L’Antiquaire (Scott, trad. Ménard)/Chapitre XXIV

La bibliothèque libre.
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 7p. 250-259).


CHAPITRE XXIV.

LE PIÉGE.


Clause
Vous connaîtrez alors la perle des mendians du roi. Oui, avant demain vous serez logé ici, je vous le promets ; et vous pouvez m’en croire ; car, si j’existe, je vous jouerai un tour auquel vous ne vous attendez pas.
Le Buisson du mendiant.


L’Allemand, déterminé à profiter de l’avantage qu’il venait de recouvrer par cette découverte inattendue, prit un air imposant et majestueux pour repousser les attaques de l’Antiquaire.

« Meister Oldenpuck, dit-il, tout ceci beut être fort comique et fort sbirituel, mais che n’ai rien à répondre, rien tu tout, à des chens qui ne feulent bas en croire l’évitence de leurs brobres yeux. Seulement je fondrais fous prier, mon pon, généreux et honoré batron, de fouloir pien mettre la main dans la boche troite de fotre feste, et de montrer ce que vous y trouverez. »

Sir Arthur mit effectivement la main dans sa poche, et en tira la petite plaque d’argent dont il s’était servi la fois précédente sous les auspices de l’adepte.

« Ceci est très vrai, dit sir Arthur regardant bravement l’Antiquaire ; voici les calculs planétaires gradués, à l’aide desquels M. Dousterswivel et moi avons dirigé notre première entreprise.

— Bah, bah ! mon cher ami, dit Oldbuck, vous êtes trop sage pour croire à l’influence d’un misérable écu qu’on a battu pour l’aplatir, et sur lequel on a gravé quelques figures. Je vous dis, sir Arthur, que si Dousterswivel avait su lui-même où était caché ce trésor, vous n’en posséderiez pas à présent la plus petite partie.

— Sur ma foi ! n’en déplaise à Votre Honneur, dit Édie, qui plaçait son mot dans toutes les occasions, je pense que, puisque M. Dousterswivel a eu tout le mérite de découvrir ici ces richesses, le moins que vous puissiez faire est de lui donner pour sa peine celles qu’il a laissées derrière ; car, sans doute, celui qui a su en trouver autant, ne sera pas embarrassé d’en trouver encore davantage. »

Le front de Dousterswivel se rembrunit extrêmement à cette proposition de se livrer à la chance d’une autre découverte, suivant l’avis d’Édie ; mais le mendiant, l’ayant pris à part, lui dit à l’oreille deux ou trois mots qui parurent faire sur lui une impression sérieuse.

En attendant, sir Arthur, à qui cette bonne fortune avait réchauffé le cœur, dit tout haut : « Ne vous inquiétez pas de notre ami Monkbarns, monsieur Dousterswivel, mais venez demain au château, et je vous prouverai que je sais reconnaître les conseils que vous m’avez donnés dans cette affaire. En attendant, le méchant billet de la banque de Fairport, comme vous l’appeliez tout à l’heure, est cordialement à votre service. Allons, mes enfans, occupez-vous de rattacher le couvercle de cette précieuse cassette. »

Mais, dans la confusion, le couvercle était probablement tombé au milieu des décombres ou de la terre qu’on avait enlevée de la fosse ; bref, on ne le trouva nulle part.

« C’est égal, mes braves garçons, couvrez la boîte avec le morceau de canevas que vous attacherez autour, et portez-la dans la voiture. Monkbarns, voulez-vous que nous allions à pied ? il faut que je passe chez vous pour y reprendre miss Wardour.

— Et j’espère bien aussi vous y garder à dîner, sir Arthur, et que nous boirons ensemble un verre de vin en réjouissance de cette heureuse aventure. D’ailleurs, il vous faudra écrire sur-le-champ au trésorier de l’Échiquier pour prévenir toute réclamation de la part de la couronne. Comme vous êtes seigneur de l’abbaye, on pourra facilement supposer un acte de donation, dans le cas où cela deviendrait nécessaire. Il faudra nous consulter là-dessus pourtant.

— Et je recommande le plus profond silence à tous ceux qui sont présens, » dit le baronnet en regardant autour de lui. Tout le monde s’inclina, et protesta de sa discrétion.

