L’Azur du ciel

La bibliothèque libre.
L’Azur du ciel
Revue des Deux Mondes5e période, tome 20 (p. 217-228).
REVUE SCIENTIFIQUE

L’AZUR DU CIEL

Le ciel est, au même titre que la terre, un objet d’étude pour les physiciens. Dans cet azur immobile et dormant qui s’étend au-delà de la sphère des nues et que les âmes méditatives interrogent avec angoisse sur le mystère des cosmogonies et des religions, eux n’aperçoivent qu’un simple phénomène naturel. Leur esprit positif, réaliste et méthodique, poursuit patiemment la solution d’un problème précis que les poètes et les philosophes trouveraient infiniment humble. Qu’est-ce que l’azur céleste ? se demandent-ils ; autrement dit, qu’est-ce que le ciel ? Quel en est le lieu ? quelles en sont les limites, quelle en est la substance, quelle en est la nature ?

Les esprits simples de tous les temps ont pu croire, comme jadis les bergers de la Chaldée, à l’existence réelle d’un dôme azuré suspendu au-dessus de nos têtes et sur lequel les étoiles seraient fixées comme autant de clous d’or. Cette voûte de bleu cristal était pour ces imaginations élémentaires le véritable support, l’appui matériel, en un mot le firmament des corps célestes. Cette illusion grossière n’est plus de mise. La sphère céleste n’est qu’un leurre. Au-delà des limites de notre atmosphère, il n’y a rien que le vide barométrique[1], l’espace interplanétaire ou intersidéral, l’espace indéfini, immatériel, éthéré, insaisissable à nos sens, sillonné seulement par les orbites des planètes et les trajectoires des soleils. Dans ce vide apparent, où est le ciel ? Comment se révèle-t-il à nos sens ?

Il se révèle par sa luminosité et par sa couleur. Le ciel est lumineux et il est bleu : c’est ce qui le définit. Il est l’objet réel de l’espace qui possède cet éclairement diffus et cette coloration. Il en offre d’ailleurs toutes les nuances, depuis le bleu sombre du saphir, jusqu’au bleu clair de la turquoise. Toutes les variétés de bleu : l’azur héraldique, symbole de la justice dans le langage du blason, le bleu de roi, l’outremer, l’indigo, toutes ces teintes se retrouvent dans le ciel. Les poussières et les brouillards, ceux surtout à gros grains et à gouttes volumineuses qui flottent dans l’air au voisinage du sol en modifient la teinte et la lavent de blanc, et quelquefois de jaune et même de rouge. Le ciel est d’un bleu plus intense au zénith qu’à l’horizon. Il est plus sombre après une pluie abondante qui a abattu les gouttelettes d’eau et les particules solides les plus grossières. Sa coloration, enfin, est d’autant plus foncée qu’on l’observe d’une station plus haute, en pays de montagnes.

On conçoit sans plus amples explications, que les nuances du bleu du ciel sont étroitement liées aux conditions de l’atmosphère et particulièrement à la présence, plus ou moins abondante, de l’eau en suspension. De là, chez les météorologistes le désir d’apprécier les degrés de coloration du ciel et de les composer exactement dans les différens momens et dans les différens lieux. Déjà, en 1796, le physicien genevois H. -B. de Saussure avait imaginé, pour identifier ces diverses teintes, un appareil, le cyanomètre, qui offrait une gamme de cinquante et une nuances échelonnées suivant leur richesse croissante en bleu. C’est d’une station du Mont-Blanc que ce savant observa la teinte de ciel la plus sombre qui se soit offerte à lui : elle correspondait au bleu de roi foncé Cette tentative de mesure était prématurée. L’utilisation des documens ainsi obtenus exigerait que l’on connût mieux préalablement la signification du phénomène.

Depuis plus d’un siècle les physiciens se sont appliqués à cette tâche. Où siège la couleur bleue du ciel ? D’où émane-t-elle ? Quelles circonstances la modifient ? Ce sont là autant de questions malaisées à éclaircir. Les phénomènes les plus subtils de l’optique physique s’y trouvent impliqués. On y voit intervenir la diffusion lumineuse dans les gaz, la diffraction dans les milieux troubles, la réflexion spéculaire, et d’autres notions aussi délicates.

