles, c’est-à-dire l’alliance avec tous les peuples libéraux ; les alliances commerciales fondées sur le principe de la liberté absolue du commerce et sur celui de la réciprocité. « C’est un programme aussi simple et aussi monotone que les litanies. » Le point essentiel, c’est le désarmement : « Il s’agit de supprimer l’assassinat par masses, de renverser l’obstacle baïonnette. Il n’existe pas de plus grand fléau pour la santé, les mœurs et le trésor que les armées permanentes. Inutile au dedans pour la justice, le soldat n’est pas même nécessaire à la frontière. Un pays qui a des citoyens, — j’entends par des citoyens des hommes libres, ou, si l’on veut, des hommes, — un tel pays est invincible ; cette terre fertile enfante des héros et des vengeurs, comme un champ fertile qui donne par année deux moissons. On voudrait pour unique bonheur pouvoir clouer de ses mains sur la porte des arsenaux un écriteau portant ces paroles : Musée d’antiquités[10]. »

Une rencontre de hasard me permit de tenter un suprême effort pour détourner les jeunes ambitieux qu’entraînait le programme du disciple de Cousin devenu radical. Un jeune ouvrier de Belleville avait invité Ferry, Gambetta et moi comme témoins à son mariage. Le dîner terminé, nous causâmes. Je leur démontrai ce qu’il y avait d’impratique, de compromettant pour le bon sens et surtout pour l’avenir dans les chimères qu’on leur prêchait. Je mis une telle passion d’amitié dans mes paroles qu’à chaque instant, Gambetta m’interrompait en agitant sa main devant ma bouche et s’écriait : « Orateur ! orateur ! — Il ne s’agit pas d’éloquence, répondis-je, je vous parle avec une conviction profonde, en quelque sorte en prophète ; rappelez-vous mes paroles : vos déclamations folles vous acquerront la faveur de la plèbe, et vous gagnerez autant de popularité que moi d’impopularité. Je ne me fais pas illusion ; vous me vaincrez, mais, un jour éloigné ou prochain, quand vous aurez les affaires en main, votre premier acte devra être de désavouer les promesses auxquelles vous aurez dû le succès. Harcelés par d’autres qui les reprendront, vous serez rejetés à votre tour par ce qu’on appelle le peuple. Seulement vous aurez accompli auparavant un certain nombre d’actes iniques et funestes. Moi, je préfère n’en accomplir aucun et m’arrêter au premier pas. » Ils accueillirent affectueusement ce langage affectueux, mais n’en tinrent aucun compte. Nous nous séparâmes en nous serrant la main, et ce fut notre dernière conversation. Après tout, leur calcul n’était pas mauvais. Dans un pays comme le nôtre, c’est la folie qui pousse en haut, c’est le désaveu de cette folie qui y maintient ; votre déraison vous a valu l’applaudissement des insensés, votre désaveu vous acquiert l’admiration des sages ; on a donc tout à gagner à débuter par la folie.,

En me quittant, et même plus tard en me combattant, les nouveaux irréconciliables continuèrent à lutter contre le résidu des hommes de 1848, de ces hommes qui maudissaient les commissions mixtes après avoir inventé les transportations et les fusillades sans jugement, qui n’avaient su ni concevoir une bonne constitution, ni défendre la mauvaise par eux fabriquée, ni empêcher le coup d’État, ni s’y résigner, hommes tout en façade, honnêtes, mais d’esprit étroit et stérile, dont on ne pouvait attendre aucune initiative féconde. Les Irréconciliables n’entendirent pas se confondre avec eux ; ils voulurent agir d’eux-mêmes : conduire, non être conduits. De telle sorte que le vieux parti ne profita pas de notre séparation. Moi-même j’y perdis plus qu’ils n’y gagnèrent. A peu près réduit à mes propres forces, je ne pus retrouver ailleurs les facilités et l’expansion qu’eût assurées à mon œuvre le concours de ces jeunes lutteurs doués de talens si variés.


V

L’Empire libéral n’était pas en veine de chances heureuses. Il perdit prématurément Walewski comme il avait perdu Morny. Walewski était arrivé dans un hôtel de Strasbourg avec sa femme malade ; il l’avait portée dans ses bras en haut d’un escalier ; et soudain il avait appelé sa fille en criant : « Un verre d’eau, vite ! un médecin. » On s’était précipité, on l’avait trouvé mort sur le parquet. Il était atteint d’une affection au cœur, et l’effort physique qu’il venait de faire avait provoqué la rupture d’un vaisseau (23 septembre 1868). Thiers s’exprimait en termes excellens sur cet homme droit, sûr, éclairé. Il écrivit à notre amie commune, la princesse Julie Bonaparte : « Voilà donc notre pauvre ami Walewski mort d’une apoplexie foudroyante ! J’ai appris cette triste nouvelle hier au soir et j’en ai été saisi. Si jeune, si plein de vie encore ! Sa pauvre femme fait une grande perte, car ils sont sans fortune, grâce à une vertu et à un défaut, la probité et le manque d’ordre. L’Empire fait une perte aussi, et plus grande qu’on ne le croit. Walewski n’avait pas l’épée des gens civils, c’est-à-dire la parole, mais il était fin, sensé, modéré surtout ; sans être libéral, il était capable de donner d’excellens conseils. Il en avait en effet donné de très bons. Il était peu instruit, pas du tout même, mais il avait appris à connaître l’Europe, et la jugeait bien. Lui seul la connaissait dans le gouvernement. L’Empereur a perdu non le plus spirituel, mais le plus sensé de ses ministres. Walewski avait eu un malheur, c’était d’ambitionner une position pour laquelle il n’était pas fait, celle de la présidence du Corps législatif, où il faut ce qu’il n’avait pas, du coup de langue, et où un bavard sans esprit, ne sachant pas ce qui lui manque, a plus d’assurance qu’un homme d’esprit, qui craint de n’en pas avoir assez. J’avais passé ma jeunesse avec ce pauvre Walewski et je vous assure que je le regrette bien vivement. Dites-le à sa veuve, à laquelle je n’ose pas écrire, n’ayant jamais eu de relations avec elle. A mon âge, la vie est un bois, où un terrible bûcheron abat les arbres autour de vous, et où, à chaque instant, on les entend tomber sous les coups répétés d’une hache inflexible. Il faut être philosophe, philosophe religieux, et attendre sans trouble et sans amertume[11]. »

La guerre que, de tous les côtés, on faisait à l’Empire libéral, privé d’un de ses soutiens auprès de l’Empereur, devint même si acharnée qu’on pût à ce moment la croire victorieuse. Cela contribua au discrédit et à l’affaiblissement croissant de l’Empire dans les classes moyennes où beaucoup ne lui restaient encore attachés que dans l’attente de sa transformation en monarchie constitutionnelle. « C’est fini, » dit-on alors de toutes parts, en Europe comme en France. Le prince Antoine de Hohenzollern écrivait à son fils : « Je voudrais pouvoir déjà parler de ton mariage ; on ne peut songer à une d’Orléans qu’après la chute des Napoléonides, un événement qui n’est, du reste, pas bien loin (30 août 1868). » Berryer annonçait la fin inévitable et prochaine[12], Prévost-Paradol appliquait âprement au gouvernement l’image de Thiers sur Napoléon abandonné à Fontainebleau : « C’est un chêne puissant qui perd sa verdure à l’entrée de l’hiver et dont les feuilles se détachent l’une après l’autre. » Cassagnac, sans se douter que l’antipathie inspirée par son parti de violence était une des causes principales de cette désaffection, la constatait : « A l’heure qu’il est, il faut être bien fou ou bien convaincu pour oser défendre ce qui est, l’Empereur et Dieu. Cherchez donc les jeunes gens ambitieux qui se lancent dans la voie conservatrice, et nommez les noms ! Vous n’en trouverez pas. L’opposition prend tout, ramasse tout, réunit tout. » Un de mes amis dans ce temps-là cherchait un cocher. Il s’en propose un qui appartenait aux Tuileries. « Mais il me semble, lui dit-on, que cette place est bien meilleure que celle que vous aurez chez moi. — C’est que, voyez-vous, Monsieur, la maison n’est plus solide. »


VI

Il y a eu, depuis la Révolution française, une succession d’hommes à l’égard desquels on éprouve un sentiment tout à fait contradictoire. S’arrête-t-on à leurs doctrines, aux écrits ou aux actes par lesquels ils les propagent, on les réprouve ; ne considère-t-on que leurs vertus privées, le désintéressement héroïque de leur vie de sacrifice, on les admire en regrettant que tant de vertus n’aient pas été conduites par un peu de bon sens ; et quand, chargé de la puissance publique, on les frappe, parce qu’on est obligé de protéger la société contre leurs insanités, on en souffre et on les plaint. Delescluze est un des hommes à l’égard desquels j’ai le plus vivement éprouvé ce double sentiment, bien que je n’aie jamais eu à sévir contre lui. Il était né jacobin comme d’autres sont nés libéraux. Dès 1834, il avait commencé à conspirer, et il a continué jusqu’à son dernier soupir sous la devise : « Ni Dieu, ni maître. » Je l’ai rencontré en 1848 chez Ledru-Rollin, rude, soupçonneux, intolérant. J’avais eu à essuyer ses sarcasmes qu’il me prodiguait avec tout le mépris dont un jacobin accable quiconque ressemble à un girondin. Il éperonnait Ledru-Rollin et le poussait aux thèses extrêmes. Lui-même en soutint une tellement risquée dans son journal la Révolution démocratique et sociale, à propos des assassins du général Bréa, qu’il fut condamné, par les juges de la République, à la déportation à Cayenne à perpétuité. Il s’était réfugié en Angleterre. Rentré en France en 1853, il avait été appréhendé et envoyé à Cayenne, le gouvernement impérial étant contraint d’exécuter la sentence qu’il n’avait pas rendue. Le seul acte de l’Empereur dont il ait eu à supporter les effets, c’est la généreuse amnistie qui, en 1859, lui rouvrit sans condition les portes de sa patrie. Il recommença aussitôt à conspirer. Il concerta son action avec un homme non moins connu, Blanqui, esprit puissant et cultivé, mais très contesté, depuis que Barbes l’avait accusé de trahison ; accusation rendue bien invraisemblable par une longue vie de martyre passée presque tout entière en prison. Lai aussi n’avait aucun grief particulier contre l’Empereur, car il n’est pas de gouvernement qui ne l’ait poursuivi, condamné et emprisonné ; il n’avait à lui reprocher que d’être un gouvernement. Delescluze et Blanqui, avant même que l’introduction des libertés leur eût donné les moyens légaux d’agir, opérèrent souterrainement, chacun de son côté et à sa manière, une manœuvre révolutionnaire de la plus redoutable efficacité.

