L’Architecture de la Renaissance/Livre III/Chapitre 1

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LIVRE III

LA RENAISSANCE HORS DE FRANCE ET D’ITALIE


CHAPITRE PREMIER

EMPIRE GERMANIQUE, HONGRIE, POLOGNE ET SUISSE


Geschichte der Renaissance in Deutschland, von Wilhelm Lübke. Stuttgart, Ebner und Seubert, 1882. — Motive der deutschen Architectur, von Lambert und Stalh. Stuttgart, Engelhom, 1890.

L’Allemagne, bien qu’étrangère à la création du style gothique, dont l’emploi chez elle fut même assez tardif (1220-1250), en était arrivée, au xve siècle, à priser par-dessus tout une forme architecturale qui convenait admirablement à son climat, à ses matériaux et à ses tendances. Les monuments alors construits dans la plupart des villes justifiaient assez, du reste, cette préférence. Presque tous sont remarquables à quelque point de vue, et l’on comprend qu’un art si savamment pratiqué ait pu passer à la longue pour national. Mais l’Allemagne ne se borna pas à agir dans les limites de ses divers États ; c’est elle qui se fit la principale introductrice du gothique en Italie. La chose lui fut facilitée évidemment par la fréquence des relations entre les deux pays. Durant tout le moyen âge, au milieu d’interminables luttes, d’un côté, pour la conquête, de l’autre, pour l’indépendance, il y eut échange d’idées, pénétration de sentiments. Plus qu’ailleurs, le terrain était tout préparé, et la Renaissance, semble-t-il, ne pouvait manquer de trouver en Allemagne un accueil empressé. Cependant le contraire arriva. La transmission se fit lentement et sans suite ; aucune école, à proprement parler, ne fut créée ; mais, çà et là, apparurent des types isolés qui, sauf les cas où l’importation est directe, manquent autant de grâce que de puissance. Comme aux époques précédentes, l’entente des proportions, la verve, la souplesse sont souvent remplacées par un certain pittoresque, une véritable exubérance de détails.

Ce que nous venons de dire ne s’applique pas à la partie orientale de l’Allemagne, aux trois ou quatre provinces qui dépendent de l’empire austro-hongrois. Là, soit que les traditions aient été moins fortement enracinées, soit que les architectes venus en plus grand nombre du dehors aient trouvé plus de facilité pour faire exécuter leurs œuvres, non seulement la Renaissance apparaît de bonne heure, mais encore ses caractères sont d’ordinaire essentiellement italiens.

En France, nous l’avons vu, les constructions civiles tiennent le premier rang. Il en est de même dans toute l’Allemagne, où, à part de rares et peu brillantes exceptions, l’art religieux n’a suivi le mouvement que vers 1575.

Le château de Mahrisch-Trübau, en Moravie, dont la construction fut entreprise en 1492, sur l’ordre du comte Ladislas Boscovic, semble avoir inauguré la Renaissance dans les provinces autrichiennes. Le portail élevé à cette date, d’une composition naïvement riche, est déjà dégagé de toute attache avec le gothique. En Hongrie, s’il ne reste rien des travaux, purement décoratifs sans doute, confiés durant le xve siècle, par Mathias Corvin et ses magnats, à des maîtres florentins de célébrité différente, tels que Benedetto da Majano, Pellegrino di Fermo, Ammanatini, dit le gras menuisier, Cimenti, Camicia, Baccio et Francesco Cellini, on peut toujours voir, sur le flanc nord de l’église métropolitaine de Gran, une chapelle en croix grecque, datée de 1506, qui transporte l’esprit du visiteur dans la Florence des premiers Médicis. Le tombeau du fondateur, le cardinal-primat Thomas Bahocz, et très probablement la chapelle elle-même, sont dus à Andrea Ferruccio da Fiesole. En 1512, un autre Italien, dont le prénom, Francesco, est seul connu, remaniait le château de Cracovie, et, trois ans plus tard, Bartolomeo da Firenze, ajoutait à la cathédrale voisine l’importante chapelle des Jagellons. Cet oratoire, surmonté d’un dôme éclairé par des œils-de-bœuf comme celui de Sainte-Marie-des-Fleurs, renferme les tombeaux des rois de Pologne.

