L’Au delà et les forces inconnues/Les esprits de M. Victorien Sardou

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Société d’éditions littéraires et artistiques (p. 7-16).


LES TÉMOINS


LES ESPRITS DE M. VICTORIEN SARDOU


Les Palais de la planète Jupiter. — Un bouquet de roses venu du monde invisible. — Les spirites ignorants, les charlatans, les savants, qui expliquent tout par la jonglerie. — Les expérimentateurs sérieux.


Cette enquête a le privilège de collectionner les confidences les plus précieuses et expose des faits intimes et merveilleux.

Ils projettent une lueur imprévue sur le problème de l’Au delà et même de la survivance.

Je publierai dans mon livre : Le Miracle moderne les dessins dont M. Victorien Sardou fut l’auteur inconscient. Ils sont signés Bernard Palissy (Victorien Sardou Médium).

Le principal et sans conteste le plus beau est « la maison de Mozart dans la planète Jupiter ». Ceux qui l’ont vu l’admirent comme un chef-d’œuvre. Il a été achevé en une heure et demie avec l’inconscience absolue de ce qui allait se manifester. Jamais architecture de rêve ne fut plus réussie. Cette maison fantastique qui, pour les spirites, serait l’image de l’éternelle villa où l’auteur de la Flûte enchantée passerait sa villégiature définitive dans la planète Jupiter, est construite selon une esthétique délicieuse et inouïe, en croches et en doubles croches.

Je laisse à ce sujet la parole à M. Victorien Sardou lui-même. Lorsque je lui soumis les épreuves du chapitre qui lui est consacré dans ce livre, il m’écrivit le billet suivant qui nous apporte des détails techniques fort intéressants sur l’élaboration anormale de ces œuvres d’art :


« Mon cher confrère,

» Il n’est pas précisément exact, comme vous le dites au début, que la prétendue Maison de Mozart soit de tous mes dessins spirites le plus intéressant. Il ne vaut pas, il s’en faut, ceux que j’ai obtenus directement, sans autre travail que de laisser courir ma plume sur le papier.

» Celui-là a été tracé à la pointe sur le vernis d’une plaque de cuivre, pour être gravé à l’eau forte à plusieurs exemplaires. Il y a là, par conséquent, intervention de l’acide qui est un peu brutale. — Didier, le libraire académique du quai des Grands-Augustins, spirite résolu, avait montré mes dessins à des incrédules qui refusaient de croire qu’un travail si compliqué pût être achevé en si peu de temps et avec une telle insouciance de leur auteur. Pour les convaincre, il me pria de remplacer la plume par un stylet et le papier par une plaque de cuivre vernie. À quoi je consentis ; et en une heure et demie à peu près la maison de Mozart fut tracée sur la plaque sans hésitation, sans arrêt, sans correction, — d’ailleurs impossible, — sous les yeux de ces incrédules ahuris.

 » Mille amitiés,
 » Victorien Sardou. »

L’illustre dramaturge de Patrie a été longtemps médium et il a été favorisé de prodiges, qui nous paraîtraient incroyables s’ils n’étaient affirmés par une intelligence aussi lucide et aussi positive que la sienne.

La matière ne serait plus un obstacle et une épaisseur ; les esprits apparaîtraient en corps solide, et ils seraient capables de transporter à travers les murs des objets et des fleurs. Voici, d’ailleurs, une lettre importante que nous a adressée à ce sujet M. Victorien Sardou. Elle est écrite par quelqu’un qui, pour adopter ses expressions, a fait et a vu :



« Mon cher confrère,

» J’ai été des premiers à étudier « le spiritisme » à ses débuts — il y a de cela une cinquantaine d’années — et à passer de l’incrédulité à la surprise et de la surprise à la conviction. Il faudrait un volume pour vous répondre. Je me borne à vous envoyer le résumé d’un demi-siècle d’observations.

» Les phénomènes matériels, observés dans les conditions d’examen les plus rigoureuses et attestés par les savants dont je n’ai pas à vous rappeler les noms, ne sont pas contestables, et pour la majorité des cas, ils sont inexplicables dans l’état actuel de nos connaissances.

» Il est impossible de méconnaître, dans un grand nombre de cas, l’intervention d’une intelligence étrangère à celle des opérateurs, qui n’est ni la projection ni la résultante de leurs propres pensées, et de ne pas constater, dans la production de certains phénomènes, l’action d’êtres occultes dont il est difficile de préciser la véritable nature.

» Mais comment admettre, sans se couvrir de ridicule, que ces êtres-là ne sont pas chimériques et que notre belle humanité n’est pas le dernier mot de la création ? Pour échapper aux railleries de la science officielle et de l’incrédulité, à celles des ignorants et des gens d’esprit, qui sont si souvent des imbéciles… on s’efforce d’expliquer les cas où l’intelligence occulte est trop manifeste, par des hypothèses d’allure scientifique, bien réjouissantes pour celui qui sait ce que je sais, a vu ce que j’ai vu et fait ce que j’ai fait !

