L’Archéologie et l’Art

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L’archéologie et l’art
Henri Delaborde


L'ARCHEOLOGIE ET L'ART

I. Fouilles et découvertes, par M. Beulé, 2 vol. in-8o ; Paris 1873. — II. Exposition à l’École des Beaux-Arts des dessins de Léon Vaudoyer.

On sait quels progrès ont été accomplis de nos jours dans l’étude raisonnée, dans l’intelligence intime des œuvres de l’art ancien, et avec quel profit pour tout le monde ce qu’on pourrait appeler l’archéologie esthétique a remplacé la science sans portée philosophique, comme sans application immédiate, dont quelques initiés se contentaient autrefois d’échanger entre eux les témoignages. Le temps est loin déjà où les érudits n’interrogeaient guère les monumens antiques qu’afin d’en établir la date, d’en constater les caractères matériels, ou tout au plus d’en expliquer la destination primitive par des éclaircissemens historiques fort indépendantes questions de doctrine et d’art proprement dit. Le temps est bien passé aussi où le public se désintéressait de ces problèmes si maigrement posés, si sèchement résolus, où son indifférence s’étendait même aux objets mis en cause et punissait en quelque sorte l’antiquité tout entière des torts que s’étaient donnés ceux qui s’occupaient d’en inventorier les ruines au lieu d’en ressusciter l’esprit. Aujourd’hui l’opinion, à la fois mieux conseillée et plus active, n’a garde de se détourner d’études qui n’ont plus, Dieu merci, pour objet l’ordre purement chronologique ou la simple nomenclature des choses. Grâce à cette nouvelle école archéologique dont les travaux, à peu près contemporains des tableaux d’Ingres et des dessins de Duban, tendent, comme ces nobles œuvres, à nous révéler les grandeurs morales aussi bien que les coutumes extérieures de l’antiquité, celle-ci a cessé d’être pour nous une lettre morte et pour les savans eux-mêmes une énigme dont ils se croyaient seuls en droit de posséder la clé. Les défiances ou les préjugés ont été ainsi écartés de part et d’autre. Ceux qu’effarouchaient les habitudes un peu pédantesques où la science affectait de se cantonner se sont facilement laissé prendre aux avances qu’elle leur a faites de bonne grâce. De leur côté, les antiquaires de profession ont renoncé à leur rôle de docteurs à huis-clos pour celui d’instituteurs publics, d’initiateurs à la façon des artistes, et l’on serait maintenant aussi mal venu à se passer du beau dans l’exposé ou l’interprétation des faits archéologiques qu’à négliger l’examen de ces faits mêmes, sous le prétexte qu’ils n’ont qu’une utilité indirecte ou qu’ils n’intéressent qu’une étroite curiosité.

Parmi les hommes qui dans notre pays se sont appliqués à déterminer cette réforme, à stimuler ou à confirmer ces progrès, M. Beulé, on le sait, a depuis longtemps déjà marqué sa place. Lorsque, il y a plus de vingt ans, les fouilles entreprises par lui avec une hardiesse véritablement inspirée aboutissaient à la découverte de l’entrée et des murs de l’Acropole, le nom du jeune membre de l’École d’Athènes acquérait du jour au lendemain une notoriété que devaient accroître bientôt d’autres recherches aussi résolument tentées sur le sol qui avait porté Carthage. Plus tard, la publication d’ouvrages dans lesquels l’histoire de l’art grec et celle de l’art romain aux grandes époques était racontée ou commentée avec une simplicité habile et une érudition courtoise, — un cours d’archéologie fait à la Bibliothèque devant un auditoire plus nombreux d’année en année et d’autant mieux converti aux vérités scientifiques qu’elles lui étaient présentées sous des formes moins systématiquement austères. — d’autres travaux, d’autres services encore, ont achevé de justifier la réputation que M. Beulé avait conquise dès le début et de rendre presque populaires des études que, sauf les gens du métier, personne jadis ne se serait avisé d’aborder.

Suit-il de là que les procédés d’enseignement employés par l’école dont M. Beulé est un des représentans les plus accrédités courent le risque de compromettre la gravité nécessaire de la science et de lui faire perdre en majesté ce qu’elle peut gagner d’ailleurs en publicité ou en agrément littéraire ? Faut-il confondre ces efforts pour intéresser chacun de nous aux questions archéologiques avec les tendances de certains peintres contemporains qui n’envisagent dans l’antiquité et ne savent rendre que les menus traits de mœurs, les curiosités anecdotiques ? Ce serait se méprendre beaucoup. En voulant mettre à la portée de tous les exemples de l’art antique, les écrivains du groupe auquel appartient M. Beulé se gardent, dans le fond comme dans la forme, de sacrifier le devoir d’instruire l’intelligence au désir de la séduire ou de l’amuser. C’est la cause du beau, non celle du joli qu’ils plaident ; ce sont les nobles souvenirs, les plus hautes traditions qu’ils entendent nous transmettre, même par les moyens en apparence les moins solennels, et, quelle que soit l’élégance des termes ou la familiarité du ton, les idées exprimées n’en demeurent pas moins, comme il convient en pareille matière, invariablement sérieuses, les doctrines supérieures aux petites vérités d’exception ou d’accident.

