L’Arbre de Noël/1

La bibliothèque libre.
Amable Rigaud, libraire-éditeur (p. 3-10).
L’ARBRE DE NOËL


À MONSIEUR THÉODORE MINTROP.


Ah ! voilà l’Arbre paré ; il est beau

comme un mai !

J.-P. Hebel.


I


Quel joyeux guide vous conduit,
Ô troupe allègre et turbulente ?
Votre figure est jubilante…
Voici venir la Sainte Nuit !

Sur les monts et sur les vallées
Le manteau sombre au loin s’étend,
Et de tout clocher l’on entend
Bondir les sonores volées.

Venez tous, venez l’entourer,
Ce monument de votre joie !
Assiégez-le !… Pour qu’on le voie,
C’est vrai qu’il faudrait l’éclairer ?

Un Ange à la douce figure,
Un flambeau céleste à la main,
Vers lui, d’en haut, prend son chemin
Pour l’allumer à l’heure obscure.

Voilà sa lueur qui grandit :
Le bois plantureux se dévoile ;
Chaque feuille porte une étoile…
L’Arbre de Noël resplendit !


II


Comme il se dresse sur sa tige !
Et surtout comme il s’est peuplé !
Tout l’essaim du Ciel assemblé
Autour de lui plane et voltige.

Ce n’est que parcours en tous sens,
Que chants et frémissements d’ailes…
Vos bons Anges vous sont fidèles,
Ô mes chers petits innocents !


De l’air ils ont franchi les plaines
Pour descendre à l’Arbre, ce soir,
Et, de leur brillant reposoir,
Ils penchent vers vous leurs mains pleines.

Ils ont des surprises pour tous.
Amplement leur moisson est faite :
Lutins rieurs, c’est votre fête…
Haut les mains ! et gare aux joujoux !

Las ! vos jambes sont bien peu grandes
Pour vous faire atteindre à ces dons ;
Mais ne craignez pas d’abandons…
Pour chacun l’Arbre a ses offrandes.

Vos mères sur leurs bras aimants
Et vous tiennent et vous soulèvent…
Chers enfants, comme vos cœurs rêvent !
Oh ! quelle ivresse ! oh ! quels moments !


III


Accourez !… Prenez !… Votre foule
N’épuisera point les cadeaux.
Prenez-en à plier le dos…
Toujours la source abonde et coule.


Ceux du sommet sont-ils donnés ?
Au pied de l’Arbre on vous en taille ;
Un groupe actif d’anges travaille
Et comble les vides… Venez !

L’un sculpte, de sa lame fine,
Adroit comme est un chérubin,
Un petit peuple de sapin
À la saine odeur de résine ;

Un autre, sous ses doigts charmants,
Fait voltiger l’aiguille agile
Et, d’un fil fin mais non fragile,
Dore de coquets vêtements ;

Un autre, plein de gentillesse,
Songeant peut-être aux tard-venus,
Fait des sabots pour les pieds nus…
Et l’enfant pauvre est en liesse ;

Vingt autres, légers sous le poids
Et des paniers et des corbeilles,
Portent les riantes merveilles
Qui font de vous autant de rois.

C’est une allée, une venue,
Un mouvement sans fin pour vous…
Larges parts ! et point de jaloux !…
Sois heureuse, troupe ingénue !

IV


Tourbillonnez ! chantez en chœur !
Bien loin sont les humeurs chagrines.
Ouvrez vos lèvres purpurines
Aux chauds élans de votre cœur !

De qui vous vient réjouissance,
Bambins choyés, prenez souci ;
Au bon Jésus dites merci !
Ayez de la reconnaissance.

Le voyez-vous, ce doux Jésus,
Debout dans les bras de sa mère ?
Il ajoute un mot débonnaire
Aux dons que vous avez reçus.

Et sa mère, Vierge des vierges ?
Elle est sur un trône éclatant,
Moins pur qu’elle, et qui brille tant
Qu’il en fait pâlir tous les cierges.

Comme à l’autel monte l’encens,
À la Vierge, mère bénie,
Monte la suave harmonie
De mille angéliques accents…

V


Mais, à travers ces voix divines,
Quelles voix au timbre argentin,
Claires comme un son du matin,
Et vibrant tendres et câlines ?

Ah ! chers enfants, levez les yeux.
Voyez, dans un pli de verdure,
Ces mignons, dont chacun endure
Un chagrin, s’il en est aux Cieux.

Frais angelets nimbés de flammes,
Blottis genoux contre genoux,
Ils forment un groupe si doux
Dans ce doux nid des jeunes âmes !

Ce sont les êtres adorés
Que, pour précoces sentinelles,
Dieu prit aux ardeurs maternelles
Dans ses desseins impénétrés.

On pouvait les nommer chimères,
Ces blonds aimés si tôt partis.
Ne les plaignez point, chers petits ;
Mais plaignez fort leurs tristes mères !


Et, pour ne pas faire saigner
Les seins tout palpitants des vôtres,
Priez le Ciel, les uns, les autres,
D’attendre et de vous épargner.

Qu’il vous laisse longtemps encore
À leurs baisers, à leur amour,
Aux bonheurs naissants tour à tour
Sur l’Arbre que Noël décore !


VI


Puis, comme les anges pieux
Qui le couronnent de leur ronde,
Nouez un long cercle qui gronde
De vos cris, lutins radieux !

C’est Nuit Sainte ! Soyez en fête !
Pour les pécheurs Jésus est né ;
Que le monde soit pardonné,
Du mal acclamez la défaite !

Ce beau mât que vous entourez,
Qui vous jette ses lueurs blanches
Et qui vous tend ses lourdes branches,
Vrais bras de trésors encombrés,


Cet Arbre n’est point, troupe alerte,
Comme un autre de vous connu,
Où le grand-père Adam venu
Mit la dent sur la pomme verte.

Non. Si maint fruit s’y voit pendu,
C’est pour que votre doigt le cueille ;
Vous pouvez l’ôter à sa feuille…
Là, ni peur ni fruit défendu !

Allons ! ferme ! ayez conscience,
Des hauts faits qui vous sont permis !
Prenez ! croquez ! gentils amis,
Ce n’est pas l’Arbre de Science.

Il l’est si peu qu’il faudra bien,
Quand la fête sera passée,
Tourner un brin votre pensée
Vers l’étude… Oh ! silence ! rien :

Demain viendra l’heure d’apprendre. —
Du beau mât que vous entourez
Dépouillez les bras encombrés,
Dût le point du jour vous surprendre !

Oh ! comme sa lueur grandit !
Le bois plantureux est sans voile ;
Chaque feuille porte une étoile ;
L’Arbre de Noël resplendit !

F. Fertiault.

Paris, le 28 décembre 1862.