» Vous me demandez si je crois aux matérialisations ?… — Naturellement — car j’en ai obtenu moi-même, au temps où j’étais médium — et j’attends encore que l’on m’explique par quelque force psychique inconnue ou par une supercherie dont je serais à la fois l’auteur, le témoin et la victime, — comment une main invisible a pu de mon plafond, sous mes yeux, lancer sur ma table de travail un bouquet de roses blanches que j’ai conservé pendant des années, jusqu’à ce qu’il soit tombé en poussière !

» Enfin, — quant aux dessins spirites auxquels vous faites allusion, je les ai obtenus en 1857 dans des conditions identiques à celles de M. Desmoulin, — mais il y a beau jour que je sais à quoi m’en tenir sur ces prétendues demeures planétaires. — Cela a tout juste la même valeur que le langage Marsien dont on nous a régalés dernièrement.

» Voilà, mon cher confrère, les conclusions de mes propres expériences. — C’est peu ! — Toutefois, je n’ai pas perdu mon temps.

» Salutations amicales.
 » V. Sardou. »


Des faits passons aux théories. M. Victorien Sardou n’a pas seulement assisté à des prodiges, il les analyse, les critique et en tire des conclusions. S’il a été médium, il ne s’est jamais inféodé à aucune école de spiritisme, d’occultisme ou de théosophie. Il reste un témoin et un expérimentateur indépendant. Cette nouvelle déclaration en fait foi. Elle fut adressée primitivement à M. Jules Claretie et vient d’être pour ce livre corrigée et revue avec soin par M. Sardou.


»… Quant au spiritisme, je vous dirais mieux en trois mots ce que j’en pense, que je ne le ferais ici en trois pages. Il y a dans le spiritisme des faits constatés, curieux, inexplicables dans l’état actuel de nos connaissances et d’autres qui s’expliquent sans difficultés.

» Il y a les spirites imbéciles ou ignorants ou fous ; ceux qui évoquent Épaminondas et dont on se moque justement ou qui croient à l’intervention du diable ; bref, qui finissent à Charenton.

» Il y a les charlatans — les imposteurs de toute sorte, les prophètes, les donneurs de consultations, les Davenport, et tutti quanti !

» Il y a enfin les savants qui croient expliquer tout par des jongleries, l’hallucination et les mouvements inconscients comme MM. Chevreul et Faraday ; et qui, ayant raison pour certains phénomènes qu’on leur signale et qui sont, en effet, hallucination ou jonglerie, ont tort néanmoins sur toute la série d’autres faits positifs, qu’ils ne se donnent pas la peine d’étudier. Ces savants sont très coupables ; car, par leur fin de non-recevoir opposée à des expérimentateurs sérieux et par leurs explications insuffisantes ils ont abandonné le spiritisme à l’exploitation des charlatans de toute sorte et autorisé en même temps les amateurs sérieux à ne plus s’en occuper[1].

» Il y a en dernier lieu l’observateur (mais il est rare) tel que moi, qui, incrédule tout d’abord, a bien dû reconnaître à la longue, qu’il y avait là des faits rebelles à toute explication scientifique actuelle, sans renoncer pour cela à les voir expliqués un jour, et qui, dès lors, s’est appliqué à discerner les faits, à les soumettre à quelque classification qui plus tard se convertira en loi. Ceux-là se tiennent à l’écart, comme je le fais, de toute coterie, de tout cénacle, et satisfaits de la conviction acquise, se bornent à voir dans le spiritisme l’aurore d’une vérité fort obscure encore, en déplorant que cette vérité périsse étouffée entre ces deux excès (comme je l’ai déjà dit et écrit) de la crédulité ignorante qui croit tout et de l’incrédulité savante qui ne croit rien.

» Ils trouvent dans leur conviction et leur conscience la force de braver le petit martyre du ridicule qui s’attache à la croyance qu’ils affichent, doublée de toutes les sottises qu’on ne manque pas de leur attribuer, et ne jugent pas que la légende dont on les affuble mérite même l’honneur d’une réfutation.

» C’est ainsi que je n’ai jamais eu l’envie de démontrer à qui que ce soit que Molière ni Beaumarchais ne sont pour rien dans mes pièces. Il me semble que cela se voit de reste.

» Quant aux Maisons de Jupiter, il faut demander aux bonnes gens qui me supposent convaincu de leur réalité, s’ils sont bien persuadés que Gulliver croyait à Lilliput, Campanella à la Cité du Soleil et Thomas Morus à l’Utopie.

» Ce qui est pourtant vrai, c’est que le dessin dont vous parlez a été fait en moins de deux heures.

» De l’origine, je ne donne pas quatre sous : mais pour le fait — c’est une autre affaire. Et voilà tout le spiritisme en deux mots !

» Mais je m’aperçois qu’en ne voulant rien dire j’en dis trop, qui n’est pas encore assez, et je termine en vous serrant affectueusement la main.

» Victorien Sardou. »


  1. C’était aussi l’opinion de Victor Hugo qui prétendait que l’indifférence des corps scientifiques devant certains faits réputés merveilleux était en partie responsable de l’expansion du charlatanisme (J. B.)