« Quant à cela, dit Monkbarns, recommander le secret à une douzaine de personnes au fait des circonstances qu’on veut cacher, c’est seulement mettre l’histoire en circulation sous vingt formes différentes ; mais n’importe, nous en ferons un rapport fidèle aux barons, et c’est tout ce qu’il faut.

— J’aurais envie d’envoyer un exprès ce soir même, dit le baronnet.

— J’en ai un fameux à recommander à Votre Honneur, dit Ochiltree ; le petit David Mailsetter avec le bidet rétif du boucher…

— Nous parlerons de cela en nous rendant à Monkbarns, dit le baronnet. Mes enfans, continua-t-il en s’adressant aux ouvriers, venez avec moi aux Quatre Fers à cheval, afin que je prenne vos noms à tous. Dousterswivel, je ne vous invite pas à vous réunir à nous à Monkbarns, dont le maître diffère trop évidemment d’opinion avec vous ; mais ne manquez pas de venir me voir demain. »

Dousterswivel[1] murmura une réponse où les mots de « tefoirs, ch’aurai l’honneur, très honoré batron, » furent les seuls qu’on put distinguer. Et après que le baronnet et son ami eurent quitté les ruines, suivis des domestiques et des ouvriers qui, dans l’espoir d’une récompense, les accompagnèrent gaiment, l’adepte resta absorbé dans une sombre rêverie, à côté de la fosse ouverte.

« Qui aurait pu tefiner cela ? s’écria-t-il inconsidérément, mon pon Tieu ! Ch’ai pien soufent entendu barler te bareilles choses, et ch’en ai soufent barlé moi-même ; mais, par le ciel, che n’aurais jamais cru les foir ! Et si ch’avais fouillé la derre à teux ou trois bieds de blus, dont cela aurait été à moi bourtant. Et moi qui me suis tonné tant de beines bour en attraper pien moins à ce vieux fou. »

Ici l’Allemand cessa son soliloque étrange ; car en levant les yeux il rencontra ceux d’Édie Ochiltree qui n’avait pas suivi le reste de la compagnie, mais qui, s’appuyant comme à l’ordinaire sur son bâton ferré, s’était planté de l’autre côté du tombeau. La physionomie du vieillard, qui avait naturellement un caractère remarquable d’intelligence et de finesse, presque même de ruse, prit alors une expression si pénétrante et si subtile, que Dousterswivel, quoique aventurier de profession, ne put soutenir ses regards. Mais il sentit la nécessité d’un éclaircissement, et, rappelant sa présence d’esprit, il se mit à sonder le mendiant sur les événemens de la journée.

« Pon monsir Édie Ochiltree…

— Édie Ochiltree n’est pas un monsieur ; c’est un pauvre mendiant et un Bedesman du roi, répondit la robe bleue[2].

— Eh pien tonc, pon Édie ! que bensez-fous de tout ceci ?

— Je pensais que Votre Honneur était bien bon (car je n’oserais pas dire bien simple) de donner à ces deux riches gentilshommes qui ont des terres et des seigneuries, et de l’or tant qu’ils en veulent, un aussi grand trésor d’argent (trois fois éprouvé au feu, comme le dit l’Écriture) et qui aurait pu faire votre fortune et votre bonheur, à vous et à deux ou trois honnêtes gens comme vous.

— En effet, Édie, mon prave ami, c’est pien frai. Seulement che ne safais bas, c’est-à-dire que che n’étais bas pien sûr où je trouferais ce trésor moi-même.

— Comment ! n’est-ce pas d’après le conseil de Votre Honneur que Monkbarns et le chevalier de Knockwinnock sont venus ici tantôt ?

— Ah, oui ! mais c’est bar l’effet t’une autre circonstance. Che ne safais bas qu’ils auraient troufé le drésor, quoique le dindamarre, les éternumens, la doux et les chémissemens de l’esbrit que chai entendu une nuit tans ces ruines, m’eussent pien fait bressentir qu’il y avait des drésors et des lingots cachés. Ah, pon Tieu ! cet esbrit gémit et soubire sur ses richesses comme un pourgmestre hollandais qui compte ses tollars, abrès un grand tîner donné à la maison de fille[3].

