L’Algèbre d’Omar Alkhayyami/Équations binômes

La bibliothèque libre.
Traduction par F. Woepcke.
Benjamin Duprat (p. 12-17).

Première espèce des équations simples. « Une racine est égale à un nombre (*[1]). » Donc, la racine est nécessairement connue ; ce qui va également pour le nombre et pour les quantités géométriques.

Seconde espèce. « Un nombre est égal à un carré (**[2]). » Le carré numérique sera donc connu, étant égal au nombre connu ; sa racine ne peut être trouvée numériquement que par la connaissance préalable de la suite des nombres carrés : car ce n’est que de cette manière qu’on sait, par exemple, que 9la racine de vingt-cinq est cinq, et non pas par un procédé algébrique. Nous n’aurons, à ce sujet, aucun égard à ce qu’en disent ceux, parmi les algébristes, qui sont d’un avis différent. Les Indiens possèdent des méthodes pour trouver les côtés des carrés et des cubes (***[3]), fondées sur une telle connaissance d’une suite de nombres peu étendue, c’est-à-dire sur la connaissance des carrés des neuf chiffres, à savoir, du carré de un, de deux, de trois, etc., ainsi que des produits formés en les multipliant l’un par l’autre, à savoir, du produit de deux en trois, etc. J’ai composé un ouvrage sur la démonstration de l’exactitude de ces méthodes, et j’ai prouvé qu’elles conduisent en effet à l’objet cherché. J’en ai, en outre, augmenté les espèces, c’est-à-dire que j’ai enseigné à trouver les côtés du carré-carré, du quadrato-cube, du cubo-cube, etc., à une étendue quelconque, ce qu’on n’avait pas fait précédemment. Les démonstrations que j’ai données à cette occasion ne sont que des démonstrations arithmétiques (****[4]), fondées sur les parties arithmétiques des Éléments d’Euclide (*****[5]).

La démonstration géométrique de la seconde espèce est la suivante (*[6]). Supposons que la ligne AB (fig. 1) soit donnée et égale au nombre donné, et que AC soit égale à l’unité et perpendiculaire à AB. Complétons le rectangle AD. Il est connu alors que la mesure du rectangle AD est ce nombre donné. Nous construisons ensuite un carré égal au rectangle AD, lequel soit le carré E, ainsi qu’il a été expliqué par Euclide dans la quatorzième proposition du second livre de son ouvrage. Le carré E sera donc égal au nombre donné et connu et son côté sera pareillement connu, vu la démonstration donnée par Euclide. Mais c’est ce qu’il s’agissait d’obtenir.

Toutes les fois que nous dirons dans ce Traité : « un nombre est égal à un rectangle », nous entendrons par le nombre un quadrilatère à angles droits, dont l’un des côtés est l’unité, et le second une ligne égale en mesure au nombre donné, en sorte que chacune des parties de sa mesure soit égale au second côté, c’est-à-dire à celui qui a été pris pour unité.

10Troisième espèce. « Un nombre est égal à un cube (**[7]). » Si l’objet du problème est un nombre, le cube sera donc connu ; et il n’y a d’autre moyen pour en trouver le côté, que

la connaissance préalable de la suite des nombres cubes, ce qui va également pour toutes les puissances numériques, telles que carré-carré, quadrato-cube, cubo-cube, ainsi que nous l’avons dit dès l’abord.

Quant à la démonstration géométrique (*[8]), nous supposons que le carré AD (fig. 2) soit le carré de l’unité, c’est-à-dire que AB soit égal à BD, et que chacun de ces deux côtés soit supposé égal à l’unité. Puis, nous élevons sur· le plan AD, au point B, une perpendiculaire BC, en la faisant égale au nombre donné, ainsi qu’il a été exposé par Euclide dans le onzième livre de son ouvrage (**[9]). Complétons le solide ABCDEZH. Il est connu que la mesure de ce solide doit être égale au nombre donné. Puis nous construisons un cube égal à ce solide. Mais la construction de ce cube ne s’effectue qu’au moyen des propriétés des sections coniques. Nous la différons donc jusqu’à ce que nous ayons donné des théorèmes préliminaires qui se rapportent à ces propriétés.

Toutes les fois que nous dirons : « un nombre est égal à un solide », nous entendrons ici par le nombre un solide à côtés parallèles et à angles droits, ayant pour base le carré de l’unité, et dont la hauteur est égale au nombre· donné.

Quatrième espèce. « Un carré est égal à cinq de ses racines (***[10]). » Alors le nombre des racines est la racine du carré. La démonstration arithmétique consiste en ce que la racine multipliée par elle-même produit le carré, et que la même racine multipliée· par cinq produit également le carré : elle est donc égale à cinq. La démonstration géométrique est analogue à cela ; on suppose un carré égal a cinq de ses côtés.