Fig. 97. — Cour d’une maison, à Vienne (Lübke).

À Vienne, l’influence italienne, particulièrement l’influence vénitienne, déjà sensible à la fin du xve siècle, domine absolument, dès l’année 1515, dans le portail si caractéristique de la chapelle Saint-Sauveur, terminé par un arc plein cintre sous lequel s’abritent les figures à mi-corps du Christ et de la Vierge. Et, durant de longues années, les choses ne subirent guère de changement, ainsi qu’en témoignent la porte de la caserne d’artillerie à Wiener-Neustadt, achevée en 1524 ; la porte du Palais impérial, seul reste de l’immense construction élevée en 1552, par ordre de Ferdinand Ier, sur les plans de Jacopo et Antonio da Spazio ; le palais destiné à l’héritier de la couronne, le prince Maximilien, dû aux mêmes architectes. Ce dernier édifice, connu sous le nom de Stallburg, a sa cour entourée d’un triple étage de galeries, et pareille disposition eut une telle fortune qu’on la trouve partout répétée. Quelquefois le nombre des galeries est porté à quatre, comme dans certaines habitations de Vienne et de Nuremberg. Il arrive également, mais par exception, que les arcades du premier étage sont moitié moins larges que celles du rez-de-chaussée. À citer, sous ce rapport, les trois façades intérieures du beau château de Schalaburg, près de la célèbre abbaye de Mölk, sur les bords du Danube (1530-1601).

En Bohême, Prague présente un édifice qui rappelle, par sa physionomie extérieure, la célèbre basilique de Vicence. Nous voulons parler du Belvédère, sorte de casino bâti par l’archiduc Ferdinand, frère de Charles-Quint, au moment de la prise de possession du pays par la maison d’Autriche. L’architecte fut Paolo della Stella, aidé de Giovanni da Spazio et de Zoan Maria. Du centre d’un immense portique, ne comprenant pas moins de treize arcades sur les longs côtés et cinq sur les petits, émerge le premier étage du noyau central, surmonté d’un toit à l’impériale. Au rez-de-chaussée, trois pièces seulement, dont l’une réservée à l’escalier.
Fig. 98. — Prague. Le Belvédère (Lübke).

Sous la direction des trois architectes indiqués se forma toute une école d’artistes du pays, qui, de 1540 à 1630, s’efforça de continuer les bonnes traditions italiennes. Cette tâche, du reste, fut rendue plus facile par l’arrivée presque ininterrompue de nouveaux maîtres milanais ou vénitiens. L’un d’eux, Giovanni Marini, construisit, pour le célèbre héros de la guerre de Trente ans, Wallenstein, un somptueux palais (1621-1629), qui est encore une des curiosités de Prague. On admire surtout, et avec raison, un élégant portique imité de la loggia de’Lanzi, à Florence. Un peu auparavant (1614), Scamozzi, appelé par l’empereur, avait travaillé au palais du Hradschin.

À Gratz, en Styrie, l’hôtel où se réunit la Diète (1557), avec sa belle cour à triple rang d’arcades, s’il n’est pas dû à un Italien, subit assurément l’influence des monuments de Venise et de Vérone. On peut en dire autant du château de Hollenegg (1573-1575), situé dans le voisinage. Quant au mausolée de l’archiduc Charles II, à Seckau (1588), nous savons qu’il est l’œuvre, au moins pour une partie, d’un maître dont l’origine étrangère n’est pas contestable, Teodoro Gisio.

Le château des princes Porzia, à Spital, en Carinthie (1530-1537), est une élégante construction dans le goût d’Alberti, mais probablement due à un admirateur vénitien du maître. La même province possède, à Hochosterwitz, non plus un palais italien, mais une véritable forteresse à la San-Micheli (1575). Les artistes locaux ne se sont distingués qu’à Villach, où, dans la cathédrale, Ulrich Vogelsang a taillé dans le marbre rouge le superbe tombeau de Georges de Khevenhiller et de sa famille (1580).