Il ne faut donc pas s’étonner de trouver, parmi les savans qui se sont attaqués à ce sujet de l’origine du bleu du ciel, les noms des physiciens les plus illustres. Arago, en 1811, reconnaît que la lumière du ciel bleu est partiellement polarisée, ce qui revient à dire que les particules qui l’envoient à notre œil ne l’engendrent point elles-mêmes, qu’elles la reçoivent d’une source étrangère qui, en fait, est le soleil. — Brewster soutient, en 1842, que la réflexion des rayons du soleil sur les molécules des gaz atmosphériques peut engendrer la coloration bleue. Lord Rayleigh, en 1899, adopte cette vue, la développe et en fait la théorie la dernière en date et la plus en faveur. Celle-ci avait été précédée d’une autre du même auteur — Lord Rayleigh, alors W Strutt, avait proposé sa première théorie en 1871 : c’était une application des idées émises, vingt ans auparavant, par Stokes sur la diffraction par les corps pulvérulens, et elle faisait jouer aux poussières en suspension le rôle que l’éminent physicien attribue aujourd’hui aux molécules gazeuses. — Clausius, en 1848, s’était aussi occupé du phénomène. Il l’attribuait à la réflexion des rayons solaires sur l’enveloppe des vésicules d’eau hypothétiques que l’on croyait exister dans l’atmosphère. — Il faut accorder une mention à part aux belles expériences de Tyndall qui, en 1868, réussit à reproduire artificiellement le phénomène naturel. — A. Cornu, en 1879 et en 1884, envisage l’un des côtés du problème. — Hautefeuille et Chapuis, en 1880, attribuent le bleu céleste à la couleur du gaz ozone contenu dans l’atmosphère. — Il faudrait citer beaucoup de noms, si l’on voulait épuiser la liste des physiciens que cette question a passionnés. Mais, en définitive, il n’y en a que deux, Tyndall et lord Rayleigh dont l’œuvre soit essentielle. Il faut nommer, aussi, M. Sagnac, professeur à la Faculté de Lille, qui a repris récemment la dernière explication de lord Rayleigh et dont le travail nous fournit l’occasion de cette étude.


I

La première question à décider est la question de lieu. Où commence et où finit le ciel ? en entendant par ce mot la masse bleue, et éclairante, qui nous donne l’impression d’un dôme suspendu sur nos têtes. La profondeur de cette voûte, à première vue, nous paraît infinie : notre illusion la prolonge sans mesure et ne lui assigne pas d’autres limites qu’à l’espace lui-même.

Dans la réalité, le ciel lumineux et azuré ne dépasse point l’étendue de, notre atmosphère ; il finit avec elle. Au-delà c’est un gouffre noir. Si un impossible aérostat venait à nous transporter aux confina de l’enveloppe gazeuse de notre globe, nous ne verrions plus le ciel bleu. Nous aurions, en permanence, au-dessus de nos têtes, un dais de ténèbres. La nuit, ce sombre voile serait percé de points brillans, les étoiles. Le jour, nous y verrions se détacher crûment le globe du soleil ; et celui-ci aurait l’aspect d’un disque violet, d’après le physicien américain Langley. Les rayons du soleil qui n’arriveraient pas directement à notre œil seraient pour nous comme non avenus. Ils ne peuvent, en effet, susciter, dans le vide ambiant aucune illumination diffuse. L’espace interplanétaire et intersidéral est une cave ; c’est une immense chambre noire, traversée par les faisceaux lumineux émanés du soleil et des étoiles, d’une manière silencieuse et secrète, puisqu’il n’y existe point de poussières en suspension susceptibles, par leur éclairement, de nous en révéler le sillage.

La situation est bien différente à la surface de la terre où nous vivons. Nous sommes en quelque sorte enveloppés d’un bain de lumière ; elle est blanche à notre horizon et bleue au-dessus de nos têtes. Elle est due à notre atmosphère gazeuse, poussiéreuse et brumeuse, que les rayons du soleil illuminent dans toute son épaisseur pendant le jour, dans ses couches supérieures seulement pendant l’aube et le crépuscule. Dans les nuits sans lune, c’est-à-dire où manquent à la fois les rayons directs et réfléchis du soleil, tout disparait, lumière blanche et lumière bleue ; tout est noir autour de nous et au-dessus de nous ; et l’obscurité serait absolue si les rayons des étoiles, pâles substituts des rayons solaires, ne provoquaient un certain degré de diffusion analogue. Il n’en serait pas ainsi si le bleu du ciel avait une origine extérieure à notre planète ; il ne subirait point d’extinction nocturne.