De là, sous des dehors d’innovation, le caractère foncièrement classique des entreprises de l’érudition moderne et la signification générale qu’elles comportent au point de vue des principes, tout en paraissant avoir pour objet l’étude spéciale d’un ordre.de monumens, d’une localité, d’une époque. Les ouvrages entre autres que M. Perrot et M. Heuzey ont publiés sur l’île de Thasos, sur le mont Olympe et l’Acarnanie, les travaux de M. Victor Place et de M. Thomas sur Ninive et l’Assyrie, ne se recommandent pas seulement par l’authenticité ou la nouveauté des documens produits : ils nous apprennent à démêler certaines conditions morales sans lesquelles l’art et le beau n’existent pas, à reconnaître les lois immuables qui régissent au fond toute conception architectonique ou pittoresque, toute œuvre fondée sur l’expression de la forme, quelles que puissent être d’ailleurs la diversité des moyens d’exécution et l’inégalité des succès obtenus. Ils nous montrent enfin que, malgré l’extrême différence des temps, des civilisations, des croyances ou des habitudes nationales, l’unité de l’art se perpétue sans démenti, se manifeste sans équivoque. La grandeur colossale des édifices asiatiques aussi bien que l’admirable proportion des temples grecs, procède d’intentions dont seront animés à leur tour les vrais artistes de tous les âges, parce que ces inspirations ou ces pensées tiennent à la nature même des choses, et correspondent à d’éternels besoins de l’âme humaine.

Je m’explique. Certes, à ne considérer que la beauté relative des résultats, on sera peu tenté de confondre les travaux d’architecture et de sculpture qui ont survécu à la ruine des villes de l’Assyrie et de la Grèce. Personne ne s’avisera d’étudier au même titre et avec le même zèle les restes du palais de Khorsabad et le Parthénon, les bas-reliefs ninivites et les Panathénées de Phidias ; autant vaudrait professer une admiration égale pour les peintures des hypogées égyptiens et pour les fresques du Vatican. Ce que nous voulons dire seulement, c’est que, depuis les premiers efforts de l’art en Afrique et en Asie jusqu’à ses plus glorieux chefs-d’œuvre à Athènes et à Rome, tout atteste le développement continu de principes une fois révélés, d’instincts communs aux peuples ou aux générations qui se succèdent, comme les sentimens mêmes et les passions du cœur, — c’est que, sauf la variété des modes d’application et les influences plus ou moins fécondes exercées à de certains momens par les hommes de génie, la même foi, les mêmes désirs au moins inspirent chaque nouvelle entreprise, et que, s’il y a eu, depuis que le monde existe, bien des œuvres dissemblables quant aux formes, bien des talens inégaux, bien des écoles, les élémens essentiels du beau et la fonction de l’art n’en ont pas été pour cela et n’en pourront jamais être absolument changés.

Le livre que M. Beulé vient de publier sous ce titre : Fouilles et découvertes, a, entre autres mérites, celui de nous rappeler ces vérités, bien qu’elles n’y soient nullement exposées à l’état de thèse, et qu’elles ressortent des faits rapportés par l’auteur plutôt que d’enseignemens formels et théoriques. Il semble même qu’en nous parlant des monumens qu’il a retrouvés ou des travaux qui honorent le plus ses confrères, M. Beulé se défende de produire des théories avec autant de soin que d’autres mettent parfois d’empressement à les étaler. Ce n’est pas assurément qu’il se contente d’analyser un à un les événemens qu’il nous raconte ou de décrire sans en dégager le sens les objets d’art qui ont passé sous ses yeux. Il explique à souhait le caractère, la beauté, la raison d’être de ces objets par la civilisation même à laquelle ils ont appartenu ; il rattache ces événemens particuliers à la vie générale et à l’histoire du peuple qui les a vus s’accomplir, mais tout cela d’une manière si discrète, avec une telle crainte des insistances superflues ou de l’ostentation scientifique, qu’il faut en quelque sorte entendre l’écrivain à demi-mot et développer à part soi les données esthétiques qu’il livre, comme on complète par la réflexion les pensées d’un moraliste ou les jugemens succincts d’un historien.

