L’Au delà et les forces inconnues/La voix de François Coppée

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Société d’éditions littéraires et artistiques (p. 47-60).


LA VOIX DE FRANÇOIS COPPÉE


François Coppée poussant les tables. — Un fils mort envoie à sa mère un message. — La voix de la solitude et de la conscience. — Acte de foi catholique.


M. François Coppée a évolué aujourd’hui jusqu’au catholicisme ; mais l’on peut dire qu’il fut toujours chrétien, même quand il ne croyait point, car il pratiqua la bonté. S’il est retourné à la religion où il est né, ce n’est pas comme Huysmans par un lent et irrésistible entraînement mystique et par admiration pour l’art du moyen-âge. Tout le monde le sait aujourd’hui, c’est par la a Bonne souffrance ».

Son opinion successive sur le merveilleux n’en est que plus à connaître. Elle est en quelque sorte indépendante de son impressionnabilité personnelle, car, chrétien libre autrefois, catholique fervent aujourd’hui, il nous montre aussi bien au point de vue de la raison que de la foi, la sérénité d’un témoin. Cependant, comme nous le verrons tout à l’heure, de son propre aveu, ce « témoin » devint « sujet ». Si M. François Coppée n’a pas « vu » le mystère, il l’a, — ce qui n’est pas moins étonnant, — entendu.

Donnons d’abord son opinion sur le spiritisme et le merveilleux, telle qu’elle se formulait il y a une dizaine d’années. Sa dernière lettre qui date de l’an passé nous montre que, les vérités et les miracles de foi mis à part, cette opinion en devenant peut-être plus prudente, n’a pas beaucoup changé. — Ce premier document émane du François Coppée d’avant la conversion.


« Quelqu’un de peu mystique, c’est votre humble serviteur… écrit le poète des « Humbles ».

» Beaucoup de nos contemporains sont plus exigeants. Il leur faut du surnaturel, et ils prétendent que l’infini se mêle de leurs petites affaires. Au temps où je n’avais pas encore de barbe au menton, j’ai assisté déjà à quelque chose de semblable, à la première épidémie de spiritisme. Tel que me voici, j’ai fait tourner des chapeaux et des tables. Mais n’allez pas me considérer, s’il vous plait, comme un fameux thaumaturge. J’aime mieux entrer tout de suite dans la voie des aveux. Si des tables et des chapeaux ont tourné sous mes mains, c’est parce que je poussais, tout bonnement.

» Je me souviens encore des interminables séances, chez une vieille tante. C’étaient des soirées à petits gâteaux et à verre d’orgeat, où les tables tournantes avaient remplacé les jeux innocents. Pour ma part, quoique je ne fusse encore qu’un adolescent dont la voix muait, un collégien à la tunique toujours trop courte, avec des bas bleus et des souliers à cordons, je regrettais les jeux innocents, parce qu’on pouvait quelquefois embrasser une jolie cousine aux joues rouges, qui avait perdu un gage. Mais il n’était plus question, depuis l’invasion du spiritisme, de corbillon ni de « dessous du chandelier ». On ne s’occupait plus que des esprits frappeurs, et tous, le collégien, les cousines au teint de pomme d’api, les messieurs graves, les vieilles dames en bonnet à coques, tous s’asseyaient autour d’une table de bouillotte, sur laquelle on étendait les mains avec le geste d’un pianiste qui plaque un accord.

» Au bout d’un quart d’heure, — tant pis ! c’était trop ennuyeux, — je poussai. Et je crois bien que les autres, impatientés comme moi, en faisaient autant.

» Et voilà que la table se mettait à volter, à se trémousser, et se levait sur deux pieds, et exécutait toutes sortes de gentillesses. À l’aide d’un alphabet chiffré, on lui posait des questions, comme à un phoque ou à un âne savant. Et la table répondait, souvent avec beaucoup d’indiscrétion, révélait, par exemple, l’âge d’une demoiselle qui avait, depuis longtemps coiffé sainte Catherine. Pour un peu, la table aurait désigné la personne la plus amoureuse de la société.

» Les choses se compliquèrent. Des esprits furent évoqués, toujours dans la table. D’abord, des personnages célèbres, Robespierre, Marie Antoinette, Papavoine ; — Voltaire, qui, vraiment, n’était pas en verve ce jour-là, Napoléon, qui ne disait que des niaiseries ; — puis un oncle, disparu depuis trente ans, lequel nous apprit qu’il avait fait naufrage et que des cannibales l’avaient mangé à la croque-au-sel.

» Les cousines aux couleurs de pivoine poussaient de petits cris d’épouvante. Seulement, — la vérité avant tout, n’est-ce pas ? — je poussais toujours.

