L’Alchimie et la médecine/04

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Bibliothèque Chacornac (p. 107-143).

IIIe PARTIE


LA MÉDECINE ALCHIMISTE


Nous sommes arrivés, avec Paracelse, au complet épanouissement des théories hermétiques en médecine. Il convient d’étudier maintenant ce système médical afin de pouvoir le suivre dans les transformations qu’il va subir après la Renaissance.

L’homme, d’après les hermétistes, est triple dans sa constitution : il comprend un corps physique, un corps astral et une âme : chacun de ces principes peut être atteint par la maladie et il s’enfuit que la thérapeutique doit être triple. Nous allons l’étudier à ces trois points de vue.

I. LE CORPS PHYSIQUE. — Ce corps a été tiré, dit le chapitre I de la Genèse, du limon de la terre. Il doit donc, comme les minéraux, être formé de trois principes : un soufre, un mercure et un sel. Le soufre est un principe actif, comburant, en antagonisme perpétuel avec le mercure, passif, principe de la plasticité ou “ Humide radical ” Ils se détruiraient immédiatement l’un l’autre sans le sel, principe intermédiaire qui produit la cohérence et qui, pour Paracelse, retarde le moment où l’antagonisme du soufre et du mercure réduira l’homme en cendres, c’est-à-dire à sa première substance.

On conçoit, comme dit Castaigne (Aphorismes Basiliens) « que s’il arrive quelque défaut en l’un des trois principes ou en plusieurs d’iceux, lors la mort de tous s’ensuit ; mais si le défaut ne se retrouve qu’en une partie de quelque principe, la maladie en sera seulement causée… »

Quelles sont ces maladies ? Nous lisons dans Kircher (Mundus Subterraneus, Amsterdam, 1645) : « Le soufre en excès produit les diverses fièvres ; l’élément humide se défendant comme il peut, il y a production de frissons et de sueurs, et selon que le soufre est plus ou moins mauvais, la fièvre est légère, grave, ou “ pestifera ”… »

Quant au mercure, il peut nuire par distillation, sublimation ou précipitation. Quand ce mercure exalté distille, il se résoud en vapeur très subtile et imprègne tout le corps : alors il produit la manie, la phrénésie, l’épilepsie et les épanchements du cerveau.

S’il est refroidi, il redevient liquide : quand ce refroidissement se produit dans le cerveau, c’est le tabès ; — dans le poumon, c’est la phtisie. Sa précipitation se fait par l’action du sel : alors ce sont la podagre, la sciatique, l’arthritisme, les catarrhes, les hydropisies quand la précipitation se produit dans le foie ; l’apoplexie quand c’est dans le cerveau, les ulcères, les gangrènes quand c’est dans les membres.

Le sel enfin, produit des maladies. Il s’extrait des aliments ingérés et se précipite dans les organes donnant ainsi lieu aux obstructions calculeuses, aux coliques, rhumatismes, cirrhoses, à l’érysipèle et aux maux de dents (Kircher, Mundus Subt., page 137).

L’excès ou le défaut de ces trois principes : soufre, mercure, sel, tient à l’alimentation. Tant que tout est normal, le soufre des aliments se porte vers le soufre des organes ; de même pour le mercure et le sel. Mais, à la suite des émotions, des veilles, des excès de régime, l’équilibre est rompu.

La thérapeutique logique d’un tel système consistait surtout en régimes, et il existait une classification des plantes médicinales selon leurs proportions relatives de soufre, de mercure et de sel, en tenant compte que le soufre se manifeste par la couleur ; le mercure et le sel, par le goût.

Toutefois, ce système médical basé sur les trois principes, rencontra fort peu d’applications. Au contraire, le système basé sur les quatre éléments devait rallier la plupart des suffrages, parce que c’était le système traditionnel renforcé de l’autorité de Galien et d’Hippocrate.

Tout corps matériel, en effet, constitué par trois principes, s’exprimait, nous l’avons vu, par quatre qualités ou éléments. Dans la nature c’était l’eau, produite par l’action du froid sur l’humide, l’air par celle du chaud sur l’humide, le feu produit par le chaud et le sec, et la terre produite par le sec et le froid.

Dans le corps humain, à l’eau correspondait le lymphe ; à l’air, le sang, au feu la bile et à la terre, l’atrabile. Selon la prédominance de tel ou tel élément, on avait un des quatre tempéraments : lymphatique, sanguin, bilieux, nerveux :

Le lymphatique était caractérisé par un teint blafard, une chair molle, une peau humide ; le pouls était lent et faible, la taille courte, l’haleine mauvaise, la salive et l’urine abondantes, l’estomac atone. Il était prédisposé à l’anémie et à la scrofule. Moralement, c’était une nature molle, indécise et timide.

Le sanguin, au contraire, au teint rosé, bien musclé, avait un pouls régulier, bien frappé, une peau tiède et souple, un bon estomac, mais la langue sèche, et avait fréquemment soif. Ses yeux étaient saillants, sa démarche lourde. C’était une nature enjouée, généreuse, amie des plaisirs. Le sanguin était prédisposé à la constipation : c’était le type de l’arthritique, avec des maux de tête, la goutte, etc.

Le bilieux avait une chair dure, des muscles secs, une peau chaude et sèche, un teint jaunâtre, un pouls dur, rapide. Il digérait très vite. Il était d’une activité fébrile, passionné, violent, enthousiaste, et avait la spécialité des affections hépatiques et rénales. Le nerveux ou mélancolique, ou atrabilieux avait un teint terreux, plombé, avec une peau rugueuse et sèche, le pouls petit et sec, l’oreille dure, l’urine rare et l’appétit capricieux. Taciturne et solitaire, il était triste, prédisposé au suicide et sujet à toutes les névroses.

On voit que chacun de ses tempéraments constituait comme un déséquilibre comportant ses conséquences pathologiques. Il fallait une lutte constante de l’“ esprit vital ” pour maintenir la santé. Sous l’action d’une cause extérieure trop forte (telle qu’une influence astrale), la maladie se produisait. La thérapeutique consistait à donner des médicaments ayant des qualités opposées à celle de l’humeur prépondérante (Arnauld de Villeneuve). Kircher (Mundus Subterraneus) donne un tableau de toute la matière médicale végétale, classée selon sa qualité (chaude, froide, humide, sèche). Il y avait pour chaque qualité, quatre degrés selon que cette qualité était plus ou moins accusée. Par exemple, parmi les feuilles, celles d’absinthe et de camomille étaient chaudes au 1er degré, celles d’angélique au second, celles de menthe au troisième, celles d’ail au quatrième. Les feuilles d’oseille étaient froides au premier degré, celles de ciguë au quatrième, etc. Les feuilles de bourrache, de laitue, de pavot, de ciguë étaient humides, celles de romarin, de sabine étaient sèches.