C’est par là, c’est par cette sobriété fort contraire aux procédés de critique usités ailleurs que la méthode de M. Beulé est conforme aux saines traditions françaises, et qu’elle renouvelle dans ce qu’ils ont de meilleur certains exemples que nous a légués le passé. Nous disions tout à l’heure que, jusque vers la seconde moitié de ce siècle, la sécheresse des enseignemens et le parti pris par les savans de n’écrire à peu près que pour les académies avaient amené ce double résultat de supprimer le rôle de l’art dans les questions d’archéologie et d’ôter au public, avec les occasions d’apprendre, l’envie même de s’enquérir. Rien de plus vrai si l’on se rappelle par exemple ce qui se passait en France au temps du premier empire. Sauf Emeric David, Millin et peut-être un ou deux autres, les antiquaires croyaient devoir s’interdire comme un commentaire au moins inutile tout essai de démonstration, en dehors de la description ou de l’appréciation strictement technique des types, des monumens donnés. Chacun d’eux pensait avoir assez fait quand il avait restitué d’un bout à l’autre le texte d’une épitaphe, assigné une date à un fragment d’architecture, une destination spéciale à une statue ; mais il n’en allait pas ainsi dans le siècle précédent. Caylus, Pierre Mariette, l’abbé Barthélémy, Falconet lui-même, malgré le ton tranchant de sa critique, encouragée d’ailleurs aux paradoxes par les exemples et par l’amitié personnelle de Diderot, — tous avaient à cœur de faire tourner au profit de l’art moderne les souvenirs et les leçons de l’art antique ; tous sentaient qu’en évoquant ces souvenirs, en proposant de pareils modèles à l’étude, ils n’avaient pas seulement la mission d’en prouver l’authenticité ou d’en grossir la liste, et qu’il s’agissait aussi pour eux d’en généraliser l’influence par des explications plus amples que la simple interprétation littérale, plus éloquentes que l’analyse purement scientifique. Avec des élémens d’information nouveaux et le plus souvent avec un talent littéraire supérieur à celui des érudits du XVIIIe siècle, les archéologues de notre temps ont repris cette tâche interrompue pendant une cinquantaine d’années par les tentatives mesquines de l’esprit qui animait leurs prédécesseurs immédiats. Comme Pierre Mariette et comme Caylus, ils travaillent et ils réussissent à faire prévaloir l’autorité de ce qui est beau sur la signification limitée de ce qui n’est que rare ; comme eux encore, ils étendent le champ de leurs observations au-delà des bornes fixées en apparence par la nature spéciale des objets à examiner. Contrôlant les œuvres de la statuaire ou de l’architecture antique par les œuvres de la peinture, les caractères d’un art local par l’histoire politique du pays où il s’est développé ou par les conditions ethnographiques, ils élèvent ainsi la critique partielle à la dignité d’une doctrine d’ensemble et l’étude des choses matérielles à la hauteur d’un exercice philosophique, d’un moyen de progrès pour les idées.

Une différence considérable toutefois est à noter dans les procédés employés aux deux époques pour se procurer des documens. Au XVIIIe siècle, tout se passait à peu près sous le toit des musées ou des bibliothèques. Les savans, comme les simples curieux, ne consultaient guère que des monumens isolés de leur milieu primitif ou, s’ils interrogeaient les ruines antiques sur le sol même qu’elles couvraient, c’était après que d’autres mains que les leurs les avaient recherchées et mises en lumière. Aujourd’hui les travaux de l’érudition sont les résultats d’entreprises tentées à force ouverte, d’efforts directs pour reconquérir ce que la terre avait enseveli. C’est à des ruines déblayées par leurs soins, à des fouilles poursuivies sous leurs yeux, que les archéologues demandent les secrets qu’on se contentait autrefois d’étudier en face de morceaux recueillis d’avance et déjà classés. Quelque chose de l’ardent intérêt qu’excitent la chasse et ses incertitudes, des espérances fiévreuses qu’éprouve le navigateur à la recherche d’un rivage inconnu, se mêle ainsi aux supputations scientifiques, aux patiens calculs de l’esprit. Tandis que le cœur bondit à chaque coup de pioche et que le regard plonge avidement dans chaque tranchée, la tête travaille pour tirer parti des circonstances imprévues qui se produisent, ou, le cas échéant, pour avoir raison des obstacles. Et combien d’autres émotions peuvent s’ajouter encore à celles-là ! Quelles impressions profondes l’explorateur ne recevra-t-il pas du silence solennel qui l’environne, de l’aspect des lieux où il opère, de l’aube pleine de promesses d’un jour qui éclairera peut-être sa victoire ou du crépuscule attristé qui vient clore une série d’heures stériles ! M. Beulé, qui a bien connu ces émotions, les a plus d’une fois décrites en homme dont le temps et de nouveaux devoirs n’ont pas plus refroidi l’enthousiasme que déconcerté les souvenirs. Il y a quelques années, dans une solennité académique où il rendait hommage à la mémoire, et aux travaux de son confrère M. Hittorff, il parlait avec une chaleur communicative des agitations saines, des légitimes ivresses réservées à celui qui entreprend de remuer un sol consacré par l’histoire pour y découvrir les restes vénérables de l’antiquité… « Les jours même, ajoutait-il, où la pioche de ses ouvriers ne rencontre que des gravois et des tessons, il entend des voix sans paroles, il entrevoit des ombres colorées… Il n’est jamais seul dans sa solitude. Les cigales qui chantent dans l’olivier voisin, la bise qui fait siffler doucement le feuillage des pins, les flots qui expirent sur la plage avec un murmure cadencé, tout lui parle, tout a un sens, tout est pour son oreille comme le bruit de la société antique qui s’agite autour de lui. La beauté du climat ajoutée l’illusion des souvenirs, et la poésie des ruines devient à son tour une source d’inspiration. »