— Et croyez-vous réellement à cela, monsieur Doustersdiable[4] ; un homme aussi savant que vous, n’êtes-vous pas honteux ?

— Mon pon ami, répondit le chimiste, contraint par les circonstances de parler avec un peu plus de vérité qu’il n’en avait l’habitude, che ne le croyais bas blus que fous et que dout autre, jusqu’à cette nuit dont je fous barle, et où ch’ai entendu moi-même les esbrits réunis se blaindre et soubirer, et jusqu’à l’exblication qui m’en a été donnée auchourd’hui par la técouverte de ce grand caisse t’argent pur du Mexique. Que foulez-fous tonc que che bense de tout cela ?

— Et que donneriez-vous à quelqu’un, dit Édie, qui vous aiderait à trouver une autre cassette comme celle-là ?

— Ce que che lui tonnerais ! mon pon Tieu !… un grand quart du contenu.

— Pour moi, dit le mendiant, si le secret m’appartenait, j’en voudrais la moitié ; car, quoique je ne sois, comme vous voyez, qu’un pauvre homme en guenilles, et que je ne puisse aller vendre des lingots d’or et d’argent, dans la crainte d’être arrêté, cependant je ne manquerais pas de gens qui se chargeraient de m’en débarrasser avec plus de facilité que vous ne pensez peut-être.

— Mon Tieu, mon pon ami, qu’est-ce que ch’ai dit ? c’étaient les trois quarts pour fotre bortion tont je foulais barler, et un seul quart pour la mienne.

— Non, non, monsieur Dousterdiable, nous partagerons également ce que nous trouverons, comme deux frères ;… or, regardez cette planche que j’ai eu soin de jeter dans ce coin obscur, hors de tous les yeux, pendant que Monkbarns s’épanouissait en comptant les tas d’argent ; car, voyez-vous, il est fin Monkbarns, et j’étais bien aise que ceci ne lui tombât pas sous la main… Vous en lirez sans doute le caractère mieux que moi, car moi je ne suis pas bien savant, et puis je n’en ai pas beaucoup l’habitude. »

Avec cette modeste déclaration de son ignorance, Ochiltree tira de derrière un pilier le couvercle de la cassette au trésor, qui, après avoir été enlevé de ses gonds, avait été jeté de côté avec indifférence, pendant que chacun brûlait de s’assurer du contenu de la boîte, et, à ce qu’il paraît, recueilli par le mendiant. Il y avait un mot et un numéro sur la planche, et le mendiant les rendit plus distincts en crachant sur son mauvais mouchoir bleu et frottant la terre dont l’inscription était couverte. Elle était en grosses lettres noires.

« Y comprenez-vous quelque chose ? pouvez-vous la déchiffrer ? dit Édie à l’adepte.

— C, dit le philosophe comme un enfant qui épèle sa leçon dans l’alphabet ou abécédaire, C, H, E, R ; C, H, E, cherche ; le foilà ! c’est Cherche, numéro 1er : c’est pien cela, mon pon ami ; bar chercher on entend[5] fouiller, et ceci n’est que le numéro ler. Mon pon Tieu ! il y a certainement quelque gros lot pour nous tans la roue, mon pon monsier Ochiltree.

— Eh bien, c’est possible… mais nous ne pouvons pas fouiller maintenant, car ils ont emporté tous les outils avec eux, et sans doute que l’on renverra quelqu’un pour combler la fosse, et tout remettre en place mais si vous voulez venir en attendant avec moi dans le bois, je prouverai à Votre Honneur que vous êtes justement tombé sur le seul homme du pays qui pût vous conter l’histoire de Malcolm Misticot, et de ses trésors cachés… Mais d’abord nous ferons bien, par prudence, d’effacer les caractères qui sont sur cette planche, et qui pourraient nous trahir. »

Et à l’aide de son couteau, le mendiant se mit à gratter et à mutiler les caractères de manière à les rendre indéchiffrables, puis il couvrit la planche de terre pour faire disparaître les marques qu’il venait d’y faire.