Il est donc bien certain que le ciel azuré est contenu dans les limites de notre atmosphère terrestre. Sa profondeur extrême est la hauteur même de celle-ci, c’est-à-dire relativement faible. Gay-Lussac, Biot, Humboldt, lui assignaient une valeur de 43 à 45 kilomètres d’après les données fournies par la durée du crépuscule ; l’observation des étoiles filantes permet de reculer ses bornes à 200 kilomètres ; celle des aurores boréales les reporte à 800 ou 900 kilomètres. L’atmosphère ne peut, en tous cas, dépasser le point où la valeur de la force centrifuge deviendrait égale à la pesanteur, c’est-à-dire environ 35 000 kilomètres. C’est aussi la plus grande profondeur du ciel azuré.


C’est donc notre atmosphère seule qui forme le dôme azuré que notre imagination reculait dans les profondeurs de l’espace extra-terrestre. Nous le touchons presque. Alors même qu’il s’étendrait jusqu’aux dernières limites de l’enveloppe gazeuse du globe, ce ne serait encore qu’une mince pellicule par rapport à l’ampleur et à la profondeur que lui attribuait notre esprit abusé. Il faut nous demander maintenant si même il occupe toute cette étendue restreinte, ou seulement une partie : en d’autres termes, si c’est la totalité de l’atmosphère ou une fraction, une région déterminée, qui engendrent le bleu du ciel. La physique contemporaine répond qu’effectivement, ce n’en est qu’une partie, la plus haute, la plus excentrique, celle qui forme ce que l’on appelle les couches supérieures de l’écorce terrestre.

La démonstration de cette vérité exige une analyse attentive et méthodique. Nous allons la suivre, en prenant pour guide M. Sagnac.


II

Les rayons du soleil, après avoir pénétré dans l’atmosphère, y subissent deux espèces de vicissitudes. Les uns traversent ce milieu gazeux transparent sans arrêt, sans solution de continuité, et arrivent à l’œil sans accident : les autres, se heurtant obliquement aux corps en suspension, aux poussières, aux particules d’eau ou peut-être même aux molécules gazeuses, subissent des réflexions qui les renvoient dans des directions diverses ; et, par suite de cette dissémination, donnent naissance à la lumière diffuse. Théoriquement, un faisceau de lumière blanche qui a éprouvé l’une ou l’autre de ces aventures en peut sortir coloré, et, dans le cas qui nous occupe, coloré en bleu. Nous attribuons cette couleur au milieu qui, recevant la lumière blanche, nous la renvoie avec une autre teinte, et nous disons, suivant les cas, que le milieu est coloré par transparence ou par dissémination.

C’est la question que nous devons nous poser ici. Le ciel est-il bleu par transparence ou par dissémination, ou peut-être à la fois par transparence et par dissémination ?

La réponse est nette. La coloration bleue est due à la dissémination. La transparence n’a pas de rôle dans le phénomène, et nous en donnerons les preuves. Mais il faut tout aussitôt prévenir le lecteur que cette assertion va heurter son préjugé et peut-être aussi celui de beaucoup de chimistes et de physiciens.

La coloration par transparence ou transmission est, en effet, la seule qui paraisse applicable à l’air, corps transparent. Un vitrail où l’on a incorporé de l’oxyde de cobalt, un flacon où l’on a dissous du sulfate de cuivre, sont bleus par transparence : la lumière qui entre blanche d’un côté sort bleue de l’autre. Cela tient à ce que les autres composans du faisceau lumineux, les rayons rouges, les rayons orangés, les rayons jaunes sont restés en route : ils ont été absorbés plus ou moins complètement.

On est porté à croire, d’un premier mouvement, que le ciel, c’est-à-dire l’air atmosphérique, est bleu à la façon du vitrail ou du flacon dont nous venons de parler. Il semble naturel de supposer que l’atmosphère contient une substance bleue diluée dans la masse gazeuse comme l’oxyde de cobalt dans la substance du vitrail ou le sulfate de cuivre dans l’eau du flacon.


Quel est ce gaz, de couleur bleue sous grande épaisseur, qui serait contenu dans l’atmosphère ? Il y a quelque trente ans, on enseignait couramment que c’était l’air lui-même, en totalité. A la vérité, nous ne connaissons point de couleur à l’air ; et même, il passe pour le type des substances incolores. Mais cela peut tenir à ce que notre observation porte sur une épaisseur de gaz insuffisante. C’est ce qui arrive pour les feuilles de verre à vitres qui, examinées de champ, n’offrent pas la moindre teinte, tandis que vues par la tranche elles présentent une nuance verte très accusée.

L’air passait donc pour être bleu lorsqu’on le considère en grandes masses, bleu à la façon du verre de cobalt ou de la solution de sulfate de cuivre, c’est-à-dire par transmission ou transparence. — C’était là une erreur ; et l’on en peut fournir deux preuves, l’une savante due au physicien américain S. P. Langley, l’autre empruntée à l’observation vulgaire.