LE CORPS ASTRAL. — La notion de l’éther universel existait de tout temps chez les Hermétistes, comme nous l’avons vu. Paracelse l’appelait “ Magnale Magnum ”. — C’est par lui que se transmettait l’influx des astres sur les éléments terrestres. Il avait son analogie dans le microcosme : c’était le corps astral, le spiritus d’Arnauld de Villeneuve. Nous avons cité plus haut Platon et Fludd qui lui donnent pour substratum le sang. C’est que « ses éléments se renouvellent au moyen de l’air atmosphérique transformé en fluide vital par sa fixation sur le globule rouge » (Durey). Intermédiaire entre l’âme volontaire et le corps passif, il représente l’influx nerveux : Arnauld de Villeneuve (Lalande) dit qu’il va du cerveau aux organes des sens ; quand il se rétracte, c’est la léthargie, la syncope, ou, s’il s’agit d’une rétraction locale, la paralysie. La chair détruite ne se reforme que quand il a été épargné : il est donc l’agent et le régulateur de la cicatrisation, mais le fait qu’il peut ainsi être détruit localement a amené Paracelse à le diviser en autant de parties ou “ archées ” qu’il y a d’organes dans le corps. Son rôle est primordial puisque c’est lui l’esprit vital qui lutte contre le déséquilibre du tempérament ; il est un agent de défense contre toute cause menaçant de rompre l’équilibre physiologique. La maladie n’arrive que par sa défaite et il est des trois principes de l’homme, le plus exposé aux maladies puisqu’il peut être lésé : 1o par des causes matérielles ; 2o par l’action d’un autre corps astral ; 3o par l’influx défavorable des astres, et c’est là la cause la plus fréquente ; 4o enfin, par des influences spirituelles. D’où autant de mécanismes pathologiques différents que nous allons passer en revue. — La guérison ne pouvant être obtenue que par sa victoire, nous verrons quels moyens les alchimistes ont essayé de mettre en oeuvre.

a) LE CORPS ASTRAL A ÉTÉ LÉSÉ PAR UNE CAUSE MATÉRIELLE. — Il s’agit, par exemple, d’une blessure grave. Dans ce cas, les alchimistes peuvent essayer d’appliquer sur la blessure un baume très riche en force vitale, de manière à fournir au corps astral les éléments de sa réparation ou même à greffer cette force vitale sur celle du malade. Telle est la “ mumie ” dont parle Paracelse, et que nous retrouverons plus loin. On peut encore avoir recours comme d’ailleurs pour toutes les autres lésions du corps astral qui correspondent à une lésion organique, à la cure dite de sympathie.

La Cure de sympathie repose sur ce principe que le corps astral peut s’extérioriser hors du corps physique : Bacon, en effet, dit : « L’homme peut projeter sa puissance et sa force hors de lui… Il s’échappe de lui de la chaleur et des esprits… » La cure peut se faire en médicamentant une partie du corps astral attirée en dehors. Telle est le célèbre procédé de Digby : On prend, par exemple, le sang qui coule d’une blessure et on le met dans un liquide doué d’énergie vitale. Le corps astral du malade reste fixé à la parcelle de corps astral fixée sur ce sang par un lien fluidique et l’action du liquide se transmet ainsi directement jusqu’au malade : ce liquide est, par exemple, la solution d’un sel qu’on a obtenu par évaporation d’une eau mère sous les rayons les plus ardents du soleil d’été (quand le soleil est dans le signe du Lion, son domicile). La cure peut encore reposer sur des procédés magiques et avoir pour but de transmettre la maladie à un animal ou à un végétal, après avoir concentré toute cette maladie sur une parcelle de corps astral qu’on abandonne. Tel est le procédé pour guérir les maux de dents qui consiste à racler un fragment d’écorce à un arbre, à découper par-dessous un coin en bois, à piquer la gencive qui souffre jusqu’au sang et à remettre le coin taché de sang à sa place, l’écorce par-dessus, etc.

b) LE CORPS ASTRAL EST LÉSÉ PAR L'ACTION D'UN AUTRE CORPS ASTRAL. — C’est le cas qu’envisage Paracelse dans son “ opus Paramirum ” sous le titre d’“ Etre spirituel ”. Il dit, en effet, que des maladies peuvent survenir « quand les esprits s’attaquent mutuellement, sans notre assentiment, ou bien par nos pensées, nos sensations, notre volonté. » Il s’agit ici de pratiques d’envoûtement dont les remèdes sont également des procédés magiques ou mystiques, car Paracelse déclare qu’ici « il faut chercher le remède dans la foi. »

Remarquons que, si les corps astraux peuvent se nuire, ils peuvent aussi s’aider, se fortifier réciproquement. C’est ainsi que R. Bacon (lettre sur la nullité de la magie) dit : « Les hommes sains et de bonne complexion, surtout les jeunes gens réconfortent et revivifient les hommes par leur seule présence, cela à cause de leurs émanations suaves, de leurs vapeurs saines et délectables, de leur bonne couleur naturelle, à cause des qualités et des puissances qui s’exhalent d’eux, comme l’enseigne Galien en son art. » Rapprochons de cela le chapitre de l’Ecriture Sainte qui enseigne que David vieux et malade, fut revivifié grâce à ses serviteurs qui lui amenèrent, le soit, une jeune Sinamite. Le Dr Durville qui citait ce fait dans une récente conférence (26 avril 1912, Sociétés Savantes) racontait que Boerhaave guérit ainsi un bourgmestre d’Amsterdam en faisant coucher avec lui une jeune femme. (!) Lui-même, ajoutait, comme il l’a exposé dans sa thèse de doctorat que l’application de la main sur une culture de bacilles d’Eberth en retardait le développement. On voit par ce fait, les rapports de cette question avec le magnétisme et avec le massage thérapeutique.

c) LE CORPS ASTRAL EST LÉSÉ PAR L'INFLUX DÉFAVORABLE DES ASTRES. — Au centre de notre système planétaire est le soleil qui donne la vie à toutes les planètes qui gravitent autour de lui. Dans le microcosme, c’est le cœur qui est le centre de la vie, c’est lui qui transmet la force vitale avec le sang à tous les autres organes qui dépendent de lui. Chaque planète du macrocosme a son analogue dans le microcosme et, étant donnée l’analogie, influence cet analogue uniquement. Au soleil répond le cœur, à la lune le cerveau, à Saturne la rate, à Mercure les poumons, à Vénus les reins, à Mars les voies biliaires et à Jupiter le foie. Lorsque les influences des astres se combinent, il arrive un moment où leur résultante a une action mauvaise sur le tempérament de l’homme : l’équilibre instable est rompu et la maladie se produit là où elle n’est pas soutenue, c’est-à-dire dans l’organe correspondant à la planète affaiblie.

