L’Alcôve

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L’Alcôve
Comédie-vaudeville
J.-N. Barba.



Comédie-vaudeville


Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 21 Novembre 1835.





Quelques pages des charmans Souvenirs de M. Charles Nodier ont fourni le sujet de cette pièce. Les auteurs se plaisent à reconnaître cet emprunt qui leur a valu un succès ; et ils ne peuvent résister au plaisir de reproduire ici le récit des Souvenirs, récit chaleureux et dramatique. C’est M. Charles Nodier qui parle :

« …… Ma petite chambre au rez-de-chaussée était un parallélograme étroit, horizontal à la cour, et clos en devant de sa porte vitrée et de sa large croisée à losanges, comme c’est l’usage en Alsace. Le fond de ma loge était une alcôve à portes de bois bien fermantes, dont une des extrémités communiquait en dedans avec une espèce de cabinet de toilette, et l’autre avec un prie-Dieu. Si jamais on transporte ma chambre sur la scène, dans une de ces compositions à la mode, dont tout le monde peut devenir le héros à son tour, je supplie le décorateur de ne pas oublier que son intérieur était à demi tapissé d’un papier gris de perles, fort boursoufflé et fort poudreux, zebré de larges bandes bleu de roi, escortées de petites bandes bleues jumelles. On ne saurait être assez ponctuel dans des matières de cette importance.

« …… Deux heures après minuit me surprenaient à ma besogne, quand un cri aigu se fit entendre à ma porte, qui retentit en même temps sous deux ou trois coups brusquement répétés. Je l’ouvris, et je vis Thérèse éperdue[1] se précipiter dans ma chambre les cheveux épars, les traits renversés, les pieds nuds, le corps à demi vêtu d’un manteau en désordre. Tout ce que je pus remarquer, c’est que c’était celui d’un homme. Mon alcôve était ouverte ; elle s’y précipita, en retira la porte sur elle en me criant : sauvez-moi! » — Un frisson me saisit, me glaça tous les membres. Je ne comprenais ni le danger de Thérèse, ni ma position avec elle au milieu de cette nuit de terreur dont un orage affreux augmentait encore les épouvantes. La grèle bondissait sur mes vîtres, ou s’assourdis sait sur leurs plombs ; la foudre grondait avec un bruit capable de réveiller les morts  ; des éclairs si multipliés qu’on en distinguait à peine les intervalles, jetaient sur tous les objets extérieurs une espèce de transparent enflammé. Ma première pensée fut que la maison du père Christ venait d’être incendiée par le tonnerre. Tout cela dura si peu que je n’eus pas le temps de former une autre conjecture. Ma porte se r’ouvrit. Cette fois-là, je n’en avais pas tourné la clé. C’étaient six hommes armés de fourches et de vieilles lames de sabres, qui m’entourèrent presque avant que je les eusse aperçus. – « Où est le feu ? » m’écriai-je. — « Où est l’émigré ? » répliquèrent ils. Je devinai.

Le chef de ces perquisiteurs intrépides m’était, de fortune, fort particulièrement connu. C’était un ancien militaire, nommé Jean Leblanc, qui cumulait depuis quelques années les importantes fonctions de garde de nuit, de crieur public, de sergent de la garde nationale, et qui y réunissait l’avantage d’être le maître Jacques du père Christ et le factotum de la mairie. Comme les honneurs appellent les honneurs, il m’avait servi de piqueur ou de surveillant des pionniers dans le petit nombre d’opérations locales que je m’étais réservé, et j’exerçais sur lui cette espèce d’ascendant que le peuple accorde volontiers à un certain vernis d’instruction qui n’est pas trop gâté par une sotte suffisance.

« Que diable viens-tu me conter d’émigrés, lui dis-je, où les cherches-tu ? Il faut, pour oser te permettre chez moi une pareille algarade à cette heure de la nuit, et pour courir les rues par l’abominable temps qu’il fait, que tu aies au moins triplé ton énorme ration de kirsch de Faucogney. Laisse-moi travailler, au nom de Dieu, car je n’ai pas de temps à perdre avec des fous. »

« — Je ne suis ni fou, ni ivre, mon officier, répondit Jean Leblanc, en secouant la tête. Un émigré était caché dans une maison voisine, c’est de notoriété publique  ; nous l’avons débusqué il n’y a pas dix minutes, et mes camarades n’ont perdu sa trace qu’à quelques pas de votre porte. »

— As-tu réfléchi, repris-je en appuyant fortement ma main sur son épaule, « que le même chemin conduit à la tienne, et que le lit de Suzanne Leblanc, l’aimable et honorée femme d’un homme de ta connaissance, qui ne rentre jamais chez lui qu’au coucher du soleil, est un asile plus sûr pour un émigré qui se cache que le cabinet d’un commissaire extraordinaire du Directoire exécutif. »

À ces mots toute la bande partit d’un bruyant éclat de rire, Jean Leblanc excepté.

« D’ailleurs, continua-t-il d’un ton un peu boudeur, mais en évitant de me répondre directement, et comme s’il ne m’avait pas entendu, d’ailleurs ces lumières que je n’ai jamais remarquées chez vous à une heure aussi indue, prouvent assez qu’il s’y passe quelque chose, et que nous n’y sommes pas venus sans raison.

— Elles prouvent, ami Jean Leblanc, que vous raisonnez comme un étourdi ; quand on veut cach quelqu’un chez soi, on n’allume pas ses chandelles  ; on les éteint. »

Ici les éclats de rire redoublèrent, et je me crus délivré. L’escouade inquisitoriale avait déjà passée la porte, quand un de mes braves s’avisa de dire : « Pourquoi n’avons-nous pas visité l’alcôve ? » Ils rentrèrent. « L’alcôve ! l’alcôve ! cria Jean Leblanc. » — Quoique vous manquiez assez insolemment aux règles de la subordination, Jean Leblanc, et surtout aux lois du pays qui vous défendent d’entrer de nuit dans mon domicile, pour que je me croie autorisé à vous brûler la cervelle (en ce moment je me saisis de mes deux pistolets), « je veux bien vous donner satisfaction pour mon alcôve. Il y a quelqu’un dans mon lit. » Ah ! ah ! s’écria la troupe, nous y voilà. »

Je m’appuyai contre l’alcôve, mes pistolets tournés sur les assaillans. « Il y a quelqu’un dans mon lit, il y a une femme, dont le nom et la vue sont interdits à quiconque de vous n’est pas pressé de mourir à l’heure même. Cependant, pour complaire, de tout mon pouvoir, à l’ardeur patriotique de Jean Leblanc, je lui permets d’entrer ici avec moi et de reconnaître aux cheveux et à la main le sexe du prétendu émigré que je dérobe à vos poursuites. Si quelqu’un ose l’y suivre, je le tue. — Il n’en faut pas davantage, reprit Jean Leblanc intimidé, qui ne désirait guères moins que moi de voir son expédition mise à fin. — « Citoyens, restez dehors » —Couvre-toi de ton fichu et de tes cheveux, dis-je en ouvrant l’alcôve ! et montre ton bras nu à ce héros… Regarde, Jean Leblanc, est-ce là un émigré ? — Bonté du ciel, reprit-il en riant à son tour à gorge déployée, plût à Dieu qu’ils fussent tous comme celui-ci, les damnés d’aristrocrates et de chouans ! la paix serait bientôt faite, au moins de mon côté. Mais n’êtes-vous pas, mon officier, un fier hypocrite, à votre âge, de débaucher ainsi la fleur de nos belles, sans avoir l’air d’y toucher ? On ne m’y tromperait mordieu pas, continua-t-il à mon oreille, c’est cette pauvre Jeannette du chemin des Paluds que vous avez endoctrinée de vos fines paroles et de vos tons sournois. Je donnerais ma tête à couper que c’est Jeannette la blonde, car il n’y a pas à dix lieues autour du Puy, femme qui ait le bras si délicat et d’aussi beaux cheveux, si ce n’est mademoiselle Christ ! »… A cette réticence, dont la témérité l’épouvantait lui-même, il se mordit le doigt. « Paix, Jean Leblanc ! gardez pour vous vos impertinentes conjectures, et allez vous assurer, si vous m’en croyez, que l’alcôve de Suzanne, votre femme, ne vous réserve pas quel que découverte plus importante !… Ils partirent…




MISE EN SCENE.

Fourgnolles et Vigoureux boivent à une table à droite[2] ; ils sont entourés des paysans et paysannes  ; la mère Flouquet et Marielle arrivent de la gauche au dernier plan  ; elles donnent les bouteilles aux buveurs. A la droite de Marielle, sont la mère Flouquet, Fourgnolles et Vigoureux. Raymond arrive de la droite et se place entre la mère Flouquet et Fourgnolles. Les paysans sortent par la droite.

Raymond reste au milieu ayant la mère Flouquet à sa droite : Cette dernière sort par la gauche. Marielle passe à la droite de Raymond. Sauvageot arrive par la droite et se tient au milieu ; la mère Flouquet revient de la gauche et reste de ce côté. Raymond sort par la droite, Sauvageot reste au milieu ayant Marielle à sa droite. Il sort par la droite et madame Flouquet par la gauche ; Marielle s’assied et file à la gauche.

