L’Aviation militaire/Note n°8

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Berger-Levrault (p. 87-95).

NOTE No 8

PROJET D’ORGANISATION DE L’ARMÉE AVIATRICE


Grades et cadres

Une première question se présente à l’esprit : Comment sera organisée l’armée aviatrice ? Doit-on l’assimiler aux armées de mer ou aux armées de terre ? À première vue on inclinerait à la rapprocher de la marine ; après réflexion, on trouve préférable et plus commode de se servir, le plus possible, des termes pratiqués dans l’armée de terre, en en conservant quelques-uns venant de la marine. Ainsi, nous dirons : une compagnie, un bataillon, une légion, une division, une armée régionale, une armée nationale.


Les légions

La compagnie sera l’unité, soit comme commandement, soit pour combattre. Elle aura à sa tête un capitaine, lequel tiendra sous ses ordres un lieutenant, un sous-lieutenant et des sous-officiers. Elle se composera de dix à vingt avions, selon la gravité des circonstances. Chaque avion portera son numéro d’ordre, celui de sa compagnie, de son bataillon et de sa légion ; la teinte de sa voilure devra être identique à la couleur uniforme de la légion ; son grade sera le même que celui de l’officier qui le commandera ; il sera marqué par des bandes galonnées de façon très apparente. Exceptionnellement, on pourra faire rentrer dans les compagnies, des éclaireurs, des torpilleurs et des avions de ligne, si elles sont isolées ou en détachement ; mais, à part ce cas, elles devront être formées, exclusivement, par l’un de ces trois types, selon l’arme spéciale de la légion à laquelle la compagnie appartiendra.

Le bataillon, confié à un commandant, secondé par un adjudant, comprendra quatre ou cinq compagnies. Les avions qui porteront ces deux officiers supérieurs, porteront aussi les insignes de leur grade, en larges bandes galonnées, ainsi que le numéro du bataillon, très visiblement.

La légion réunira cinq bataillons ; elle aura pour chef un officier général, dont le grade se dénommera par général légionnaire, aidé dans ses fonctions par un adjudant-major, même deux, si les compagnies et les bataillons sont au complet. Chaque légion aviatrice devra donc être forte de deux cent cinquante avions, ou de cinq cents grand effectif ; ses subsistances et toutes ses ressources dépendront d’une administration qui lui sera particulière, tel que cela se pratique dans un régiment. En temps de paix, elle sera logée et retranchée dans une aire qui sera la sienne et qui portera son nom.

Les légions étant appelées à jouer de grands rôles dans les combats, il en faudra de plusieurs armes :

Premièrement, ce sera des légions d’avions mixtes, éclaireurs-torpilleurs, qui tiendront de l’un et de l’autre de ces deux types, et que nous avons déjà nommés avions de ligne ; ils appartiendront à une seule classe, afin d’obtenir d’eux le plus d’uniformité possible dans les vitesses. La majeure partie des légions appartiendra à cette arme.

Deuxièmement, il y aura des légions de torpilleurs, qu’on organisera de manière à avoir : un bataillon ou deux comprenant des avions torpilleurs de 1re classe ; d’autres bataillons auront des torpilleurs de 2e classe ; le dernier bataillon pourra être composé d’avions de 3e classe. En outre, quelques légions seront entièrement constituées avec l’un de ces trois types.

Troisièmement, on organisera plusieurs légions d’éclaireurs, dont certains bataillons seront formés avec des avions chargeant, au maximum, 500 kilos ; et quelques autres avec des éclaireurs légers chargeant 250 kilos seulement. Ces légions devront fournir des avions, en détachement, aux autres légions combattantes, de ligne et de torpilleurs, pour le service de leurs renseignements. C’est à ces légions d’éclaireurs qu’on demandera, encore, des courriers signaleurs, des porteurs d’ordres, allant d’aire en aire, d’une légion à l’autre et reliant les armées.