La Thérapeutique va consister à appliquer des remèdes chargés de l’influence de cette planète faible, afin de suppléer à son action ; c’est le principe : « Similia similibus curantur. »

En effet, chaque substance, et plus particulièrement chaque plante correspond, comme chaque organe, à une des sept planètes. Celles qui correspondent au soleil sont, par exemple, celles qui « sont tournées au soleil comme le tournesol » ; à la lune correspond, par exemple « le palmier qui pousse un rameau à chaque lever de la lune » (Agrippa. Philosophie occulte I-XXIII). Sur ces données, avait été établie depuis l’antiquité, une classification des remèdes. Toutefois, en raison de l’incertitude où l’on était dans la pratique, de pouvoir fixer la planète en cause, on a été amené très tôt à chercher autre chose. En vertu de l’analogie qu’on admettait partout dans la nature, on a pensé qu’une plante présentant dans son fruit, sa fleur, sa feuille ou sa racine, l’image d’un organe humain, devait appartenir à la même influence planétaire que cet organe, et que, par suite, elle pouvait lui servir de remède. C’est la théorie des signatures. On la trouve bien exposée dans les ouvrages de Porta (Magiœ Naturalis. Naples, 1558), de Kircher (Œd. Ægypt.) et de Crollius (Royale Chimie). C’est ainsi que pour les maux de tête, on recommandait la capsule de pavot, pour les intestins, les convolvulacées, la cassia fistula, pour l’utérus les fruits de juniperus sabina et l’aristoloche qu’on emploie encore beaucoup dans la campagne russe. — Crollius indique pour le nez, la menthe sauvage dont la signature est loin d’être évidente, mais à laquelle nous avons substitué dans beaucoup de cas, la pommade mentholée. Aux testicules correspondent les pistaches et nous avons pu constater que, sur les bords de la Caspienne, ces fruits passent pour aphrodisiaques. Partant du même principe, le Dr Duz (Traité de Médecine Astrale, page 79) cite le café « dont les deux lobes donnent la forme des deux lobes du cerveau et celle du cœur, et qui est un céphalique et un cardiaque. » Il ajoute que « le haricot qui ressemble aux reins est un diurétique », etc., etc.

En généralisant la théorie des signatures, on l’a étendue non plus seulement à la forme de l’organe, mais à la forme de la maladie. Les calculs se soignent par les pierres que Crollius appelle,, lapis citrinus, lapis Iudaïcus, lapis lyncis ” ; les cicatrices de plaies par les écorces d’arbres fendillées (qui agissent par leur tanin), l’ictère par le safran, la chélidoine ; la lèpre par les fraises ; les oxyures par les étamines des roses canines ; les tumeurs cutanées par l’agaric et les autres néoplasmes végétaux ; les ecchymoses par le pessicaire maculé ; les plaies par l’hypericum ou millepertuis dont les feuilles sont perforées (cette dernière recette est encore très utilisée dans nos campagnes). Enfin, les hémorragies se soignent par la pierre hématite (Crollius). C’est, en effet, par analogie de couleur que les médecins alchimistes ont été amenés à employer le fer comme hémostatique. Quercetanus (Opéra, Medica Francf. a/M. 1602. Sclopetarius) donne, comme hémostatiques, les formules suivantes :

1o Safran de Mars, 2 onces ; et huile Q. S.

2o Colcothar, 2 onces, et beurre frais, 4 onces.

3o Bol d’Arménie et sang-dragon aa 2 gros ; huile rosat, 3 onces ; suc de feuilles de chêne, 1 once ; roses rouges, 3 onces et cire Q. S.

Remarquons que le sang-dragon est connu aujourd’hui encore comme hémostatique.

Ce principe des signatures était bien inspiré de théories alchimiques. En vertu du vieil aphorisme des papyrus de Leyde : « La nature réjouit la nature », qu’on retrouve dans le “ De Arte Magna ” de Démocrite : « Natura naturam vincit et retinet » (Padoue, 1572), il suffisait d’étendre ces applications au règne animal pour arriver à l’Opothérapie. Agrippa l’indique nettement quand il dit (Philosophie Occulte, I-XV) : « Les médecins savent qu’un cerveau aide un cerveau, un poumon un autre poumon… Ils disent aussi que les animaux stériles causent la stérilité et ceux qui sont féconds la fécondité et qu’il en est ainsi surtout des testicules, de la matrice et de l’urine[1] ». Cardan (De rerum varietate) dit de même que le lait de jument, l’utérus de lièvre et le testicule de bouc guérissent de la stérilité. Paracelse (Archidoxes) recommande l’extrait de fiel de bœuf pour les cirrhoses et l’extrait de rate de bœuf “ contre les obstructions de la rate et l’aménorrhée ”. Crollius (Traité des Signatures) recommande le cerveau de porc contre la folie, les vers pulvérisés contre l’helminthiase, le poumon de cerf contre les affections pulmonaires. Enfin, Paracelse parle de sérum sanguin pour arrêter les hémorragies, procédé renouvelé tout récemment par un point de vue différent.

La Sérothérapie, d’ailleurs, n’est pas étrangère aux alchimistes : « Les venins, dit Kircher (Mund. Subt.) ne peuvent être mieux guéris que par les serpents mêmes qui ont mordu » et Crollius (Traité des Signatures) dit que l’araignée écrasée guérit la blessure qu’elle a faite, et le scorpion sa piqûre. Kircher en cherche l’explication : « Le venin est un mixte composé également de soufre, de mercure et de sel. Il contient en lui ce qui peut nous sauver, conjointement à ce qui cause notre mort. Il faut donc séparer le pur de l’impur comme l’enseigne l’art spagyrique ; on obtient ainsi des guérisons merveilleuses. C’est, comme nous l’avons dit, grâce au magnétisme de la nature, en vertu duquel le semblable se réjouit du semblable, d’où naît l’attraction et l’union. Ainsi, la substance d’un serpent, prise et préparée d’une certaine manière, trouve, par une sorte d’instinct naturel ce qui s’est transfusé d’elle et par une certaine attraction rappelle à soi ce qui en avait été séparé (pour le neutraliser). « Suivent quatre règles exprimant que tout minéral, toute plante, tout extrait animal capable de produire les effets d’un poison quelconque est un remède contre ce poison. Ici, le principe d’analogie Similia similibus va jusqu’à l’Homéopathie.

Maintenant que nous avons suivi les conséquences logiques du principe d’analogie, nous pouvons revenir à notre point de départ : il s’agit de fortifier le corps astral lésé par un déséquilibrement dans l’influx des planètes, au moyen d’une substance imprégnée de l’influence de la planète faible. Au lieu de plantes et d’extraits organiques, on peut employer les métaux et plus particulièrement les sept métaux influencés par les sept planètes. C’est pour cela que Paracelse parle des “ anneaux constellés ” « qu’il faisait de fer, de plomb, d’étain, de cuivre, d’or ou d’argent » (Burq. Métallothérapie. Paris, 1871). C’est ainsi que contre l’épilepsie il recommandait de porter, sur le cuir chevelu, une plaque d’or et d’argent, triangulaire et large comme la main. Ainsi était indiquée la métallothérapie.