Anatole entre par la fenêtre au fond à droite  ; il se tient à la droite de Marielle. Sauvageot parle en dehors de la fenêtre ; Marielle est auprès, et Anatole se tient devant l’alcôve. — Ils sortent à droite. — Madame Flouquet redescend — Raymond rentre par la droite ayant madame Flouquet à sa gauche, — Cette dernière sort à droite. — Rentrée par ce côté, d’Anatole et de Marielle. Anatole est au milieu, ayant Raymond à sa gauche, il entre dans l’alcôve, et Marielle se cache derrière le grand fauteuil qui est au fond entre la huche et l’alcôve.

Entrée, par la droite, de Sauvageot et des quatre hommes qu’il commande, Raymond est à gauche essuyant son fusil. Aux mots : voyons dans l’huche, Marielle quitte sa cachette et se glisse dans l’alcôve. Sauvageot passe au milieu, Raymond se place devant l’alcôve. — Les quatre hommes sortent par la droite.— Raymond fait passer Sauvageot à sa gauche, le tenant en arrêt avec son sabre  ; pendant le deuxième couplet, Anatole et Marielle sortent de l’alcôve et s’éloignent par la droite. Raymond s’assied à gauche, Sauvageot à droite. Ce dernier se lève pendant le couplet, et va auprès de Raymond.

Entrée, par la droite, du municipal  ; à sa gauche sont Marielle, Madame Flouquet et Raymond auprès de qui passe Sauvageot, lorsqu’il a pris le contrat pour le déchirer ; Raymond passe près de Marielle et la mère Flouquet à la droite  ; pendant le couplet au public, Raymond fait Sauvagot à sa droite et le pousse vers la porte. Il fait un signe d’adieu à Marielle. — Départ —Tableau.







PERSONNAGES.
ACTEURS.
RAYMOND, sergent recruteur. MM. Sainville.
SAUVAGEOT, fermier. Alcide-Tousez.
LE COMTE ANATOLE D’AMBERT. Cinty.
LA MÈRE FLOUQUET. Mmes Toby.
MARIELLE, sa fille. Dormeuil.
FOURGNOLLES,
réquisitionnaires.
MM. Octave.
VIGOUREUX, bossu. Barthelemy.
ROUSSELOT, paysan. Remy.
Un municipal. Floridor.
Réquisitionnaires.


La scène se passe chez la mère Flouquet, au village du Puy, sur la frontière de France.





Une chambre rustique. — Au fond, une alcôve avec des rideaux, à droite de laquelle est un vieux fauteuil à dossier élevé et une huche. – À gauche de cette alcôve, dans un enfoncement, une large fenêtre donnant sur la rue. – À gauche, sur le premier plan, la porte d’entrée de la maison et à droite, vis-à-vis, une autre porte donnant dans les autres chambres. – Sur une chaise, en vue, quelques effets épars d’habillement militaire tels que capotte, bonnet de police, etc.





Scène PREMIÈRE.

FOURGNOLLES, VIGOUREUX, RÉQUISITIONNAIRES.

(Au lever du rideau, les uns sont autour d’une table et boivent, d’autres essayent quelques effets militaires et s’exercent au manîment des armes.)

CHŒUR.
Air : Chœur du deuxième acte de Vert-Vert (Denne-Baron).
––––––Allons, amis, pas de tristesse,
––––––Faisons nos adieux au pays.
––––––Bientôt, pour nous, quelle allégresse !
––––––Nous frotterons les ennemis,
––––––––––––Chantons,
––––––––––––Rions,
––––––––––––Trinquons,
––––––––––––Buvons,
––––––––––––Français,
––––––––––A nos succès !
FOURGNOLLES.

Dites-donc, citoyens, ces bambocheurs de Prussiens qui croient qu’on les laissera passer la frontière de la république ?…

VIGOUREUX.

Ah ! bien oui… comme je m’appelle Vigoureux, je leur en verrai avant, plus d’une dragée de plomb.

FOURGNOLLES.

Et moi, comme j’ai nom Fourgnolles, je les caresserai joliment avec ma baïonnette.


Scène II.

Les Mêmes, LA MÈRE FLOUQUET, MARIELLE, apportant du vin.
LA MÈRE FLOUQUET.
Tenez, les enfans, v’la d’ quoi vous rafraîchir et vous donner du courage.
FOURGNOLLES.

Le courage va sans ça, mère Flouquet.

VIGOUREUX.

C’est égal… le vin n’est jamais nuisible. (Il verse à boire à ses camarades.)

LA MÈRE FLOUQUET.

La recrue est nombreuse cette fois-ci…

FOURGNOLLES.

J’crois ben.., tout le monde part, même… (Frappant sur le dos de Vigoureux qui est bossu.) Excepté pourtant les hommes mariés…

VIGOUREUX, à Marielle.

Savez-vous, Mademoiselle Marielle, que le citoyen Sauvageot vous a épousée à temps tout d’ même… un peu plus tard, il se trouvait empaumé dans la mobile…

FOURGNOLLES.

Ah ! c’est vrai… c’est qu’elle ne badine pas la mobile…

MARIELLE.

Où est donc le citoyen Raymond ?

VIGOUREUX.

Le sergent recruteur… Il est allé chercher quelques attardés… Nous l’attendons.

FOURGNOLLES.

Dites donc, mère Flouquet…. C’est ben honorable pour vous d’avoir eu à loger dans votre domicile le sergent des réquisitionnaires…

MARIELLE.

C’est un si brave homme !

VIGOUREUX.

J’crois ben… Il est pétri de cœur le citoyen Raymond.

FOURGNOLLES.

Aussi, j’ sommes fiers de partir sous ses ordres… Et ce soir, par file à gauche, en avant, marche !…

MARIELLE, à part.

Ce soir !…

VIGOUREUX, un verre à la main.

A la santé du sergent recruteur !

TOUS.

A la santé du sergent ! (On entend chanter dans la coulisse.) Le voilà !…


Scène III.

Les Mêmes, RAYMOND.
CHŒUR.
Air : Je suis roi d’Angleterre.
––––––––Soldats d’la république,
––––––––––––Allons,
––––––––Sans crainte et sans réplique,
––––––––––––Marchons,
––––––––En vain l’étranger s’démèn’ra,
––––––––S’il veut causer, on causera…
–––––––––––Et voilà !
TOUS, en chœur.
––––––––En vain l’étranger, etc.
RAYMOND.
––––––––Les tyrans et leur clique,
––––––––––––Oui dà,
––––––––Voudraient nous fair’ la nique,
––––––––––––Halte-là  ;
––––––––Beaux seigneurs, on vous répondra,
––––––––Notr’ poudre à canon vous calm’ra,
–––––––––––Et voila !
TOUS.
––––––––Beaux seigneurs, etc.
RAYMOND.
––––––––Quand la guerr’s’ra finie,
––––––––––––Brav’ment,
––––––––Nous r’verrons notr’ patrie
––––––––––––Viv’ment  ;
––––––––Alors, le bon vin dansera,
––––––––La fillette on la calin’ra,
–––––––––––Et voilà !
TOUS.
––––––––Alors le bon vin, etc.
LA MÈRE FLOUQUET.

Toujour s gai, l’ citoyen Raymond.

RAYMOND.

Toujours, la bonne mère… toujours… Je ne suis pas comme ces jeunes imberbes, qui quittent le pays pour la première fois… ça pleure comme des demoiselles… Mais, quand une fois ça vous aura senti l’odeur de la poudre, et assisté à une petite bataille…

VIGOUREUX.

Vous croyez donc, sergent, que ça vaut la peine d’être vu, une bataille ?…

RAYMOND.

Je t’en réponds.

Air : Du Serment (Auber).
–––––––––Un jour de bataille
–––––––––Est un jour si beau,
–––––––––Bravant la mitraille,
–––––––––On suit son drapeau…
–––––––––On part bien ingambe,
–––––––––Mais souvent l’bonheur
–––––––––Veut qu’on laisse un’jambe
–––––––––Sur le champ d’honneur,
–––––––––Quel destin flatteur !…
––––––––––––Allons
––––––––––––Garçons,
–––––––––Il n’est dans la vie
–––––––––Qu’un sort dign’ d’envie,
–––––––––C’est celui du soldat  ;
––––––––––––Allons
––––––––––––Garçons,
–––––––––Qu’ la gloir’ vous rallie,
–––––––––Servir sa patrie
–––––––––C’est l’ plus bel état.
CHŒUR.
––––––––––––Allons, etc.
RAYMOND.
Même air.
–––––––––Vot’ particulière
–––––––––Vous garde son cœur  ;
–––––––––Qu’elle sera fière
–––––––––De vous r’voir vainqueur !
–––––––––Hélas ! si près d’elle
–––––––––Vous ne r’venez pas,
–––––––––Près d’un’ autr’, la belle,
–––––––––Pleur’ra vot’ trépas…
–––––––––Ell’n’en mourra pas…
––––––––––––Allons, etc.
CHŒUR.
––––––––––––Allons, etc.
VIGOUREUX, tapant sur la table.

Oh ! cré coquin ! sergent, vous nous donnez du cœur au ventre !…

RAYMOND.