Le Tyrol, qui touche à l’Italie, aurait dû, semble-t-il, être initié de bonne heure au mouvement de la Renaissance. Cependant nous ne voyons rien dans la province qui soit antérieur à 1510. Alors seulement s’élèvent, à Trente, la Casa Monti, la Casa Geremia, le palais Tabarelli, ce dernier florentin, alors que les deux premières se rattachent plutôt à l’école vénitienne. Le prince-évêque, Bernard de Cles, chargea, en 1531, un Mantouan, Francesco Zaffrani, de lui bâtir, dans sa ville épiscopale, un nouveau château. C’est le même prélat qui fit construire l’église Sainte-Marie-Majeure, désignée, en 1546, pour servir de lieu de réunion aux pères du célèbre concile. À l’imitation de ce qui se voit en Lombardie, beaucoup de maisons, à Trente, sont ornées extérieurement de sujets peints. Parmi les artistes qui se livrèrent à un genre de décoration en apparence si peu résistant, il faut citer : Pordenone, Brusacorsi, Dosso et Fogolino.

Dans l’Allemagne proprement dite et la Suisse du Nord, on trouve également des façades revêtues de peintures. Mais à cela ne se borne pas l’effort des artistes qui, avant tout autre mode de procéder, veulent populariser la Renaissance à l’aide du pinceau. Comme Jean Foucquet chez nous, un demi-siècle auparavant, ils mettent en évidence, dans leurs compositions, ordres antiques, frontons et arabesques. À la tête de ces novateurs figuraient surtout les chefs de l’école d’Augsbourg, Burgkmair (1472-1531) et Holbein le Vieux (1450-1524). À Nuremberg, Albert Dürer (1471-1528), ami de Burgkmair, entra aussi dans le mouvement, auquel il imprima, grâce à son génie, la plus heureuse direction. Tout le monde connaît les quatre vingt-douze gravures du Char de Maximilien, datées de 1518. C’est un souvenir des fêtes offertes à l’empereur, trois ans auparavant, par la ville de Nuremberg. Dürer ne se chargea pas seulement d’organiser le cortège, il éleva encore en peu de jours un arc de triomphe qui, momentanément, fit revivre aux yeux des visiteurs les plus beaux restes de l’antiquité.

Quoi qu’il en soit de tout ce qui précède, on ne trouve guère de constructions élevées dans le nouveau style, avant l’année 1525. Alors seulement, noblesse, clergé, bourgeoisie, convertis à la Renaissance, rivalisent de zèle. Une ère brillante commence, mais pour être bientôt arrêtée par les luttes de Charles-Quint contre les Réformés et la guerre des Paysans. Durant plusieurs années, l’état de trouble du pays ne permit pas de songer à autre chose qu’à défendre sa vie. Et il en fut ainsi jusqu’en 1555, époque à laquelle les partis en présence signèrent la paix d’Augsbourg. Presque tous les monuments que l’on peut étudier appartiennent donc à la seconde moitié du xvie siècle ou aux premières années du xviie, car la nouvelle période d’activité ne fut entravée que par la guerre de Trente ans (1618-1648).

Comme on doit s’y attendre, le pays étant en majeure partie devenu protestant, l’architecture civile prit un bien plus grand développement que l’architecture religieuse. En outre, l’empressement que la plupart des maîtres maçons mirent à suivre le mouvement ne laissa pas d’imprimer aux constructions un caractère tout local. C’est ce que font voir, par exemple, les plans heureusement conservés du casino (Lusthaus) élevé à Stuttgart vers 1575. Si l’architecte a cru devoir intérieurement adopter les mêmes dispositions qu’au célèbre Belvédère de Prague, à l’extérieur, il ne craint pas de renforcer ses angles par des tours, d’appliquer sur chacun des longs côtés des escaliers à deux rampes opposées, de couper les fenêtres par des croix de pierre, de dresser à chaque extrémité un haut pignon à rampants déchiquetés.

Fig. 99. — Hôtel de ville de Lemgo (Lübke).

Les caractères que nous venons d’indiquer se retrouvent dans les constructions aussi bien publiques que privées. Jusqu’au dernier instant, les Allemands ont conservé l’habitude de faire saillir, soit aux angles, soit au milieu de la façade, une tourelle ou un avant corps. Ces accessoires, qui ne partent pas toujours de fond, mais reposent sur un encorbellement, sont percés de nombreuses fenêtres, chargées de bas-reliefs. Au lieu de continuer les lignes principales, ils les coupent parfois d’une manière assez gauche. En outre, quand à l’intérieur existe un escalier, toutes les ouvertures sont rampantes, ce qui n’aurait pas lieu si la spirale était suffisamment accusée au dehors.