Dès son début, l’Empire, fidèle à son origine démocratique, avait entouré de sa sollicitude les classes laborieuses ; il avait songé à leur bien-être matériel aussi bien qu’à leur dignité. Ces classes, qui avaient applaudi au coup d’État, n’avaient pas été insensibles aux améliorations que chaque jour on réalisait à leur profit. Au lieu de penser à renverser le gouvernement, elles s’appliquèrent avec son aide, à amoindrir les difficultés de leur existence. Peu à peu, devenues indifférentes à l’idée de République, elles reléguaient les questions purement politiques au deuxième rang : comme les premiers chrétiens, elles étaient disposées à rendre à César ce qui était à César. Delescluze et Blanqui comprirent le péril. « Si par impossible, vous réussissiez à rendre l’ouvrier heureux, disait un des centurions blanquistes à l’ouvrier Fribourg, la révolution n’arriverait jamais, et nous voulons avoir la révolution. » La loi des coalitions avait accru leur alarme. Ils en firent un instrument de troubles en suscitant systématiquement des grèves partout. Le mouvement des associations coopératives et surtout la création de l’Internationale leur donna de nouveaux soucis. Le groupe d’ouvriers honnêtes et distingués qui fonda cette association devint l’objet d’une persécution telle qu’il avait été obligé de capituler. Ces ouvriers, au congrès de Lausanne et de Genève, en septembre 1867, s’étaient fait révolutionnaires, et prouvèrent leur conversion en s’associant, après Mentana, aux manifestations de la rue (2 et 4 novembre),

Delescluze et Blanqui s’inquiétaient non moins de la disposition témoignée par une partie de la bourgeoisie à se réconcilier avec l’Empire, si celui-ci accordait des satisfactions libérales. Sans doute une révolution ne peut s’opérer si le peuple n’est prêt à l’aider de ses bras, mais elle est tout à fait impossible si la bourgeoisie ne la seconde de ses vœux et de son assistance, et si d’en haut elle ne tend pour la soulever, sa main à la multitude. L’Empire libéral était donc pour Delescluze l’abomination de l’abomination ; il s’employa à démolir les deux hommes qui dans la presse et à la tribune en étaient le symbole : Émile Ollivier et Émile de Girardin. Il n’est pas d’outrages, de diffamations qu’il ne leur prodiguât.

Il cherchait le moyen d’éloigner de l’Empire même libéral, la bourgeoisie, comme il avait écarté l’Internationale de l’Empire même socialiste. Il le trouva. Ténot venait de rappeler qu’en 1851, un représentant du peuple nommé Baudin s’était fait tuer. Son récit, malgré son hostilité, était conforme à la vérité[13]. « Les soldats repoussaient les représentans. L’un d’eux lança un coup de baïonnette à un de ces représentans, M. Schœlcher, pour l’éloigner plutôt que pour le percer, a dit M. Schœlcher lui-même. Malheureusement, l’un des républicains demeurés sur la barricade crut, sans doute, que les soldats frappaient réellement les représentans ; il abaissa son arme et fit feu. Un militaire tomba mortellement frappé. La tête de la colonne, qui n’était plus qu’à trois ou quatre pas de la barricade, répondit par une décharge générale. Le représentant Baudin, demeuré debout sur une voiture, et qui continuait de haranguer les soldats, tomba foudroyé. Trois balles lui avaient fracassé le crâne. » Ainsi ce n’est pas sur l’ordre d’un des officiers du coup d’État que Baudin a été tué : il le fut spontanément, à titre de représailles, par des soldats exaspérés de la mort d’un de leurs camarades ; Baudin n’était que la seconde victime ; la première était l’enfant du peuple qui, sous l’uniforme, faisait lui aussi son devoir, et, à ce titre, méritait, autant que le député, un hommage commémoratif. Mais il ne fut aucunement question du pauvre soldat ; les révolutionnaires ne célébrèrent que Baudin.

Delescluze s’empara de cette mort, et, sur ce souvenir, organisa une savante manœuvre. Une démonstration au cimetière Montmartre la commencerait : le peuple de Paris a le culte de la tombe, une répression dans un cimetière ressemblerait à un sacrilège. Mais pour cette manifestation, on ne pouvait compter que sur les jacobins de la rue ; les bourgeois parlementaires ne s’y associeraient pas. On leur fit leur part et on les convia à une souscription publique pour un monument au martyr de la loi. Les profonds organisateurs de cette machination ne s’exagéraient pas outre mesure la portée de l’événement qu’ils préparaient. Quoique habitués à grossir les espérances et toujours prompts à escompter les faveurs de l’imprévu, ils n’étaient pas assez aveuglés pour supposer qu’une visite à un cimetière et une souscription à une statue renverseraient un gouvernement dont la force matérielle restait intacte. Ils espéraient troubler les ministres, leur faire perdre le sang-froid et les amener à des maladresses ou à des excès de répression ; ils se disaient que la lassitude causée par des attaques incessantes devient telle à la longue que, plutôt que de se défendre, on en vient à s’abandonner et à laisser la place à la petite minorité qui vous harcèle. Le moindre des révolutionnaires sait cela. Je disais à l’un des plus obscurs : « A quoi bon vos attaques ? Vous êtes une poignée, que pourrez-vous contre un colosse armé jusqu’aux dents ? — Ce que nous pouvons ? l’empêcher de se reposer dans un sommeil paisible et lui faire perdre la tête. »


VII

L’exécution du projet fut à la hauteur de la conception. Le 29 octobre, le Réveil disait : « Un journal annonce que le 2 novembre, jour des Morts, les cimetières de Paris seront fermés au public. Ce journal est évidemment mal informé. On ne peut empêcher un peuple de s’honorer lui-même en honorant la mémoire de ceux qui, comme Godefroy Cavaignac, ont usé leur vie aux luttes de la liberté, de ceux qui, comme Baudin, sont tombés martyrs en défendant la loi. » Le 2 novembre en effet, l’état-major démagogique se rend au cimetière Montmartre pour honorer la mémoire de Baudin. Tel était le culte permanent qu’ils rendaient dans leur cœur à ce héros, qu’ils ne savaient pas même où était sa tombe. Sur les indications du gardien, ils finirent par la découvrir ; ils s’y réunissent au nombre de deux ou trois cents ; Quentin, l’homme du Réveil, prononce un premier discours ; celui-là prudent, est cependant accueilli par des cris de : « Vive la liberté ! vive Baudin ! vive la République ! » Un autre orateur, dont on a ignoré ou caché le nom, prend moins de précautions : « Citoyens, des gens qui m’entourent demandent ce que nous venons faire ici et quel est le mort que nous honorons ? Je vais le leur dire. Nous venons ici honorer la mémoire de Baudin, mort assassiné le 3 décembre 1851, par un pouvoir qui est encore debout. Si la vengeance à laquelle il a droit n’est pas encore satisfaite, je la promets éclatante, et je jure qu’elle sera prochaine. Si quelque mouchard voulait savoir mon nom, le voici : je me nomme Peuple et Jeunesse. S’il veut en savoir plus long qu’il s’avance : j’ai dans ma poche une carte de visite que je suis prêt à lui mettre sous le nez... » Les applaudissemens redoublent. Survient alors un cordonnier. Gaillard fils, appuyé sur son père, tous deux fougueux blanquistes, qui lit une pièce de vers, où se trouve ceci :


Mais le règne insolent d’un pouvoir tyrannique
Jusqu’à la fin des temps, non, ne saurait durer !
Pleurons sur qui mourut pour notre République.
Pour qui sut bien mourir, ah ! sachons bien pleurer...