Les deux volumes récemment publiés témoignent à chaque page de cette sagacité du savant vivifiée par les passions de l’artiste, soit que M. Beulé nous retrace jour par jour les difficultés de plus d’une sorte qu’il lui a fallu vaincre, les découvertes partielles, dont il s’encourageait, chemin faisant, avant d’arriver dans ses fouilles de l’Acropole à la pleine possession du trésor pressenti, — soit que, résumant les recherches qui devaient ailleurs encore aboutir à la justification de ses hypothèses érudites, il décrive l’effort tenté par lui pour retrouver à Carthage sous les ruines des constructions romaines quelque chose des anciennes constructions puniques, et pour reconnaître, pour relever avec une entière certitude le plan des ports de la ville. Enfin, s’agit-il de faire ressortir les mérites d’autres entreprises, la valeur d’autres trouvailles auxquelles il n’a point eu de part, de démontrer par exemple l’importance des conquêtes de M. Newton en Asie-Mineure, de M. Mariette en Égypte, de MM. Smith et Porcher à Cyrène, l’auteur des Fouilles et découvertes ne marchande pas plus la louange à ses rivaux qu’il ne renonce, même en traitant des sujets d’archéologie pure, à ses inclinations esthétiques et à ses habitudes littéraires. S’il examine de près chaque question spéciale, il ne la sépare pas pour cela des faits plus propres encore à intéresser la pensée, et les succès d’autrui le touchent d’autant mieux qu’il fait à cette occasion un retour sur lui-même et sur les joies du même genre qui lui ont été données.

A vrai dire, tout n’est pas bonheur pourtant, tout n’est pas joie sans mélange dans ces succès, quelque sécurité qu’ils semblent promettre à ceux qui les ont obtenus, quelque légitime orgueil qu’ils doivent d’abord leur inspirer. Veut-on savoir quelles déceptions cruelles, quels inconsolables regrets peut laisser après soi l’événement archéologique le plus heureux en apparence ? Qu’on lise dans l’ouvrage de feu M. des Vergers, l’Etrurie et les Étrusques, ou dans l’analyse de cet ouvrage par M. Beulé, le récit de ce qui a suivi la découverte presque merveilleuse faite en 1857 sur le territoire de Vulci. Au commencement, les fouilles entreprises par M. des Vergers aux lieux mêmes où s’étendait la nécropole de la ville antique n’avaient révélé d’autre excavation souterraine qu’une grotte artificielle, entièrement vide, et dont les parois, sans aucune trace d’ornemens, n’indiquaient nullement la destination d’une chambre sépulcrale. A quoi bon toutefois cette excavation, résultat évident d’un travail de main d’homme ? Peut-être, à défaut de signification en elle-même, avait-elle, par rapport à ce qui l’avoisinait, l’utilité d’un moyen préservatif ; peut-être avait-elle été faite pour empêcher l’humidité de la terre d’atteindre en s’infiltrant quelque crypte inférieure préparée pour recevoir les corps. Les fouilles furent donc reprises et poussées au-delà du sol de cette première grotte. A 12 mètres de profondeur, on trouva une avenue conduisant à une autre salle, à une véritable tombe cette fois, dont la pierre qui en fermait l’entrée depuis plus de vingt siècles allait, en se brisant sous les derniers coups de pic, livrer les solennels mystères aux regards des explorateurs stupéfaits.

Qu’on se figure l’émotion que durent éprouver ceux qui pénétraient ainsi tout à coup les secrets si longtemps respectés de cet asile de la mort, en voyant le passé se présenter à eux face à face pour ainsi dire, en contemplant à la lueur des torches non-seulement ces voûtes dont rien depuis plus de deux mille ans n’avait troublé l’obscurité et le silence, mais les hôtes eux-mêmes de cette nécropole, avec les vêtemens qui les couvraient à l’époque où leurs corps y avaient été déposés, avec tout ce qu’ils avaient gardé à travers les âges de la civilisation à laquelle ils avaient appartenu !