Tant mieux, Vigoureux… Est-il bien bâti ce gaillard-là… C’est tout nerfs… Oh ! le sang est magnifique par ici, parole d’honneur… Et je suis sûr que nous recevrons des complimens au quartier général… Voyons ma liste… (Il tire un papier de sa poche.) Nous disons : Réquisitionnaires, quarante huit ; enrôlés volontaires, tant du village du Puy que des communes environnantes, vingt quatre, réfractaires zéro… Ah ! j’en étais bien sûr…

Air : On dit que je suis sans malice.
––––––En temps de paix pour un’ maîtresse,
––––––Pour des parens pleins de tendresse,
––––––Un jeune soldat sans façon
––––––Peut à l’appel faire faux bond.
––––––Mais, quand vient l’ jour où la patrie,
––––––Par l’étranger est envahie,
––––––Adieu maîtresse, ami, parent,
––––––Chaqu’réfractaire est à son rang.
TOUS.
––––––Chaqu’réfractaire est à son rang.
RAYMOND.

Allons, conscrits, vous avez encore une demi-heure à vous… profitez en pour embrasser papa et maman… faites jurer à vos maîtresses de vous rester toujours fidèles… Elles jureront tout ce que vous voudrez, et n’en feront qu’à leur tête… gare à la vôtre !… Sans adieu, mes braves… Dans une demi-heure… sur la grande place…

CHŒUR DES RÉQUISITIONNAIRES.
Reprise de l’air : du Serment.
––––––––––––Allons,
––––––––––––Garçons,
–––––––––Il n’est dans la vie
–––––––––Qu’un sort dign’d’envie
–––––––––C’est celui d’un soldat !
––––––––––––Allons,
––––––––––––Garçons,
–––––––––Qu’la gloir’ vous rallie,
–––––––––Servir sa patrie
–––––––––C’est l’ plus bel état.

(Ils sortent.)


Scène IV.

RAYMOND, MARIELLE, LA MÈRE FLOUQUET
RAYMOND.

Maintenant, maman Flouquet… Il ne me reste plus qu’à vous remercier de votre bonne hospitalité…. Ah ! c’est que vous avez bien fait les choses… vous m’avez donné la plus belle chambre de la maison, vous vous êtes dérangée pour moi…

LA MÈRE FLOUQUET.

Nous n’avons fait que notre devoir, vous aviez un billet de logement.

RAYMOND.

Oui… Mais les bontés, les soins que vous avez eus pour moi… les omelettes au lard, les gibelottes et les petits verres de kirsch que vous m’avez repassés, ça n’était pas stipulé sur le billet de logement, ça.

LA MÈRE FLOUQUET.

Ah ! dame !… Nous vous aurions mieux traité autrefois, du temps de la marquise d’Ambert, dont nous étions les fermiers… Mais, depuis on a confisqué ses biens… et tout le monde y a perdu… Car, sa fortune appartenait à tout le village.

RAYMOND.

Pauvre femme !.. Et qu’est-elle devenue ?

MARIELLE.

On lui a laissé, comme par grâce, une petite chambre dans son château… où elle est maintenant, souffrante, privée de son fils…

LA MÈRE FLOUQUET.

De mon nourrisson, de mon petit Anatole, qu’ils ont eu l’indignité de proscrire… Je vous demande un peu si ça a du bon sens… un jeune homme de vingt ans !… quel mal qu’il avait fait ?

RAYMOND.

Tenez, mère Flouquet, ne me parlez pas de ça… quand je vois ce qui se passe autour de nous, ça me met dans des fureurs… et ils disent que c’est pour le bien du peuple !…

Air : De la partie carrée.
––––Fixe… align’ment !… je suis prêt à combattre
––––Contr’le Prussien, le Russe et cœtera..
––––Sur nos enn’mis je frapp’rai comme quatre,
––––L’ sabre à la main, non, rien ne m’arrêt’ra ?
––––Mais, si l’on veut, par des ordr’s trop sèvères,
––––Contr’ des Français m’forcer à doubler l’ pas…
––––J’ march’rai vers eux.. pour les traiter enfrères,
––––––––Et leur tendre les bras !
LA MÈRE FLOUQUET, lui prenant la main.

Eh ! ben, vous êtes un brave homme.

MARIELLE, à part.

Oh ! oui.

RAYMOND.

Ah ! ça, l’heure du départ approche… Il faut que je songe à faire mon sac…

LA MÈRE FLOUQUET.

Vot’ sac… ça me regarde… (Elle prend le sac de Raymond.)

RAYMOND.

C’est ça, pour m’y fourrer quelque jambonneau, et quelque flacon de vieille eau-de-vie… non pas, mère Flouquet… non pas…

LA MÈRE FLOUQUET.

Laissez donc, je vous dis que ça me regarde. (Elle sort par la droite en emportant le sac.)


Scène V.

RAYMOND, MARIELLE.
RAYMOND, regardant sortir la mère Flouquet.
Toujours des folies !… toujours des folies !… la mère Flouquet.
MARIELLE, soupirant.

C’est donc bien décidément aujourd’hui que vous nous quittez, monsieur Raymond ?

RAYMOND.

Est-que ça vous fait de la peine ?

MARIELLE.

Dam !… Quand on pense que peut-être on ne se reverra plus…

RAYMOND.

Par exemple… Est-ce que je ne reviendrai pas dans quelques jours pour finir ma tournée de recrutement dans ce pays ci ?

MARIELLE, avec joie.

Et vous logerez chez nous ?

RAYMOND.

Si ça ne vous dérange pas.

MARIELLE.

Nous déranger… Ah ! bien oui… Moi, d’abord, depuis quinze jours, je suis habituée à vous voir, à causer avec vous, à vous entendre chanter…. Et, pendant votre absence, je suis sûre que je vais être toute triste.

RAYMOND.

Vous m’aimez donc un peu ?…

MARIELLE, baissant les yeux.

Je vous aime… comme un frère.

RAYMOND.

Comme un frère.… c’est bien gentil… mais j’aimerais mieux autrement…. Enfin, vaut mieux ça que rien, puisque vous êtes mariée, mam’selle Marielle, c’est-à-dire madame Sauvageot… je peux jamais prononcer ce diable de nom-là… il me reste dans le gosier.

MARIELLE.

Le fait est qu’il n’est pas très-beau…

RAYMOND.

C’est que je suis encore à concevoir comment une femme si gentille a pu prendre un mari pareil… Car, c’est un vrai paour que votre Sauvageot.

MARIELLE.

Monsieur Raymond !

RAYMOND.

Excusez… c’est votre mari… C’est qu’il est avare, bête, méchant…

MARIELLE.

De grâce !…

RAYMOND.

Excusez, c’est votre mari… Et puis… Je suis sûr que vous faites mauvais ménage… D’abord, pendant le jour, il n’est presque jamais auprès de vous, et, la nuit, il couche là-bas à sa ferme des carrières, tout seul comme un ours… C’est singulier, convenez-en.

MARIELLE.

Mais, non, je vous assure… (À part.) Aurait-il des soupçons ? (Haut.) Il couche à sa ferme, voyez-vous, sergent, c’est pour la garder.

RAYMOND.

Bah ! à sa place, j’enverrais la ferme à tous les diables, et je garderais ma petite femme… Ah ! Marielle !… Marielle !… pour quoi n’êtes-vous plus en disponibilité ?… Il y a si longtemps que je désire une femme comme vous et que je me dis :

Air : Du père Finot.
–––––––Je sais comment ça s’gouverne,
–––––––Pour charmer l’ lien conjugal,
–––––––Faut avoir à la caserne
–––––––Les quatre homm’s et l’ caporal.
–––––––Et puis, ensuite, j’espère,
–––––––Que ma femm’me donnera !
–––––––Un’petite vivandière
–––––––Pour soigner ces gaillards-là !…

Je leur aurais inculqué moi-même le maniement du sabre et du fusil… Alignement !… fixe !… le premier qui bouge, on lui mettra de l’eau dans sa soupe…Mi-tour à gauche !…. marche !…

–––––––En avant, brav’s soldats,
–––––––Et dans les rangs n’pleurons pas !
MARIELLE, à part.

J’aurais été si heureuse avec lui !…

RAYMOND.

Mais, c’est fini !… il ne faut plus penser à ce bonheur-là !… Au moins, madame Marielle, quand je serai parti pour tout de bon, promettez-moi, que vous penserez quelques fois au pauvre Raymond, qui vous aimait bien, dà… et, qui, certainement… si… enfin… Allons, que c’est bête, v’là que je m’attendris…

Air :
––––––––Allons, plus de faiblesse,
––––––––Je l’ sens, il faut vous fuir.
––––––––Mais, un seul mot d’ tendresse,
––––––––Dont j’gard’rai l’ souv’nir,
––––––––Me rendrait mon courage
––––––––Et j’pourrais plus content
––––––––Le cœur, plein d’ votre image
––––––––Partir, tambour battant.
––––––––Ran plan, ran plan.
––––––––Ran pa ta pa ta plan, etc.
MARIELLE.
Même air.
––––––––Adieu, brav’ militaire,
––––––––Partez, oubliez-moi…
––––––––Près d’ vous je dois me taire,
––––––––Car un autre a ma foi…
––––––––Mais, tant qu’dur’ra la guerre,
––––––––J’promets que je dirai
––––––––Pour vous une prière
––––––––Chaqu’fois que j’entendrai
––––––––Ran plan, ran plan, etc.

Scène VI.

Les Mêmes, SAUVAGEOT.
SAUVAGEOT, en dehors.

Ohé !… ohé !… noirotte… arrête-toi donc !… (Il entre en scène par la gauche, portant un sac sur sa tête.) Ah !.. encore le militaire !