Remarquons encore que, grâce à la théorie des signatures, certains remèdes s’étaient spécialisés pour les affections d’organes déterminés : on distinguait les médicaments céphaliques pectoraux, stomachiques, hépatiques, cardiaques, diurétiques, etc., etc. Paracelse et son école ont surtout cherché les indications particulières de chaque drogue minérale. Ainsi que nous l’avons vu plus haut, ce fut, pour la médecine, le point de départ d’une tendance qui a duré jusqu’à nos jours : la recherche des spécifiques. On a pu, en effet, caractériser la médecine de la Renaissance en disant qu’elle avait cherché, par des spécifiques, la guérison des maladies aiguës alors qu’Hippocrate avait cherché, par la diététique, à soigner les affections chroniques (Chevreul).

On voit donc que, ce qui différencie avant tout la médecine des alchimistes de notre thérapeutique moderne, c’est que nous administrons les médicaments en nous préoccupant uniquement de leur action physiologique et sans faire intervenir la notion d’un agent fluidique. Au contraire, les alchimistes donnaient leurs remèdes non pour agir sur le corps physique, mais sur le corps astral. — De là les essais qu’ils ont faits pour donner à leurs préparations pharmaceutiques une forme spéciale. Afin de donner aux médicaments une forme plus subtile, capable de mieux les diffuser dans le corps fluidique, capable aussi de mieux obéir à l’influx de la planète en cause, ils se sont proposé d’obtenir en quelque sorte le corps astral des drogues ; de là les préparations d’extraits que nous leur devons sous le nom de quintessences.

Les remèdes minéraux, végétaux ou animaux, tels que la nature nous les fournit, sont des organismes comparables à celui de l’homme qui comprennent une âme immatérielle : c’est l’archée ; un corps fluidique et un corps matériel. Le corps matériel est naturellement formé des trois principes (soufre, mercure et sel) s’exprimant par les quatre éléments (feu, air, eau, terre). Mais, outre ces constituants essentiels, indispensables, il contient beaucoup de substances de déchet, liquides et solides, que Paracelse appelle “ le phlegme et le caput mortuum ”. II. s’agit donc, comme nous l’avons dit, d’isoler le corps astral de ce “ mixte ”, ou médicament brut, total. Or, le corps astral, pratiquement, a besoin d’être fixé sur un substratum matériel, comme l’esprit vital de l’homme est fixé sur le sang. L’alchimiste réduira donc ce substratum matériel à sa plus simple expression, c’est-à-dire à son soufre, son mercure et son sel débarrassés des éléments inutiles, incapables de fixer le fluide du médicament : le phlegme et le caput mortuum. Ce corps astral médicinal fixé sur son substratum matériel constitue la “ Quintessence ”

On conçoit, en vertu des théories alchimiques sur la vie de la matière, qu’il est possible d’extraire la quintessence de tout ce qui vit et que Paracelse ait voulu en tirer des substances les plus diverses : organes d’animaux (véritables préparations opothérapiques) ; de chair, de sang, d’urine, de plantes (extraits pharmaceutiques) et même de substances fixes (dans ce dernier cas, les préparations spagyriques pouvaient avoir pour effet de purifier ces substances en les débarrassant de leurs impuretés). Mais, dit Paracelse (Archidoxes IV) « on ne peut pas extraire la quintessence d’un homme car, chez lui, l’esprit vital meurt dès que la vie est éteinte. »

La quintessence qui agit par son dynamisme inhérent se présente, matériellement, comme un composé chimique bien défini. Elle contient à elle seule toutes les propriétés du mixte. L’art spagyrique consiste ainsi à exalter toutes les forces de la matière médicale au moyen de la chaleur solaire ou de celle du fourneau et c’est pourquoi Paracelse fait de l’alchimie l’auxiliaire indispensable de la médecine. Au début de son Opus Paragranum, il écrit : « Si le médecin n’est pas un très savant chimiste, tout ce qu’il peut savoir d’autre part ne lui profitera en rien, l’alchimie étant le seul moyen d’amener à sa perfection l’ouvrage de la nature. On traiterait de barbare qui mangerait sa viande sans préparation. Ainsi fait pourtant le médecin non alchimiste qui prescrit un remède tel que le livre l’apothicaire. »

L’idée de la quintessence possédant toutes les propriétés du mixte, a dû être donnée aux alchimistes par la distillation : d’ailleurs, l’alcool éthylique constituait à leurs yeux une quintessence ayant, plus condensées, les mêmes propriétés que le vin. Le résidu de la distillation qui est une substance inactive, représentait pour eux le type du phlegme et du caput mortuum.

Cette idée de la quintessence, est bien spéciale à Paracelse. Il admet aussi que, conformément aux règles de la magie, le médicament doit être recueilli sous certaines conditions astronomiques afin de renforcer en lui l’influence planétaire efficace.

Quoi qu’il en soit, la quintessence présente non seulement la propriété de mieux diffuser son action dans le corps astral du malade, elle a, en outre, l’avantage d’être incorruptible. Le phlegme et le caput mortuum dont elle a été débarrassée sont, en effet, des produits inutiles, des aliments à la putréfaction : ils sont capables de corrompre le sang et de produire des maladies, d’où le danger d’employer des médicaments bruts, non épurés par le spagyriste. La quintessence agit sur le corps fluidique malade par une véritable transmutation alchimique, transformant ce qui est impur, malsain, toxique dans l’organisme en éléments purs, sains, normaux, c’est-à-dire qu’elle agit par la vie qui est en elle et qu’elle communique par son dynamisme, et non par ses propriétés chimiques ou physiques. Cette idée est très en faveur aujourd’hui auprès de certains homœopathes.

La quintessence, résumant les propriétés du mixte, a un dynamisme à action variable selon la substance d’où elle est extraite et c’est pourquoi nous voyons Paracelse rechercher des quintessences spécifiques pour les différentes maladies.

La quintessence est efficace non seulement par son action renouvellante, mais aussi par son action conservatrice, entretenant la bonne santé des organes auxquels elle s’adresse.

Mais, lorsqu’il s’agit non plus de guérir une maladie, mais de conserver la santé, on doit employer des médicaments à action moins spécialisée que les quintessences, des médicaments qui renferment en eux non plus une influence planétaire quelconque mais un ferment de vie général. On appelle ces remèdes arcanes, magistères ou mystères de l’art « lesquels, dit Paracelse (Archidoxes, V et VI) quoique quelquefois ils ne paraissent pas en forme de quintessence, cependant leur vertu, non seulement n’est pas moindre, mais elle est supérieure. » Puis, Paracelse cite les quatre principaux arcanes qui sont :

1o La Première Matière. Elle opère non seulement sur les corps vivants mais sur les morts. Elle est, pour ainsi dire, au-dessus de la nature,

2o Le Mercure de Vie. Il contient un grand nombre de vertus qui préservent, restaurent, régénèrent.

3o La Pierre Philosophale. Nous y avons consacré un chapitre dans notre exposé des théories purement alchimiques.