Commençons par celle-ci. Par les temps clairs on aperçoit k de grandes distances les sommets neigeux des montagnes. Des collines du Maçonnais, par exemple, on distingue nettement les glaciers du Mont-Blanc : on en voit la neige. Or, on la voit blanche et non pas bleue. Dira-t-on que l’épaisseur d’air interposée est bien moindre que celle de l’atmosphère et trop faible pour que la couleur en soit perceptible ? L’objection n’a pas de valeur, car ce n’est pas l’épaisseur qui importe, c’est la quantité de matière. Il peut y avoir autant d’air, et par conséquent autant de couleur, dans la colonne gazeuse qui sépare l’observateur du sommet montagneux que dans la colonne de plus en plus raréfiée qui le surplombe. Celle-ci lui donne l’impression de l’azur : si l’air était vraiment coloré, la neige devrait, elle aussi, paraître azurée.

La seconde réfutation de l’erreur relative à la prétendue couleur bleue de l’air résulte des études de G. Muller en 1882 et des expériences exécutées en 1884 par S. P. Langley au Mont Whitney, dans les Alleghanys. Ces physiciens ont reconnu que, parmi les rayons qui composent le faisceau de lumière blanche solaire, les violets et les bleus sont absorbés plus fortement que ceux de la partie opposée du spectre, c’est-à-dire les jaunes et les rouges. Le faisceau lumineux s’enrichit donc du côté du rouge, et s’appauvrit au contraire du côté du bleu, à mesure qu’il traverse une plus grande quantité d’air. Sous une épaisseur croissante, l’air est chaudement coloré. Ce n’est pas le bleu qui est sa couleur par transmission, mais plutôt le jaune ou le rouge. Le disque du soleil, qui est blanc lorsqu’on le voit de la surface de la terre, nous apparaîtrait teinté de violet si nous le regardions des limites de l’atmosphère.

Cet appauvrissement du faisceau lumineux en radiations bleues et violettes, par suite de l’absorption atmosphérique, se continue et s’exagère même pour les radiations situées au-delà des précédentes, dans l’ultra-violet. Les radiations de cette espèce, invisibles, mais décelées par leur activité photographique, diminuent dans le faisceau solaire à mesure que celui-ci approche du sol : la diminution est surtout frappante dans les couches les plus basses. La sensibilité des plaques s’exalte en montagne. A. Cornu s’est assuré qu’une différence d’altitude de 2 000 mètres avait une influence très appréciable sur le temps de pose.


L’atmosphère renferme pourtant un gaz qui est réellement bleu, c’est l’ozone. Sa présence dans l’air est fréquente, habituelle même, puisqu’il prend naissance toutes les fois que l’oxygène est traversé par des décharges électriques. C’est en 1880 que MM. Hautefeuille et Chapuis reconnurent la couleur bleue de l’ozone, et ils ne purent s’empêcher de lui attribuer un rôle dans la production du bleu céleste. C’est une erreur : l’ozone, qui est d’ailleurs en quantité minime, ne peut être identifié avec l’azur de l’atmosphère. Cornu a montré que le bleu du ciel et l’ozone se distinguent par diverses propriétés et, entre autres, par la diversité des radiations photogéniques qu’ils émettent.

L’idée, discréditée une première fois, a reparu sous une autre forme, il y a trois ou quatre ans, lorsque l’on a commencé à obtenir en abondance les gaz liquéfiés de l’air. Ceux-ci, fournissent, en effet, des liqueurs bleues remarquables. On peut, par exemple, préparer de l’ozone très concentré et le recevoir dans l’air liquide. La solution devient de plus en plus bleue. M. d’Arsonval a poussé la concentration jusqu’à obtenir une liqueur de coloration intense. L’oxygène fournit, au degré près, un résultat analogue. M. d’Arsonval n’est pas éloigné de croire, après MM. Hautefeuille et Chapuis. à l’intervention de l’oxygène ozonisé dans la production du bleu du ciel. Malgré les froids excessifs qui règnent dans les couches supérieures de l’atmosphère et les phénomènes électriques dont elles sont le théâtre, on ne voit pas clairement la manière dont s’y produirait cette intervention des gaz liquéfiés. En tout cas, l’hypothèse succombe sous les objections précédentes.

