L’Année républicaine/Frimaire

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Alphonse Lemerre, éditeur (p. 41-42).
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FRIMAIRE.


Au-dessus des glaciers qui découpent l’azur,
Au-dessus des grands bois qui surplombent la grève,
Dans ses frissons de vierge & ses blancheurs de rêve,
Comme un camellia fleuri dans l’éther pur,
La lune lentement & fièrement s’élève.

Devant elle un air froid descend des monts transis,
Une brume d’argent monte des lacs mystiques,
Le givre aux arbres pend ses joyaux fantastiques,
Et, mystérieux temple aux reflets indécis,
La cascade gelée a des arceaux gothiques.

C’est l’heure où les rameaux effilés & tendus
Pleurent tout bas, vibrant comme des chanterelles
Sous l’invisible archet des peurs surnaturelles ;

C’est l’heure où les flots lourds à leurs bords éperdus
Se figent, fatigués de leurs longues querelles.

C’est l’heure où brusquement réveillée, au détour
Du sentier blanc, s’allume une étroite fenêtre.
Chaque nuit en tremblant on la voit apparaître,
Lampe pour le travail ou phare pour l’amour,
Et la lune s’y heurte à que sais-je ? ou peut-être ?

Car le penseur guidé vers le bien par le beau,
Le précurseur des temps que son souffle féconde,
Dont la voix solitaire ébranlera le monde,
Dont la parole est glaive & dont l’âme est flambeau,
Est là, qui d’un regard perce l’ombre profonde.