Il n’y a pas d’édifice véritablement allemand sans grands pignons étagés, découpés en courbes et contre-courbes, en gradins, en pinacles. Les uns couronnent les façades, d’autres les murs latéraux. C’est encore à eux que l’on a recours pour remplacer les lucarnes. Mais simple amortissement ou pure addition introduite pour le coup d’œil, le pignon englobe le plus souvent trois ou quatre rangs d’ouvertures de haut en bas, dix ou douze de gauche à droite. La grande largeur d’une façade n’est pas un obstacle à l’emploi de la décoration favorite. Parfois même, ainsi qu’on le voit à la célèbre maison dite des Brasseurs, à Hildesheim, le pignon, au moyen d’une succession d’encorbellements, déborde considérablement sur les étages inférieurs.

Fig. 100. — Maison à Leipzig (Lübke).

Les fenêtres à croix de pierre ne sont pas inconnues, mais on préfère, comme au siècle précédent, multiplier les meneaux dans le sens horizontal. Le couronnement ordinaire est le linteau, quelquefois surmonté d’un fronton ou de tout autre amortissement. Lorsque les baies sont au nombre de trois, comme dans plusieurs édifices de la Suisse et de l’Alsace, celle du centre dépasse légèrement en hauteur les deux autres.

Les escaliers extérieurs, abrités sous un immense auvent, conviennent aux édifices dont les pièces principales sont au premier étage. L’un des plus remarquables est celui de l’hôtel de ville de Mulhouse. Également tout le long de la façade, au rez-de-chaussée, règne d’ordinaire une galerie de cloître. L’absence de ces deux derniers caractères établit seule une différence entre les monuments publics et les simples maisons.

Nous ne pouvons donner la liste de tous les hôtels de ville qui méritent d’être signalés. Les suivants, dont la construction s’échelonne sur plus de quatre-vingts ans, si on avait le loisir de les examiner successivement, fourniraient la plus fidèle idée des transformations de l’architecture allemande au temps de la Renaissance : Görlitz, 1537 ; Posen, 1550 ; Altenbourg, 1562-1564 ; Cologne, 1569 ; Schweinfurt, 1570 ; Rothenbourg, 1572 ; Emden, 1574-1576 ; Lemgo, 1589 ; Neisse, 1604 ; Brême, 1612 ; Paderborn, 1612-1616 ; Nuremberg, 1613-1619 ; Augsbourg, 1616-1620.

À côté des hôtels de ville figurent les arsenaux, car chaque ville était alors préoccupée de sa propre défense. Le plus important, celui de Dantzig (1605), bâti en briques et pierre, tient de la Hollande autant que de l’Allemagne. Celui d’Augsbourg, au contraire (même date), s’inspire de l’architecture pratiquée en Italie par les Jésuites. On dirait, à voir sa façade, que l’on a affaire à une église.

Les habitations particulières ont échappé en grand nombre aux transformations modernes. À Hildesheim, Nuremberg, Schaffhouse, on trouve des rues entières qui sont demeurées intactes. Nous nous bornerons donc à citer quelques spécimens tout à fait hors ligne, comme la maison de la Neisstrasse, à Görlitz, 1571 ; la maison des Princes, à Leipzig, 1575 ; la maison Topler, à Nuremberg, 1590 ; la maison Wedekind, à Hildesheim, 1598 ; la maison Peller, encore à Nuremberg, 1605 ; la maison des Poissonniers, à Erfurt, 1607 ; la maison Kranz, à Hambourg, 1610.