4o La Teinture ou Or potable. Cette préparation agit parce qu’elle s’adresse plus particulièrement au cœur qui est le centre vital par excellence de même que le soleil, planète de l’or, est le centre de notre système planétaire. L’or est donc un remède cardiaque : « L’or fortifie le cœur par son magnétisme, dit Kircher (Mund. Subt., t. II, p. 427), mais ne le nourrit pas, ce qui est le propre des drogues végétales, car aucun mixte ne peut nous nourrir s’il n’a eu en lui, auparavant, la vie (animale ou végétale). L’or n’agit donc, comme les pierres précieuses, que par une effluve radio-active (radioso quodam effluvio). » C’est pourquoi, dans les magistères d’or, on ajoute des éléments qui agissent par eux-mêmes comme le vin de mauve, de mélisse, de safran. Mais l’or est aussi un remède général. En effet, tandis que les médicaments ordinaires et même les quintessences sont des remèdes particuliers à telle ou telle affection, et qu’il est nécessaire de diagnostiquer la maladie pour choisir ce remède, l’emploi des préparations d’or, comme d’ailleurs l’emploi des autres arcanes, constitue une médecine universelle « et cette unique et suprême médecine se peut administrer au corps humain sans aucune connaissance de la maladie, parce que la sage nature lui a donné le pouvoir de guérir toutes les infirmités naturelles » (Crollius. Royale Chimie, in Preface admonitoire, p. 224).

L’idée que l’or et les pierres précieuses (diamant surtout) peuvent servir de remède général, se trouve déjà dans Pline qui (Hist. Natur. XXXIII- 25) enseigne le moyen de donner des propriétés actives à des substances par torréfaction au contact de l’or.

Lulle, Paracelse, Quercetanus donnent différents procédés pour préparer la teinture d’or. Libavius conseille de prendre une livre de vitriol blanc et un gros de sel ammoniaque. On distille à feu lent. On prend un gros de la liqueur obtenue, on y ajoute deux onces d’or pulvérisé par amalgame et évaporation du mercure. Toutes ces préparations consistent en somme à pulvériser aussi finement que possible des feuilles d’or et à les mettre en suspension dans un excipient. Kircher (Mund. Subt. II, p. 427) explique que l’or réduit en petits corpuscules produit des effets meilleurs que l’or congloméré en sa substance solide. « Comme tous les corpuscules d’or “ dissous ” (en suspension) jouissent chacun des propriétés du tout, ceux-ci, en s’unissant aux autres, acquièrent dans la composition un degré plus intense de propriété. Bien plus, si quelque élément corrosif existait dans l’or ou dans ses dissolvants, il serait neutralisé par la vertu des autres espèces ajoutées de manière à ne pas pouvoir nuire à celui qui le prend ». N’est-ce pas la théorie des métaux colloïdaux et un essai de préparation de l’Electraurol ? L’analogie est d’autant plus curieuse qu’au début de l’emploi des colloïdaux en thérapeutique, les contemporains n’ont pas été loin d’y chercher une véritable panacée.

Le R. P. Gabriel de Castaigne (Œuvres, Paris, 1661, p. 33) donne un procédé pour pulvériser l’or par amalgame évaporé et par mélange à du soufre qu’on fait brûler, mais il conseille de mettre cet or dans de l’eau-de-vie et on obtient ainsi une teinture « dont une demi-cuillerée ressuscite les morts (c.-à-d. les mourants) et guérit la goutte, la vérole et la ladrerie, la peste, le mal caduc, l’hydropisie et tous autres maux du corps quels qu’ils soient ».

L’eau-de-vie, en effet, a été dès le début considérée, ainsi que son nom l’indique, comme une quintessence ayant des vertus générales, presque au même titre qu’un arcane. Les Arabes, Arnauld de Villeneuve l’indiquent déjà, et Rupescissa (La vertu et la propriété de la Quintessence. Lyon, 1549) en fait l’apologie : « Pour trouver un remède universel, dit-il, il faut chercher une chose qui soit de telle nature envers les quatre qualités de notre corps composé, comme est le ciel au respect des quatre éléments ». Or, l’eau-de-vie est incorruptible comme le ciel et elle n’a aucune des qualités élémentaires. « Elle n’est pas, en effet, chaude et sèche comme le feu, puisqu’elle réfrigère les maladies chaudes ; elle n’est pas non plus froide et sèche comme la terre, puisqu’elle échauffe le corps, etc. »

Elle préserve de la putréfaction les corps qu’on met à son contact : « Si elle conserve un corps mort, dit Rupescissa, combien mieux peut-elle conserver un corps vivant ? » Il ajoute qu’on perfectionne cette quintessence par la chaleur de la putréfaction et il conseille, pour lui donner de la vie, de la mettre dans un vase bien bouché et de l’enfouir un certain temps dans le crottin de cheval. Si l’on se rappelle que les alchimistes employaient souvent ce procédé et que, d’après leurs théories, la génération de la vie devait être précédée de putréfaction, on comprendra jusqu’à quel point les conceptions hermétiques influençaient la thérapeutique de cette époque.

Rupescissa continue en disant que l’eau-de-vie est comme le ciel, et qu’il faut y ajouter les planètes, c’est-à-dire tel ou tel métal, ou les “ étoiles terrestres ”, c’est-à-dire les plantes, et, après avoir décrit la teinture d’or, il parle de différentes teintures végétales comparables à celles de notre matière médicale.

On a fabriqué, par analogie, avec la teinture d’or la teinture d’argent : mais, l’argent étant sous l’influence de la lune, planète accessoire, le remède n’est plus un arcane mais une quintessence particulière, spéciale aux maladies du cerveau (organe de la lune), telles qu’épilepsie, hydrocéphalie, paralysie (Kircher). De même des autres teintures métalliques (de fer, de cuivre, etc.).

A côté des arcanes qui sont des préparations officinales, matérielles, il faut citer, comme pouvant accomplir des guérisons étonnantes, la Mumie. Les arcanes sont une concentration de fluide vital sur un peu de matière. La mumie est ce fluide vital lui-même, immatériel. Elle représente la portion du corps astral qui règle les fonctions organiques du corps physique et qui reste attaché à lui un certain temps après la mort, alors que la portion supérieure du corps astral accompagne l’âme désincarnée. Cette mumie peut être captée, elle peut se fixer sur un organisme vivant et malade et le renforcer par son action vitale. C’est ainsi que Paracelse (De rebus ex fide… lib. III) explique les guérisons miraculeuses qu’on observe auprès des tombes.

d) LE CORPS ASTRAL PEUT ÊTRE LÉSÉ PAR DES INFLUENCES SPIRITUELLES. — C’est par l’action des mauvais esprits que le corps astral se déforme pendant son évolution fœtale et aboutit à la production de monstres : « Aussi, fuyez ces créatures, dit Paracelse, car ils sont l’œuvre de Satan ». Bien entendu, la thérapeutique se trouve fort précaire contre ce cas particulier. Quand il s’agit de lésions véritables produites par obsession, ce qui est tout à fait exceptionnel, ce sont seulement les pratiques magiques qui doivent être mises en œuvre.