RAYMOND.

Ah ! ah !… c’est toi, monsieur Sauvageot…

SAUVAGEOT.

Oui, citoyen sergent, c’est moi… et deux boisseaux de pommes de terres que j’apporte à mam’selle Marielle.

RAYMOND.

A mam’selle,

SAUVAGEOT.

Je veux dire à ma femme… Quelle bêtise !… moi qu’appelle ma femme mam’selle… (A part.) Il me semble qu’ils étions bien près l’un de l’autre quand je suis entré… ça m’est suspect… (Il va déposer son sac.)

RAYMOND.

Qu’est-ce que tu parles encore de suspect ?

MARIELLE.

Depuis quelque temps il n’a que ce mot-là dans la bouche…

SAUVAGEOT.

Vous n’y croyez peut-être pas aux suspects… J’y crois moi… A preuve, qu’en ma qualité de municipal et de commandant de la garde nationale du Puy, je viens de donner des ordres pour en guetter un fameux de suspect.

RAYMOND.

Bah !…

SAUVAGEOT.
Oui… oui… oui… C’est une affaire qui peut me faire de l’honneur…Tel que vous me voyez, je suis susceptible d’être mis de dans les papiers.
MARIELLE.

Voyons, contez-nous donc ce bel exploit.

SAUVAGEOT.

V’là c’que c’est… Vous saurez donc qu’hier, 13 vendémiaire, à la tombée de la nuit, j’avais placé le petit Rousselot en faction près du château d’Ambert… où ce que je soupçonne qu’il se manigance des menées… qui pourraient bien… enfin, suffit… Pour lors, le petit Rousselot entend, comme qui dirait une bête, qui se glissait à travers les tilleuls… Il est très-brave le petit Rousselot… mais ça lui donne la colique… Il regarde en dessous, et il aperçoit… devinez quoi ?…

RAYMOND.

Un troupeau de moutons…

MARIELLE.

Ou quelque vache qui rentrait à l’étable…

SAUVAGEOT.

Ah ! ben oui… Il aperçoit un grand manteau qui marchait tout seul… Il crie : qui vive !… pour toute réponse, le grand manteau lui détache une satanée calotte qui lui fait voir trente-six chandelles… (Raymond et Marielle éclatent de rire.) Vous riez de ça… c’est bien risible… Je suis sûr que c’était quelque aristocrate déguisé.

Air : Du premier prix.
––––––Pour risquer cette impertinence,
––––––Il a profité de la nuit ;
––––––Nous avons tous crié vengeance  ;
––––––Cette aventure a fait du bruit :
––––––De nos lois ce manteau se joue,
––––––Frapper un homme en faction,
––––––C’est vouloir donner sur sa joue
––––––Un soufflet à la Nation.

Aussi, nous l’avons tous reçu ce soufflet-là…. Seulement, le petit Rousselot a gardé la fluxion une et indivisible.

RAYMOND.

Eh ! ben qu’est-ce que ça prouve tout ça ?

SAUVAGEOT.

Ce que ça prouve ?… ça prouve des horreurs !… ça prouve qu’un suspect est entré au château, mais, je soupçonne bien qui que ça peut être…et je n’en serais pas fâché que ça soye lui…

RAYMOND.

Qui ça, lui ?

SAUVAGEOT.
Pardine, sergent, le ci-devant seigneur du ci-devant château… Le ci-devant comte Anatole d’Ambert… un scélérat, un gueusard, il aura eu l’infomie de chercher à revoir sa mère…. ça n’a ni foi, ni loi, ces gens-là.
MARIELLE.

Mauvais cœur… parler ainsi de mon frère de lait… de votre camarade d’enfance, qui ne vous a jamais fait que du bien.

SAUVAGEOT.

Du bien, lui !… Qu’il abusait toujours de l’infériorité de son rang pour me traiter comme le dernier des vassals… M’en a-t-il fait dévorer des affronts… et des pâtisseries, qu’il m’appportait du château, pour m’humilier… Et, quand nous étions avec les autres petits seigneurs, ses camarades, et que nous joussions aux quatre coins, c’était toujours moi qui était le.. ah ! quelle vilenie !… Et vous dites qu’il m’a fait du bien, merci… Aussi, que je le pince… il n’a qu’à bien se tenir… Au besoin, le sergent me prêterait main-forte… pas vrai sergent ?…

RAYMOND.

Oui, compte là-dessus…Tu peux bien faire ce métier-là tout seul.


Scène VII.

Les Mêmes, LA MÈRE FLOUQUET.
LA MÈRE FLOUQUET, apportant le sac de Raymond.

Tenez, sergent, v’là votre sac, et je dis que rien n’y manque… (Elle l’aide à le passer.)

RAYMOND.

Bien obligé, la bonne mère… Ah ! ça, je vous laisse là quelques effets d’équipement que je prendrai à mon retour.

LA MÈRE FLOUQUET.

Soyez tranquille, on en aura soin.

RAYMOND, à Sauvageot.

Quant à toi, n’oublie pas que tu as à me fournir ton acte de mariage pour être en règle avec la réquisition.

SAUVAGEOT, avec embarras.

Vous l’aurez, sergent…. Faut que j’aille le lever à six lieues d’ici… Au village de Saint-Claude, où je m’ai marié…

RAYMOND.

À la bonne heure… C’est qu’on jase sur toi dans le pays… Il y en a même qui disent qu’il y a du louche dans ce mariage-là.

MARIELLE, vivement.

Comment, sergent, vous pourriez croire ?…

RAYMOND.

Eh ! non, la petite mère, moi, je ne crois pas ça…

Air du vaudeville de Fanchon.

––––––––En voyant sa tournure, ––––––––Je n’vous fait pas c’t’ injure, ––––––––(à Sauvageot) Farceur, ––––––––Ca s’rait t’fair’ trop d’honneur. ––––––––Pour avoir l’imprudence ––––––––D’ vivre avec un gas tel que toi, ––––––––Faut qu’on y soit, je pense,

–––––––––Obligé par la.
SAUVAGEOT.

Il est excessivement gai, le militaire… Dites-donc, Sergent, v’là le jour qui baisse, je vous conseille de ne pas flâner, car, le temps est à l’orage, et, s’il venait à tomber une bonne averse, le torrent du petit bois pourrait s’enfler et vous barrer le passage.

RAYMOND.

Tu as raison… En route…

Air du Pré aux Clercs.
––––––––Mes chers amis, bonsoir,
–––––––––––Je vous quitte
–––––––––––Trop vite.
––––––––Mais, j’emporte l’espoir
––––––––De bientôt vous revoir.
––––––––(A Marielle) Permettez, je vous prie…
MARIELLE.
––––––––Ah ! vraiment, de grand cœur…
RAYMOND, l’embrasse.
––––––––Embrasser femm’jolie,
––––––––Ça doit porter bonheur.

(Il l’embrasse de nouveau).

SAUVAGEOT.

Eh ben, dites donc, sergent, vous récidivez ?

RAYMOND, le repoussant.

Ça ne te regarde pas, blanc-bec !

ENSEMBLE.
––––––––Mes chers amis, bonsoir, etc.
SAUVAGEOT.
––––––––Bonsoir, sergent, bonsoir.
––––––––Mais, partez au plus vîte !…
––––––––(A part) J’voudrais avoir
–––––––––––L’espoir
––––––––De ne pas le revoir.
MARIETTE ET LA MÈRE FLOUQUET.
––––––––Bon voyage, bon soir !…
–––––––––––Il nous quitte
–––––––––––Trop vite !
––––––––Mais, je garde l’espoir
––––––––De bientôt le revoir.

(Raymond sort par la gauche).


Scène VIII.

SAUVAGEOT, MARIELLE, LA MÈRE FLOUQUET.
SAUVAGEOT.

Enfin, le v’là parti… C’est bien heureux… Il vous rend votre chambre… C’est pas encore là un homme dont je serais fou… (Regardant autour de lui avec mystère.) Ah ! ça je viens pour vous prévenir que nous allons ben vîte profiter de son absence et que c’est pour aujourd’hui notre mariage… (Riant.) Il a donné dedans comme les autres, le militaire… Ils croyent tous que nous sommes mari et femme… Mais, ce soir, tout sera bâclé.

MARIELLE, soupirant.

Déjà !

SAUVAGEOT.

Tiens, dites-donc, déjà !… Si vous n’êtes pas pressée, je le suis, moi… j’ai pas envie d’être réquisitionnaire… d’ailleurs, c’est pas une si mauvaise affaire que vous faites là… vous n’avez rien, vous et votre octogénaire de mère… quand je dis que vous n’avez rien… vous avez des dettes… vous me devez six termes de loyer… j’ai prise de corps sur l’octogénaire (Il prend la taille de la mère Flouquet.) et en vous épousant, je lui donne quittance… c’est pas gentil ça… c’est pas grand ?…

LA MÈRE FLOUQUET.

Allons, encore des reproches…

SAUVAGEOT.

Du tout, je ne reproche rien… mais, au lieu de vous plonger sous les verroux, je vais vous faire nager dans l’abondance, vos cheveux blancs vont goûter toutes les douceurs de la vie… ainsi, c’est bien convenu, ce soir, à dix heures, Grichon le municipal apportera ici son grand registre… C’est mon intime et il veut bien faire ça pour moi… j’aurai pour témoins deux autres intimes, et le sergent sera enfoncé…

MARIELLE, à part.