« L’antique Étrurie, dit M. des Vergers, nous apparaissait comme au temps de sa splendeur. Sur leurs couches funéraires, des guerriers recouverts de leurs armures semblaient se reposer des combats qu’ils avaient livrés aux Romains ou à nos ancêtres les Gaulois. Formes, habillemens, étoffes, couleurs, » tout était nettement visible, toutes choses étaient demeurées telles que les avaient connues ou faites les contemporains de ces morts ; mais, hélas ! à peine le miraculeux spectacle a-t-il ébloui les yeux et rempli les cœurs d’une sorte d’admiration épouvantée, qu’il commence à perdre sa précision. Déjà l’air extérieur, en pénétrant dans la crypte, altère l’aspect de ces frêles dépouilles ; déjà chaque contour semble vaciller, chaque couleur s’éteindre, chaque forme s’affaisser. Encore quelques minutes, quelques secondes peut-être, et rien, qu’un peu de poussière, ne restera plus de cette surprenante vision. La vie du dehors n’aura envahi l’antique sépulcre que pour y apporter comme une seconde mort, et bientôt, sous l’action d’une atmosphère ennemie, tout ce qu’il contenait achève de se dissoudre, tout est anéanti, tout a disparu. Si les peintures qui décoraient les murs et que M. des Vergers a reproduites dans son ouvrage ne subsistaient pour nous transmettre quelque chose de la découverte, on se défierait presque des souvenirs que les explorateurs en ont gardés, et ceux-ci mêmes, au sortir de ce caveau où ils s’étaient trouvés en contact direct avec le monde antique, auraient pu croire qu’ils venaient d’être trahis par leurs sens ou trompés par les rêves de leur imagination.

Nous pourrions citer d’autres exemples des mésaventures qu’entraînent parfois pour les plus courageux et les mieux inspirés ces fouilles d’ailleurs si attrayantes. Sans parler de ce qu’ils y compromettent ou y perdent de leur santé, de leur fortune, nous pourrions rappeler quels efforts d’énergie ou de patience il leur arrive de dépenser, et trop souvent de dépenser vainement, pour lutter contre le mauvais vouloir ou l’apathie des ouvriers, contre les défiances niaises ou la cupidité des autorités locales. Tantôt, si la scène se passe en Grèce, c’est à qui parmi les descendans de Thémistocle ou de Léonidas s’avisera du moyen le plus ingénieux pour traîner la besogne en longueur ou pour s’épargner une fatigue. « Pendant qu’on remplit de poussière et de plâtras leur panier de jonc qui contient la charge d’un enfant, ils font, dit M. Beulé, à celui qui manie la sape, des observations affectueuses : « mon frère, ce sera trop lourd. » Le frère retire l’excédant, un voisin aide à charger et reçoit le même service. Les voilà partis d’un pas majestueux, gravissant le rocher jusqu’au point « d’où les débris sont précipités dans la plaine ; mais le panier, qu’ils maintiennent d’une seule main sur leur épaule, est tellement incliné pendant ce voyage que la terre retombe derrière eux en pluie continue et serrée ; ils ne jettent par-dessus le mur qu’une pincée de poussière semblable à celle qu’Antigone jetait sur le cadavre de son frère ; ils contemplent un instant l’horizon et la vaste mer, se montrent un navire aux voiles blanches, échangent quelques réflexions, soupirent, et redescendent vers la tranchée plus lentement encore qu’ils ne sont montés. » Tantôt, si le lieu des explorations est quelque bourgade au fond de l’Asie-Mineure ou de la Babylonie, les convoitises s’excitent, les exigences s’augmentent en proportion des succès obtenus et du prix que semble y attacher celui qui a dirigé, les fouilles, — ou bien quels obstacles n’oppose pas à la poursuite des travaux cette croyance tout orientale que les monumens retrouvés, surtout quand ils portent des sculptures, sont des œuvres de l’enfer et du démon ! Est-il besoin néanmoins d’insister ? De pareils souvenirs ne sauraient sans doute décourager personne, et d’ailleurs le nombre et l’éclat des conquêtes faites de nos jours sont propres bien plutôt à stimuler le zèle de nouveaux soldats de la science, qu’à les détourner du combat, à les exhorter au repos.

Dans cet ensemble de services rendus, dans cette série de travaux et de belles découvertes, une grande part, la part la plus considérable même, revient à des savans de notre pays. Si l’on tient compte de l’importance relative des monumens retrouvés, ceux d’entre eux qui intéressent le plus l’art et l’histoire, le Sérapéum de Memphis, les constructions déterminant l’enceinte et l’entrée de l’Acropole à Athènes, les restes des palais de Ninive, — d’autres ruines illustres encore ont été rendues à la lumière par des mains françaises. Ce sont des Français qui, sur la foi de quelque ancien texte ou par des inductions tirées de la simple configuration des lieux, ont osé tenter la recherche de ce que, depuis tant de siècles, on croyait, on déclarait anéanti. Périlleuse aventure en raison même de l’ambition des projets, et bien autrement compromettante en cas d’échec qu’une entreprise sans programme fixe, sans connexité directe avec d’aussi grands souvenirs ! Passer ainsi, au moment venu, de l’idée au fait, du rêve à la preuve, et, comme dit M. Beulé avec l’autorité de son expérience, « courir aux yeux du monde, qui vous regarde, cette chance redoutable qui s’intitulera succès ou ridicule, » en un mot trouver non pas ce qu’on s’est seulement proposé de recueillir au hasard de l’heure et des rencontres, mais précisément ce qu’on a deviné, annoncé, cherché, — n’est-ce pas faire un acte assez méritoire pour que ceux qui l’ont accompli aient droit à une gratitude exceptionnelle ?

