L’Aviateur inconnu/09

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Éditions de la « Mode nationale » (p. 79-88).

CHAPITRE IX

Idée qu’elle ne tarda pas à mettre à exécution de la manière la plus naturelle du monde et sans avoir même besoin de se confier à qui que ce fût.

Comme à l’accoutumée, l’adorateur aérien d’Elvire Bergemont, après avoir laissé deux nuits de suite les hôtes de la villa Cypris reposer paisiblement, tint à leur rappeler son existence. À l’heure fatidique, dans les lueurs diffuses annonciatrices de l’aube, l’aéroplane annonça son approche par le ronflement de son moteur et, fidèle à sa trajectoire, passa au-dessus de la villa pour survoler la rade, et revenir ensuite vers les terres. Quoique son manège eût perdu tout caractère d’originalité, les deux frères Bergemont, ce matin-là comme les précédents, sautèrent à bas de leur lit pour suivre des yeux le fan­tasque biplan, tandis qu’Elvire et Flossie, chacune à sa fenêtre, commençaient d’échanger des réflexions ! Mais, Flossie, au lieu de s’en tenir à des plaisanteries, ainsi qu’à l’ordinaire, formula ce matin-là une réflexion d’un caractère plus particulier. Elle demanda à sa nièce :

— Dis-moi donc, Elvire, est-ce que M. Vernal a déjà été témoin de la visite de ton aviateur ?

— Je ne sais, répondit Mlle Bergemont. La première fois, il n’a dû y prêter qu’une attention distraite, mais à présent, je présume que, pareil en ceci à la plupart des Pourvillais, il est à sa croisée comme nous sommes à la nôtre, avec cette différence, bien entendu, que son anxiété est plus vive que la leur, puisqu’il s’agit de mon repos.

— Très bien, acquiesça Flossie. Mais, enfin, tu n’as jamais ressenti, au moment où l’avion paraît, le besoin de l’avoir à tes côtés, de s’appuyer sur son affection ?

Elvire murmura :

— Peut-être, mais à quoi bon ! Jean-Louis ne peut être auprès de moi dans cette maison et je ne puis décemment me précipiter à sa recherche !

— Demeure-t-il très loin d’ici ?

— Mais non. Il habite, juste en face le Casino, une petite maison rose, une maison à pergola. C’est la seule du pays, d’ailleurs.

— J’ai grande envie, prononça Flossie, d’aller l’inter­viewer sur ce raid nocturne.

— Toi, quelle idée !

— Pas si étrange ! j’aimerais savoir quelles sont ses impressions, et, surtout, s’il est aussi attentif que tu le crois !

— Ah ! Flossie, fit la jeune fille d’un petit ton réproba­teur, tu es tentée d’accuser Jean-Louis d’indifférence, je t’assure que tu as tort !

— Soit ! mais, enfin, j’aurais plaisir à voir sa physiono­mie à l’instant même où l’avion de son rival se profile sur l’horizon. Laisse-moi faire ; j’y vais de ce pas.

— Comment, tu vas sortir maintenant ?

— Le temps de passer une robe, répliqua l’Anglaise qui, déjà, s’habillait.

— Je ne suis pas autant que toi, ma chère Elvire, prison­nière du décorum, et l’idée de me promener au petit jour ne me paraît pas si subversive. Et puis, à défaut de Jean-Louis en personne, tu auras tout au moins une traductrice fidèle de ses sentiments.

— Mais, Flossie, tu es folle !

— Qui sait, qui sait ! Je t’en prie, permets-moi d’exé­cuter mon projet.

Et malgré la résistance d’Elvire, qui ne concevait point que l’on pût avoir une lubie semblable et à son avis si parfaitement inutile, l’entreprenante Flossie alla tirer les verrous de la porte d’entrée et se glissa au dehors, sans être aperçue des frères Bergemont, dont les chambres s’ou­vraient sur la façade opposée.

Il ne lui fallut pas longtemps pour repérer le logis de Jean-Louis Vernal grâce à l’indication fort précise de la pergola. Insoucieuse de ce que pouvaient penser les curieux aux aguets, à supposer qu’il y en eût à cette heure matinale, elle sonna, à plusieurs reprises ; à travers l’huis, elle entendit le carillon que déclenchait son geste, mais elle eut beau provoquer tout le vacarme dont elle était capable, aucune lumière ne brilla derrière les persiennes et personne ne vint lui ouvrir.

