L’Assassin (About)/12

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P. Ollendorff (p. 50-52).


Scène XII


LECOINCHEUX, MADAME PÉRARD, Le Brigadier.
LECOINCHEUX, qui est redescendu à l’avant-scène, milieu.

Et, maintenant, madame, permettez-moi de vous dire que vous avez méconnu mes sentiments. Malgré la froideur apparente qui m’est imposée, je porte ici un cœur de flamme, qui brûle exclusivement pour vous. Mais je n’avais pas le droit de condescendre à une faiblesse qui, excusable chez vous, eût été lâche et criminelle chez moi. Vous avez pu vous tromper sur l’identité d’un coupable, n’étant qu’une simple femme, pourvue de toutes les grâces, mais affligée de toutes les débilités de votre sexe. Quant à moi, je devais à la société, qui m’a investi des fonctions les plus redoutables, de fermer l’oreille à la voix de votre cœur et du mien. S’il vous faut des preuves, en voici : le carnet que ce Corbillon a eu l’effronterie de vous offrir porte les initiales de sa dernière victime ! C’est le fruit du meurtre ! fructus homicidii. Lisez : A. D.

MADAME PÉRARD.

Alexandre Dumas ?

LECOINCHEUX.

Alfred Ducamp ! Ce carnet est peut-être tout ce qui reste aujourd’hui d’un artiste immortel, dont les tableaux, que j’avoue n’avoir jamais vus, feront la gloire de notre époque et l’admiration de la postérité !

MADAME PÉRARD.

Monsieur, il n’y a pas de preuves plus fortes que l’instinct d’une femme, vous aurez beau dire, et votre conduite est d’un homme féroce !

LECOINCHEUX.

Madame !

MADAME PÉRARD, se rapproche de Lecoincheux.

Vous ne m’avez jamais aimée. Si vous aviez eu seulement de la considération pour moi, vous n’auriez pas fait un tel esclandre dans ma maison !

LECOINCHEUX, se recule vers le brigadier.

Madame !

MADAME PÉRARD.

Et si vous m’aviez aimée, comme vous le dites, vous m’auriez accordé au moins la grâce de ce malheureux !

LECOINCHEUX.

Mais, madame, au nom du ciel ! je ne suis pas le roi, pour faire grâce !

MADAME PÉRARD.

Mais il est innocent ! mon cœur me le dit !

LECOINCHEUX.

Madame, le cœur est un juge, ou plutôt un juré qui se trompe souvent !

MADAME PÉRARD, qui est remontée un peu au-dessus de Lecoincheux.

Eh bien ! je l’aime, entendez-vous ? autant que je vous déteste ! Oui ; il m’a fait éprouver en quelques minutes des sensations délicieuses, dont ni vous, ni M. Pérard ne m’aviez donné la moindre idée. Mais, je vous en préviens, si son innocence est reconnue, je le venge de vous, je le console de ses tortures, je l’épouse !

Elle sort.
LECOINCHEUX.

Madame !