Les applaudissemens provoqués par cette « poésie » s’étant calmés. Gaillard fils s’écria : « Cela ne suffit pas ! il faudra revenir ici le 3 décembre, anniversaire de la mort de Baudin. » On répondit de toutes parts : « Nous y serons. »

A peine rentré chez lui, Delescluze, pressé d’appuyer la manifestation populaire par la manifestation bourgeoise, n’attendit pas le jour prochain de la publication de son numéro hebdomadaire. Il écrivit à Peyrat, rédacteur en chef de l’Avenir national : « Mon cher confrère, votre publication est quotidienne ; le Réveil, au contraire, ne paraît que le jeudi, et comme il importe de ne pas laisser tomber une initiative née sur la tombe de Baudin et acceptée simultanément par l’Avenir et le Réveil, vous pouvez annoncer dès maintenant en notre nom commun l’ouverture d’une souscription pour élever un monument au glorieux martyr du 3 décembre 1851. » La Revue politique de Challemel-Lacour, la Tribune de Pelletan s’associèrent au Réveil et à l’Avenir national. Quelques souscriptions à effet arrivèrent aussitôt : celles de Victor Hugo, de Louis Blanc, de Quinet, de Jules Favre. Prévost-Paradol déclara « que ce nom devait être aussi cher que celui du chevalier d’Assas à tous ceux que touche l’honneur du nom français » (7 novembre). Odilon Barrot « honora en lui le martyr d’une grande et sainte cause, celle du droit. » La souscription qui produisit le plus de sensation fut celle de Berryer. L’illustre orateur était déjà sur son lit d’agonie où il se débattait contre les tortures d’une tumeur abdominale. De là il écrivit à l’Électeur libre : « Le 2 décembre 1851, j’ai provoqué et obtenu de l’Assemblée nationale, réunie dans la mairie du Xe arrondissement, un décret de déchéance et de mise hors la loi du président de la République, convoquant les citoyens à la résistance contre la violation des lois dont le président s’était rendu coupable. Ce décret a été rendu public dans Paris autant qu’il a été possible, Mon collègue, M. Baudin, a énergiquement obéi aux ordres de l’Assemblée ; il en a été victime, et je me sens obligé de prendre part à la souscription ouverte pour l’érection d’un monument expiatoire sur sa tombe. »


VIII

L’esprit sert parfois à vous tirer d’embarras même dans les affaires sérieuses : le gouvernement en manqua totalement. C’était le cas de se rappeler les paroles prononcées à Ham par le Prince Président : « Je ne me plains pas d’avoir expié ici par un emprisonnement de six années ma témérité contre les lois de ma patrie, et c’est avec bonheur que, dans les lieux mêmes où j’ai souffert, je vous propose un toast en l’honneur des hommes qui sont déterminés, malgré leurs convictions, à respecter les institutions de leur pays[14]. » Nefftzer, dans le Temps, suggérait au gouvernement d’adopter ce thème. « Vous avez raison, écrivait Weiss, de glorifier la mémoire de Baudin, mais il faut souhaiter que son exemple ne soit pas suivi si, par aventure, la Constitution de l’Empire était violée. » Si ce conseil avait été écouté, les rieurs n’eussent pas été du côté des révolutionnaires. Leur souscription déjà ne prenait point feu ; elle flanchait et n’allait sans doute pas tarder à s’arrêter au milieu de l’indifférence générale. Le ministre ne sut pas la laisser mourir d’inanition ; il entama lourdement une poursuite équivoque contre le Réveil, l’Avenir national, la Tribune, la Revue politique, en rattachant l’ouverture de la souscription à la manifestation du 2 novembre, afin de se donner le droit d’invoquer l’article 2 de la loi dite de sûreté générale qui punit « les manœuvres et intelligences entretenues à l’intérieur, ayant pour but soit de troubler la paix publique, soit d’exciter à la haine ou au mépris du gouvernement. » Cette exhumation malencontreuse d’une loi détestée, qu’on supposait abandonnée, réveilla les susceptibilités de l’opinion et ne tarda pas à être châtiée. Les inculpés choisirent pour défenseurs Crémieux, Arago, Clément Laurier, Leblond ; le principal, Delescluze, après quelques hésitations, eut l’instinct de choisir Léon Gambetta.

Gambetta était alors dans l’épanouissement de la jeunesse, à ce moment où on subit encore la poussée des illusions de l’inexpérience en apercevant cependant déjà un peu les réalités de la maturité. Fils d’un Génois établi épicier à Cahors, il n’avait été naturalisé qu’à vingt ans et l’on retrouvait dans sa personne et dans son caractère l’empreinte de cette origine non française. Les traits de son visage étaient d’une régularité vulgaire, d’une coloration chaude ; un de ses yeux, malade, sortait de l’orbite d’une manière effrayante, l’autre était doux et fin ; le front vaste se couronnait d’une belle chevelure noire, la bouche se cachait dans une barbe touffue. Dandinant son corps déjà épais, la tête fièrement relevée, vous abordait-il d’un ton familier, jovial, bruyant, un peu déclamatoire, il donnait l’idée d’un hardi compagnon, sûr de lui, dominateur, et toujours prêt à l’aventure, La conversation devenant plus intime, vous enveloppait-il de sa voix étendue, sonore, aux pénétrations insinuantes et aux caresses persuasives, on sentait, sous les façons débraillées le charme, et sous l’apparence hâbleuse, le calcul et le sérieux, et l’on comprenait la fascination de ceux qui se plaisaient sous une direction non exempte de brutalité. Il était d’une ignorance à peu près complète, connaissait à peine les articles du Code civil et savait de l’histoire et de la politique ce qu’on en apprend dans les journaux et les revues. Tout son bagage était Rabelais dont il se délectait, les discours de Royer-Collard, dont il récitait de long fragmens, et les discours des Cinq au Corps législatif qu’il s’était tellement assimilés qu’il semblait les avoir prononcés lui-même, les mimant très spirituellement avec ses amis. Il suppléait à tout ce qui lui manquait par une intuition vive et il était de ceux qui, devinant beaucoup, ne se ressentent pas d’avoir peu appris. Toutefois ce manque de lest solide explique sa facilité à passer tout à coup d’une manière de voir à une autre tout opposée. !

Si des traits divers de cette captivante nature je voulais mettre en relief le principal, je dirais que c’était avant tout un audacieux, selon le type italien, de belle humeur jusque dans les circonstances épineuses, de sang-froid au milieu de l’entraînement, accommodant même dans l’intransigeance, de force à enfoncer les portes, tout en sachant que, dans certains cas, il vaut mieux les crocheter, préférant se montrer généreux, prêt cependant à ne l’être pas, incomparable, même après Garibaldi, à trouver les grosses phrases sonores qui électrisent les multitudes, et à inventer les pantomimes qui les divertissent. Comme tout véritable orateur, il était lui et ne saurait être comparé à personne autre. Néanmoins le maître avec lequel il aurait le plus d’analogie, c’est Rouher, aussi génial orateur que piètre politique. Il lui ressemble par la flexibilité, l’abondance, l’impétuosité et l’incorrection du langage, l’arrogance des formules, l’intensité chaude de la diction. Il ne le dépassait point par la maturité et l’élévation des idées ou l’éclat de l’imagination ; il lui était inférieur en connaissance des affaires.

Il était pauvre petit secrétaire chez Crémieux, sans aucune affaire, mais exerçant déjà sur ses camarades un ascendant incontesté. Ils l’escortaient, l’écoutaient, l’applaudissaient, l’admiraient autour des tables du café Procope, et aucun d’eux ne doutait, pas plus que lui d’ailleurs, qu’il ne fût appelé aux plus hautes destinées. Il regardait de tous les points de l’horizon d’où lui viendrait la chance favorable qui tout d’un coup vous fait sortir du néant. L’affaire Baudin lui parut cette chance attendue et il l’aborda, décidé à sortir de l’audience fracassé ou porté sur le pavois.


IX

Dans l’auditoire qu’avaient bercé plutôt qu’ému les confidences personnelles de Crémieux et d’Arago, il se fit un silence solennel plein de curiosité quand, les précautions oratoires épuisées, Gambetta dit d’un ton résolu indiquant que rien ne l’arrêterait : « Existe-t-il un moment pour une nation au sein d’une société civilisée, où la raison d’Etat, ou le coup d’Etat puisse impunément, sous prétexte de salut public, violer la loi, renverser la Constitution et traiter comme des criminels ceux-là qui défendent le droit au péril de leur vie ? » Il ne s’agissait plus de la défense de Delescluze, c’était le procès à l’Empire et à l’Empereur. Il poursuivait : « Rappelez-vous, ce que c’est que le 2 décembre. Rappelez-vous ce qui s’est passé... vous savez tout ce qu’il y a de sang et de douleurs, de larmes dans cette date ; mais ce qu’il faut dire ici, ce qu’il faut toucher du doigt, c’est la machination, c’est la conséquence, c’est le mal causé à la France, c’est le trouble apporté dans les consciences par cet attentat ; c’est là ce qui constitue la véritable responsabilité. C’est cela seulement qui pourra vous faire apprécier jusqu’à quel point vous nous devez aide et protection quand nous venons honorer la mémoire de ceux qui sont tombés pour avoir défendu la loi et la Constitution qu’on égorgeait. Oui ! le 2 décembre, autour d’un prétendant se sont groupés des hommes que la France ne connaissait pas jusque-là, qui n’avaient ni talent, ni honneur, ni rang, ni situation ; de ces gens qui, à toutes les époques, sont les complices des coups de la force, de ces gens dont on peut répéter ce que Salluste a dit de la tourbe qui entourait Catilina, ce que César dit lui-même en traçant le portrait de ses complices, éternels rebuts des sociétés régulières : Aere alieno ohruti et vitiis onusti. Un tas d’hommes perdus de dettes et de crimes, comme traduisait Corneille. C’est avec ce personnel que l’on sabre depuis des siècles les institutions et les lois. Et la conscience humaine est impuissante à réagir malgré le défilé sublime des Socrate, des Thraséas, des Cicéron, des Caton, des penseurs et des martyrs qui protestent au nom de la religion immolée, de la morale blessée, du droit écrasé sous la botte d’un soldat. »