Mais elle n’en fut pas étonnée ; bien plus, un sourire satisfait se jouait sur ses lèvres. Lorsqu’elle eut réintégré sa chambre à la villa Cypris, elle répondit aux questions pressantes d’Elvire la vérité toute simple, savoir que le peintre n’était pas chez lui.

— Impossible ! s’exclama sa nièce, Jean-Louis m’a affirmé à plusieurs reprises que la nuit, il ne s’absentait jamais. Je le sais mieux que personne !

— Vraiment ! que signifie « que personne », darling ?

Elvire s’en tira par un geste évasif. Elle ne tenait pas à instruire Flossie de ses conciliabules secrets au bien­heureux coin de la grille, à l’abri du massif de troènes. Mais elle était sûre que sa petite tante était dans l’erreur ; elle se rappelait que souvent, elle et Jean-Louis avaient entendu minuit sonner au beau milieu de leur conversa­tion clandestine. Seulement, elle n’avait pas la présence d’esprit de se demander si, les nuits où elle s’entretenait ainsi avec le jeune peintre n’étaient pas justement celles où l’Aviateur inconnu se gardait de se manifester.

Que Jean-Louis Vernal se trouvât ou non à Pourville, aux heures choisies par l’aviateur pour y apparaître, c’était sans grande importance, et, au fond d’elle-même, Elvire en convenait volontiers. Pourtant, elle eût préféré ne rien savoir de cette absence à laquelle Jean-Louis ne l’avait aucunement préparée… L’imagination, chez une jeune fille, mérite bien son nom de « folle du Logis » ; Elvire, malgré qu’elle en eût, n’arrivait pas à chasser une obscure inquiétude cramponnée à son esprit : comment se faisait-il que l’artiste quittât Pourville, lorsqu’il lui avait maintes fois parlé de ses goûts sédentaires ? Il lui cachait donc quelque chose ? Une liaison peut-être ? Une liaison qui lui devenait d’autant plus chère que Mlle Bergemont, objet d’hommages assidus de la part du maudit pilote, ne lui appartenait plus tout entière… Ainsi rêvait la jeune fille, en proie à l’insomnie, lasse de cette emprise, des dis­cordes qu’elle avait occasionnées, incapable, en un mot, de recouvrer la claire et saine vision des choses.

Elle témoigna de cette perturbation morale dans une cir­constance curieuse, à quelque temps de là, au casino de Pourville. En compagnie de son aimable tante Flossie, chape­ron d’un chic, d’une beauté, d’une jeunesse qui juraient avec ce rôle revêche, Elvire avait assisté à une représentation théâtrale donnée par une grande vedette en tournée. Au cours du premier, puis du second entr’acte, elle avait bien remarqué, dans les couloirs, un officier d’une sobre élé­gance, aux traits énergiques, égayés par un regard vif et un peu ironique, regard qui ne l’avait pas quittée pendant un long moment. Le hasard, ou bien l’insistance de l’officier avait fait qu’Elvire et Flossie, à deux ou trois reprises, s’étaient trouvées face à face avec celui-ci et, bien qu’il se fût respectueusement effacé pour leur livrer passage, elles avaient senti sur elles le poids d’une atten­tion presque gênante. Il n’y avait pas lieu d’en prendre ombrage, évidemment, car tout homme, pourvu qu’il soit bien élevé, a le droit de fixer les yeux sur une femme qui passe… Jamais, si elle avait eu son équilibre de naguère, Elvire n’en eût même pris souci, mais il ne faut pas oublier qu’elle était dans des conditions d’énervement toutes particulières.

— N’as-tu pas l’impression, demanda-t-elle à Flossie, que cet officier nous observe ? Il s’arrange toujours pour marcher à notre rencontre, afin de mieux nous dévisager !

— Oui, dit Flossie, je l’ai déjà obligé à détourner son regard appuyé sur le mien… un beau regard, d’ailleurs !

— Tiens, j’aurais juré qu’il me regardait, moi seule ! fit Elvire.

L’Anglaise n’avait pas la moindre coquetterie ; elle répondit tout bonnement :

— Toi ou moi, peu importe ! c’est peut-être toi et moi ! On assure que les officiers français sont friands de con­quêtes !