MALADIES DE L’AME. — La volonté ou l’imagination qui sont des fonctions de l’âme peuvent être des causes pathologiques qui finissent par agir sur le corps physique par l’intermédiaire du corps astral et par y provoquer des lésions. Paracelse (De reb. ex fide hom. Livre I) dit qu’on devient malade à force de supposer qu’on l’est ; et il raconte que la chorée naquit des simulations de la femme Tropsée qui avait imaginé d’en feindre les symptômes pour n’avoir pas à travailler. L’Imagination peut agir non seulement sur soi-même mais sur les autres et, plus loin (Livre II) Paracelse explique les “ taches de naissance ” par l’action de l’imagination de la femme enceinte sur son fœtus. Si elle pense pendant sa gestation à des hommes célèbres dans une branche déterminée, son fils deviendra tel, et si elle est préoccupée de crimes, elle accouchera d’un criminel. Crollius (Royale Chimie. Paris, 1633, page 76) a résumé cette question en ces termes : « Tout ce que nous faisons visiblement avec le corps, dit-il, nous le faisons spirituellement par l’imagination, d’où s’ensuit que par icelle nous formons la peste et autres maladies… ; l’imagination donne la santé ou la maladie ».

Naturellement, la thérapeutique qui s’impose est la psychothérapie. Il est évident que, d’une manière consciente ou non, ces procédés thérapeutiques ont été employés de tout temps. Pythagore, l’initié des temples égyptiens, les pratiquait. Porphyre raconte, en effet, que : « Si quelqu’un était malade du corps, Pythagore le guérissait ; s’il était malade de l’esprit, il le consolait et calmait sa douleur ». Roger Bacon, avec son rare bon sens, a donné des conseils dont quelques-uns pourraient encore tirer profit de nos jours ; c’est ainsi qu’il dit (De l’Admirable Pouvoir et Puissance de l’Art et de Nature) : « …Aussi, l’âme estant excitée peut renouveler au propre corps plusieurs choses, tellement que, d’infirmité ou de maladie, il prendroit convalescence et viendroit à la santé par la joye et confiance qu’elle auroit… A ceste cause et raison l’on fait des jeux et l’on apporte choses délectables devant les malades (voire aucune fois on permet à leur appétit maintes choses contraires) lesquelles esjouissent tant iceux quelquefois que l’affection et désir de l’âme et leur grand espoir vient à vaincre et surmonter leur maladie ».


Telles étaient les grandes lignes de la médecine alchimique. Paracelse, comme les autres alchimistes chrétiens, avait ajouté à ces causes pathogènes l’influence directe de Dieu, punissant, par la maladie, les mauvaises actions de l’homme, et il recommandait alors la prière comme unique moyen de guérison. Mais il faut bien remarquer que cette notion d’une force fatale, produisant la maladie comme conséquence d’un péché, n’est pas spéciale aux chrétiens. On la retrouve dans l’Inde et chez les kabbalistes, en vertu de ce principe analogique : le mal attire le mal, et on pourrait, jusqu’à un certain point, la rattacher à l’Hermétisme.

Les Destinées de la Médecine Alchimique

Après la mort de Paracelse, la médecine alchimiste devait se transformer et le corps de doctrine qu’elle constituait allait se décomposer ; quelques-uns de ses enseignements allaient s’isoler et donner naissance à des systèmes séparés, différents, quelquefois opposés. C’est ainsi que la médecine du corps astral allait devenir l’apanage de la Rose-Croix ; l’usage des médicaments minéraux, celui des iatrochimistes, etc., etc.

Jérôme Cardan, plus connu comme mathématicien et comme astrologue, fut également médecin. Il vécut de 1500 à 1576 et enseigna même la médecine à Pavie en 1540. Il dit de lui-même qu’il était « curieux de tout ce qui a rapport à la médecine et zélé pour les choses merveilleuses ». C’est surtout dans son « De rerum varietate » qu’il expose des vues médico-alchimiques. Parmi les médecins qui, au XVIe siècle, suivirent les doctrines de Paracelse, il faut citer Léonard Thurneisser, de Bâle (1530- 1599), qui a écrit sur l’alchimie ; Oswald Croll, l’auteur de la Royale Chimie et, en Allemagne, Dorn, A. Ellinger, G. Fedro, B. Carrichter, F. Raïcus, A. de Badenstein, Michel Toxites ; à Anvers, J. Michelius ; en Angleterre, J. Hester. A cette époque, beaucoup d’alchimistes recherchaient encore la pierre philosophale : Denis Zachaire, B. de Vigenère, G. Claves, Barnaud, Liébault, Finé, Alex, de la Tourette (auteur d’un traité sur l’Or potable, Paris, 1575). Des alchimistes ambulants commencent à parcourir l’Europe. On attribue même à Bernard Palissy (1500-1589) un traité sur l’Or potable.

C’est à ce moment qu’éclate la querelle de l’antimoine à-la suite d’un traité du Danois Pierre Séverin (1580- 1656) sur la médecine de Paracelse dont il était un ardent disciple, traité qui parut à Bâle, en 1571, et dans lequel il soutient que « de même que l’antimoine purifie l’or et enlève aux minerais leurs impuretés, de même il ôte au corps malade les immondices qui entravent le jeu des fonctions naturelles de l’économie ». Cette théorie fut, selon la pittoresque expression d’Hœffer, « la pomme de discorde jetée au milieu de la tourbe des médecins ». Pendant que Th. Eraste et Dessenius, en Allemagne, s’élèvent avec rage contre Paracelse, suivis de Seidel, Soner, Stupanus, Gesner, etc., la Faculté de Paris s’émeut : elle fait d’abord censurer cent des propositions de Paracelse, puis, voyant le mal augmenter, rend l’arrêté suivant :

« Tout le Collège de la Faculté de Médecine ayant été convoqué à l’effet de porter un jugement pour servir de règle relativement à l’antimoine, il a été décidé, d’après l’autorité de ceux qui se sont illustrés en médecine et pour les raisons déjà exposées devant M. le Procureur général, que l’antimoine est une substance délétère et, comme tel, doit être classé parmi les simples de nature vénéneuse ; et que, de plus, il n’existe pas de préparation qui puisse le corriger de manière à en permettre l’usage sans danger. — Décrété aux Ecoles de Médecine, le 3e jour des calendes d’Août de l’an 1566 ». Cet arrêté provoqua de vives protestations de la part des chimistes tels que Joseph Duchesne (Quercetanus), Israël Harvet, D’Orléans, tandis que la vieille médecine galénique par les plantes était défendue par Aubert, Jacques Grévin de Clermont, et Riolan, le fils du célèbre anatomiste. La iatrochimie trouva un soutien très fort dans la Faculté de Montpellier qui se déclara contre celle de Paris. C’est pour attaquer Montpellier que Riolan écrivit cette chose amusante dans ses “ Curieuses recherches sur les Escholes de France ” : « Vous dites que Paracelse guérissait les malades ; c’est possible, mais c’étaient des Allemands. C’est un très grand abus que de vouloir pratiquer la médecine sur des Français comme sur des Allemands qui sont corps robustes et crapuleux et remplis de pituite, lesquels il faut traiter avec violence pour faire vuider par le haut et par le bas leur crapule et excessive réplétion… ».

