L’Au delà et les forces inconnues/Le spiritisme est l’ennemi du spiritualisme et de la science

La bibliothèque libre.
Société d’éditions littéraires et artistiques (p. 164-169).


LE SPIRITISME EST L’ENNEMI DU SPIRITUALISME ET DE LA SCIENCE


(OPINION DE M. LIONEL DAURIAC)


Charles Renouvier croit aux esprits, mais raille les spirites. — Le Fétichisme des spirites. — Les spirites ne sauraient être considérés comme des observateurs. — Le Médium est un aliéné au sens propre du mot, d’après la définition qu’en donnent les spirites. — Les médiums devraient se contenter d’être des sujets.


Un subtil adversaire du spiritisme, c’est M. Lionel Dauriac. Son opinion est d’autant plus intéressante que théoricien et psychologue de carrière, il est membre de sociétés d’hypnologie et fréquente volontiers les réunions discrètes du spiritualisme moderne où les jolies femmes ne manquent pas. Ainsi le théoricien est devenu praticien. Je crois bien que M. Dauriac s’est donné la tâche de sauver par le raisonnement quelques-unes des plus originales et des plus intelligentes parmi les adeptes de cette superstition nouvelle. J’espère qu’il y réussira ; en tous cas sa consultation mérite d’être lue par tous, car elle n’émane pas, — comme c’est le cas de certains, — d’un cerveau de parti-pris, indifférents aux nouveautés de la psychologie. Je me rappelle qu’avec M. de Rochas et moi, il voulut bien s’attacher à découvrir quel service par exemple l’hypnotisme pourrait rendre à la musique et à l’art plastique. L’hypnotisme en effet permet d’enregistrer sur un organisme humain presque aussi fidèlement qu’avec un instrument de physique des vibrations verbales et des rythmes. Il peut devenir par le geste et l’expression le traducteur inconscient des émotions éternelles suscitées par la voix, le chant, un instrument ou un orchestre.

Voici, résumée aussi brièvement que possible, l’opinion de M. Lionel Dauriac sur les phénomènes « spirites » :

1° Y-a-t-il des esprits. ? Les mondes et les intermondes sont-ils « peuplés de démons, » ainsi que le pensait le Milésien Thales ? Ceux que nous avons perdus ne continuent-ils pas de vivre tout près de nous ? Continuent-ils de s’apparaître à eux-mêmes » de percevoir ce qui se passe sur notre planète, dans les lieux qu’ils fréquentèrent ? Leur immortalité non seulement psychique mais physique ne peut-elle se concevoir soumise à des conditions qui nous en rendent l’expérience directe impossible ? Telle est l’opinion soutenue par Ch. Renouvier vers la fin de son Second essai de critique générale. Il n’est pas de plus ferme croyant en ta vie future que ce penseur dont le nom comptera parmi les plus grands de la pensée contemporaine. Et pourtant si vous voulez exciter sa verve railleuse, parlez-lui d’occultisme et de spiritisme. Vous le trouverez, sur ce point, inébranlablement incrédule. Je ne suis pas, moi, ce qui s’appelle un incrédule, mais je reste sceptique.

2° Je reste sceptique en ce qui concerne l’existence des esprits tout en ne la déclarant pas impossible. J’estime qu’attribuer à des « esprits » les phénomènes extraordinaires dont leur intervention est censée être la seule cause, c’est qu’on le veuille ou non substituer à ce que l’on croit être une explication, une « inexplication véritable ». C’est, dirai-je avec Auguste Comte, se mettre dans un état d’esprit théologique ou fétichique pour trouver la raison d’un phénomène physique. On rit de l’enfant qui bat la chaise parce « qu’elle lui a fait mal ». On ne rit pas de l’homme adulte quand il parle de l’esprit qui fait tourner la table. Ils sont pourtant, l’un et l’autre, logés à la même enseigne.

3° Je reste sceptique en ce qui concerne l’existence des phénomènes occultes, envisagés dans leur stricte « phénoménalité » — Je n’en ai donc jamais vu, de ces phénomènes ? — Au contraire. J’en ai vu, et de tout genre, et dans des conditions telles que tout soupçon de supercherie consciente m’est défendu ; Mais voir « ce qui s’appelle voir » est une chose ; savoir en est une autre, et qui implique le contrôle. Qui ne contrôle pas ne constate véritablement pas. Je puis comme pas mal de gens de ma connaissance, extraire de ma mémoire maint souvenir de faits aux allures extraordinaires ou même absurdes. Mais je ne me reconnais pas le droit de faire sortir ces faits de ce que je me permettrai d’appeler l’état anecdotique. Aussi n’en ai-je jamais tenu compte dans mes travaux ou dans mes recherches.

4o Sceptique sur les deux points que je viens de toucher, il en est un troisième en lequel mon scepticisme fait place au plus intraitable dogmatisme. Je refuse péremptoirement aux pratiquants du spiritisme le titre d’observateurs dont ils se prévalent et l’autorité qu’ils s’arrogent. Aussi bien ces soi-disant observateurs se contredisent, car en même temps qu’ils se prennent pour des gens de laboratoire ils s’appellent médiums. De plus ils reconnaissent que pour faire métier de médium il faut dépouiller la personnalité. Ainsi de leur propre aveu, tous les médiums sont des aliénés au sens propre du terme. Or ce n’est pas aux aliénés qu’on demande une pathologie de l’aliénation. On les interroge, on les écoute : on enregistre leurs réponses à titre de documents pathologiques, mais ou se défend de les croire sur parole. Telle est l’attitude qui conviendrait à l’égard des médiums le jour où cessant de se prendre pour des opérateurs ils consentiraient au modeste rôle de « sujet ». Ce jour est encore lointain.

Lionel Dauriac.
Professeur honoraire de l’Université de Montpellier.

Sienne, 4 septembre 1901.