» Rien n’est plus difficile à perdre que les habitudes prises dès l’enfance. J’ai bien peur que mes premières expériences de spiritisme ne m’aient rendu, à tout jamais, récalcitrant au merveilleux.

» Eh bien ! il parait que je suis une espèce d’exception dans notre Paris décadent et byzantin. Si j’en crois les curieux volumes de M. Jules Bois, les Petites religions de Paris, que je viens de lire avec beaucoup d’intérêt et un peu de stupéfaction, nous coudoyons par les rues à chaque instant, sans nous en doutery des Païens, des Swedenborgiens, des Bouddhistes plus ou moins orthodoxes, des Théosophes, des adorateurs de laiumière, que sais-je ? Déjà Huysmans, dans son troublant et étrange Là-bas, nous avait conté qu’on disait la Messe noire au fond de Vaugirard ; et voici que M. Gilbert Augustin-Thierry — dont je recommande le Masque à tous les amateurs de frissons et de cauchemars — nous apprend que les mystères d’Isis sont célébrés sur le versant-nord de la Butte-Montmartre.

» Jamais on n’a tant vu de temples « au fond de la cour, à droite », et d’églises a au troisième au-dessus de l’entresol ». Il y a des gnostiques à Orléans et des esséniens rue des Belles-Feuilles. Et, tous les soirs, vous pourrez contempler, si le cœur vous en dit, au café Voltaire, buvant son verre de bière et lisant les gazettes, un fort savant vieillard, qui, dans la religion positiviste, est quelque chose comme un pape.

» Que de dogmes et que de cultes ! Si vous tenez à savoir mon avis, je vous avouerai que tout cela me semble passablement absurde, que je trouverais plus simple d’espérer en un Dieu juste et bon, en une. Loi suprême d’harmonie et de miséricorde, et de faire autour de soi, dans sa modeste sphère d’action, le plus de bien possible. Mais les cervelles mystiques ne se contentent pas de si peu, et je sens plus que jamais que je ne suis qu’un pauvre homme.

» Cependant, si ma raison est rebelle au merveilleux, je conviens que, au point de vue de l’imagination et de la poésie, rien n’est plus admirable. Et, pour finir cette causerie, je veux vous dire une jolie histoire, qui me fut contée à Lyon, il y a quelques années.

» Une fillette de la campagne arrive en ville par le chemin de fer, avec son panier et ses petits paquets, pour entrer en condition dans une famille respectable. Mais, à la gare, elle s’aperçoit avec terreur qu’elle a perdu l’adresse de la maison où elle était attendue. L’enfant est jeune, jolie ; et la voilà seule, sans argent, perdue dans cette grande cité, exposée à bien des périls. Que va-t-elle devenir ?

» Or, la petite a toujours eu une dévotion particulière à la Vierge. Là-haut, sur la colline, dominant cette ville dont elle a peur, elle voit se dresser la basilique de Notre-Dame de Fourvières. Elle passe le pont, gravit les pentes, va s’agenouiller devant la Bonne Vierge, se recommande à elle dans une ardente prière ; puis, comme elle sort de l’église, un jeune homme vêtu de noir, dont la physionomie respire la bonté, s’avance vers elle, et lui demande pourquoi elle a le front soucieux et les yeux rouges.

» À cet inconnu, qui lui inspire confiance, la jeune paysanne avoue la cause de son chagrin.

— Allez donc, lui dit alors le jeune homme, chez madame une telle, qui demeure en ville, à tel endroit. C’est ma mère. Vous lui direz simplement que c’est son fils qui vous envoie. Allez, vous serez bien reçue.

» La fillette obéit, se rend à l’adresse indiquée, est d’abord introduite dans un salon, où se trouve un portrait fort ressemblant de l’obligeant jeune homme. Puis une dame, âgée et en grand deuil, la rejoint et l’interroge. Mais, quand la jeune fille lui dit : « Je viens de la part de votre fils », la vieille dame pousse un cri de douleur :

» — Mon fils est mort !… Je le pleure depuis trois ans !

» Alors, la petite paysanne, éperdue et tremblante, raconte son aventure, sa prière à Notre-Dame, sa rencontre et son entretien, sur le seuil de l’église, avec ce jeune homme, dont voici le portrait.

» On devine le dénouement. Ce n’est pas comme une servante, c’est comme une fille d’adoption que la pauvre mère accueille cette pieuse enfant, à elle adressée par son fils qui est au ciel.

François Coppée.