Quelques princes, comtes, ducs ou margraves avaient, à l’intérieur des villes, de vastes résidences qu’ils s’empressèrent de rendre moins moroses, aussitôt que la chose fut possible. Seulement, comme pour éviter des frais et peut-être, par suite, d’autres difficultés, les nouvelles constructions s’élevèrent généralement sur les anciennes fondations, les plans sont loin d’être réguliers. Il y a des cours de toutes les formes que séparent des corps de bâtiments dans toutes les directions. Le style varie naturellement suivant les influences subies, et celles-ci sont assez nombreuses. Nous citerons par ordre de dates : le château de Mergentheim, dans le Wurtemberg (1524), superbe escalier tournant autour d’un noyau creux ; le château de Torgau, entre Berlin et Dresde (1532-1544), et celui de Dessau, dans la principauté d’Anhalt (1533), l’un et l’autre dans le goût de la première Renaissance française ; le château de Landshut, en Bavière (1536-1543), œuvre de maîtres italiens formés à l’école de Jules Romain ; le château de Trausnitz, tout à côté du précédent, mais dans le style allemand (1529-1578) ; le château royal de Dresde (1549), où l’influence française se fait sentir ; le château vieux, à Stuttgart (1553-1578) ; le château de Bernbourg (1565) ; la résidence de Munich (1578-1616), à laquelle travaillèrent successivement Peter Candid, Heinrich Schön et Hans Reisenstuel.

Le château de Heidelberg, sur les bords du Neckar, dans le Palatinat, mérite une mention à part. Sa situation au sommet d’une colline est merveilleuse, et l’on ne saurait trouver ailleurs un ensemble de constructions plus riches et plus majestueuses, sinon d’un dessin toujours parfaitement pur. Les parties qui nous intéressent, c’est-à-dire l’aile du nord et celle de l’est, ont été construites assez rapidement par les princes électeurs, Frédéric II et Othon-Henri (1544-1559). Trois architectes eurent la direction de l’œuvre : Jacob Haidern, Gaspard Fischer et Jacob Leyder. Les deux derniers, dont les noms se trouvent réunis dans une pièce d’archives, succédèrent au premier on ne sait trop à quelle date. La sculpture, qui tient une si grande place dans la longue façade dite d’Othon-Henri, est due, au moins pour les cariatides des fenêtres et les statues placées dans trois étages de niches, à un habile artiste de Malines, Alexandre Colins. Enfin, c’est un nommé Anthony, dont la nationalité n’est pas bien définie, qui a présidé, paraît-il, à l’exubérante décoration de la porte principale.

En dehors des villes, il ne faut pas oublier quelques grandes habitations seigneuriales qui, la plupart du temps, ne sont que d’anciennes forteresses reconstruites ou remaniées. Le château de Gottesau, près Carlsruhe (1553-1588), fait peut-être seul exception. Aussi son plan, figurant un vaste parallélogramme flanqué de six tours, est-il d’une régularité qui ne laisse rien à désirer. Quant à l’ordonnance composée de pilastres toscans, entre lesquels sont bandés à chaque étage des arcs en anse de panier servant à abriter une double fenêtre à fronton, elle semble imitée de la manière de Pierre Chambiges.

Les autres châteaux remarquables sont : Celle, dans le Hanovre (1532-1546), malheureusement mutilé à différentes époques sous prétexte d’agrandissement ; Güstrow, dans le grand-duché de Mecklembourg-Schwérin (1558-1565), œuvre un peu froide, mais correcte et pondérée, due à l’architecte François Parr ; Oels, en Prusse (1559-1562), qui se recommande de Gaspard Khune ; Heiligenberg, près Constance (1569-1587), où l’influence italienne, particulièrement celle d’Alessi, se manifeste dans l’ensemble et les détails ; Hämelschenbourg, en Saxe (1588-1612), qui rappelle étroitement l’architecture des bords de la Baltique.

Comme nous l’avons dit plus haut, l’architecture religieuse fut à peu près nulle. Les pays devenus protestants se contentèrent généralement des anciennes églises, et ceux demeurés catholiques n’eurent guère le loisir de songer à de nouvelles constructions. À citer seulement comme présentant quelque caractère : le clocher de l’église Saint-Kilian, à Heilbronn (1513-1529), œuvre de Hans Schweiner, qui, tout en se montrant dans les détails fervent disciple de la Renaissance, a cherché évidemment à reproduire la silhouette de la tour occidentale du dôme de Mayence ; la chapelle du château de Wilhelmsbourg, à Schmalkalde (1590), type d’édifice luthérien, presque aussi large que long, — 40 pieds sur 50 — dont la nef est pourtournée sur trois côtés d’un double étage de galeries ; l’église Notre-Dame, à Wolfenbüttel (1604), où l’architecte Paul Francke a montré beaucoup d’art dans la composition de la porte et des fenêtres ; l’église de Hanau, dans la Hesse électorale (1610), dite la grande église double, à cause des deux polygones placés bout à bout qui constituent son plan.