Que si, pour apprécier la valeur des résultats obtenus, on se place à un autre point de vue, si l’on examine les formes de publicité choisies et les caractères mêmes de la mise en œuvre, de ce côté encore, notre orgueil patriotique aura lieu d’être satisfait. Nulle part aujourd’hui mieux qu’en France on ne réussit à débarrasser l’archéologie de tout appareil pédantesque pour en rendre l’étude accessible aux « honnêtes gens, » comme on aurait dit au XVIIe siècle ; nulle part on ne sacrifie d’aussi bonne grâce au désir d’instruire la tentation d’afficher son propre savoir. Tandis qu’ailleurs, sous prétexte d’éclaircir jusqu’au bout chaque question, on n’arrive guère qu’à multiplier les détails inutiles ou à rassembler sans choix les témoignages, ici l’on procède avec une érudition d’autant plus réservée qu’elle est en réalité moins égoïste et au fond mieux munie. Cette sobriété dans les explications scientifiques aussi bien que dans la méthode littéraire, ce goût et cet esprit de mesure en toutes choses tiennent sans doute aux privilèges naturels du génie national, mais ils tirent aussi de certaines circonstances une raison d’être nouvelle et un surcroît de certitude.

N’est-il pas juste par exemple d’attribuer, au moins en partie, l’heureux renouvellement de la science archéologique dans notre pays à l’influence exercée par l’école d’Athènes ? institution excellente qui, en élevant le niveau des études sur l’antiquité, a permis en même temps aux jeunes savans, membres de cette école, d’entrer par leurs travaux réglementaires en communication avec le public, comme l’Académie de France à Rome fournit à la fois aux artistes pensionnaires les moyens de perfectionner leurs talens et les occasions de les faire connaître : institution rapidement féconde, puisque en moins de trente années elle a produit dans le domaine de la philosophie, de l’histoire ou de l’érudition proprement dite, les remarquables travaux auxquels MM. Charles Lévêque, Mézières, Beulé, Perrot, Heuzey, Wescher et plusieurs autres ont attaché leurs noms. De leur côté, les pensionnaires de l’Académie de France à Rome ne trouvent-ils pas le plus utile complément pour leur éducation d’artistes dans le séjour momentané que les règlemens les autorisent à faire auprès des membres de l’École d’Athènes ? De même que ceux-ci, en venant à Rome, achèvent de s’initier aux secrets de l’art par un commerce familier avec les hôtes de la villa Médicis, de même les jeunes peintres, les jeunes architectes surtout, ne peuvent que gagner à visiter la Grèce en compagnie de ceux qui font profession d’en étudier l’histoire et d’en consacrer scientifiquement les souvenirs. Il y a là mieux qu’un élément d’émulation entre gens appelés à cheminer dans des voies différentes et n’ayant de commun entre eux que le désir d’atteindre leur but ; il y a une action directe et réciproque, un échange d’influences profitable au progrès, puisque la science se trouve ainsi ranimée par le sentiment raisonné de l’art, et que l’art à son tour, en s’appuyant sûr la science, devient par cela même plus robuste et plus sûr de lui.

Dira-t-on que, pour faire acte d’artiste, il n’est pas nécessaire après tout d’être si grand clerc en matière d’érudition, que les aptitudes instinctives suffisent, qu’enfin la faculté de sentir fortement dispense jusqu’à un certain point celui qui la possède de l’obligation de savoir ? Soit, s’il ne s’agissait que du génie et de ses œuvres. Encore pourrait-on répondre que depuis Leo-Battista-Alberti jusqu’à Michel-Ange, depuis Léonard jusqu’à Poussin, les maîtres les plus illustres, — architectes, sculpteurs ou peintres, — ont été en réalité parmi les hommes les plus instruits de leur temps ; mais il s’agit ici surtout du talent et des moyens de le développer. Or je ne suppose pas qu’on regarde comme une précaution superflue, encore moins comme un danger, de l’approvisionner d’informations historiques et morales aussi bien que de renseignemens purement extérieurs. S’il fallait d’ailleurs citer un exemple des progrès que peuvent déterminer, même au point de vue des inspirations personnelles, les études archéologiques envisagées de haut et résolument poursuivies, nous le trouverions dans ces travaux successifs de feu M. Léon Vaudoyer, qu’une exposition ouverte à l’École des Beaux-Arts livrait, il y a quelques jours, aux regards du public.