Elvire laissa tomber l’entretien ; à ce moment, elles furent rejointes par Bergemont aîné et Jean-Louis Vernal. On les voyait fréquemment ensemble, depuis la fatale soirée de la demande en mariage ; Tristan Bergemont, moins casanier que son frère, fréquentait le Casino, écou­tant un concert, ou perdait son argent au Cercle, et paraissait goûter l’amitié de Vernal, qui le lui rendait bien.

— Eh bien, la représentation vous a-t-elle satisfaites, mesdames ? interrogea le peintre.

Elvire répondit par quelques mots distraits. Son esprit était ailleurs ; dès qu’elle apercevait Jean-Louis — c’est-à-dire une vingtaine de fois par jour, comme le veut la familiarité des plages — elle se le représentait courant loin de Pourville à un rendez-vous de nuit. Mais elle s’était bien gardée de lui communiquer ses appréhensions et avait fait promettre à Flossie d’imiter sa réserve.

Si la jeune fille n’était point prodigue de réflexions tou­chant la représentation qui venait de finir, Flossie, elle, ne négligea pas d’en faire la critique. Moins de la pièce, à vrai dire, que de l’interprète, célèbre sociétaire de la Comédie-Française.

— Je ne parviens pas, déclarait-elle à Tristan, dont elle appréciait l’humeur fantasque, à comprendre pourquoi, chez vous, les vieilles actrices veulent absolument jouer des rôles de jeunes personnes !

Tristan Bergemont, d’un air dogmatique :

— Cela fait partie des traditions nationales.

— Qu’est-ce que ça signifie ?

— En France, ma chère Flossie, nous sommes habitués à certaines choses insupportables, qui nous manqueraient si nous en étions tout à coup privés. Exemple : les lenteurs administratives, les bureaux de postes mal tenus, les actrices très âgées dans des rôles juvéniles.

— Mais c’est absurde !… Sans compter que le spectateur éprouve devant cette anomalie théâtrale une impression désagréable, presque choquante !

Avec le plus grand sérieux, Bergemont aîné arti­cula :

— Ça dépend des goûts. En général, on vénère la beauté des ruines !

Flossie allait houspiller ce plaisantin d’oncle Tristan, lorsque la réapparition de l’officier sollicita derechef son intérêt. Bien pris dans son uniforme sombre, cet officier, décidément curieux, passa lentement et ne manqua pas de considérer tour à tour la tante et la nièce, l’une et l’autre fort jolies et si différentes. Plus émotive que la flegmatique Anglaise, Elvire murmura :

— Cela tourne à la poursuite ! Il faut croire que nous intriguons ce monsieur !

Brièvement elle instruisit Vernal et son oncle de l’obstination de l’officier. Le peintre se contenta de témoigner une surprise modérée ; quant à Tristan, il prononça d’un ton quelque peu malicieux :

— C’est un capitaine aviateur !

— Vraiment ! exclama Elvire saisie.

— Dame ! il en porte les insignes ! C’est bien la peine d’avoir, comme toi, un père entiché d’aviation, pour ne pas remarquer…

Mais Elvire l’interrompit :

— Je ne m’étonne plus de cette contemplation ! Il nous connaît, cet officier, il a entendu parler de nous, il doit savoir que je suis la Dulcinée d’un moderne Don Qui­chotte… Ah ! c’est vraiment flatteur !

— Allons, ne t’énerve pas ! dit Flossie.

— Je ne m’énerve nullement, riposta la jeune fille qui, en réalité, ne contenait plus son agitation, je constate simplement que je suis devenue un objet de risée. Cet officier a voulu me voir de près, il a entendu parler de moi par ses camarades, par celui qui s’acharne à troubler ma vie. Peut-être même est-ce lui, le mystificateur !

— Tu es folle ! s’écria son oncle, vas-tu t’imaginer main­tenant, chaque fois que tu rencontreras un aviateur…

— Mais je n’en rencontre jamais ! Celui-ci est le premier… Et tu admettras bien que sa façon d’agir est signi­ficative ! Qu’en pensez-vous, Jean-Louis ?