Je ne pourrai jamais aimer cet homme-là !

SAUVAGEOT.

Allons, à tantôt… sans adieu, mam’selle Marielle… mon épouse… En attendant, je vas me mettre à la tête de mes hommes de garde nationale et je vas donner la chasse à mon suspect.

Air : des Fatigues du voyage (Tony).
–––––––Avant la cérémonie,
–––––––Je vas tâcher, quel honneur,
–––––––D’être utile à ma patrie,
–––––––Et de prouver ma valeur.
–––––––(A Marielle) Epoux, soldat, ma p’tit’femme,
–––––––Mon zèl’ ne peut s’ralentir,
–––––––Et quand l’ devoir me réclame.,.
–––––––Faut pas qu’ ça vous fass’ rougir.
ENSEMBLE.
–––––––Avant la cérémonie, etc.
MARIELLE ET LA MÈRE FLOUQUET.
–––––––Qu’ vous a-t-il fait, je vous prie ?
–––––––L’arrêter, c’est une horreur,
–––––––Servir ainsi sa patrie
–––––––Ça doit vous porter malheur. (Sauvageot sort par la gauche, la mère Flouquet entre dans la chambre à droite.)

Scène IX.

MARIELLE, seule, elle va prendre une chandelle allumée dans la coulisse à gauche et la place sur la table.

Ce soir…il n’y aura plus à s’en dédire… Maisil le faut… (On entend le vent et la pluie.) Quel temps !… Pauvre monsieur Raymond !… dire qu’il est en route à l’heure qu’il est,.. (Elle prend un rouet et se met d travailler.) Monsieur Raymond… voilà un bon et loyal militaire… Et monsieur Anatole… s’il était vrai qu’il se fût exposé… c’est qu’il aime tant sa mère… (On entend le tonnerre.)

Air : Il était trois Chasseurs.
––––––––Ah ! mon cœur en frémit
––––––––Car un arrêt sévère
––––––––Lancé contre mon frère
––––––––De France le bannit…
––––––––En vain sa pauvre mère
––––––––L’appelle, il est proscrit !
––––––––Hélas ! il est proscrit !… (bis).
DEUXIÈME COUPLET.
––––––––L’orage retentit…
––––––––O ciel : en toi j’espère  ;
––––––––Apaise ta colère,
––––––––Toi que mon cœur bénit,
––––––––Rends un fils à sa mère
––––––––Et sauve le proscrit. (bis)[3].

(On entend un grand coup de tonnerre, la fenêtre s’ouvre et Anatole parait.)


Scène X.

MARIELLE, ANATOLE.
ANATOLE, à la fenêtre en dehors.

Marielle…

MARIELLE, effrayée.

Qui m’appelle ?…

ANATOLE, s’élangant dans la chambre.

Marielle !…

MARIELLE.
Grand dieu ! qui êtes-vous ?
ANATOLE.

Quoi ! tu ne me reconnais pas ?

MARIELLE.

Monsieur Anatole !

ANATOLE.

Eh ! oui… c’est moi !…

MARIELLE.

Comme il est fait !… Comme il est mouillé !.. Venez, mettez vous là…

ANATOLE, ôtant son manteau.

Bonne sœur… tu ne m’as donc pas oublié ?

MARIELLE.

Vous oublier !.. moi !.. mais, quelle imprudence à vous d’être revenu dans le pays ! si l’on vous découvrait !…

ANATOLE.

Je sais tous les dangers que je cours… Mais, ma mère était malade… en danger, peut-être… pouvais-je hésiter… Depuis plusieurs jours j’errais dans les environs… Hier au soir, enfin, je suis parvenu à m’introduire au château… j’ai embrassé ma mère.. pauvre femme !… ma vue lui a fait du bien.. et maintenant, je suis plus tranquille ; cependant, je n’ai pas voulu quitter ce pays, peut-être pour toujours, sans la recommander encore à tes soins, à ton amitié.

MARIELLE.

Ah ! comptez sur nous… mais, en ce moment…

ANATOLE.

Qu’as-tu donc ?… tu parais inquiète.

MARIELLE.

C’est que si quelqu’un venait à rentrer…

ANATOLE, souriant.

Ah ! oui… quelqu’un qui n’est pas de mes amis… ton mari.

MARIELLE.

Mon mari !… ah ! je suis bien malheureuse, allez…

ANATOLE.

Pauvre Marielle… En effet, j’ai appris que lorsque cette maison fut vendue avec tous nos biens, le nouveau propriétaire, devenu votre créancier, força ton consentement, en te menaçant de pour suivre ta mère…

MARIELLE.

Oui, mais, ce que vous ne savez pas, monsieur Anatole… je puis tout vous dire, à vous, mon frère de lait…. Je ne suis pas encore mariée !…

ANATOLE.

Comment ?

MARIELLE.
Monsieur Sauvageot ne pensait pas à m’épouser, ear, ce qu’il aime avant tout, c’est l’argent… Mais la réquisition vînt dans le pays… elle le menaçait comme tous les garçons… alors…
ANATOLE.

Comme il est aussi poltron que méchant…

MARIELLE.

Il exige que je passe pour sa femme, jusqu’à ce que notre mariage puisse se faire réellement.

ANATOLE.

Est-il possible !… Mais n’y aurait-il pas un moyen ?…

MARIELLE.

Aucun.. Nous signons le contrat ce soir, en secret.

ANATOLE.

Et je ne puis venir à ton secours… car je n’ai plus rien au monde… Ah ! c’est maintenant surtout que je regrette la fortune !

MARIELLE.

Ne pensons qu’à vous… Il faut que vous partiez, que vous sortiez à l’instant même de ce village où l’on soupçonne votre présence… Vous êtes entouré d’ennemis…. Je connais un chemin détourné, par la rue basse… En une heure, vous pouvez gagner la frontière, je vais vous servir de guide… Venez, car le moindre retard… (Ils se disposent à sortir, on entend au dehors une marche.)

ANATOLE.

Quel est ce bruit ?…

MARIELLE, allant à la fenêtre.

Une patrouille !… elle est conduite par Sauvageot !.. Vous êtes perdu, s’il entre ici. (Elle éteint vivement la chandelle.) (Nuit au théâtre.) Ne bougez pas !

CHŒUR, en dehors.
Air : de la marche des deux Journées.
––––––––––––Allons,
––––––––––––Marchons,
––––––––––De la prudence !
––––––––––Avançons tous ;
––––––––––Du calme, du silence
––––––––––Et garde à nous !
MARIELLE, à la fenêtre.

Ils s’arrêtent devant la maison !…

SAUVAGEOT, en dehors, appelant.

Ohé !… femme… es tu là ?

MARIELLE, d’une voix tremblante.

Oui…

SAUVAGEOT.

Tu es sans chandelle ?…

MARIELLE.

Le vent vient de l’éteindre…

SAUVAGEOT.
Il fait un temps désordonné… Dis donc, nous allons entrer boire un coup pour nous réchauffer.
MARIELLE.

Grand dieu !… (Haut à la fenêtre, riant forcément.) Oh ! les fameux soldats qui craignent un peu de pluie.. Je vas vous passer à boire par la fenêtre…

SAUVAGEOT.

Eh ! ben, c’est pas si bête cette idée-là !… Donne vîte !

MARlELLE.

Voilà ! voilà !… (Elle prend deux bouteilles sur la table et les passe par la fenêtre.) Là !… c’est du meilleur…

SAUVAGEOT.

Tenez, mes camarades… à la santé de la Nation !…

TOUS.

Vive la Nation !

SAUVAGEOT.

Merci, femme… Tiens, v’là les bouteilles.

MARIELLE, à la fenêtre, les reprenant.

Où allez-vous, maintenant ?

SAUVAGEOT.

Nous patrouillons… Faut pas que le grand manteau nous échappe… Je vas placer mes hommes en sentinelle.

MARIELLE.

Où ça ?

SAUVAGEOT.

Pierre Leroux, à la maison commune… Vigneron, à la fontaine et Martin, à l’arbre de la liberté.

MARIELLE, à Anatole.

Il oublie la rue basse.

SAUVAGEOT.

Au revoir, femme… sois tranquille… nous veillons pour ta patrie… En avant !… marche…

Reprise de la Marche.
––––––––––––Allons,
––––––––––––Marchons,
––––––––––De la prudence
––––––––––Avançons-tous  ;
––––––––––Du calme, du silence
––––––––––Et garde à nous !

(On les entend qui s’éloignent.)

MARIELLE, avec joie.

Vous êtes sauvé !.. partons !

ANATOLE.

Bonne sœur !…

Air : de la maison du Rempart
––––––Ah ! tu ranimes mon courage,
––––––Prends cet anneau… qu’il soit le gage
––––––Du souvenir reconnaissant
––––––Que mon cœur garde en te quittant.

(Il lui passe une bague au doigt).

––––––Je te recommande ma mère,
––––––Adoucis sa douleur amère.
MARIELLE.
––––––Je le promets… mais parlons bas  ;
––––––Il faut partir, allons, ne tardons pas !
ENSEMBLE.
––––––Partons, partons, allons, ne tardons pas !

(Ils sortent par la gauche.)


Scène XI.

LA MÈRE FLOUQUET, entrant par la droite, une chandelle à la main.