Il y a pourtant une concession faite par les galénistes aux spagyristes : c’est l’emploi du mercure dans la syphilis. D’ailleurs, ces derniers tiennent bon, les principaux médecins chimistes de la fin du XVIe sont, en France, Roch le Baillif qui partagea avec Mathieu Morin la charge de médecin spagyriste auprès d’Henri IV, et qui a écrit sur l’Alchimie, la Magie, la Chiromancie ; puis Bernard Pénot qui employa toute sa vie et toute sa fortune à répandre les idées de Paracelse, pour mourir à la fin dans la misère. C’est, en Allemagne, Libavius qui soutint courageusement la guerre contre Eraste et qui, le premier, a bien. décrit l’action de l’émétique. Il a beaucoup écrit sur l’Alchimie. Il existe de ses œuvres une édition complète(Opera Medico-Chymica. Francfort, 1606). Enfin, à Bologne, c’est Fioravanti, également médecin et alchimiste, qui prétendit obtenir des cures extraordinaires avec le baume dont il nous a laissé la recette. Citons enfin, en Angleterre, Kelley et Sethon.

Avec le début du XVIIe siècle, nous rencontrons Van Helmont (1577-1644) qui, pour se donner à la médecine qu’il aimait, dut rompre avec sa famille. Initié à la Kabbale par le P. Martin del Rio, il fut converti à la iatrochimie par un charlatan italien qui réussit à le guérir d’une gale tenace qu’il avait prise « en essayant les gants d’une jeune fille. » Il prit le titre de “ Medicus per Ignem et, selon Morieri, il aurait fait des cures telles qu’on l’aurait accusé de diablerie. C’est lui qui, dans son laboratoire de Vilvorde, a été converti à l’alchimie par un adepte anonyme. Ceci nous montre qu’il n’a pas puisé directement dans la philosophie hermétique ses théories, et pourtant il continua en grande partie l’œuvre de Paracelse. Pour lui, la matière est passive, formée d’un élément primordial qui est l’eau. A elle s’oppose dans la nature une force active, immatérielle, l'archée ; c’est l’archée qui façonne la matière pour produire les corps vivants. L’archée est une force vitale très générale, mais individualisée en de nombreuses portions et sous-portions : telles sont les archées d’espèce, d’individu et d’organes. L’archée en chef de l’homme siège dans la région épigastrique et, de là, elle règle le fonctionnement harmonique des archées accessoires préposées à chaque organe en particulier. Nous appellerions aujourd’hui cette archée principale : action nerveuse sympathique. Elle constituait pour Van Helmont quelque chose de comparable au corps astral inférieur, alors que la partie plus subtile du corps astral était désignée par lui sous le nom d’“ Esprit Vital ” auquel il donnait pour centre, avec les alchimistes, le coeur et surtout le cœur gauche. Il avait adopté la notion du fluide universel qu’il appelait, comme Paracelse, “ Magnale ”.

L’archée, véritable régulateur et dispensateur d’esprit vital, avait, comme moyen d’action sur l’organisme, le ferment. Il y avait un ferment pour chaque fonction : le ferment digestif pour la digestion, le ferment animal pour la reproduction, etc.

Etant donnée la toute-puissance de l’archée sur la matière qu’elle pouvait façonner à sa façon, Van Helmont concevait la maladie non comme une simple lésion anatomique, mais “ comme une modification de la vie elle-même dans l’intimité de l’archée ”. Aussi, de même que les médecins véritablement alchimistes et hermétiques, il chercha des médicaments capables d’agir sur l’archée elle-même, c’est-à-dire d’exercer une action dynamique et non matérielle.

Pour isoler le dynamisme du médicament, il chercha un dissolvant et il parle de l'“ Alkaest " comme capable de réduire les mixtes en leurs principes en concentrant leur puissance végétative ; mais il est aussi muet que Paracelse sur la composition de cet Alkaest. A son défaut, il conseille d’employer l’esprit de sel de tartre ; cet esprit est d’une admirable qualité résolutive « car il peut dissoudre tous les simples, après quoi il se coagule dessus, empruntant leur vertu spécifique qui, dans le corps humain, guérit les maux les plus opiniâtres et toutes les fièvres ». Jean Maveri, dans sa “ Médecine Hermétique des Plantes ” (Paris, 1912), a bien exposé les modes de préparation de ces drogues, selon Van Helmont et son disciple Starkey.

Après Van Helmont, il nous reste à étudier un type curieux de médecin alchimiste. C’est Jean-Rodolphe Glauber qui vécut en Allemagne, de 1604 à 1668. Il fut avant tout, alchimiste. Nous avons déjà cité son traité sur la Teinture de l’Or (Amsterd., 1651 — Paris, 1659), et nous avons vu les propriétés merveilleuses qu’il lui accorde. Dans sa “ Consolation des Navigants ” (traduction Du Teil. Paris, 1659), il parle d’une préparation secrète qu’il a inventée qui est « l’extrait ou l’essence concentrée de tous les végétaux, laquelle doit avoir la vertu non seulement de chasser toutes les humeurs vicieuses du corps, mais encore d’en fortifier les parties internes et le garantir de tout ce qui peut causer la maladie ». Cette idée du médicament “ conservateur ” est purement alchimique. Il parle encore d’une “ eau concentrée ” beaucoup plus désaltérante que l’eau ordinaire et qui n’est, en réalité, qu’une solution d’esprit de sel. Il dit que le chlorure d’or mélangé à l’eau-de-vie « est un excellent remède contre toutes les infirmités. » Il est aussi enragé que Paracelse à préconiser le traitement chimique des substances fixes qui doivent servir de remèdes « Les idiots ne savent pas, dit-il (Consolation des Navigants) la grande différence qui existe entre le sel commun et le sel corrigé, n’ayant connaissance du sel qu’en ce qui concerne la cuisine. » Naturellement, il prit violemment partie pour la chimiâtrie. Nous lui devons le sulfate de soude ; il dit de l’acide chlorydrique qu’il tonifie l’estomac affaibli dans beaucoup de maladies ( Furni novi philosophici. Amsterd., 1651, I, p. 23) et il décrit les bains de vapeur et les bains sulfureux (III, p. 47-48).

Presque à la même époque que Glauber, vivait, en Holstein, Jean Kunckel qui fut également un médecin-alchimiste.

Cependant, en France, les attaques se multipliaient contre la Faculté de Paris que défendait alors son doyen, Guy-Patin. La querelle entre les iatrochimistes et les galénistes avait fini par se localiser autour de l’antimoine. Déjà Guy-Patin avait provoqué un arrêt pour condamner l’auteur d’un pamphlet, le jeune Docteur Chartier, à la dégradation universitaire, ce qui avait provoqué les réponses virulentes d’Eusèbe Renaudot, quand, tout à coup, on apprit que le roi Louis XIV, qui avait à sa Cour un certain nombre de médecins-spagyriques officiellement attachés à son service, venait d’être guéri d’une maladie par l’antimoine. Rien ne fut, paraît-il, plus amusant que l’embarras de Guy-Patin. On admit, à la fin, que c’étaient « les bonnes prières des honnêtes gens qui avaient sauvé le roi », mais, en 1666, exactement cent ans après le célèbre arrêté sur l’antimoine, le vin émétique rentrait en grande pompe dans la thérapeutique officielle de la Faculté de Paris.