L’interpellé répliqua sans s’émouvoir :

— Chère mademoiselle, les éléments dont vous disposez sont bien faibles pour justifier…

— Je ne suis pas de votre avis, coupa la jeune fille, et j’ai foi dans mon pressentiment. Je mettrais ma main au feu que l’officier attaché à mes pas est renseigné sur mon compte, qu’il est mêlé de près ou de loin au complot. Au fait, Jean-Louis, vous pourriez très bien vous présenter à lui et le questionner !

Cette proposition parut décontenancer Vernal qui, aussitôt, tenta de l’éluder :

— Je ne vois pas que ce soit réalisable. Il y a là quelque chose de très délicat et qui risque de froisser mon interlo­cuteur !

— Pas du tout ! rétorqua Elvire, car, on le sait, elle n’abandonnait pas facilement ses idées, rien ne s’oppose à ce que, très courtoisement, vous procédiez à une petite enquête !

— Ma chère Elvire, vous oubliez, dit Jean-Louis, que je ne suis pas autorisé à faire une telle démarche. Je ne suis ni votre parent, ni, hélas ! votre fiancé officiel… En outre, si ce capitaine, chose possible, n’est au courant de rien en ce qui vous concerne, mieux vaut ne pas augmenter le nombre des railleurs.

— Dans le doute, abstiens-toi ! ajouta Bergemont aîné.

Visiblement, Elvire ne trouvait pas à son goût l’absten­tion de Jean-Louis. Elle se rabattit sur Tristan.

— Alors, vous, mon oncle, vous qui avez qualité pour intervenir…

— Tu me la bailles belle ! fit-il, on n’a jamais qualité pour commettre une gaffe ! Et c’est à quoi tu m’engages, ni plus ni moins ! Cet officier aviateur, auprès de qui tu veux me déléguer, songe qu’il est animé de l’esprit de corps et, pour rien au monde, ne consentirait à partager tes critiques à l’égard d’un des siens. Il représente à lui seul toute l’aviation, ma chère enfant… Il peut dire, comme le personnage de tragédie :

Rome n’est plus dans Rome, elle est toute où je suis !

— Je constate, résuma Elvire, très mécontente, que chacun trouve à point nommé des raisons capitales pour rester à l’écart. C’est bien, j’agirai sans le secours de per­sonne !

— Elvire, permets-moi de te répéter… commença l’oncle Tristan.

Mais elle ne l’écoutait plus.

— Ou plutôt, poursuivit-elle, avec le secours de Flossie qui, je le suppose, ne me le refusera pas.

— Ça dépend de ce que tu as l’intention de faire, dit l’Anglaise prudemment.

— Nous allons aborder poliment ce capitaine aviateur et lui demander quelques éclaircissements sur les faits dont j’ai à me plaindre. Après tout, il n’y a là rien de paradoxal… C’est une question de formes !

— Elvire, tu vas au-devant des réflexions désagréables ! affirma Bergemont aîné.

Cependant que Jean-Louis prononçait avec toute la persuasion dont il était capable :

— Renoncez à ce dessein, Elvire, il est indigne de vous !

Vains efforts. Elvire les quittait déjà pour se diriger vers l’officier. Flossie hésitait à la suivre, mais Jean-Louis réellement agacé, ajouta !

— Tâchez de la raisonner, retenez-la :

Flossie n’en eut pas le temps. À peine sa nièce avait-elle fait quelques pas dans le hall que l’officier aviateur repa­raissait, se disposant à passer de nouveau devant le groupe où se trouvait Elvire. La rencontre inopinée de cette dernière suspendit son élan ; il s’arrêta court et son regard, après avoir effleuré la jeune fille, se posait sur Flossie, lorsque Elvire, armée de son sourire le plus séduisant, lui adressa la parole :

— Voulez-vous me permettre, monsieur, dit-elle, de lier conversation avec vous, bien que je n’aie pas le plaisir de vous connaître ?

Le capitaine, contre toute attente, ne parut pas interdit. Tête nue devant la jeune fille qui revêtait son énervement d’une bonne grâce achevée, il repartit :

— Je me considère comme très honoré, croyez-le made­moiselle !

— Quand je dis que je ne vous connais pas, je me trompe peut-être, reprit Elvire.

— Ah ! j’aurais eu déjà la faveur de vous approcher ?

— Je suis Mlle Bergemont !

L’officier, fronçant les sourcils, sembla chercher au fond de sa mémoire.

Mlle Bergemont, répéta-t-il… Mon Dieu, je suis inexcusable, mais je ne me souviens pas !