Là ! tout est prêt pour le mariage… Allons maintenant au-devant du municipal… C’est un brave homme que le sergent Raymond… mais je ne suis pas fâchée qu’il nous ait laissé notre chambre libre… c’est la seule qui soit présentable dans c’te maison… et nous n’aurions pas pu signer le contrat devant lui… Ah ! c’est égal… ce mariage-là me chagrine… je vois bien que ma petite Marielle se sacrifie pour moi.


Scène XII.

LA MÈRE FLOUQUET, RAYMOND.
RAYMOND, en dehors.

Ma foi, mes enfans, il y a force majeure… à demain… au petit jour… (Il entre.)

LA MÈRE FLOUQUET.

Eh ! mais… comment c’est vous, sergent ?

RAYMOND.

Oui, la mère, c’est encore moi.. Le torrent a emporté le petit pont… pas moyen de passer… Tenez, je suis trempé comme une soupe aux choux.

LA MÈRE FLOUQUET, à part.

Comment ferons-nous ?.. Quel embarras !..

RAYMOND.

Mais, vous avez un air tout drôle, maman Flouquet…. est-ce que mon retour vous taquine ?

LA MÈRE FLOUQUET.

Ben du contraire… Mais, c’est que, voyez-vous…

RAYMOND.

Dam ! faudrait le dire…

LA MÈRE FLOUQUET.
Eh ! ben, je vas vous parler franchement ; c’est que nous avion disposé de cette chambre, pour ce soir…
RAYMOND.

Eh ! pardine, ne vous gênez pas… Est-ce qu’il n’y a pas un grenier… une grange… une botte de paillet… Fatigué comme je le suis, je dormirais sur des pavés…. (Il va pour sortir.)

LA MÈRE FLOUQUET.

Eh ! ben… eh ! ben… où allez-vous donc ? on n’aura à faire ici qu’à dix heures.. vous avez ben le temps de vous sécher et de faire un somme… tenez, là… dans ce grand fauteuil… et puis, dites donc, si vous avez soif la bouteille est là.

RAYMOND.

C’est pas de refus, la mère.

LA MÈRE FLOUQUET.

Eh ! ben, je vous laisse dormir.

RAYMOND.

C’est dit…. jusqu’à dix heures… je me dépêcherai… (La mère Flouquet sort par la gauche.)


Scène XIII.

RAYMOND, seul, il s’assied sur une chaise à droite.

Allons, me voilà encore sous le même toît que madame Marielle !.. Ah ! il me tarde de quitter ce pays-ci… mon pauvre cœur commence fièrement à battre la breloque… Elle est si gentille, si agaçante, cette petite Marielle… quelle bonne ménagère ça m’aurait fait… et dire que c’est ce Sauvageot… Ah ! faut pas que je pense à lui… il me ferait faire de mauvais rêves… (Il commence à s’endormir. On entend au dehors deux coups de fusil, il se lève.) Hein !… Qu’est-ce que c’est que ça ?… (On entend battre la générale.) La générale… Oh ! mon dieu !… Est-ce que les Prussiens ?… (Il court à la fenêtre.) L’obscurité m’empêche de distinguer… ma foi, c’est égal… tenons-nous sur nos gardes… (Il prend son fusil et se dispose à sortir.)


Scène XIV.

RAYMOND, MARIELLE et ANATOLE, entrant par la gauche.
MARIELLE, dans le plus grand trouble.

Entrez vîte !… entrez !..

ANATOLE.

Un militaire !… je suis perdu !…

Air : De la Somnambule villageoise.
––––Le sort avait marqué cette journée…
––––Livrez-moi donc !.. je suis prêt a périr  ;
––––On ne peut pas tromper sa destinée,
––––Je suis proscrit… je viens de me trahir.
RAYMOND.

Ah ! ça, pour qui me prenez-vous ?

Même air.

––––Cessez de grâce un semblable langage !.
––––Moi, vous livrer !.. plutôt cent fois mourir  ;
––––Un pareil mot et me blesse et m’outrage,
––––Je suis soldat, je ne sais pas trahir.
MARIELLE.

Cher Raymond !… Ah ! je le reconnais.

ANATOLE.

Que de générosité !… Mais, je crains qu’elle ne me soit inutile… on m’a vu entrer ici.

MARIELLE.

Sauvez-le !… sauvez-le !…

RAYMOND.

Eh ! c’est bien mon intention. (Prenant la main d’Anatole.) Une seule question… Avez-vous servi contre la France ?

ANATOLE.

Jamais !…

RAYMOND, vivement.

Je vous sauverai… Vous vous appelez Pierre Durand… vous venez du village de Remiremont… j’attends une recrue de ce pays là… je vous donnerai une feuille de route, et vous pourrez gagner la frontière. (Prenant sur une chaise quelques effets d’habillement.) Passez vîte cette veste de conscrit… mettez ce bonnet de police… (Il les lui donne.)

SAUVAGEOT, en dehors.

Soyez tranquilles… il ne nous échappera pas !

ANATOLE.

Il est trop tard !

RAYMOND.

Où le cacher ?… là ! là, dans cette alcôve… (Il le pousse dans l’alcôve au fond.)

MARIELLE.

Mais moi !.. moi !.. Si l’on me trouve ici seule avec vous… à cette heure !.. Ah !.. (Elle se cache derrière le grand fauteuil, prés de l’alcôve.)

SAUVAGEOT, en dehors.

Cernez la maison et que personne ne puisse en sortir.. Je vous dis que nous le tenons.. ne me quitte pas, Rousselot..


Scène XV.

RAYMOND, ANATOLE et MARIELLE, cachés, SAUVAGEOT, un chapeau à trois cornes sur la tête, un large ceinturon et un sabre rouillé à la main, ROUSSELOT et deux Paysans armés de fusils.
SAUVAGEOT, entrant et se tenant sur le pas de la porte.
Encore le militaire !
RAYMOND, sur le devant de la scène, essuyant avec beaucoup de sang froid le canon de son fusil.

Eh ! bien, eh ! bien, à qui en avez-vous donc vous autres ?..

SAUVAGEOT, s’acançant.

Ah ! ça, vous l’avez vu ?

RAYMOND.

Qui ça ?…

SAUVAGEOT.

Eh ! pardine, le suspect…. le grand manteau que nous pour suivons…

RAYMOND.

Moi… j’ai rien vu du tout !

SAUVAGEOT.

Farceur de sergent… il veut nous faire accroire… je suis sûr que vous l’avez déjà fait prisonnier pour votre compte.

RAYMOND.

Dis donc, conscrit… est-ce que tu voudrais faire aller un ancien ?.. Je te préviens que ça ne prendrait pas…

SAUVAGEOT.

Sergent, on ne fait aller personne… Quand je vous dis que nous l’avons vu… vu… ce qui s’appelle vu.. nous le poursuivons de puis la rue basse, et au moment où Rousselot mettait la main dessus… crac… il a disparu dans cette maison…

RAYMOND.

Allons donc !.. tu rêves tout debout.

SAUVAGEOT.

Je rêve… que Rousselot a reçu la sœur jumelle de la calotte d’hier au soir…. Avance ici Rousselot… montre ta joue…

RAYMOND.

Allons, assez de bavardage comme ça. Une fois pour toutes, je n’ai aucune connaissance de ton suspect… et d’ailleurs je ne sais pas pourquoi tu te permets d’entrer de nuit dans ma chambre… je t’aurais déjà jeté par la fenêtre si elle n’était pas de plain-pied.

SAUVAGEOT, aux autres.

Il est étonnant le sergent !.. il cherche à nous en imposer par une gaîté fallacieuse… Je vas m’y prendre adroitement.. (A demi-voix.) Ecoutez, militaire, je crois ce que vous me dites, mais, pour la satisfaction personnelle de mes subordonnés, laissez-moi faire une petite perquisition… pour la forme seulement.

RAYMOND.

Allons, dépêchez-vous… car je tombe de sommeil…

SAUVAGEOT, cherchant.
Voyons d’abord dans le buffet… rien… Voyons d’abord dans l’huche… (Au moment où il prononce ces mots, Marielle se glisse dans l’alcôve, Raymond se place devant, et Sauvageot, suivi des paysans, va visiter la huche, qui est près de l’alcôve.) Personne !.. Il n’y a pas seulement de pain dans l’huche… sous la table… rien non plus.. Allons, vous voyez ben, les autres.. il n’y a personne.. nous nous serons trompés !…
TOUS.

Allons nous en… (Fausse sortie.)

ROUSSELOT, revenant.

Dites donc, commandant, eh ! ben, nous n’avons pas visité l’alcôve…

RAYMOND, à part.

Aie !.. l’animal !..

SAUVAGEOT, riant.

Ils sont étonnans !.. Allons, visitons l’alcôve.. pour leur faire plaisir…

RAYMOND, devant l’alcôve.

Ah !.. assez de perquisitions comme ça !..

SAUVAGEOT.

Bah ! sergent…. Qu’est-ce que ça vous fait ?… laissez-nous voir…

TOUS.

Oui… oui…

RAYMOND.

Je vous dis que vous n’entrerez pas.. (Prenant son fusil.) Le premier qui approche…

SAUVAGEOT.

Écoutez, sergent…. ne vous rebellionez pas contre la force armée…. c’est que nous sommes en nombre… La maison est cernée…

RAYMOND, à part.