L’ensemble des dessins laissés par l’éminent architecte se compose de deux séries, l’une comprenant tout ce qui se rattache à la reproduction textuelle ou à la restauration des monumens du passé, l’autre tout ce qui est proprement de l’invention de l’artiste, depuis le Tombeau du général Foy jusqu’aux nouveaux corps de bâtimens du Conservatoire des arts et métiers, à Paris, jusqu’à cette imposante cathédrale de Marseille qui sera certainement dans l’avenir un des plus beaux témoignages, un des plus éloquens souvenirs de l’art au XIXe siècle. Comment ne pas être frappé en examinant ces deux séries de l’étroite connexité qui existe entre elles ? Comment ne pas reconnaître dans les œuvres de ce talent, à l’époque de sa maturité, l’influence qu’exerçaient encore sur lui les exemples antiques, étudiés de si près, si profondément médités pendant les années de la jeunesse ? Je ne prétends pas dire assurément que M. Vaudoyer n’ait rien fait de plus que s’approprier ces exemples et en transcrire la lettre avec une sorte de piété superstitieuse. Son admiration pour l’antiquité ou le souvenir des leçons que lui a fournies l’art du moyen âge ne le domine pas si bien qu’il y sacrifie les droits de sa propre imagination ou le respect des conditions imposées par les caractères tout modernes de ses tâches. En construisant une église, il ne veut nous donner ni la contrefaçon d’un temple païen, ni celle d’un édifice chrétien au temps où, pour maintenir debout les murs qu’on avait élevés, on ne savait que recourir à l’emploi, de certains appuis naïvement apparens. La cathédrale de Marseille prouve assez à cet égard les ressources personnelles de celui qui en a conçu les plans. La majestueuse originalité de l’ordonnance générale, le choix des élémens décoratifs ou des procédés de construction, le moyen pris entre autres pour établir les contre-forts à l’intérieur au lieu de les faire saillir au dehors, suivant la tradition de l’architecture ogivale, — tout révèle chez l’auteur de cette œuvre immense des mérites fort supérieurs sans doute aux simples facultés de la mémoire ; mais tout cela ne résulte-t-il pas aussi, ne se ressent-il pas manifestement du long et solide apprentissage fait par M. Vaudoyer en face des monumens de Rome et des monumens du midi de la France ? N’y a-t-il pas là le résumé et la mise en pratique des amples doctrines, des grands principes que l’artiste avait puisés jadis dans l’étude réfléchie de la méthode et du génie antiques ? Il lui arrivera bien parfois de chercher ailleurs ses modèles ou, tout au moins, de demander avis à des œuvres d’un caractère tout différent. Sans parler des beaux travaux de restauration qu’il a exécutés à Paris dans l’ancien prieuré de Saint-Martin-des-Champs, plusieurs des dessins exposés à l’École des Beaux-Arts sont des hommages rendus par lui à la délicatesse de notre art national au XVe et au XVIe siècle, et les charmans portraits en particulier de certaines maisons d’Orléans et de Blois montrent que, loin de se raidir dans les habitudes d’un esprit exclusif, M. Vaudoyer savait accepter tous les genres, de mérite et s’assouplir à toutes les tâches. Il n’en est pas moins vrai que ses inclinations naturelles comme ses préférences acquises le portaient à estimer partout dans l’art l’expression de la grandeur de la force, que, là même où il cherchait et trouvait la finesse, il ne dépouillait pas dans le style la fierté accoutumée de son goût. De là cette place à part qu’on a justement attribuée à M. Vaudoyer dans le groupe des architectes ses amis, — on dirait presque ses coreligionnaires, — qui personnifient le mouvement de notre école à partir des dernières années de la restauration.

On connaît l’esprit et l’objet de la réforme entreprise par ces novateurs, qui devaient bientôt devenir des maîtres et que les représentans officiels de la légitimité classique considéraient alors comme des séditieux. Les tentatives de Duban, de M. Labrouste, de M. Duc, n’avaient rien de commun avec les ambitions avouées de la nouvelle école de peinture et le parti-pris qu’elle affichait de chercher ses inspirations partout ailleurs que dans les souvenirs de l’antiquité. Loin de déclarer la guerre aux traditions grecques ou romaines, les architectes dont nous venons de rappeler les noms travaillaient au contraire à les faire d’autant mieux prévaloir que la signification intime en serait plus exactement comprise et l’influence moins subordonnée à l’emploi de certaines recettes, de certaines formules invariables. Ce qu’ils entendaient s’approprier par l’étude des grands monumens du passé, c’était le secret non des procédés extérieurs, mais des principes ; ce qu’ils voulaient enfin, aussi contrairement aux témérités romantiques qu’à l’inerte despotisme exercé depuis la fin du XVIIIe siècle par les apôtres d’une fausse érudition, c’était reconnaître scientifiquement les conditions de l’art, en observer les progrès, en consulter attentivement l’histoire, et, comme on le disait assez récemment ici même[1], s’autoriser de cette expérience pour agir plus sûrement dans le sens de nos mœurs ou de nos besoins.