Comme le président écoutait placidement cette éloquente diatribe, l’avocat impérial s’agite, se retourne, lui fait signe d’intervenir. Alors le président d’un ton presque encourageant : « Maître Gambetta, je vous ferai observer que vous ne tenez pas la promesse faite en commençant de ne pas vous laisser entraîner... Je vous invite à continuer, mais avec plus de modération. » Gambetta, considérant cet avertissement comme un laissez-aller, en remercie le magistrat et, à la façon d’un cheval qui s’anime au bruit de son propre galop, donnant à son action oratoire une effrayante intensité, il couvrit toutes les interruptions par le fracas tonitruant d’une formidable impétuosité oratoire : « On n’a pas sauvé la France... On a trompé Paris avec la province ! on a trompé la province avec Paris ! On lançait à travers tous les départemens cette nouvelle que Paris était soumis. Soumis ! il était assassiné. Soumis ! on le fusillait, on le mitraillait... Il y a d’ailleurs quelque chose qui juge nos adversaires. Écoutez ! voilà dix-sept ans que vous êtes les maîtres absolus, discrétionnaires de la France, — c’est votre mot, — nous ne recherchons pas l’emploi que vous avez fait de ses trésors, de son sang, de son honneur et de sa gloire, nous ne parlerons pas de son intégrité compromise, mais ce qui vous juge le mieux, parce que c’est l’attestation de votre propre remords, c’est que vous n’avez jamais osé dire : Nous célébrerons, nous mettrons au rang des solennités de la France le 2 décembre comme un anniversaire national ! et cependant tous les régimes qui se sont succédé dans ce pays-ci se sont honorés du jour qui les a vus naître : ils ont fêté le 14 juillet, le 10 août ; les journées de juillet 1830 ont été fêtées aussi, de même que le 24 février ; il n’y a que deux anniversaires, le 18 brumaire et le 2 décembre, qui n’ont jamais été mis au rang des solennités d’origine, parce que vous savez que, si vous vouliez les y mettre, la conscience universelle les repousserait. Eh bien ! cet anniversaire dont vous n’avez pas voulu, nous le revendiquons, nous le prenons pour nous ; nous le fêterons toujours, incessamment, chaque année ; ce sera l’anniversaire de nos morts jusqu’au jour où le pays, redevenu le maître, vous imposera la grande expiation nationale au nom de la liberté, de l’égalité, de la fraternité. »


X

Dans la salle où de telles paroles avaient été prononcées, j’avais été suspendu peu d’années auparavant pour avoir dit : « Le ministère public a fait appel aux passions, ce qui est mauvais. » Et dans un procès purement civil, celui de la marquise de Guerry, on avait interdit la reproduction des débats pour étouffer ma plaidoirie, tandis qu’on laissait toute liberté aux paroles incendiaires de Gambetta de se répandre au loin. Le temps avait marché ; les magistrats eux-mêmes commençaient à lâcher. Le substitut, Aulois, homme de courage et de talent, laissa sans réponse ces déclamations outrageantes. Il lui eût suffi de dire : « Le 11 juillet et le 10 août 1792, le 18 fructidor 1794, le 31 juillet 1830, le 24 février 1848 que vous glorifiez furent des actes illégaux autant que brumaire et décembre que vous réprouvez. Mais tandis que les coups d’État révolutionnaires n’ont pas été légitimés, ceux des Napoléon le furent par des sanctions populaires. ils ne crurent pas qu’un droit pût naître d’un coup de force même nécessaire, ils ne voulaient tenir le leur que d’un verdict national. Les gouvernemens nés le 11 juillet, le 10 août, etc., étaient condamnés à célébrer le jour d’illégalité, ce jour n’ayant pas eu un lendemain de ratification : eux, pourquoi auraient-ils pris comme anniversaire le 2 décembre, puisqu’ils datent du 10, jour du plébiscite ? ‘S’ils n’ont pas fixé même au 10 décembre leur fête nationale, c’est que, plus généreux que leurs ennemis, ils n’ont pas voulu rappeler un fait de guerre civile : ils choisirent le 15 août auquel ne se rattachait aucun souvenir amer. »

Le tribunal, qui avait écouté complaisamment les inculpés, n’alla cependant pas jusqu’à les acquitter. Il condamna Delescluze à six mois d’emprisonnement et 200 francs d’amende, le déclara interdit de l’exercice des droits civiques, de vote d’électeur et d’éligibilité ; Quentin, Challemel-Lacour, Duret et Peyrat, chacun à 2 000 francs d’amende (13 novembre 1868). Le seul appelant, Delescluze, vit encore sa peine d’amende réduite à 50 francs. La plaidoirie de Gambetta, reproduite par tous les journaux et répandue en brochures, obtint autant de succès que la Lanterne. L’avocat inconnu de la veille était devenu lui aussi l’idolâtrie de la foule. Les négocians de la rue du Sentier, qui ne lui eussent pas confié la défense du moindre de leurs intérêts commerciaux, le déclarèrent apte à gérer les intérêts de la France. Les Irréconciliables radicaux, qui avaient déjà leur pamphlétaire en Rochefort, leur philosophe doctrinaire eu Jules Simon, eurent en lui leur tribun.


XI

L’affaire Baudin n’était pas terminée. Le Temps, qu’on ne pouvait, de près ou de loin, rattacher aux manifestations du cimetière Montmartre, et qui avait d’abord refusé de s’associer à la souscription, en ouvrit une dans ses colonnes dès qu’il vit le droit de souscription contesté. Le Journal de Paris de Weiss et d’autres journaux de province l’imitèrent. Les plus modérés répétèrent avec les Débats : « Nous avons regretté l’ouverture de la souscription Baudin, mais nous regrettons les poursuites qui lui ont donné plus d’importance et de durée. » (18 novembre.)

Le gouvernement différa à procéder contre eux jusqu’après le jugement du tribunal de la Seine. Aussitôt la condamnation, il fit expédier aux procureurs généraux le télégramme suivant : « La sixième chambre a prononcé hier son jugement de condamnation contre les auteurs de la souscription Baudin. A partir de demain lundi, faites saisir et poursuivre tout journal qui publierait une nouvelle liste de cette souscription. » (16 novembre.) Quelques journaux persistant néanmoins, on répondit à ce défi en ordonnant de nouvelles poursuites. Le Temps et le Journal de Paris furent condamnés avec douceur (16 décembre). A Clermont, à Albi, la magistrature regimba ; des acquittemens furent prononcés.

Pinard, le véritable instigateur de cette campagne à laquelle Rouher paraît avoir été contraire, la compléta par un dernier épilogue. Le matin du 3 décembre, on avait distribué à foison, parmi les classes ouvrières, l’appel suivant, intéressant à reproduire parce qu’il indique l’état d’effervescence dans lequel vivait le monde révolutionnaire : — « Le 3 décembre 51, Baudin est mort ! la République est morte ! vive l’Empereur ! — Le 3 novembre 68, un autre cri répond d’un cimetière ; Vive Baudin ! vive la République ! à bas l’Empereur ! — La presse a dénoncé le crime. Trois jugea ont rendu l’arrêt. Peuple, à quand l’exécution ? A bas l’Empereur ou à bas Baudin une seconde fois ! Point de plébiscite pour le plébiscite ! Point d’absolution pour le tyran ! Plus d’obéissance au contumace ! Plus de serment au bourreau dont nous honorons le martyr ! Plus d’opposition, révolution ! Pas de milieu ! pas plus d’Empire libéral que d’Empire absolu ! De novembre que de décembre ! Il ne s’agit pas de couronner l’édifice, mais de le découronner. En avant donc ! Et ne pleurons plus, ça mouille l’amorce ! — Ah ! si Baudin, qui est mort libre le 3 décembre 51, pouvait parler aujourd’hui, il nous dirait sans phrases : « Peuple, aux barricades ! — Plus de souscription ! Garde ton argent pour du plomb ! — Tu as vu comme on meurt pour 25 francs. — Tu as vu comme on tue pour 25 millions. — Pour 25 centimes de poudre, tu vivras libre ! — Esclaves, Vive la liberté ! Citoyens, Vive la République ! — Le Comité central d’action. »

Cette déclamation, œuvre d’une plume experte, probablement celle de Félix Pyat, provoqua des mesures nouvelles le 3 décembre. Les troupes furent consignées. Malgré la résistance légitime de Niel, le régiment de chasseurs suspect d’avoir été entamé par la propagande anarchique fut retiré de la caserne du Prince-Eugène, la police fut mobilisée et, à partir de midi, le cimetière fut mis en interdit. On pensa généralement que cette mise en interdit était excessive ; il eût suffi de se tenir prêt à empoigner à la sortie les révolutionnaires, si, échauffés par leurs déclamations, ils tentaient de troubler la paix publique. Il n’y eut aucun désordre sérieux ; une quarantaine de turbulens furent néanmoins arrêtés et condamnés, quelques jours après, comme coupables de rébellion.

Les souscriptions cessèrent ; il ne resta de l’incident qu’un résultat, celui que Delescluze avait poursuivi : l’opposition parlementaire s’était déclarée révolutionnaire, et renonçait à l’attitude constitutionnelle.


XII

Devais-je, moi aussi, adopter les desseins révolutionnaires de cette nouvelle opposition ? Cela ne mériterait pas d’être expliqué à l’histoire si ma résolution n’eût dû influer que sur ma destinée. Mais les plus graves conséquences en dépendaient, et cela vaut d’être mis en pleine lumière.