Le nombre des églises catholiques, par suite de la Réforme, se trouvant très diminué en Allemagne, et, d’autre part, les ressources manquant aux populations demeurées fidèles au pape, il n’est pas étonnant que le mobilier liturgique ait subi peu de changements durant le xvie siècle. On ne voit pas, comme en Belgique, se renouveler tout à la fois jubés, retables et tabernacles. Cependant c’est bien dans la première catégorie qu’il faut ranger jusqu’à un certain point la magnifique clôture élevée, en 1546, à l’entrée du chœur de la cathédrale de Hildesheim. La partie supérieure, découpée en une série de frontons, fait surtout le plus grand honneur aux maîtres choisis par le généreux donateur, Arnold Freitag.

À défaut d’autres décorations intérieures, les églises tant catholiques que protestantes peuvent montrer un grand nombre de tombeaux. Le plus célèbre de tous, celui de saint Sébald, à Nuremberg, œuvre de Pierre Vischer (1506-1519), n’est qu’une sorte de cage en bronze dont les fines et brunes colonnettes font admirablement valoir la châsse placée à l’intérieur. Bien que ses dimensions soient considérables — 5 mètres de haut, 2m,85 de long, 1m,55 de large, — il doit être considéré comme une pièce d’orfèvrerie plutôt que comme un monument d’architecture.

Au contraire, c’est tout à fait à la dernière catégorie qu’appartient le grand et magnifique tombeau élevé, à Jever, tout près de la mer du Nord, par la piété filiale de Maria Wiemken (1561-1564). À proprement parler, en effet, le sarcophage disparaît au milieu d’un vaste octogone ouvert, sur chacun de ses côtés, par deux étages d’arcades. Les plus basses, très profondes, forment déambulatoire ou promenoir couvert, et les plus hautes, de deux en deux, sont surmontées de gâbles richement ornés. Sauf au pourtour extérieur, où d’élégantes colonnes se dressent isolément, partout, à chaque angle, devant les pilastres, sont disposées des cariatides. Si nous ne nous trompons, l’œuvre entière, qui est d’une grande originalité, appartient à l’école voisine des Pays-Bas.

D’autres tombeaux occupent également une place d’honneur au milieu de la grande nef, mais aucun édicule ne s’élève au-dessus du massif rectangulaire qui reçoit les gisants. Sous ce rapport, les rois de Bohême eux-mêmes, dans le mausolée commandé par l’empereur Rodolphe II à Alexandre Colins et destiné à la cathédrale de Prague, ont été moins bien partagés qu’un simple chevalier.

Nous ne parlerions pas des tombeaux appliqués contre la muraille, qui sont naturellement les plus nombreux, si l’un d’eux, à Breslau, ne présentait des dispositions toutes particulières. La statue à demi couchée du défunt, Henri Rybisch, au lieu d’être placée à la hauteur de l’œil, se trouve juchée sur un second stylobate en arrière de deux arcades cintrées qui la maintiennent dans l’ombre. Évidemment, l’œuvre a été conçue par un ornemaniste italien, désireux de se faire la meilleure part.

En Suisse et en Allemagne, on trouve un peu partout d’élégantes fontaines. Les types sont assez variés, mais celui qui domine consiste en une colonne plus ou moins ornée, émergeant d’un bassin octogone et portant sur son chapiteau, soit un lion tenant un écusson, comme à Gmund, soit un joueur de cornemuse, comme à Bâle, soit un mangeur d’enfants, comme à Berne. Par une curieuse fantaisie, à Rottweil, dans le Wurtemberg, la colonne fait place à une superposition de lanternons, donnant assez l’apparence des tabernacles que l’on voit dans certaines églises, particulièrement à Nuremberg. Enfin, nous ne pouvons manquer de signaler, à Augsbourg, la fontaine dite d’Auguste (1593), composée d’un grand nombre de statues groupées à la manière de Jean de Bologne.