Dès lors, la question des médicaments minéraux était définitivement réglée. Alors, les esprits se tournèrent vers d’autres questions et les théories alchimiques de la médecine commencèrent à produire une foule de systèmes médico-philosophiques. Van Helmont avait le dernier, su faire la synthèse de ces deux notions ; 1o Une force vitale immatérielle (archées) et 2o Son “ modus agendi ” d’ordre chimique (les ferments). Après lui, un abîme se creuse entre ces deux conceptions et nous voyons évoluer séparément deux courants opposés : l’un spiritualiste, vitaliste, qui rattache tous les phénomènes physiologiques à la force vitale ; l’autre, matérialiste, qui veut expliquer toute la vie par des réactions chimiques. Le premier a pour foyer la Faculté de Montpellier qui a toujours fait intervenir en médecine beaucoup de considérations philosophiques. Le second a pour centre Paris, essentiellement positiviste et préoccupé uniquement de l’étude des faits.

Ce fut en Allemagne que commença le conflit. D’une part, Sylvius (1614-1679) développa la théorie des ferments de Van Helmont, mais en niant les archées. Pour lui, tous les phénomènes de la vie se réduisent à des fermentations, des distillations, des effervescences, et ces réactions ne se passent qu’entre les éléments liquides de l’organisme, les parties solides de ce dernier étant absolument inertes. Pour lui, le foie ne secrète pas la bile, ni les mamelles le lait, mais ces liquides préexistent, tous formés dans le sang. Toute la pathologie se ramène alors à l’âcreté des humeurs et la thérapeutique consiste à neutraliser cette âcreté. Avec Sylvius, c’est Boerhaave, de Leyde (1668- 1738) qui veut expliquer la vie par des phénomènes d’ordre physique et mécanique (relâchement ou hypertension des fibres ou du mouvement circulatoire). Il chercha à concilier les théories mécaniques du strictum et du laxum de Thémison avec la théorie humorale d’Hippocrate.

Mais, tandis qu’ils poussent à fond leurs conceptions matérialistes, Stahl (1660-1734), en Saxe, exagère les théories vitalistes ; il réduit toutes les archées à un pur esprit, absolument dégagé de tout lien matériel (ce qui le différencie du corps astral des alchimistes) et il l’appelle “ âme ”. La matière est absolument passive vis-à-vis de cette âme, qui est la cause de tous les phénomènes physiologiques (Influence des émotions sur les sécrétions, invoquée comme démonstration). C’est ce qui explique que les hommes, chez lesquels elle est plus développée que chez les animaux, soient, plus que ces derniers, sujets aux maladies. L’âme est l’agent de la guérison comme de la maladie. Aussi Stahl conseille-t-il d’imiter et de seconder la nature. Les fièvres graves (typhoïde par exemple) donnant quelquefois lieu à des hémorragies, il conseille la saignée pour les soigner. Il veut respecter l’hyperthermie et rejette le quinquina, qui est “ astringent et constipant ” et l’opium qui empêche la réaction de l’organisme malade.

Hoffmann (1660-1742) essaye de concilier les deux écoles en admettant d’une part que l’homme tire toutes ses forces de l’Ether Universel dont il individualise une partie (corps astral des alchimistes), et en expliquant, d’autre part, le mécanisme des maladies par la contraction ou le relâchement des fibres.

En France, Bichat (1721-1802) continua cet essai de conciliation en distinguant la vie animale qui est l’expression d’une force vitale particulière, et la vie organique qui siège dans les tissus et qui n’est qu’une expression de l’activité générale de la matière. Il définissait l’activité vitale par les propriétés de sensibilité et de contractilité, et l’activité organique par la gravité, l’affinité et l’élasticité.

Mais l’électisme de Bichat ne devait pas trouver de disciples. Au moment où il émettait ses théories, Lavoisier en découvrant la composition de l’air, le caractère chimique des phénomènes de respiration et de calorification, et Fourcroy en se faisant le propagateur de ses théories, tendirent à la négation des explications vitalistes et produisirent un retour vers le matérialisme dont Broussais (1772-1838) fut, à la Faculté de Paris, la véritable incarnation.

Mais, pendant ce temps, Montpellier conservait ses systèmes vitalistes avec Sauvage (1706-1767), Bordeu (1722- 1776) et surtout Barthez (1738-1806). Tous ces systèmes reviennent à considérer la vie non comme un effet du jeu des organes, mais comme la cause de ceux-ci. La vie est, en somme, une force immatérielle, le “ principe vital ”.

Peu après, nous voyons arriver en Allemagne, Hahnemann (1755-1843) qui modifie la conception de Barthez en revenant aux vieilles théories hermétiques : il distingue l’esprit de l’âme et considère l’homme comme triple. A son corps appartiennent les phénomènes matériels, quant aux phénomènes physiologiques d’une part, et les faits de conscience d’autre part, ils appartiennent à deux principes respectifs qu’il appelle : âme et esprit, mais qui ressemblent beaucoup au corps astral et à l’âme des alchimistes (Cf. Organon). Pour lui, la maladie obéit à une cause extérieure mais elle est un trouble dynamique, une perturbation dans l’harmonie des vibrations et de la polarisation. Dans cet état de trouble, la force vitale qui est aveugle, instinctive, ne tend pas toujours spontanément à la guérison : il faut l’orienter convenablement, l’amener à donner les réactions nécessaires ; si la réaction qui se produirait spontanément pour aboutir à la guérison doit être, par exemple, le vomissement, il faut indiquer à la force vitale cette réaction utile par l’administration d’un vomitif. Naturellement, la dose n’a pas besoin d’être forte, puisqu’il ne s’agit que d’une indication.

Comme les alchimistes, Hahnemann veut agir sur la force vitale par une force vitale. Il considère le médicament non comme une substance chimique mais comme un dynamisme, et de même que Paracelse fabriquait des quintessences pour avoir une force médicamenteuse plus subtile et plus pénétrante, Hahnemann cherche dans la division extrême de son médicament, une affinité plus complète : il admet que, par une dilution extrême, les caractères, chimiques de la substance disparaissent pour ne plus laisser qu’un certain dynamisme, plus efficace pour agir sur le dynamisme vital.

Ainsi s’expliquent les deux principes de sa médecine homœopathique : le principe “ similia similibus ” et le principe des doses infinitésimales.

Et nous voyons ainsi que l'homœopathie a été le dernier produit des théories alchimiques en médecine.

En résumé, nous devons aux médecins alchimistes non seulement toute notre thérapeutique minérale, mais l’emploi des extraits et la notion des médicaments spécifiques. On trouve chez eux les indications de l’Opothérapie, de la Sérothérapie, de la Métallothérapie, de la Psychothérapie et de l’Homœopathie.

  1. L'urée est en effet diurétique.