Que faire ?..

SAUVAGEOT.

Voyez-vous comme il se trouble !.. Une fois, deux fois, y a-t-il quelqu’un dans l’alcôve ?..

RAYMOND.

Eh ! bien, oui, il y a quelqu’un.

TOUS.

Ah !..

RAYMOND.

Mais, ce quelqu’un ne vous regarde pas…

SAUVAGEOT.

À cause ?…

RAYMOND.

C’est une femme !..

TOUS.

Une femme !…

RAYMOND.

Ma maîtresse !..

SAUVAGEOT, riant.
Oh ! que c’est mauvais…. je ne vous crois pas, sergent… le subterfuge est trop grossier… Marche, vous autres l (Ils s’avancent sur l’alcôve).
RAYMOND, croisant la bayonnette.

Un instant !.. Si je vous donne la preuve de ce que j’avance, me laisserez-vous tranquille ?

SAUVAGEOT.

Oh ! alors… Prouvez sergent, prouvez !..

RAYMOND.

Vous ne vous attendez pas, j’espère, à ce que je vous fasse faire connaissance avec ma particulière… Tu sauras bien distinguer une main d’homme avec une main de femme ?..

SAUVAGEOT, riant.

Oh ! c’te question.. je me connais en mains de femme.. allez..

RAYMOND, parlant à l’alcôve.

Ma bonne amie… montre ta main à ces messieurs.. (Marielle passe sa main à travers les rideaux.)

SAUVAGEOT, s’approchant.

Oh ! la jolie petite main blanche… (Il veut la toucher.)

RAYMOND, lui donnant une tape.

On ne touche pas…

SAUVAGEOT, bas aux autres paysans.

Et une belle bague… une magnifique bague… Dites donc c’est pas une raboureuse…. Farceur de sergent, va…

RAYMOND.

Eh ! ben, est-ce là un suspect ?..

SAUVAGEOT, aux paysans.

Qui diable ça peut-il être… qui porte des bagues comme ça ?

ROUSSELOT.

C’est peut-être la femme du notaire…

SAUVAGEOT.

Merci… Une grande qui louche et qui a les mains pleines d’en gelures…

ROUSSELOT.

A moins que ça ne soit l’épouse du maire…

SAUVAGEOT.

Ça s’rait fameux !.. Si le citoyen maire était lui même.. lui qui en inscrit tant sur le grand registre.. (Il rit) C’est égal, qui que tu sois, pauvre mari, je partage bien le désagrément que le sergent te fait éprouver.. Je me mets à ta place. (Riant très-fort.) Ah ! ah ! ah !..

TOUS, riant.

Ah ! ah ! ah !

RAYMOND.

A présent, j’espère que vous allez me laisser dormir tranquille.. Battons en retraite et plus vîte que ça.

SAUVAGEOT.
C’est juste.. nous sommes dans notre tort.. En route, citoyens ; vous allez continuer vos recherches.. Rousselot, je t’invextis du commandement provisoire. (Il se débarrasse de son sabre et de son chapeau.)
Air du Hussard.
––––––Allons, partez, sans plus attendre ;
––––––Notr’ suspect est dans le pays,
––––––Il faut absolument le prendre
––––––Avant de rentrer au logis.
TOUS LES PAYSANS.
––––––Allons, partons, etc. (Ils sortent).

Scène XVI.

RAYMOND, SAUVAGEOT, ANATOLE et MARIELLE cachés.
RAYMOND, à Sauvageot qui s’est assis tranquillement.

Ah ! ça, est-ce que tu te poses en faction ici ?

SAUVAGEOT.

Voilà ce que c’est, sergent, je voudrais que vous me fassiez un rapport officiel de dessus la conduite que je viens de déployer dans cette occasion..

RAYMOND.

Oui, mais, avant tout, tu vas me faire l’amitié de débarrasser ma chambre afin que la personne qui est ici avec moi puisse sortir.

SAUVAGEOT.

Ah !.. (A part.) Alors, je vas me planter à la porte.. je verrai bien qui que c’est. (Haut.) Adieu, sergent.

RAYMOND, se ravisant.

Au fait, non… reste, j’aime mieux ça.

SAUVAGEOT, revenant.

Du moment que vous êtes confiant.. c’est très-bien, sergent.. (Il lui donne une poignée de main.)

RAYMOND.

Avance ici… Tu vas te tourner comme ça.. contre la muraille.. fixe et immobile.. (Il le place contre le mur, la figure de Sauvageot est tournée vers le public.)

SAUVAGEOT.

Par exemple !..

RAYMOND, tirant son sabre.

Attention au commandement.. (Il lui met son sabre sur la joue.) Au moindre mouvement de conversion.. je larde..

SAUVAGEOT.

C’est une horreur… (Raymond lui fait sentir la pointe de son sabre.) Après ça… du moment que ça peut vous être agréable..

RAYMOND, le tenant en respect avec son sabre.
Air : d’Amédée de Beauplan.
––––––Mon cher, pas d’œillade indiscrète,
––––––Car mon sabre est là pour punir.
SAUVAGEOT, à part.
––––––Si je pouvais de sa retraite
––––––Adroitement la voir sortir
––––––D’impatienc’, j’me sens bouillir ?
RAYMOND.
––––––Reste donc tranquille à ta place,
––––––J’te larde si tu fais un pas !
SAUVAGEOT.
––––––Encor’ si j’avais une glace
––––––Pour me réfléchir ses appas.

(Il fait un mouvement).

RAYMOND.
––––––Garde à vous… (bis) ne regardez pas.
SAUVAGEOT.
––––––Non, non, non, je ne r’garde pas !
RAYMOND, lui donne un coup de plat de sabre.
SAUVAGEOT.

Aie…. prenez donc garde, sergent… ça coupe..

Même air.

––––––A mes yeux elle se dérobe.
RAYMOND, parlant bas du côté de l’alcôve.
––––––Vous pouvez sortir sans danger.

Marielle et Anatole sortent de l’alcôve.

(Marielle est tout près de la porte, et Anatole qui a mis, pendant qu’il était dans l’alcôve, la capotte et le bonnet que Raymond lui avait donnés, est placé entre elle et Raymond.)

SAUVAGEOT.
––––––J’entends le froiss’ment de sa robe.
RAYMOND, tirant une feuille de route de sa poche.
––––––Ceci pourra vous protéger.

(Il la donne à Anatole.)

SAUVAGEOT.
––––––D’ ses pas j’entends le bruit léger.
ANATOLE, à Raymond.
––––––Ah, je n’oublierai de ma vie
––––––Votre bonté…
RAYMOND.
––––––Votre bonté… Parlez plus bas…
SAUVAGEOT, à part.
––––––J’ connais c’te voix fraiche et jolie,
––––––C’est la femm’ du vieux Nicolas…
RAYMOND.
––––––Garde à vous…(bis) ne regardez pas…
SAUVAGEOT.
––––––Non, non, non, pauvre Nicolas…
(Anatole et Marielle sont sortis doucement par la gauche vers la fin de ce couplet.)

Scène XVII.

SAUVAGEOT, RAYMOND.
SAUVAGEOT, riant aux éclats.

Ah ! ah ! ah !… Sergent, puis-je tourner la tête ?

RAYMOND.

Je lève la consigne.

SAUVAGEOT, sans bouger de place.

Dites-donc, pas de farce !… Votre sabre n’est plus suspendu à ma joue ?…

RAYMOND.

Eh ! non…

SAUVAGEOT, se retournant avec précaution.

Eh ! ben, nous allons rédiger mon rapport, n’est-ce pas ?…

RAYMOND.

Tu as-donc juré guerre à mort à mon sommeil… Écoute… « Aujourd’hui, entre 9 et 10 heures, le citoyen Sauvageot a fait une visite chez moi… où tout était parfaitement tranquille. » voilà !

SAUVAGEOT.

Allons donc… C’est pas ça du tout… ça n’a jamais ressemblé à une action d’éclat… Je vas arranger ça moi même.

RAYMOND.

C’est ça, rédige-le ton rapport… ça me poussera au sommeil…

(Il roule le grand fauteuil, vers la droite et s’y assied.)

SAUVAGEOT, se place à une table à gauche et écrit.

« Service extraordinaire… » en grosse bâtarde… c’est déjà pas mal… « Le citoyen Gracchus, Fructidor. Ciboule, Sauvageot, membre de la municipalité, commandant de la garde nationale du Puy… » (Cherchant.) J’ai-t-y encore d’autres dignités ?… Je mets etc., etc., etc… trois fois… « Déjà connu dans le pays par ses vertus civiques et la qualité de ses fromages… vient encore de se couvrir de gloire et d’acquérir des droits à la vénération de ses concitoyens… A la tête d’un homme seulement, il a osé pénétrer dans une maison infectée de suspects. »

RAYMOND.

Il n’y en avait pas un seul…

SAUVAGEOT.

Il pouvait y en avoir… j’en savais rien… (Écrivant.) « Après un combat opiniâtre, il les a tous taillés en pièces… sans coup férir. »

RAYMOND.

Qu’est-ce que tu écris là, imbécille ?

SAUVAGEOT.

Ça se met toujours sur les rapports…

RAYMOND.

Sans coup férir… ça veut dire sans tirer un coup de fusil…

SAUVAGEOT.