Dousterswivel le regardait en silence, et dans le doute. Il y avait dans les mouvemens du vieillard une intelligence et une promptitude qui indiquaient qu’il ne se laisserait pas facilement attraper, et toutefois (car les fripons eux-mêmes reconnaissent en quelque sorte le droit de priorité) notre adepte se sentait humilié de ne jouer que le rôle secondaire, et de partager ses découvertes avec un si vil associé. Cependant son avidité pour le gain fut assez puissante pour l’emporter sur la susceptibilité de son orgueil ; et quoique plus habitué à être imposteur que dupe, il n’était pas sans un degré de crédulité personnelle qui lui faisait ajouter foi aux grossières superstitions à l’aide desquelles il abusait les autres. Mais accoutumé à agir comme chef dans ces sortes d’occasions, il se sentait humilié de se trouver dans la position d’un vautour qu’un corbeau dirige vers sa proie. « Mais voyons, écoutons cette histoire jusqu’au bout, pensa Dousterswivel, et il y aura bien du malheur si je n’y trouve pas mieux mon compte que maître Édie Ochiltree ne le pense. »

L’adepte, ainsi transformé en disciple d’un professeur de l’art occulte, suivit passivement Ochiltree au chêne du prieur, lieu que le lecteur peut se rappeler n’être pas éloigné des ruines, et où l’Allemand s’assit et attendit en silence les communications d’Ochiltree.

« Monsieur Dustandsnivel[6], dit le narrateur, il y a bien du temps que j’ai entendu raconter cette histoire ; car vous saurez que les seigneurs de Knockwinnock, non plus que sir Arthur, son père et même son grand-père, je me les rappelle tous un peu, n’aimèrent jamais à en entendre parler. Ils ne l’aiment pas mieux aujourd’hui, mais n’importe ; cela n’empêche pas qu’il n’en ait été question à la cuisine comme de bien d’autres choses qui, dans une grande maison, sont des sujets défendus dans le salon. J’en ai appris les circonstances de vieux serviteurs de la famille ; et aux jours où nous vivons, quand on cesse de se rappeler ces vieilles histoires de l’ancien temps autour du foyer à la veillée, la mémoire en est bientôt effacée, tellement que je ne crois pas maintenant qu’il y ait un individu dans le pays capable de vous raconter celle-là, excepté le laird lui-même pourtant, car il y a dans la bibliothèque du château de Knockwinnock un livre en parchemin qui en contient le récit.

— Tout cela est très pien… mais continuez fotre histoire, mon pon ami, dit Dousterswivel.

— Or vous voyez, continua le mendiant, c’est une affaire qui s’est passée dans ces vieux temps où le pays était plein de discordes et de querelles, quand chacun vivait pour soi et Dieu pour tous, et qu’un homme ne manquait pas de biens s’il avait la force de s’en emparer, et ne les conservait qu’autant qu’il avait assez de puissance pour s’y maintenir. C’était alors à qui l’emporterait sur son voisin par la violence dans tout ce côté de l’est, et les choses se passaient probablement de même dans le reste de l’Écosse.