La division

Avec quelques-unes des légions, telles que nous venons de les concevoir, nous allons former une division. Son effectif pourra être de :

4 légions complètes de ligne
2.000 avions
2 légions de torpilleurs de 1re, 2e et 3e classe
600 avions
1 bataillon d’éclaireurs
100 avions
Total
2.700 avions

Son chef sera un général divisionnaire, entouré d’un petit état-major. La division équivaudra à une petite armée pouvant, à la rigueur, opérer seule. Elle ne s’étendra pas loin durant la paix ; elle se mobilisera pendant la guerre pour s’envoler, là où le commandement général l’appellera. Cette division sera atterrie dans un groupe de grandes aires disposées en quadrilatère ; les quatre légions de ligne aux angles et les deux légions de torpilleurs au centre dans deux aires distinctes ou sur une seule plus grande ; les éclaireurs devront être répartis dans ces six légions, au service et aux ordres de leurs chefs. Des divisons semblables en nombre suffisant circonscriront Paris ; d’autres seront établies en province sur tous les points stratégiques.


L’armée régionale

Le grand chef de cette armée portera le nom de général régional. Le titulaire de ce commandement assumera de grandes responsabilités et, pour cette raison, on lui adjoindra un sérieux état-major. L’importance de cette force aviatrice variera entre deux, trois, quatre ou cinq divisions et se chiffrera donc, dans ces cas extrêmes, par 5.400 et 13.500 avions environ, ou par un nombre intermédiaire, s’il ne s’agit de réunir que trois ou quatre divisions.

Ces armées aviatrices régionales, très puissantes, maîtriseront chacune une contrée de notre territoire, par exemple : Orléans, Bordeaux, Lyon, Toulouse, Marseille, etc. Mais le Nord, l’Ouest et l’Est de la France en verront atterrir un plus grand nombre. Paris, surtout, en retiendra deux pour sa défense ; installées, au grand complet, à Satory et à Vincennes. Ensuite, partout en France, et principalement dans les parages exposés à être attaqués à l’improviste, les divisions seront désignées longtemps à l’avance pour qu’elles sachent à quelle armée régionale elles appartiennent, afin que, en cas de mobilisation, la concentration soit instantanée. L’expression paraîtra peut-être excessive, mais elle répond bien à la nécessité de rapidité, dont ont besoin les évolutions aériennes, et laquelle, dans l’Est, sera la condition capitale du succès.


L’armée nationale

Le commandement suprême en serait donné à généralissime dont le titre serait : grand général, relevant directement du ministre de l’aviation.

Disons de suite que ces armées ne seraient rassemblées que pour secourir et sauver des situations graves, comme l’attaque de Paris ; ou bien, pour refouler une invasion, ou l’empêcher de se produire. Leur effectif serait imposant, il engloberait sans doute trois ou quatre armées régionales.

Ces grandes armées nationales, non apparentes pendant la paix, n’en subsisteraient pas moins à l’état latent par leurs éléments dispersés, qui se trouveraient dans les armées divisionnaires et régionales, et qu’il deviendrait possible de réunir, promptement, sur de grandes aires de campement au moment du danger.

Le génie aviateur, les aires

Les aires, ainsi que nous le savons déjà, offriront aux aviateurs et aux avions le refuge, la subsistance, les ravitaillements en munitions, etc. Leur importance, très variable selon les positions qu’elles occuperont, changera encore davantage d’après la catégorie à laquelle elles appartiendront. En ce qui concerne les grades, il n’y a aucun motif pour changer leur appellation et nous conserverons la même qui sert actuellement pour désigner les officiers du génie. Nous établirons quatre classes dans chaque catégorie d’aires, dont voici également les chefs.

Hors classement

Satory : un général ;

Vincennes : un général.

Aires permanentes fortifiées

1re classe : un colonel ;

2e classe : un lieutenant-colonel ;

3e classe : un commandant ;

4e classe : un capitaine.

Aires de campement

1re classe : un lieutenant-colonel ;

2e classe : un commandant ;

3e classe : un capitaine ;

4e classe : un capitaine en second.

Aires mobiles
1re classe. un commandant ;
2e classe.
3e classe. un capitaine.
4e classe.

Les sous-officiers et les sapeurs se trouveront en nombre suffisant pour assurer le service général, l’entretien du sol des aires et exécuter les travaux d’installation ainsi que les ouvrages fortifiés, s’il y a lieu.

Les commandants de toutes ces aires obéiront aux ordres de généraux du génie.

En définitive, ce service se trouvera très étendu et, par plusieurs côtés, ressemblera beaucoup à celui des fortifications ordinaires.


Artillerie verticale. Défense terrestre
contre les avions ennemis

De même que pour les aires, le génie aviateur construira et entretiendra les ouvrages fortifiés des positions occupées par l’artillerie verticale. Pour ce qui concerne les chefs de cette arme spéciale, on pourra très bien les désigner par les mêmes grades usités dans l’artillerie ordinaire.