La session de 1868 m’avait laissé dans une situation bien différente de celle dans laquelle elle m’avait trouvé. Au début j’étais isolé, suspect à l’opposition parlementaire, odieux à la majorité gouvernementale aussi bien qu’à la minorité radicale, abandonné par l’Empereur, déchiré par ses ministres, presque sans amis politiques. « Les hommes ont besoin pour classer les hommes d’une définition précise de leurs tendances ; ils n’aiment pas à démêler les fils d’une existence qui se tient à part. A qui êtes-vous ? voilà la question que chacun se pose[15]. » Je n’étais à personne et personne n’était à moi, si ce n’est quelques âmes altières affranchies aussi des servitudes de parti. A la fin de la session, grâce à ma vigoureuse offensive, ma situation paraissait toute différente. Les colères de la droite extrême, loin de s’atténuer, s’étaient accrues ; plus que jamais les partisans de Rouher manifestaient leur hostilité ; en revanche, j’avais regagné les gros bataillons de l’opinion libérale ; les hommes des anciens partis, qui déguisaient leurs rancunes sous un semblant de passion parlementaire, sans renoncer à leurs défiances ne les manifestaient plus ; les républicains de la Chambre me faisaient de nouveau bon visage : Jules Simon, m’ayant rencontré chez un de. nos collègues, avait repris le premier avec moi une conversation polie, que, malgré mes griefs, je n’avais pas refusée ; Jules Favre déclinait une candidature contre moi dans le Var ; Pelletan n’avait cessé de me rendre la sympathie amicale que je manifestais pour la remarquable vigueur et la poésie de son éloquence. L’occasion ne m’avait pas encore été donnée de reprendre, avec Ernest Picard, les relations affectueuses d’autrefois, mais je n’avais à en redouter aucun mauvais procédé ; Thiers restait indulgent à mes hérésies par le respect personnel que je lui témoignais toujours, et nos rapports étaient excellens. Le noble et droit Buffet m’était toujours acquis ; il maintenait dans ces dispositions le tiers-parti dont il était le chef ; les catholiques me savaient gré de défendre le salaire du clergé et de parler avec admiration de Pie IX. Au dehors, les journaux radicaux se montraient moins âpres ; Vermorel, démagogue réputé, écrivait un article laudatif sur mes discours. Étant allé le remercier à Sainte-Pélagie où il était détenu, il me conta qu’un des siens lui avait rapporté, au retour d’une tournée départementale, que j’étais en ce moment le représentant véritable du sentiment public. Chez Delescluze lui-même il fut convenu, qu’en raison des services que je venais de rendre, on amnistierait, comme ils disaient, mes défaillances et qu’on ne me combattrait pas aux prochaines élections. « Votre réélection à Paris, m’écrivait Émile de Girardin, est archi-assurée. » Il ne me restait, pour que tout ce passé tut liquidé, qu’à expliquer mon véritable rôle dans l’affaire du 19 janvier, et il m’était facile de le faire en termes tels que l’amnistie radicale ne me fût pas retirée.

Revenu dans ma solitude en septembre, j’entrepris ce travail délicat. Les préliminaires terminés, arrivé au vif de mon récit, je fus arrêté par un scrupule d’honneur. Le document le plus important que j’avais à produire était une lettre confidentielle de l’Empereur ; je ne pouvais la livrer au public sans son assentiment. Depuis la réponse qu’il avait faite à mon discours du 12 juillet en envoyant une plaque en diamans à Rouher, je n’avais eu aucune relation directe avec lui. et j’avais refusé de dîner aux Tuileries. Mais j’étais tenu au courant de ses dispositions à mon égard. Elles demeuraient très favorables, bien qu’on l’eût circonvenu de toutes les manières, jusqu’à lui rapporter des propos que je n’avais pas tenus. Quelquefois il lui arrivait de dire que j’avais eu tort de ne pas m’arranger avec Rouher ; le plus souvent il s’exprimait avec bienveillance : « J’ai toujours de la sympathie pour M. Ollivier, disait-il, et cependant il s’est tourné contre moi et il me maltraite bien. » Dans le caractère de l’Empereur il n’y avait aucune petitesse ; dès qu’on faisait appel à un sentiment généreux, on était sûr d’être accueilli. Aussi je n’hésitai pas à m’adresser directement à lui et je lui écrivis : « Sire, le moment approche où je vais me représenter devant mes électeurs. Il me sera impossible de ne pas répondre à leurs interpellations sur ma conduite au 19 janvier. J’y serai d’autant plus contraint qu’un récit plus ou moins inexact vient d’être publié en dehors de toute participation de ma part, dans la Revue Moderne, par un jeune avocat qui m’était complètement inconnu. Quoique je ne veuille donner mon récit au public que pendant la période électorale, je compte le préparer pendant mes mois de retraite. Votre Majesté peut être certaine que je ne dirai rien qui excède les limites de la délicatesse et de la réserve la plus scrupuleuse. Mais il est une pièce dont la publication serait indispensable à ma justification devant l’opinion et pour prouver que je n’ai pas joué en tout ceci le rôle d’un ambitieux vulgaire en quête d’un ministère, ainsi que les journalistes officieux l’impriment depuis un an : c’est la lettre que Votre Majesté m’a fait l’honneur de m’écrire le 12 janvier 1867. Je ne veux pas m’en servir sans en avoir obtenu l’autorisation formelle de Votre Majesté. J’hésite d’autant moins à la lui demander que si mon honneur y est intéressé, je suis convaincu que vous-même, Sire, vous n’avez qu’à gagner dans l’opinion publique de la France et de l’Europe, à la publication de ce beau document. J’en joins une copie à cette lettre. Il va de soi que je ne ferai nulle mention de l’autorisation qui me serait accordée et que je ne la sollicite que pour me mettre en règle avec moi-même. — Votre Majesté m’obligerait de me faire connaître sa décision à Saint-Tropez et d’agréer l’assurance de mes sentimens respectueux. » (23 septembre.) La réponse me vint de Biarritz meilleure encore que je ne l’attendais : ce Monsieur, en réponse à la lettre que vous m’avez écrite, je m’empresse de vous autoriser à publier celle que je vous ai adressée le 12 janvier 1867, car je ne me repens ni des sentimens ni des idées que je vous ai manifestés à cette époque. — Croyez à ma haute considération et à ma sympathie. — Napoléon. » (29 septembre 1868.)

Muni de cette autorisation significative, je m’avançais librement dans mon œuvre quand m’arrivèrent de Paris les rumeurs lointaines de l’affaire Baudin. J’étais décidé à ne pas m’en mêler. Je ne croyais pas qu’on viendrait troubler mon repos pour me faire sortir de cette abstention. Je me trompais. Dès que la souscription à la statue fut ouverte, je reçus de mon Comité, dont la plupart des membres étaient devenus mes amis personnels, une invitation, et des comités radicaux, qui désarmaient mal volontiers devant moi, une sommation de souscrire, à la suite de tous les membres de la Gauche, sans quoi l’amnistie qu’on m’avait accordée me serait retirée. Ne pas protester contre le coup d’État serait considéré comme une adhésion à cet acte odieux ; modérés et violents s’entendraient ; je serais rejeté et certainement battu. Au contraire, au lendemain de ma souscription aucune voix ne s’élèverait plus contre mon élection et je redeviendrais l’homme populaire et acclamé de 1863.

En ne considérant que mon intérêt personnel il n’y avait pas à délibérer : il fallait souscrire. Mais ne penser qu’à soi est une erreur que je n’ai jamais commise, et je dus considérer les conséquences que produirait l’acte auquel on voulait m’obliger. Quoique dépourvu de l’infatuation dont on m’a gratifié, j’étais bien obligé de me rendre compte que, dans les circonstances présentes, l’Empire libéral n’était possible que par moi. L’Empereur hésitait à le faire avec moi, mais il était résolu à ne le faire avec aucun autre ; il ne pouvait s’agir ni de Jules Favre, ni de Thiers, auxquels il ne se serait jamais confié, et dans le tiers parti, le seul homme indiqué à mon défaut. Buffet, lui inspirait des méfiances à cause des souvenirs de 1849. Il était d’ailleurs persuadé qu’un mouvement en avant ne gagnerait la confiance des masses populaires, vers lesquelles son regard était toujours tourné, que s’il était opéré par un homme d’opinion démocratique, ne pouvant être soupçonné d’être un jeune revenant des vieux réactionnaires de la rue de Poitiers. Quelque vive qu’eût été mon opposition dans la session précédente, elle était demeurée strictement constitutionnelle et signifiait seulement : Marchez en avant ! Ma souscription lui eût donné un caractère nouveau ; elle eût dit : révolution. Dès lors l’Empire libéral était mort, l’Empereur acculé, rejeté vers la réaction, le parti constitutionnel, le tiers parti anéantis, ou obligés de devenir une fraction du parti de la révolution. Était-il honnête, était-il prévoyant, était-il patriotique de contribuer pour sa part à créer une telle situation ? Je ne le crus pas.


XIII

Il ne faut pas maudire toutes les révolutions : il est des temps où la loi est devenue une violation si intolérable du droit qu’on n’est plus tenu de la respecter ; dans d’autres, l’indignité de celui qui commande dégage de toute obligation ceux qui devraient obéir : Si rex degeneret in tyrannum deponi et eligi alium[16] : Parfois une nation périrait si elle ne brisait son gouvernement, et alors une révolution a été la tempête purifiante qui dissipe les miasmes et rend la clarté au ciel obscurci. Mais une révolution, même légitime, entraîne une telle corruption des mœurs publiques et du sens moral que, si elle n’est pas indispensable, elle est coupable : nul n’a le droit d’y recourir tant que la résistance légale n’a pas été reconnue impuissante. Or, en 1869, le peuple français n’était pas réduit à cette extrémité. Pourquoi aurait-il désiré une révolution ?