« Or donc, dans ce temps, sir Richard Wardour arriva dans le pays, et c’était le premier de ce nom qui y fût jamais venu. Il y en a eu bien d’autres depuis, et la plupart, en comptant celui qu’on surnomma l’Enfer harnaché[7] ; dorment maintenant sous ces ruines. C’était une race d’hommes fière et cruelle, mais brave pourtant, et qui s’est toujours montrée prompte à soutenir les intérêts du pays. Que Dieu les sauve tous !… c’est un souhait où il n’entre pas beaucoup de papisme… On les appelait les Wardour normands, quoiqu’ils fussent venus du sud dans ce pays. Or donc ce sir Richard, qu’on appelait Main-Rouge ou Main-Sanglante, s’accorda avec le vieux Knockwinnock d’alors, car il y avait déjà du Knockwinnock dans le pays, et voulut à toute force épouser sa fille unique qui devait hériter du château et des terres ; la pauvre fille, Sibylle Knockwinnock (c’est le nom que lui donnent ceux qui m’ont raconté cette histoire) avait une grande aversion pour ce mariage, car elle était attachée de tout son cœur à un de ses cousins à qui son père en voulait. Il arriva donc qu’après quatre mois de mariage, car il paraît qu’elle fut bien obligée de l’épouser, et quoiqu’il n’y eût que quatre mois tout juste, cela ne l’empêcha pas de lui faire présent d’un beau petit garçon… Il y eut alors dans la famille un fracas dont on ne se fait pas d’idée. À les entendre, elle n’était bonne qu’à brûler, et lui à pendre. Cependant tout cela s’arrangea je ne sais comment, et l’enfant fut envoyé hors du pays pour être élevé dans les Highlands, et grandit pour devenir un beau garçon comme tant d’autres qui sont venus du côté gauche. Ensuite sir Richard eut une lignée de son chef, et tout se passa paisiblement jusqu’à ce qu’il eût été déposé dans le tombeau. Mais alors arriva Malcolm Misticot. Sir Arthur prétend qu’on doit dire Misbegot, mais on l’a toujours appelé Misticot dans l’ancien temps. Il vint donc, ce Malcolm, de Glen-Isla avec une bande de montagnards à ses trousses, toujours prêts à chercher querelle aux autres ; il s’empara du château et des terres, comme fils aîné de sa mère, et mit tous les Wardour à la porte… Il y eut à cette occasion des combats et du carnage, car les gentilshommes se rangèrent de différens côtés ; cependant Malcolm eut long-temps le dessus, il fortifia le château, et bâtit cette grande tour qu’on appelle encore aujourd’hui la tour de Misticot.

— Mon fieux et pon ami meister Étie Ochiltree, dit l’adepte en l’interrompant, foilà une histoire qui faut celle d’un paron à seize quartiers de mon bays, et qui est tout aussi longue ; mais ch’aimerais mieux entendre barler te l’or et te l’archent.

— Attendez, continua le mendiant. Ce Malcolm était bien appuyé par un oncle, frère de son père, qui était abbé de Saint-Ruth ici, et ils réunirent beaucoup de trésors entre eux pour assurer à leur maison la succession des terres de Knockwinnock. Il y a des gens qui disent que les moines, dans ce temps-là, connaissaient l’art de multiplier les métaux ; quoi qu’il en soit, ils étaient fort riches. À la fin il arriva que le jeune Wardour, qui était fils aîné de Main-Sanglante, défia Misticot au combat en champ clos, comme ils disaient alors, par quoi ils entendaient un endroit qu’on entourait de palissades comme on fait pour les combats de coqs. Eh bien, Misticot fut vaincu et à la merci de son frère ; mais celui-ci ne voulut pas s’en prendre à sa vie, à cause du sang de Knockwinnock qui coulait dans les veines de tous deux. Malcolm fut donc obligé de se faire moine, et il mourut bientôt dans l’abbaye, de chagrin et de dépit. Personne ne sut jamais où son oncle l’abbé l’avait enterré, ni ce qu’il fit de son or et de son argent, car il soutenait les droits de la sainte Église, et n’en voulait rendre compte à personne. Mais il se répandit une prophétie dans le pays, que, quand on trouverait la tombe de Misticot, les terres de Knockwinnock seraient perdues et regagnées.

— Ah ! mon pon ami Edie, cela n’est bas très imbropable non blus, si sir Ardhur feut se prouiller avec ses pons amis bour blaire à M. Oldenpuck. Et comme cela, fous croyez que ce sont là les trésors t’or et t’archent abbartenant à ce pon meister Misticot ?

— Sur ma foi, je le crois, monsieur Dousterdiable.

— Et fous croyez qu’il y en a encore t’autres de cette sorte de cachés ?

— Certes que je le crois : comment serait-il possible autrement ? Cherche, n° Ier c’est comme si on disait : Cherche, et tu trouveras le n° II. D’ailleurs il n’y a que de l’argent dans cette cassette, et j’ai entendu dire que dans le trésor de Misticot il y avait beaucoup de bel or.

— Alors, mon pon ami, dit l’adepte en se levant brusquement, bourquoi ne nous medrions-nous pas tout de suite à cette betite affaire ?