Cinquième espèce. « Des choses sont égales à un cube (*[11]). » Si le problème est numérique, il est évident que cette espèce est équivalente à celle-ci : « un nombre est égal à un carré. » Par exemple : « quatre racines sont égales à un cube », est la même chose que si l’on disait : « quatre en nombre est égal à un carré, » vu l’existence de la proportionnalité mentionnée ci-dessus (**[12]).

Quant à la démonstration géométrique (***[13]), nous supposons un cube ABCDE (fig. 3) dont la mesure soit égale à quatre de 11ses côtés, et dont le côté soit AB. Alors son côté AB, multiplié par quatre, produira le cube ABCDE, et en même temps son côté, multiplié par son carré, c’est-à-dire par le carré AC, produit le cube ; donc le carré AC est égal à quatre.

Sixième espèce. « Des carrés sont égaux à un cube (****[14]). » Cela équivaut à : « un nombre est égal à une racine. »

La démonstration arithmétique consiste en ce que le nombre est à la racine comme des carrés sont au cube, ainsi que cela se trouve expliqué dans le huitième livre des Éléments(*****[15]).

Quant à la démonstration géométrique(*[16]), nous supposons le cube ABCDE (fig. 3) égal au nombre de ses carrés, par exemple, égal à deux carrés. Le carré de son côté est AC. Donc la surface AC, multipliée par deux, produira le cube ABCDE ; et en même temps, multipliée par BD, qui est (égale au) côté de ce (carré), elle produit également le cube ABCDE. Donc BD, qui est le côté de ce cube, sera égale à deux ; et c’est ce qu’il s’agissait d’obtenir.

Toutes les fois que nous dirons, dans ce traité, « carrés du cube, » nous entendrons par cette expression des carrés de son côté.

  1. *) I,
  2. **) II,
  3. ***) C’est-à-dire : pour l’extraction des racines carrées et cubiques. — ce que l’auteur dit des méthodes indiennes s’accorde avec ce que nous en savons par l’ouvrage de Colebrooke.
  4. ****) Quant à la restriction exprimée par l’auteur, il faut l’entendre ainsi : « Je n’en ai pas donné en même temps des démonstrations géométriques. »
  5. *****) Ce que l’auteur dit ici de son ouvrage sur les démonstrations mathématiques de traction des racines des degrés supérieurs quelconques me semble être d’une importance plus que médiocre pour l’histoire des mathématiques chez les Arabes. On sait qu’après la renaissance des lettres, ce furent Stifel et Viète qui abordèrent ce sujet (voyez Francisci Vietæ opera mathematica in unum volumen congesta, ed. Fr. à Schooten ; Lugduni Balavorum, 1646, fol., p. 163 sqq., de numerous potestatem purarum resolutione). Je fais observer que l’extraction de la racine d’un degré quelconque dépend de la formule




    en désignant par m1, m2, etc., les coefficient binomiaux. Comparer à ce sujet une notice historique qui se trouve dans les Nouvelles annales de mathématiques réd. par MM. Terquem Gerono, tom. v, pag. 491 sqq. — Le mot arabe istikasâtoun est une corruption de σταχεία.

  6. *) carré E, donc le côté de E =
  7. **)
  8. *)
  9. **) Éléments, XI, 12.
  10. ***) iv, .
    Démonstr.  ; donc .
  11. *) v, équivaut à
  12. **) Voir page 10. — J’ai dû conserver, ici et dans la suite, l’expression « en nombre », pour mieux rendre le sens du texte original. Voir la préface.
  13. ***) 4.

    (carré (carré

    donc (carré ou carré

  14. ****) vi, équivaut à

    Démonst. donc dès que

  15. *****) Je ne saurais assigner aucune proposition du huitième livre que l’auteur eût ici pu avoir en vue. cela m’a fait penser que peut-être le texte portait originairement « dans le onzième livre des Éléments », conjecture qui serait corroborée en quelque sorte par la leçon du manuscrit C. En effet, la proposition XI, 34, implique comme cas spécial le théorème qui serait l’expression géométrique de la démonstration dont il s’agit ici. Toutefois je considère cette supposition comme très-improbable, vu que l’auteur distingue toujours rigoureusement les démonstrations géométriques des démonstrations arithmétiques. Mais, au lieu du huitième livre, on pourrait citer la huitième proposition du neuvième livre ; en effet, celle-ci comporte que
    1 : d’où il suit .
  16. *) 2. (carré AC) = 2 = = cube ABCDE
    BD .(carré AC) — cube ABCDE, donc 2.(carré AC) = BD. (carré AC) ou 2 = BD.