Au point de vue matériel ses intérêts étaient intelligemment sauvegardés ; les libertés véritables, les libertés civiles se développaient chaque jour ; la liberté politique principale, celle de la presse ne subissait plus que des entraves illusoires ; le droit de réunion fonctionnait pour la première fois. L’abolition du pouvoir personnel, il est vrai, la transformation définitive de l’Empire autoritaire en Empire libéral, par le rétablissement de la responsabilité ministérielle, n’était point encore conquise, et c’était le vœu principal de l’opinion, mais si l’Empereur ne se décidait pas à ce dernier pas, ce n’était qu’un retard à une capitulation inévitable. Il ne pouvait maintenir son pouvoir personnel qu’en révoquant les décrets de 1860 et 1867, et il était résolu à ne pas le faire. Il avait dit à Walewski : « Je ne me repens ni du 24 novembre, ni du 19 janvier. On a beau me présenter la situation sous les couleurs les plus sombres : peut-on me dire ce qui serait arrivé si je n’avais pas agi de la sorte ? j’ai toujours été décidé à ne pas retirer les lois. » Et il disait vrai.

Quand on a obtenu les trois quarts de ce qu’on désire, renoncer aux moyens légaux qui vous ont réussi jusque-là serait, en vérité, le comble de la déraison. Eût-il fallu attendre longtemps le dernier quart, c’eût été beaucoup moins dommageable que de faire une révolution. « Il ne faut pas, a dit un des plus judicieux représentans de notre admirable Tiers-État, Etienne Pasquier, quoique voulant apporter quelque règlement pour réformer la malfaçon des choses passées, terrasser l’autorité, de peur qu’après avoir été affligé par les fautes, le royaume ne reçût plus grande affliction par les remèdes[17]. » Ainsi en serait-il advenu chez nous à la suite du renversement de l’Empire. Ni les légitimistes ni les orléanistes, séparés par des divisions irréconciliables, n’en pouvaient être les héritiers : c’est la République qui appréhenderait la succession. Or, depuis que j’étais sorti de la fièvre politique de mes jeunes années, je ne croyais plus la République la source de tout bien, la Monarchie celle de tout mal. Une république sagement organisée, respectant les conditions permanentes de l’ordre social, ce qu’on appelle les lois traditionnelles, libérale sans devenir anarchique, amie du peuple sans verser dans la démagogie, serait la forme la plus belle et la plus honorable pour la dignité de l’espèce humaine. Mais pouvait-on espérer un tel bienfait ? De tout temps il y a eu parmi les républicains, des hommes de haute valeur morale, des esprits élevés, éclairés, distingués, capables de diriger les affaires publiques aussi bien que ceux qui les en tenaient éloignés. Mais parmi eux il y avait aussi beaucoup trop d’ignorans, de violens, de grossiers, d’incapables. Même les meilleurs étaient imbus d’idées fausses sur les principaux problèmes de l’organisation sociale et politique : impôt, relations de l’Église et de l’État, rapports du capital et du travail. Assagis par l’exercice du pouvoir, peut-être renonceraient-ils à leurs erreurs ; réussiraient-ils à assagir également et à redresser dans l’esprit du peuple tant d’idées fausses qu’ils lui avaient si longtemps enseignées ? Et s’ils en avaient le courage, auraient-ils les moyens de contenir et au besoin de réprimer les extravagances auxquelles ils avaient renoncé et d’empêcher leur république de dégénérer en une démagogie imbécile, mélange d’oppression, d’anarchie et de barbarie ? Je n’y comptais pas.

En 1848 avait surgi du sol bouleversé un torrent impétueux qui, à ses ondes salubres, mêlait de la boue, des détritus, des pierres. Napoléon III s’était établi comme une digue de granit, à la fois obstacle et filtre, qui ne laissait passer que les ondes salubres. Travailler à détruire cette digue c’était permettre aux boues, aux détritus aux pierres d’envahir et de ravager les plaines. J’avais trop présent en moi le spectre répugnant qui m’était apparu en 1848, derrière les barricades de juin, pour prendre ma part d’une si redoutable témérité. J’aimais trop la liberté pour contribuer en quoi que ce fût à en confier le sort à un jacobinisme ignare. Chacune de nos dynasties a eu sa mission historique : les Capétiens ont constitué l’individualité de la France, les Bourbons sa grandeur territoriale ; aux Napoléon il était réservé d’être à la fois les éducateurs, les patrons, les dompteurs de la démocratie. Eux seuls avaient la force, en ne refusant aucune satisfaction légitime, de barrer la route aux aberrations populacières. Après eux aucun gouvernement ne pourrait remplir d’une manière aussi sûre cette double tâche de progrès et de préservation sociale.

D’ailleurs, parler de révolution est facile, l’accomplir l’est moins. Sans doute les classes moyennes se prononçaient de plus en plus contre l’Empereur, mais elles l’avaient toujours subi plus qu’accepté et le peuple, dont il avait été la création, lui restait attaché malgré des fautes qu’il attribuait à l’incapacité des ministres et à la fatalité des circonstances. Ce n’était pas l’Empire qui était à l’agonie, c’était la forme autoritaire de cet Empire. Du jour où, sortant de l’indécision, l’Empereur aurait inauguré l’Empire libéral, il serait instantanément renouvelé, fortifié, et, même parmi les lecteurs de la Lanterne, beaucoup désarmeraient. Se fussent-ils obstinés à une guerre désormais sans motifs, l’Empereur n’avait, sans tirer l’épée d’un coup d’État, qu’à s’adresser directement à ses fidèles du suffrage universel qui lui auraient vite rendu le pouvoir de remettre une liberté séditieuse dans la geôle césarienne. Une opposition révolutionnaire ne réussirait donc qu’à compromettre ce qui avait été péniblement conquis et à rendre au régime autoritaire tout ce qu’il avait perdu.

Les révolutionnaires se vantent quand ils prétendent avoir renversé des gouvernemens ; ils les ont plutôt fortifiés. Aucun gouvernement n’a péri que par le suicide : ceux qui ne s’abandonnent pas, quelles que soient leurs fautes, sont indestructibles dans ce pays plus accoutumé, depuis un temps immémorial, à remuer la langue qu’à lever les bras. Et quel gouvernement paraissait plus que le gouvernement impérial à l’abri d’une telle fin ? Le seul péril qui pût le menacer était celui d’une guerre malheureuse, suivie d’une invasion. Qui aurait pu alors prévoir une telle calamité sans être taxé de folie ? Qui ne croyait pas, avec M. Thiers, que « rien n’était au-dessus de l’armée française ? » Qui aurait pu douter, que, même en cas de défaite, la France entière, oubliant ses divisions, ne vînt se grouper autour de celui qui combattait pour elle ? En 1814 et en 1815, les républicains, Carnot, le général Lecombe, le conventionnel Grenier de Saintes, etc., étaient accourus auprès de l’homme national et avaient offert leur dévouement à celui dont ils n’avaient pas servi les prospérités. Cette tradition glorieuse, en quelque sorte sainte, ne venait-elle pas d’être renouvelée par l’héroïque martyr Barbes, écrivant, au moment des revers de Crimée dont se réjouissaient quelques néo-républicains infidèles à la tradition des ancêtres : « J’ambitionne les victoires pour nos Français. Je plains le parti, s’il en est qui pensent autrement. Il ne manquerait plus que de perdre le sens moral après avoir perdu tant d’autres choses. » Ne disait-il pas à ce moment même à Rochefort, dans sa chambre d’exil de La Haye : « Si cela devait finir par l’invasion, j’aimerais encore mieux vingt ans d’Empire. » Supposer qu’un jour ce généreux parti républicain, auquel mon cœur appartenait encore, mettrait son espérance dans les malheurs de la patrie et commettrait le lâche attentat de frapper dans le dos un souverain tombé sur le champ de bataille le drapeau de la France à la main, cela m’eût paru une prévision sacrilège que je ne me serais pas pardonnée.

La Révolution n’était donc pas nécessaire ; elle était contraire aux intérêts de la nation ; elle n’avait aucune chance de succès. La haine seule pouvait la souhaiter. Certes, nul plus que moi, n’avait le droit de haïr[18] : Louis-Napoléon président m’avait destitué de mes fonctions de préfet ; son gouvernement avait emprisonné à Mazas un frère bien-aimé, avait traîné dans les casemates, condamné à la transportation, puis exilé mon père ; un alibi opportun seul m’avait fait échapper à la proscription de ma famille, mais un arrêt de suspension m’avait privé du bénéfice de ma profession d’avocat, et, pour pouvoir envoyer à l’exilé le pain quotidien, j’étais condamné à un pénible professorat de douze heures par jour ; depuis, lorsque, ayant surmonté la difficulté des débuts, ma profession devenait enfin lucrative, j’avais été de nouveau frappé d’une suspension ; puis, au lendemain du jour où l’Empereur m’avait demandé mes conseils, offert un ministère, écrit « qu’il trouverait ses inspirations d’autant meilleures qu’elles seraient conformes aux miennes, » son ministre d’État, décoré par lui d’une plaque de diamans, me traquait comme une bête dangereuse et soldait un écrivain sur les fonds secrets pour me vilipender. Non, nul n’avait plus que moi le droit de haïr. Je n’ai pas voulu en user. « Si la haine répond toujours à la haine, a dit un proverbe indien, la haine ne finira jamais. » J’étais entré dans la vie politique, — chimères si l’on veut, mais c’est ce qui m’y avait engagé, — pour travailler à l’abolition de la haine par la tolérance et la liberté ; ma seule ambition était d’établir dans la politique une région de sérénité où les idées les plus diverses pourraient se rencontrer, s’expliquer, même se combattre aux pieds de la patrie universellement respectée et maintenue supérieure aux disputes. Et maintenant je me laisserais détourner du but poursuivi depuis tant d’années ? Loin de me rejeter en arrière, je m’attachai encore plus obstinément à la poursuite d’un idéal, d’autant plus cher qu’il me semblait plus difficile à atteindre. Du reste, je me serais efforcé en vain d’agir autrement. J’avais tellement façonné mon esprit à la recherche rigoureuse de ce qui était juste, qu’il m’eût été impossible de reprendre ces habitudes systématiques de dénigrement, de falsification, d’injustice, de constante exagération, sans lesquelles il n’y a pas d’opposition révolutionnaire. J’étais trop heureux de m’être affranchi de ces servitudes ; l’idée de remettre mon esprit sous leur joug me faisait horreur. Enfin je répugnais à entamer une lutte personnelle injurieuse et sans merci contre le souverain avec lequel j’avais eu des entretiens confidentiels, et dont j’avais serré la main. Je refusai donc ma souscription.