Forcément, les batteries de cette artillerie seront très disséminées, quoique appartenant à un même régiment ; elles seront détachées, quelquefois, pour aller protéger ou barrer les voies aériennes, le plus souvent autour des aires fortifiées, et toujours sur les sommets des coteaux voisins des places fortes.

À Satory, on mettra un régiment entier commandé par son colonel, à Vincennes, un autre ; sûrement, deux ou trois en ceinture, sur les hauteurs environnant Paris. Le tout, sous le commandement d’un général d’artillerie verticale.

Le long de la frontière de l’Est, trois ou quatre généraux seront désignés, avec leurs régiments, pour la défendre contre les avions ennemis ; bien que, dans les parages de Metz, il doive y avoir encore un général de division spécial avec ses brigadiers et ses régiments verticaux. Dans l’Ouest, une organisation semblable sera nécessaire sur les côtes de la Manche et, depuis là, vers Paris, sous les ordres d’un général de division.

Nous voyons par ce court aperçu l’importance de l’artillerie verticale ; il la faudra très perfectionnée et puissante.

Aviateurs et avions marins

Sur chaque navire porte-avions, on instituera deux commandements distincts : premièrement, un capitaine de marine sera chargé de la conduite du navire, auquel obéira, par conséquent, tout l’équipage affecté à la navigation ; il sera responsable du matériel et du maintient de la discipline à bord. Il mouillera ou évoluera d’après les ordres de son chef d’escadre, recevra ou enverra les signaux maritimes. Il sera le chef de l’artillerie de son vaisseau, s’il y en a. Mais principalement, au mouillage, durant le combat et pendant les manœuvres aviatrices, il se trouvera obligé de tenir le navire constamment dans la position de vent debout.

Deuxièmement, un capitaine aviateur aura sous ses ordres des lieutenants et des sous-officiers, tous les aviateurs du bord, ainsi que les aides pour les manœuvres des avions sur le navire ; il dirigera aussi les ateliers d’avionnerie où se feront les réparations des avaries survenues aux avions. Il disposera, tout particulièrement, d’une partie des soutes pour loger les munitions aériennes. Dans les magasins, ou remisages, il aura dix avions torpilleurs, quelquefois davantage, même le double, selon la grandeur du vaisseau, complétés par deux ou trois éclaireurs. Pendant le combat et les manœuvres aviatrices, il sera le maître sur l’aire-pont ; il donnera le signal des envolements et des atterrissages, ou plutôt des abordages, d’après les ordres qu’il aura reçus, lui-même, de son supérieur, commandant ou général aviateur ; pour toutes ces raisons, il prendra en charge le service des signaux aériens.


Services divers

En premier lieu, on peut noter l’intendance, organisée à peu près comme dans toutes les armées. Mais, sans conteste, le service des voies aériennes, qui comprendra celui de la topo-météorologie, prendra une place très importante ; il nécessitera des fonctions très savantes et ses fonctionnaires seront choisis parmi les ingénieurs et les savants les plus méritants. L’enseignement, dans les écoles d’aviation et d’avionnerie, sera confié à des professeurs qui, eux-mêmes au préalable, auront complété leur instruction par la connaissance approfondie de la nouvelle science de l’aviation.

En général, tout ce qui concerne les administrations des services mentionnées dans les notes, constituera des divisions à part, relevant des bureaux du ministère de l’aviation militaire.


Ministère de l’aviation militaire

Il faudra bien relier, par un lien solide et de haute autorité, tous ces services épars qui convergent tous vers le même but, la défense nationale. Et pour cela nous créerons le Ministère de l’Aviation militaire. Ainsi que cela se fait pour d’autres ministères, nous le composerons de directions :

Première direction. − Construction. Arsenaux. Munitions. Ateliers d’avionnerie, etc.

Deuxième direction. — Personnel aviateur. Avions et leurs accessoires. Matériel de guerre. Avions marins.

Troisième direction. — Génie. Fortifications. Aires. Transports du matériel des aires et des munitions aériennes, etc.

Quatrième direction. — Artillerie verticale et tout ce qui la concerne : matériel, projectiles, munitions générales, etc.

Cinquième direction. — Intendance. Voies aériennes. Enseignement. Écoles d’aviation et d’avionnerie. Administrations diverses.