Les voix de Jeanne d’Arc ont été l’objet de contestations et de discussions sans fin. Michelet se garde bien de voir en elles une ruse de cette vierge guerrière qui délivra la France de la plus terrible invasion qu’elle ait eu à subir. Il croit en leur réalité. Le même phénomène semble s’être reproduit, mais d’une façon toute personnelle, restreinte et, cette fois, sans conséquences sociales, en la personne de M. François Coppée, le poète des Intimités et du Passant. Qui s’attendait à ce que M. François Coppée eût ses « voix », sa voix plutôt ? Elle semble d’ailleurs assez parente de ce daïmon que Socrate croyait entendre, avec cette différence pourtant que le philosophe grec en recevait des ordres ou des avis toujours prohibitifs, tandis que François Coppée y trouva seulement une approbation ou une critique de ses actes.


« Si je ne suis pas superstitieux, nous écrivait le poète il y a quelques années, c’est apparemment qu’il ne m’est jamais rien arrivé qui ressemblât à du surnaturel. Et pourtant si ; et je veux vous décrire une hallucination dont j’ai été l’objet quatre ou cinq fois dans le cours de mon existence, pas davantage.

» C’est toujours quand je suis au lit, et peu de temps après que j’ai éteint ma lumière, que se produit le phénomène. J’entends alors distinctement — ou du moins je crois entendre — une voix qui m’appelle par mon nom de famille : Coppée.

» Assurément, je ne dors pas dans ce moment-là ; et la preuve, c’est que, malgré la grosse émotion et le battement de cœur que j’éprouve alors, j’ai toujours — toujours, vous entendez bien — immédiatement répondu « — Qui est là, qui me parle ? »

» Mais jamais la voix n’a rien ajouté à son simple appel.

» Cette voix, je ne la connais pas. Elle ne me rappelle ni la voix de mon père, ni la voix de ma mère, ni celle d’aucune autre personne à qui je fus particulièrement cher ou que j’ai beaucoup aimée et qui n’est plus. Mais elle est, je le répète, claire et distincte, et — ce qui est tout à fait remarquable et, je vous l’assure, effrayant — elle semble toujours par l’accent qu’elle donne à ce mot — mon nom, tout court — elle semble, dis-je, répondre au sentiment dont je suis animé.

» Je n’ai entendu cette voix que très rarement et dans des circonstances assez graves de ma vie morale, lorsque j’avais du chagrin ou que j’étais mécontent de moi. Et toujours la voix a pris le ton de la plainte ou du reproche, a paru compatir à ma peine ou blâmer mon mauvais souvenir. Et j’ai là une certitude de plus que je n’entends pas cette voix en songe ; car jamais elle ne m’a parlé que précisément quand j’étais tenu éveillé par mes préoccupations.

» Erreur des sens, imagination pure, diront les esprits forts.

» C’est possible, et tout cela s’est passé peut-être seulement dans mon cerveau. Cette voix inconnue, à laquelle je ne pense jamais sans un frisson, n’en a pas moins retenti à mon oreille et résonné dans ma conscience. Elle m’a fait du bien, plusieurs fois, par son accent de pitié ou de gronderie, en consolant ma douleur intime ou en me faisant honte de ma pensée coupable. »


Chose assez extraordinaire et qu’un esprit critique doit souligner : lorsque M. François Coppée était un sceptique, c’est-à-dire dans un état d’esprit contraire à tout mysticisme, il entendit sa « voix ». On sait que le barde de la Grève des Forgerons est devenu aujourd’hui un catholique et un pratiquant. Or par une contradiction frappante, maintenant que M. François Coppée croit au miracle, sa « voix » a cessé de le morigéner ou de le consoler. Elle se tait. Il ne l’a plus entendue ; la lettre suivante, datée de la fin de l’année passée en fait foi :



« Montgeron (Seine-et-Oise), 21 septembre.


 » Mon cher confrère,


» Excusez-moi. En matière de spiritisme, de télépathie, de sciences occultes, je ne suis qu’un ignorant. Si, comme je l’ai raconté quelque part, j’ai entendu ou cru entendre, autrefois, dans le silence, l’obscurité ou la solitude, une voix qui m’appelait par mon nom avec un accent de sympathie ou de reproche, selon l’état moral où je me trouvais, ce phénomène a cessé depuis que j’ai repris, très humblement, l’habitude de la prière.

» Chrétien très médiocre, sans doute, mais plein d’obéissance et de foi, je crois au «  miracle » je m’incline devant le « mystère » ; mais je tâche surtout de vivre selon la morale de l’Evangile et du catéchisme. Je n’entends plus de voix sinon celle qui parle tout bas à mon cœur, celle du Dieu de miséricorde qui, malgré tous mes torts et toutes mes défaillances, me promet dans l’Autre-Monde le pardon et le repos.

» Je vous serre la main,


» François Coppée. »