XIV

Je ne répondis pas un mot à la sommation. J’écrivis au brave homme qui avait été chargé de me transmettre l’invitation : « Mon cher Dugit, je vous remercie de votre lettre qui est une preuve de plus de votre affectueux intérêt. Je pense comme vous sur le coup d’Etat et j’admire autant que vous l’acte héroïque de Baudin. Mais je considère la souscription comme une faute dans la situation de la France. C’est, dans tous les cas, la condamnation de la politique que je suis si péniblement depuis douze ans. Je ne puis en un jour désavouer douze ans de combat. Rien de plus simple que ce qui se passe. Les abstentionnistes vaincus par nous en 57 et en 63 tentent de prendre leur revanche et de substituer leur politique révolutionnaire, que j’ai toujours combattue, à la politique constitutionnelle des Cinq que je continue. Que voulaient les Cinq ? Amener le gouvernement à accorder la liberté pour éviter une nouvelle révolution. Que veulent les organisateurs de la souscription ? Empêcher le gouvernement d’accorder la liberté en l’affolant de terreur, et par là rendre inévitable une nouvelle révolution. Je lutterai jusqu’au bout pour l’empêcher. Je vois l’écueil, comment voulez-vous qu’étant pilote j’y jette le navire ? Après le naufrage, j’aurai beau dire à ceux qui survivraient : Je vous ai écoutés et voilà pourquoi nous avons sombré. Ils me répondraient : Votre devoir était de nous résister. Je résiste. Conservez-moi votre amitié. » L’effet de mon refus fut immédiat et tel qu’on l’avait annoncé. Les comités de toutes les nuances décrétèrent mon exclusion ; il fut même convenu que mon échec serait le but principal à poursuivre dans les élections prochaines de Paris.


XV

La lutte commença dès le 3 mars, lors de la publication de mon livre Le 19 janvier, compte rendu à mes électeurs. Thiers m’avait déconseillé de le publier : « Tenez-vous-en, m’avait-il dit, à quelques explications très courtes ; il ne faut pas que vous vous rendiez impossible. » Me rendre impossible était le moindre de mes soucis. Je n’étais préoccupé que de démontrer la droiture de ma conduite et de sortir du rôle sot d’un soupirant au ministère, dupé. J’exposai donc les faits sans aucune réticence, sauf en ce qui concerne les entretiens confidentiels avec l’Empereur. De ce récit, dont personne ne contesta la vérité, il résulta pour tout homme libre de son jugement que ma conduite n’avait été inspirée ni par la captation, ni par une convoitise ambitieuse, et qu’elle était née d’une longue réflexion désintéressée. Désormais, on pouvait encore ne pas l’approuver, mais nul ne pouvait plus, honnêtement, l’ignorer et à plus forte raison la dénaturer.

Dès que mes épreuves furent en état, je les envoyai à l’Empereur. Une de ses amies. Mme Cornu, entrant dans son cabinet : « Connaissez-vous le livre d’Ollivier ? lui demanda-t-il. — Non. — Je le termine. Eh bien ! fit-il en étendant les mains sur les feuillets épars sur son bureau, tout ce qu’il raconte est vrai. » Rouher montra moins de quiétude : il fut à la fois irrité par mes révélations qu’il ne pouvait contester et exaspéré par mes attaques qui lui prouvaient combien j’étais décidé à mener jusqu’au bout le combat auquel il m’avait obligé. Il lança sur moi sa meute des Dréolle et compagnie, conduite par Paul de Cassagnac. Les journaux intransigeans, l’Avenir, le Réveil, le Siècle surtout firent chorus, et vraiment lorsqu’il s’agissait de moi, quand on lisait le Pays, on croyait lire le Siècle et quand on lisait le Siècle on eût pu croire qu’on tenait le Pays. Du ministère de l’Intérieur, du bureau de la Presse, et des bureaux des journaux radicaux, partait chaque jour pour tous les journaux de province un flot d’injures.

Je ne crois pas que, depuis que la presse existe, aucun livre ait été reçu par un charivari comparable à celui qui accueillit mon pauvre « livret. » Ce fut assourdissant. Injures, calomnies, dédains, railleries, rien ne manqua : lorsque je n’étais pas un scélérat, j’étais tout au moins un niais, un vaniteux, fini, perdu, coulé. En ce premier moment, j’apparus vraiment, selon la belle expression de l’Ancien, aliena invidia splendentem.

Toute cette polémique était d’une pauvreté déconcertante. Les gros mots supprimés, les reproches pouvaient se réduire à ceci : l’abus du Je. N’étais-je pas condamné à user du je puisque je faisais ma confession et non celle de mon voisin ? J’aurais pu dire nous à l’exemple de Cicéron, de Chateaubriand et des souverains ; mais outre que ce nous est gênant à manier, il y a beaucoup plus de superbe dans cette multiplication sonore du moi que dans un modeste singulier. D’ailleurs, je ou nous, peu importait ; c’est l’étalage fatigant, haïssable du moi sous une forme quelconque qu’on me reprochait. Or, je pense que la contemplation du moi est l’objet le plus intéressant, même pour les autres, et que, loin d’être haïssable, il est souvent de grand profit. On disait à la marquise du Deffand, qui sortait d’un long tête-à-tête avec un butor : « Comme vous avez dû vous ennuyer ! — Du tout, répondit-elle, il me parlait de lui. » Les livres qui ont le mieux résisté au temps sont les Pensées de Marc-Aurèle, les Confessions de Saint-Augustin, les Essais de Montaigne, qui nous font assister aux évolutions intellectuelles et sentimentales d’un moi. Chacun s’y retrouve. « On se plaint, dit Victor Hugo, des écrivains qui disent moi. Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas ! quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas[19] ? » Plût au ciel que chacun s’occupât un peu moins des autres et un peu plus de lui ! Plût au ciel que le soir venu, chacun de nous, au lieu de rouler dans sa cervelle de mauvais propos et des desseins tortueux sur le prochain, imitât l’exemple de Sextius et de Sénèque et citât son je, son moi ou son nous à son propre tribunal ! On ne prend pas le temps de se regarder.

C’est surtout dans l’histoire que le moi est instructif. Les faits n’ont leur individualité, qui permet d’en suivre ou d’en rejeter l’exemple, que lorsqu’ils sont circonstanciés jusque dans les moindres détails : sinon, ils sont en réalité tout autres qu’ils paraissent, et deviennent cause d’erreur. Qui peut même leur donner leur vie propre si ce n’est ceux qui les ont préparés, conseillés ou exécutés ? « Les seules bonnes histoires sont celles qui ont été écrites par ceux-mêmes qui commandaient aux affaires ou qui étaient participans à les conduire, ou au moins qui ont eu la fortune d’en conduire d’autres de même sorte[20]. » Voulez-vous profiter de l’expérience du passé ? N’ouvrez pas les histoires littéraires, à l’exception de quelques-unes très rares écrites par des esprits supérieurs ; tenez-vous-en aux histoires chronologiques, et lisez les Commentaires de César, les Mémoires de Commynes et de Retz, les Lettres de Henri IV, les Conversations de Sully, les Instructions de Louis XIV, les Histoires de Frédéric, les Dictées de Napoléon, les Mémoires de Lafayette, Chateaubriand, Pasquier, Talleyrand, Guizot, Gouvion Saint-Cyr, Tocqueville, etc. Vous y trouverez plus de vérité et par conséquent plus d’enseignement en quelques pages que dans les élucubrations rhétoriciennes des Henri Martin de tous les temps. Reste à savoir comment on le présentera. Montaigne dit : « Si je me semblois bon et sage, je l’entonnerois à pleine teste. De dire moins de soy qu’il n’y en a, c’est sottise, non modestie. On ne vaut que ce qu’on se prise. » Épictète ne voulait pas qu’on s’entonnât à pleine teste. Il préférait qu’on se dépréciât quand même : « Si on vient te dire : Un tel a médit de toi, ne t’arrête pas à te justifier, mais réponds : Il ignorait mes autres vices, puisqu’il n’a parlé que de celui-là. » Mon avis est qu’il ne faut ni se déprécier ni se célébrer, mais se raconter honnêtement et laisser le lecteur juger.