Mlle Bergemont, villa Cypris, à Pourville ! insista Elvire.

Ces précisions n’amenèrent d’autre résultat que d’accroître l’incertitude du capitaine. Alors, Elvire débita d’un trait ;

— Monsieur, tout le monde à Pourville peut vous dire que j’ai eu le malheur d’intéresser un aviateur et que, deux et trois fois chaque semaine, l’avion qu’il conduit tourne autour de ma maison et s’arrange pour laisser, dans ses environs immédiats, de brûlantes missives dont je suis, en toutes lettres, la destinataire. Je n’ai pas besoin de vous dire que cette tyrannie m’est odieuse, que je donnerais beaucoup pour en être délivrée. Or vous êtes, monsieur, officier aviateur… Vous est-il possible de me donner un espoir de libération ?

En parlant ainsi, elle le regardait bien en face. Mais elle ne put rien lire sur la physionomie de l’officier, hormis un étonnement sincère.

— Voilà qui est tout à fait curieux, fit-il, et ses yeux détaillaient bien plus le visage de Flossie que celui d’Elvire ; un aviateur … Mais montant quelle sorte d’avion ?

— Ah ! vous nous en demandez trop ! dit Flossie, qu’Elvire s’empressa de nommer :

— Miss Flossie Standhill, ma tante !

— Capitaine Henri de Jarcé, chef d’escadrille attaché au ministère de la Guerre, déclina-t-il à son tour. Il serait précieux de savoir justement si ce visiteur falot est un aviateur civil, propriétaire d’un appareil et naviguant à sa guise, ou bien s’il est militaire, ce qui me semble improbable.

— N’y a-t-il pas, interrogea Flossie, un camp d’aviation près de Pourville.

— Si fait, le camp de Buchy, créé tout récemment. C’est là que je suis en mission d’inspection…

— Et vous n’avez jamais entendu parler… prononça Elvire.

— Je peux vous certifier que, parmi les aviateurs que j’ai sous mes ordres, aucun ne se permettrait pareille fan­taisie ; l’usage des avions est sévèrement contrôlé, chez nous… Non, non, plus j’y réfléchis, plus j’ai tendance à croire que vos investigations doivent s’orienter vers les aviateurs amateurs… Et je ne saurais dissimuler que la recherche est des plus ardues !

— Pourquoi ? interrogea Flossie.

— Parce que, miss Standhill, il en est de l’avion comme de l’auto. Un propriétaire est libre de s’élever de chez lui et d’y atterrir, pourvu que son jardin ou son parc soit assez spacieux pour le lui permettre. Mais comment savoir d’où il vient, où il va, sans lui donner la chasse ?

— Eh bien, qu’à cela ne tienne ! n’accepteriez-vous pas de vous en occuper ?

Cette suggestion de Flossie amusa beaucoup le capi­taine. Il répliqua :

— Nous ne sommes pas exactement les policiers de l’air, nous avons des travaux plus importants. Croyez-moi, cette enquête est bien difficile. The best, Miss Standhill, is to trust to luck !

Oh ! you speak English ! s’exclama Flossie.

Et l’entretien de continuer en anglais, qu’Elvire com­prenait assez bien, mais parlait fort mal. Du reste, elle avait l’impression que la jolie Anglaise exerçait sur M. de Jarcé plus d’attraction qu’elle-même.

S’apercevant tout à coup que l’usage d’une langue étrangère isolait Mlle Bergemont, le capitaine s’empressa de revenir au français :

Je suis au regret, mademoiselle, dit-il à Elvire, de ne pouvoir vous être utile, mais je ne m’en félicite pas moins d’avoir échangé quelques mots avec vous. Et dans le cas où vous seriez curieuses, vous et Miss Standhill, de visiter le camp de Buchy, je serais enchanté d’y être votre cicerone.

— Merci, monsieur, mais je n’ose vous promettre…

Flossie, elle, n’hésita pas :

— Pour ma part, j’accepte ! C’est à deux pas, Buchy, en auto !

— Seulement, je vous signale, reprit M. de Jarcé, que toute cette semaine, je serai de service pour les vols de nuit. Mieux vaudrait donc attendre la semaine pro­chaine !

Flossie ne répondit que par un mouvement de tête et un sourire, tandis qu’il s’inclinait pour prendre congé !