L’Au delà et les forces inconnues/Albert Besnard et la télépathie

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Société d’éditions littéraires et artistiques (p. 124-129).


ALBERT BESNARD ET LA TÉLÉPATHIE


Un fait de télépathie rapporté par le peintre Albert Besnard. — La mort du duc d’Orléans prévue par une mourante.


Les confessions des hautes personnalités sont pleines d’enseignements et de force. On les écoute avec respect. Le tort de la plupart des dépositions d’après lesquelles récemment on a voulu former la télépathie, c’est-à-dire la science des pressentiments, c’est qu’elles restent anonymes le plus souvent et que nous ne savons guère l’état mental de celui ou de celle qui nous les communique. Et cependant la télépathie est d’une importance capitale. Il y a intérêt pour tous à ce qu’elle devienne une science réellement. Ses connaissances ne tendraient rien moins qu’à prouver la réalité de notre âme profonde et la possibilité qu’elle a dès cette vie de s’affranchir de la prison organique.

Aussi ai-je reçu avec une véritable joie le document que l’on va lire, signé par le peintre illustre qui est mon ami, Albert Besnard.

M. Albert Besnard, qui est peut-être le plus grand et à coup sûr le plus original et le plus puissant des peintres modernes, dispose d’un cerveau avide de tout connaître. Celui à qui nous devons les fresques de l’École de pharmacie, aussi bien que les fresques de la petite église de Berk, sait goûter la science comme le mystère et pour en faire, selon son devoir et notre enthousiasme, de la couleur et de la beauté. Pareil à tous les Intelligents, il fut tenté par le « spiritualisme », dont il suivait, à Londres, certaines séances, en compagnie de madame Besnard qui est à la fois un sculpteur de talent et un penseur. Aussi comme cet autre artiste, James Tissot, peignit les fantômes matérialisés par le médium Eglinton, M. Besnard a su, à l’occasion, dessiner de délicieux fantômes, mais je crois bien que les « matérialisations » anglaises lui ont laissé quelques désillusions.

Voici la lettre que j’ai reçue de lui à propos de l’au delà et des forces inconnues.



« Paris, 20 octobre 1901.


» Mon cher Jules Bois,

» Je lis avec le plus vif intérêt votre enquête et je vois qu’il n’est que temps de vous raconter l’histoire que je vous ai promise. Je l’ai entendue bien souvent dans mon enfance ; elle est, par conséquent, déjà fort lointaine, et je crois bien que sans nos conversations, je l’aurais oubliée. Voici donc ce que m’a raconté M. B…, en qui je ne puis avoir que la plus grande foi, puisqu’il a été le témoin oculaire du fait dont je vais parler.



Une hallucination véridique.


» C’était le 13 juillet 1842 (cette précision ne m’est pas personnelle, car heureusement pour mon présent, je n’étais pas encore de ce monde). Madame B… était mourante de je ne sais quelle maladie rapide, et d’autant plus mourante que, comme vous le savez, à ces époques reculées, on soignait encore par la diète. La pauvre malade, une jeune femme, n’avait donc pas mangé depuis presque le début de son mal, c’est-à-dire, je suppose, quatre ou cinq jours. Elle avait auprès d’elle son mari et une garde. Il était deux heures. Depuis midi, elle sommeillait comme sommeillent les mourants, lorsque tout d’un coup elle se réveille en sursaut, se dresse sur son séant et s’écrie, haletante d’effroi : — Ô mon Dieu, quel malheur ! Le duc d’Orléans vient de se tuer. — Sans prononcer un mot de plus, elle retombe en arrière sur son oreiller où la reprend son sommeil comateux. Notez que par crainte de la contagion, car je crois bien qu’il s’agissait du choléra qui, paraît-il, depuis 1832, faisait de fréquentes apparitions, depuis le début de sa maladie, on n’avait admis personne auprès d’elle. Sa garde qui la veillait ne l’avait pas quittée depuis la nuit dernière, par conséquent aucun bruit de la rue n’avait pu parvenir jusqu’à elle.

» Saisis de stupeur par la sonnerie brusque de ces paroles dans le silence et la solitude de cette chambre close, M. B… et la garde-malade se demandaient en voyant ce corps redevenu inerte, si la fatigue d’une nuit de veille ne les avait pas illusionnés, lorsque le médecin, entrant à trois heures pour sa visite quotidienne, leur dit : « Vous ne savez pas la nouvelle ? Le duc d’Orléans vient de se tuer à Neuilly sur la route de la Révolte. Son cheval, son cabriolet, etc., etc. » Suivait le récit de la mort du fils aîné de Louis-Philippe. M. B… ne put que répondre au médecin : « Docteur, il y a une heure que nous le savons. » Et se tournant vers le lit où la malade, revenue à son assoupissement mortel, semblait être désormais incapable d’un geste, il ajouta : « C’est elle qui nous l’a appris. »

» Voilà, mon cher Bois, l’histoire que je vous avais promise. M. B… est Jean Brémond, mon vieux maître de peinture ; cette jeune femme qui mourut le lendemain de son mal était la sienne, et le médecin qui la soignait se nommait Vidal et ne vécut pas sans quelque notoriété. »

J’espère que mon récit est clair et qu’il pourra servir à prouver l’improbable…

» Amicalement à vous.
» A. Besnard. »