— Pour deux bonnes raisons, répondit le mendiant, qui continuait de rester tranquillement assis ; d’abord, parce que, comme je l’ai déjà dit, nous n’avons rien pour creuser, puisqu’ils ont emporté les pioches et les bêches, et secondement, parce qu’il y aura une troupe de badauds et de curieux qui viendront nous regarder faire, tant qu’il sera jour, et que le laird aussi peut bien envoyer quelqu’un pour combler la fosse : ainsi, de toutes façons, nous serions pris. Mais si voulez me joindre ici à minuit avec une lanterne sourde, j’aurai les outils tout prêts, et nous pourrons tous deux nous mettre tranquillement après notre affaire sans que personne en sache rien.

— Mais… mais, mon pon ami, dit Dousterswivel, chez qui le souvenir de sa dernière aventure nocturne n’était pas encore effacé, même par les brillantes espérances que lui présentait Édie, il n’est ni si pon ni si sur t’aller aubrès tu tompeau de meister Misdigot, à cette heure de la nuit : fous afez oublié ce que je fous ai raconté des esbrits que j’y ai entendus soubirer et chémir. Je vous assure que ce lieu n’est bas tranquille.

— Si vous avez peur des fantômes, dit froidement le mendiant, je ferai la chose moi-même, et vous apporterai votre part de l’argent, à l’endroit que vous m’indiquerez.

— Non, non, mon prave monsir Édie, cela fous tonnerait trop de beine, je ne feux bas de cela. Je fiendrai moi-même, et cela sera mieux ; car, mon fieil ami, vous saurez que c’est moi, Herman Dousterswivel, qui ai découfert le tombeau de M. Misdicot le pâtard, en cherchant un endroit où je bourrais cacher quelques bièces de monnaie, pour jouer un tour à mon ami sir Arthur ; seulement pour rire, et bar bure blaisanterie : oui, c’est moi qui ai enlevé les décompres qui étaient là sur la bière monumendale, et qui l’ai trouvée ; c’est donc moi qui dois être ainsi son héritier, et il ne serait pas honnête à moi ne pas venir chercher moi-même mon héridage.

— À minuit donc, dit le mendiant, nous nous trouverons sous cet arbre. Je vais faire le guet un moment, et prendre garde à ce que personne ne vienne près du tombeau. Je n’aurai qu’à dire que le laird l’a défendu. Puis j’irai manger un morceau pour souper chez Ringan le charpentier, qui est tout près d’ici, et lui demanderai de coucher dans sa grange, et j’en sortirai tout doucement la nuit, sans qu’on s’en aperçoive.

— C’est cela, mon pon monsir Édie, et je fiendrai vous adendre tans ce lieu même, quand tous les esbrits de l’autre monde devraient éternuer et chémir. »

En parlant ainsi, il secoua la main au vieil Édie, et après s’être promis réciproquement d’être exacts au rendez-vous, ils se séparèrent pour le moment.


  1. Dousterswivel ; ce mot, que nous avons oublié d’expliquer, est formé de l’allemand duster, qui veut dire sombre ou morne, et de teufel (sans doute par corruption wivel), qui signifie diable. Ainsi le nom de l’adepte répond à mauvais diable. a. m.
  2. Voir l’explication de blue gown (robe bleue), et de bedesman (mendiant du roi), donnée dans l’avertissement. a. m.
  3. Stadt haus, dit le texte. a. m.
  4. Ici le mendiant dénature malicieusement le nom de l’alchimiste. a. m.
  5. Il y a dans le texte starck mot qui veut dire empois. L’alchimiste veut l’expliquer à sa manière, en disant que c’est ce que les blanchisseuses emploie pour affermir les cols de chemises et les cravates. Le mendiant lui répond qu’il se trompe, et qu’il y a search, qui signifie cherche ; c’est alors une dispute qui roule sur un k ou un t. Il nous serait impossible de présenter l’équivalent de celle controverse, à moins qu’on ne s’amusât à équivoquer sur deux mots, comme fouille et feuille, par exemple. a. m.
  6. Nouvelle altération malicieuse du nom de l’alchimiste, et qui cette fois correspond à « Monsieur qui n’entend pas bien. » a. m.
  7. Hell-in-harness, dit le texte ; harness signifie également armure ; ainsi il serait peut-être préférable de lire l’enfer armé : le lecteur choisira. a. m.