Associé le dernier à l’entreprise, M. Vaudoyer s’y dévoua, dès son arrivée à Rome en 1827, avec toute l’ardeur de ses jeunes espérances, et plus tard avec une énergie croissante, à mesure que cette lutte engagée contre l’esprit de routine intéressait plus directement l’honneur de ses amis et le sien ; mais, en défendant ainsi la cause commune, il savait agir pour son propre compte, j’entends en raison de ses aptitudes spéciales, de son goût, de ses prédilections. Aussi, quelle que soit la conformité de sa doctrine et de ses croyances générales avec les préceptes soutenus par les trois artistes dont il a si utilement secondé les efforts, il garde au milieu d’eux, nous le répétons, sa physionomie propre, comme eux-mêmes d’ailleurs ont chacun une fonction distincte et, dans le talent, un caractère dominant. On a dit de Duban qu’il était pompéien, de M. Labrouste qu’il avait francisé l’art étrusque, de M. Duc qu’il représentait dans l’école moderne l’art grec modifié et rajeuni ; on dirait à meilleur droit encore que, par ses inclinations principales, par le tempérament qu’il accuse, le talent de M. Vaudoyer est de race romaine. Non-seulement c’est à Rome que ce talent s’est formé, non-seulement la belle restauration du Temple de Vénus et Rome, les études si consciencieusement faites d’après l’arc de Septime Sévère et plusieurs monumens antiques du même genre, beaucoup d’autres dessins encore exposés à l’École des Beaux-Arts attestent la profonde connaissance que l’artiste avait acquise sur place de l’architecture romaine et de ses œuvres ; mais les grands travaux exécutés sous sa direction à Paris et à Marseille montrent clairement que l’expression de la majesté était chez lui le résultat d’une faculté naturelle aussi bien que le fruit de l’éducation. En restant fidèle aux souvenirs de sa jeunesse, il obéissait en même temps à ses plus impérieux, à ses plus vrais instincts.

L’exposition des dessins de M. Vaudoyer présente sous des formes visibles, elle confirme par un exemple pratique les enseignemens que les écrits de la nouvelle école archéologique tendent à propager parmi nous. En face de ces œuvres inspirées à la fois par un respect passionné pour l’art antique et par un désir non moins vif d’en adapter les leçons aux exigences de notre civilisation, on conçoit mieux l’utilité que peuvent avoir les livres consacrés à l’histoire de cet art, et les rapprochemens nécessaires qu’ils impliquent entre les traditions du passé et les progrès à poursuivre dans le présent. N’est-ce pas en effet la relation exacte de ces deux termes qui constitue, à vrai dire, l’archéologie, ou qui du moins réussira seule à en féconder les travaux ? N’est-ce pas à la condition d’être comprise comme Ingres l’entendait dans son art ou André Chénier dans le sien, que l’imitation de l’antique peut et doit avoir force de loi ? Sans invoquer d’aussi hauts exemples, et pour ne parler que de ce qui s’opère autour de nous, nous rappellerons combien les études qui ont l’antiquité pour objet se sont développées et perfectionnées dans notre pays depuis un certain nombre d’années. Aucun archéologue ne songerait aujourd’hui à réduire sa tâche aux chétives proportions ou à l’emploi des moyens conventionnels dont on s’accommodait autrefois, — pas plus que dans le domaine de l’architecture ou dans celui de la poésie dramatique on ne s’aviserait de contrefaire les chefs-d’œuvre grecs ou romains à la façon de Peyre et de Chalgrin, de Luce de Lancival ou d’Arnault. Que l’érudition étrangère n’ait pas été sans influence sur ce progrès, que le mouvement scientifique accompli, en France ait puisé au dehors, particulièrement en Allemagne, une force d’émulation qui devait à certains égards l’activer, c’est ce qu’il est juste de reconnaître. Les travaux sur la Grèce d’Ottfried Muller et de quelques autres ont sans doute préparé en partie les recherches ou les découvertes qui ont suivi, et M. Beulé ne manque pas de signaler dans son livre le profit que nos compatriotes ont pu tirer quelquefois des indications fournies ou des exemples donnés par des savans allemands ou anglais ; mais il sera au moins aussi juste de tenir compte des occasions où tout s’est passé sans ces secours ou ces stimulans préalables, où tout a été l’œuvre d’inspirations spontanées, le résultat d’observations indépendantes. Incessamment accrue par des travaux de plus en plus propres à cimenter l’alliance de l’art et de l’archéologie, la somme des services qu’a rendus la science française contemporaine est devenue assez considérable pour qu’il soit plus que difficile d’en trouver ailleurs l’équivalent. Au milieu de nos désastres, cette supériorité du moins nous reste, ces titres d’honneur nous appartiennent bien, et l’on est certes fondé à dire que, comme notre art national reconnu aujourd’hui sans rival en Europe, notre école archéologique tient et mérite d’occuper aux yeux de tous le premier rang.


HENRI DELABORDE.


  1. Voyez, dans la Revue du 1er février 1872, Félix Duban.