XVI

Le second reproche qu’on m’adressait était de justifier ma conduite par des citations empruntées aux grands politiques de plume et par des exemples tirés de la vie des grands politiques d’action. Un caricaturiste me montrait en admiration devant une image de Mirabeau et m’écriant : « Suis-je assez Mirabeau ? » Il fut un temps où le comble de la distinction était « de rapiécer ou rapetasser son discours de passages grecs ou latins »[21], d’écrire avec une vaine ostentation de savoir, en une façon « toute marquetée de passages divers. » La plupart des écrivains ressemblaient à « celui qui ayant besoin de feu en irait quérir chez son voisin et, y en ayant trouvé un beau et grand, s’arresterait là à se chauffer, sans plus se souvenir d’en rapporter chez soy », ou bien encore à ces oiseaux qui vont, « pillotant la science dans les livres et ne la logeaient qu’au bout de leurs lèvres, pour la dégorger seulement et mettre au vent »[22]. D’un aveu général cet usage a été déclaré barbare et rejeté. Cependant le charmant esprit qui l’a le mieux combattu, Montaigne, est, si je puis dire, un des pères de la citation. Les plus grands écrivains du XVIIe siècle en sont coutumiers. Bossuet ne saurait être trop étudié sous ce rapport. L’antiquité et les livres saints sont l’accompagnement habituel de ses discours, mais comme ils s’y confondent, ils ne les ralentissent parfois un peu que pour leur donner le retentissement lointain. Chateaubriand en a été prodigue. « C’est qu’il ne faut pas croire que l’art des citations soit à la portée des petits esprits qui, ne trouvant rien chez eux, vont puiser chez les autres. La mémoire est une muse ou plutôt c’est la muse des Muses. » Citer à tort et à travers, en violentant le mouvement naturel des idées ou en le surchargeant mal à propos afin d’étaler son érudition, est une manie ridicule, ce fut celle du XVIe siècle. Au contraire, citer à propos, lorsque la citation sort des nécessités du sujet, en l’incorporant tellement à ce qu’on écrit soi-même, qu’on ne l’en distinguerait pas sans les guillemets indicateurs, c’est un art précieux. A tout prendre, je préfère la manie du XVIe siècle à la légèreté impertinente avec laquelle au X1Xe on pille, on copie, on refait les livres anciens, sans jamais indiquer où l’on a puisé. Pourquoi, lorsqu’un homme de génie a donné à une idée sa forme définitive, ne pas la reproduire telle qu’il l’a fixée en inscrivant avec reconnaissance son nom au-dessous de la formule heureuse ? Bourdaloue ayant remarqué qu’un de ses préceptes produisait une vive impression sur son auditoire, s’arrête et dit : « Cette pensée n’est pas de moi mais de saint Jérôme. »

Se proposer comme exemples les actes des hommes d’action n’est-ce pas aussi profitable que s’inspirer des maximes des penseurs ? Je n’avais pas attendu d’être obligé de me défendre personnellement pour en être convaincu. Dès mes dix-neuf ans, j’inscrivais comme épigraphe sur la première page de ma thèse de licence cette pensée de Quintilien : « Plus haut parviendront ceux qui font effort pour atteindre les hauteurs que ceux qui, s’abandonnant à une désespérance préconçue, demeurent dans les bas-fonds. » Plus tard Machiavel m’avait appris qu’ « un homme prudent doit passer toujours par les chemins suivis par les grands hommes et imiter ceux qui ont été excellens afin que, si sa vertu n’y atteint pas, au moins il en ait quelque reflet. Il faut faire comme les archers prudens qui, jugeant le but qu’ils doivent viser trop lointain et la portée de leur arc trop limitée, mettent leur point de mire beaucoup plus haut, non pour atteindre à si grande hauteur, mais pouvoir à l’aide de ce but élevé parvenir au but réel. » Mais non : déclarer qu’on ne relève pas de soi seul, s’appuyer dans une entreprise ardue sur des maîtres, ne pas tenir comme non avenu ce qui a été réalisé ou voulu par ses prédécesseurs, ne pas considérer sa raison personnelle comme la règle suprême et la lumière infaillible, c’était de par MM. Peyrat, Delescluze, Duvernois, Cassagnac et les hommes d’État du Charivari, présomption impertinente. L’esprit de secte ne rend pas seulement mauvais, il abêtit.

Ce déchaînement de la première heure, par sa violence même, avait quelque chose d’artificiel. Peu à peu il se calma. Nefftzer, dont le jugement pesait beaucoup, commença dans le Temps à plaider les circonstances atténuantes. « Sans doute, ce que j’avais fait n’était pas bien, mais cependant, il ne fallait pas méconnaître que j’avais eu quelque mérite. » John Lemoinne dans les Débats se prononça encore plus favorablement. Dans la Liberté un jeune écrivain, Boutmy, destiné à une belle renommée littéraire et historique, me consacra une étude fine, élevée, chaleureuse. Dans l’Opinion nationale, Guéroult prouva une fois de plus que s’il était un esprit d’élite, ii était non moins une vaillante et honnête conscience ; lui aussi était miné par l’ambition des jeunes irréconciliables ; il aurait pu se joindre à ceux qui m’accablaient. Au risque de se nuire, il me rendit un témoignage sans réserve.

Le Journal de Paris, dirigé par des écrivains distingués, Hervé et Weiss, nullement mes amis personnels, dit le dernier mot, le jugement de l’histoire : « Tout ce qui s’est passé entre le comte Walewski, M. Emile Ollivier, l’Empereur, M. Rouher était de nature à troubler l’esprit d’un homme que son étoile jetait sans dire gare au milieu de ces formidables engrenages. Le député de Paris n’a pas eu un instant de vertige ; il nous a toujours paru maître de sa langue et de ses mouvemens ; il a manœuvré entre deux intrigues, et s’est tiré de la bagarre avec une habileté qui montre une âme bien trempée et un coup d’œil très sûr. Nous lui savons gré avant tout d’avoir profité de ce qu’il ne voulait pas devenir ministre de l’Instruction publique pour développer devant l’Empereur un programme libéral mieux conçu et plus complet que celui qui a été appliqué. Ce programme du moins est irréprochable ; c’est le programme de tous ceux qui aiment la liberté pour elle-même et non pour les avantages personnels qu’elle leur procure. »

Enfin, le grand public, auquel il est si difficile de parvenir, entra en scène. Les injures dont on accablait le livre lui donnèrent envie de le lire. Les éditions se succédaient sans que j’eusse le temps d’en corriger aucune. En moins d’un mois, 20 000 volumes avaient été enlevés et les demandes continuaient toujours. Comme ce grand public n’était pas aveuglé par le parti pris, il approuvait. De toutes parts, je recevais des lettres d’encouragement, des témoignages d’affection. De cette collection je ne veux citer que celle de Sainte-Beuve qui prouve avec quelle perspicacité il comprit la portée de mes révélations : « Cher monsieur, je lis ces intéressantes révélations qui nous montrent à quel point l’Empire n’a plus de gouvernement, et quelle anarchie politique il règne entre ses agens les plus élevés et les plus immédiats. Jamais en aucun temps en France, il n’y a eu de pareille anarchie dans les Hautes régions du pouvoir. Si l’on remonte jusqu’à Louis XV, il y avait au moins alors un premier ministre réel, que ce fût Choiseul ou d’Aiguillon. Quelque chose peut-être de pareil s’est vu sous Louis XVI, anarchie entre les Maurepas et les Turgot. Mais, sous un jeune Empire, j’avoue que cela ne se conçoit pas, et pourtant vous montrez la plaie à nu. Pour vous, laissez passer les commentaires ; vous avez eu une belle pensée d’union, d’oubli généreux, de prévoyance ; malgré les noms que vous citez, vous n’avez consulté que vous-même dans votre inspiration vraiment patriotique et vraiment désintéressée ; votre tentative a son originalité, je dirai unique et parfaitement honnête. Vous nous la racontez et vous nous l’exposez en bien des endroits avec éloquence. Votre conclusion est des plus élevées. Combien je me suis senti fier que mon nom se soit rencontré sous votre plume, et dans de pareils termes, au moment où vous abordiez une des plus hautes et des plus délicates questions qui pèsent sur notre avenir ! »

En résumé, à Paris, où la majorité était gagnée à l’esprit révolutionnaire, ce livre exaspéra le parti révolutionnaire et ne le rendit que plus ardent. Au contraire, en province, il accéléra le mouvement constitutionnel et contribua à son succès prochain.


EMILE OLLIVIER.

  1. Avant même la promulgation de la loi, l’Empereur avait gracieusement accordé à Veuillot l’autorisation de ressusciter l’Univers (19 février 1867).
  2. 28 juillet 1868, p. 166.
  3. A Harisse, 9 avril 1868.
  4. Pasquier, Lettres, XII-LXIII, 3.
  5. Le Pays, 19 novembre 1886. Quoique cet article soit postérieur à la Lanterne, il est la caractérisation exacte de la méthode employée par Cassagnac dès son entrée dans le journalisme.
  6. Victor Hugo.
  7. Ferry, La lutte électorale, en 1863, p. 11 .
  8. Thiers, Discours du 26 février 1866.
  9. Cet article exigeait une autorisation du Conseil d’État pour poursuivra un fonctionnaire public.
  10. Politique radicale, p. 21 et 181
  11. 29 septembre 1868.
  12. Berryer à Georges Sinclair, 6 juillet 1868.
  13. J’ai donné le même récit dans l’Empire libéral, t. II, p. 475.
  14. Empire libéral, t. II, p. 228.
  15. Lacordaire, Correspondance.
  16. Bellarmin.
  17. Pasquier, Lettres, XII, 4, XIII, 3.
  18. Empire libéral, t. V, p. 95.
  19. Préface des Contemplations.
  20. Montaigne, livr. II, ch. X.
  21. Pasquier, Lettres, l. III, lett. 12.
  22. Montaigne, I-XXIV.