Parole d’honneur !… Alors, c’est une bétise… (Effaçant.) Pas sans coup férir… (Continuant.) « Dans cette affaire mémorable, le citoyen Sauvageot a reçu plusieurs blessures… »

RAYMOND, baillant.

Oh ! c’est trop fort !

SAUVAGEOT.

Faut pas dire : c’est trop fort, sergent.. Et ce coup de sabre que vous m’avez donné.. ça a entamé ma veste.. Je crois même que ça a saigné.. D’ailleurs, j’ajoute : « On espère que ses blessures ne seront pas mortelles… »

RAYMOND, s’endormant.

Ta, ta, ta… plus souvent que je vas mettre mon nom à des bêtises pareilles…

SAUVAGEOT.

Oh ! qu’est-ce que ça vous fait, sergent, laissez-moi gagner une pauvre récompense nationale…

Air de la petite Prude.
––––––J’ai déjà maints certificats,
––––––Qui font honneur à ma vaillance,
––––––J’ai déjoué vingt attentats
––––––Contre le repos de la France.
––––––J’viens d’ me montrer encore un’ fois,
––––––Ma valeur n’s’est pas démentie…
––––––Ça fait, d’puis l’ commenc’ment du mois,
––––––Neuf fois qu’j’ai sauvé la patrie.
––––––Oui, depuis l’ commenc’ment du mois,
––––––J’ai sauvé neuf fois la patrie…

Et nous ne sommes qu’au huit. (Se levant et présentant le papier Raymond qui s’est endormi.) Allons, sergent, mettez vot’pataraphe… Bien, bon !.. le v’là parti… Il ronfle.. Attends, mal honnête, je vas joliment te réveiller !.. (Il va pour secouer le fauteuil, en ce moment on frappe à la porte.) Hein ?.. ah ! mon dieu ! c’est Grichon le municipal… Et moi qui avais oublié mon mariage… (Il va ouvrir.)


Scène XVIII.

RAYMOND, endormi, SAUVAGEOT, le Municipal, deux Amis, LA MÈRE FLOUQUET et MARIELLE.
LE MUNICIPAL.

Bonsoir, citoyen..

SAUVAGEOT.

Chut !.. taisez-vous donc !.. Voyez, le damné militaire est revenu.. comment faire ?..

LA MÈRE FLOUQUET.
Eh !.. pardine.. n’ayez pas peur, allez.. il ne se réveillera pas.. il est trop fatigué le pauvre cher homme…
SAUVAGEOT.

Et puis, c’est une fameuse farce… Là !.. devant le sergent… (Il rit.) Dors, malheureux, dors, tu ne te doutes pas qu’on va te frustrer du plus bel homme de ton contingent… au fait ça sera bientôt bâclé.. Le contrat et le registre, tout est prêt, il n’y a plus qu’à signer.. (Présentant la plume à Marielle.)

AIR du Siège du Corinthe.
––––A vous d’abord, ma gentille future,
––––Veuillez, veuillez, sur ce registre là
––––––Apposer votre signature.
MARIELLE, à part.
––––Ah, mon malheur ici s’accomplira.
SAUVAGEOT, lui prenant la main et lui indiquant la place où elle doit signer.

Ici… ici… ah ! grand dieu ! Qu’ai-je vu !.. la bague du doigt de la main de la femme de l’alcôve !..

ENSEMBLE.
––––––O trahison, ô perfidie,
––––––Redoutez mes transports jaloux,
––––––Ma confiance fut trahie,
––––––Je n’écoute que mon courroux.
MARIELLE.
––––––Ecoutez moi, je vous en prie,
––––––Réprimez ces transports jaloux,.
––––––Vot’confianc’n’est pas trahie,
––––––Calmez cet injuste courroux.
LA MÈRE FLOUQUET, LES AMIS.
––––––Pourquoi, pourquoi cette furie ?…
––––––D’où viennent ces transports jaloux ?…
––––––Ecoutez-nous, je vous en prie,
––––––Calmez un injuste courroux.
SAUVAGEOT, furieux se trouve près de Raymond et frappe sur le fauteuil.

Non !.. non !.. c’est une infamie !..

RAYMOND, qui s’est réveillé en sursaut.

Hein !.. qu’est-ce que c’est ?..

SAUVAGEOT, de même.

Plus de contrat !.. plus de mariage !..

RAYMOND.

Qu’est-ce que tu dis.. plus de mariage ?..

SAUVAGEOT.

Tenez, le v’là son complice !.. séducteur !.. suborneur !… Vois-tu ce que j’en fais du contrat !.. (Il le déchire avec rage.)

RAYMOND.
Ah ! ça, voyons, entendons-nous… vous n’êtes donc pas mariés ?…
SAUVAGEOT.

Heureusement, nous ne le sommes pas !.. vous pouvez ben la garder pour vous… Une femme que j’ai trouvée dans votre alcôve !..

LA MÈRE FLOUQUET.

Dans son alcôve !… qu’est-ce que ça veut dire ?.. malheureuse enfant !..

RAYMOND.

Tout-à-l’heure.. tout-à-l’heure, maman Flouquet, tout ça se débrouillera à la satisfaction générale.. qu’il vous suffise de savoir que votre fille n’a rien à se reprocher.

LA MÈRE FLOUQUET.

Cependant…

RAYMOND.

Je vous en donne ma parole de militaire, et, si vous voulez m’accepter pour votre gendre, je la prends les yeux fermés..

MARIELLE, avec joie.

Il se pourrait !.

RAYMOND.

Oui, mam’selle Marielle, mes économies, mes chevrons, mes moustaches, tout ce que je possède, je le mets à vos pieds..

LA MÈRE FLOUQUET.

Eh ! ben, vrai.. j’aime mieux ça.. je suis ben sûre qu’elle sera heureuse avec vous.

SAUVAGEOT.

Merci, mère Flouquet.. merci… c’est bonnête ce que vous dites là ! mais, du moment que je n’épouse plus, il me faut de l’argent, ou, vous savez… en prison !..

RAYMOND.

Sois tranquille.. si on te doit on te payera.. je me charge de la dette… Quant à toi, j’espère aussi que tu vas acquitter la tienne..

SAUVAGEOT.

Queu dette !.. Est-ce que je vous dois queuqu’chose ? (On en tend le tambour.)

RAYMOND.

Entends-tu ?.. v’la une sommation qui t’arrive… (Lui jetant une capote et un bonnet de police.) Tiens, fais ta toilette, dans un quart-d’heure nous serons en route..

SAUVAGEOT.
Hein ?.. ah ! miséricorde !.. c’est vrai… je suis conscrit !.. Eh ben, au fait, je prends mon parti, ça vaut encore mieux que d’être.. (Avec fureur et mettant la capote et le bonnet de police que Raymond lui a donnés.) Vous croyez peut-être que ça me vexe.. au contraire.. je suis content, ravi, enchanté !..je veux partir tout de suite.. devenir crâne, séducteur.. scélérat avec les femmes… avec ça que l’uniforme me va très-bien. (On entend le tambour.) Ah ! mon dieu ! déjà !
RAYMOND.

Mam’selle Marielle, vous savez que je reviens dans deux jours.. (Donnant un fusil à Sauvageot.) Allons, sans regret, en route !..

Air d’Adam.
––––––––Le tambour nous appelle,
––––––––Allons, il faut partir,
––––––––Conscrit, montre du zèle,
––––––––L’ canon va t’étourdir.
––––––––Moi, qu’l’amour réclame,
––––––––Je r’viendrai gaîment,
––––––––Auprès d ma p’tit’femme,
––––––––Prendr’mon cantonnement.
––––––––Ran pata plat, plan, plan… etc.

(On voit défiler les conscrits derrière la fenêtre au fond, tambour en tête.)

SAUVAGEOT.
––––––––Ici, pou, le roi d’ Prusse
––––––––J’fis l’ galant, j’en conviens,
––––––––Mais, j’vais de votre astuce
––––––––M’venger sur les Prussiens  ;
––––––––Plus rien qui m’ retienne,
––––––––J’ deviens inhumain,
––––––––Et si quelqu’ Prussienne
––––––––Me tombe sous la main…

(Riant avec rage.)

––––––––Ra, va da vla pla, pla… etc.
MARIELLE, bas à Raymond.

Je vous recommande, monsieur Anatole…

RAYMOND, de même.

Soyez donc tranquille… Je réponds de lui…

MARIELLE, au public.

Même air.

––––––––Quand le ciel que j’implore
––––––––Ici l’a préservé,
––––––––Je n’ose pas encore
––––––––Me dire : Il est sauvé.
––––––––Avec l’espérance
––––––––Quand il part enfin,
––––––––Vous n’ voudrez pas, j’pense,
––––––––L’arrêter en chemin.
––––––––Accompagnez plutôt gaîment
––––––––Plan, plan, rataplan, rataplan,
––––––––Par un sonore battement,
––––––––La marche du régiment,
––––––––––––Plan, plan.

(Raymond fait un signe d’adieu à Marielle et à la mère Flouquet et se dirige vers la porte en faisant passer Sauvageot devant lui. – La toile baisse.)



FIN.
  1. Thérèse était la fille du père Christ, l’hôte de M. Charles Nodier. Elle avait épousé secrètement un jeune émigré.
  2. La droite et la gauche sont celles des acteurs.
  3. Ces deux couplets doivent se chanter en filant avec un rouet qu’on fait aller sur la ritournelle.