Il faut donc renoncer à l’idée que le bleu du ciel soit dû à quelque gaz, air, ozone, oxygène, possédant en propre la coloration bleue et qui colorerait par transmission la lumière blanche du soleil. A tous les argumens énumérés, à ceux de Langley, de Cornu et d’autres physiciens, il en faut joindre un dernier, très général. C’est qu’une coloration par transmission ne reproduirait en aucune façon l’aspect du ciel. L’œil n’aurait la sensation de bleu que dans la direction du faisceau solaire. Le ciel se réduirait à un disque d’azur dans un champ de ténèbres. L’illumination universelle du ciel véritable est nécessairement un phénomène de diffusion, de dissémination colorée.


III

Du faisceau lumineux qui tombe du soleil sur notre globe, la plupart des rayons traversent sans encombre l’atmosphère transparente : leur ensemble, d’après ce qui vient d’être dit, donne à l’œil une impression de jaune ou de rouge plutôt que de bleu. A côté de ces rayons directement transmis, il y en a un second groupe, qui se disséminent. On va voir que ce sont eux qui sont les générateurs du bleu. Ceux-là, heurtant quelque obstacle aérien, quelque particule solide, liquide ou peut-être simplement gazeuse, comme l’ont cru Brewster et lord Rayleigh, s’y réfléchissent et n’arrivent ensuite à l’œil qu’après avoir subi une ou plusieurs réflexions. Le heurt en question a pour effet de substituer la particule réfléchissante à la source solaire comme point de départ du rayon lumineux, d’en faire une véritable source lumineuse, et de nous la rendre visible grâce à cet éclat emprunté. Comme le phénomène se répète pour toutes les particules semblables du milieu, celui-ci est illuminé dans sa masse et devient perceptible à notre vue. C’est de cette façon que nous voyons tous les corps qui ne sont point parfaitement transparens. De même, nous voyons le ciel, c’est-à-dire l’atmosphère imparfaitement diaphane qui nous entoure, grâce à ce jeu de lumière sur les particules qui y sont en suspens. Habituellement, cette universelle dissémination de la lumière blanche incidente s’accompagne d’une coloration. Ici, pour des raisons qui vont être dites, la coloration est bleue. Le spectacle du ciel azuré résulte donc, en résumé, d’une diffusion colorée particulière des rayons du soleil par les particules de l’atmosphère.

Il est aisé de concevoir pourquoi la diffusion s’accompagne ainsi de coloration. Cette réflexion particulaire est, en somme, une opération peu altérante pour le faisceau lumineux incident. Elle ne crée pas de radiations nouvelles : elle ne supprime pas d’une manière absolue celles qui existent ; elle les atténue seulement, elle en affaiblit un peu l’intensité. Le rayon rouge est renvoyé comme rayon rouge atténué, le rayon jaune comme rayon jaune, le rayon bleu comme rayon bleu, tous un peu affaiblis. Analysé à l’entrée et à la sortie au moyen du prisme, le faisceau fournirait des spectres exactement superposables.

Il y a plus. Il arrive parfois que les rayons des diverses réfrangibilités, rouges, jaunes, verts, bleus, qui ne sont pas modifiés dans leur nature, ne le sont pas même dans leurs proportions ; qu’ils sont les uns et les autres affaiblis dans la même mesure ; et, par conséquent, qu’ils forment une lumière identique, à l’intensité près, à la lumière incidente. Dans ce cas, le corps diffusant éclairé par le soleil renvoie à l’œil de la lumière blanche. Il parait blanc. C’est le fait de tous les corps que nous voyons blancs ; et c’est là, évidemment, une particularité. Cet affaiblissement dans la même mesure exacte, pour des rayons dont la vitesse de vibration et l’intensité sont si diverses, doit être exceptionnel ou rare, ou tout au moins pas universel. La lumière émergente est le plus souvent formée dans d’autres proportions que l’incidente, et le corps diffusant est alors coloré : il est rouge, il est vert, il est bleu, suivant qu’il renvoie de préférence, c’est-à-dire plus abondamment, les rayons rouges ou verts ou bleus.

C’est le cas de l’atmosphère. Les particules solides, liquides ou gazeuses de l’air, au-dessus de nos têtes, renvoient une plus forte proportion de rayons bleus que de rayons verts, jaunes ou rouges. Le ciel nous parait bleu. Le bleu du ciel est un fait de diffusion élective des rayons du soleil.

Si l’on reçoit sur un prisme la lumière du ciel bleu, on observe un spectre plus pâle que celui du soleil, mais exactement pareil : les couleurs se correspondent exactement ; les bandes sont à la même place ; les raies se superposent. C’est là le caractère de la diffusion simple. Les physiciens connaissent d’autres espèces de diffusion lumineuse, de dissémination lumineuse ; de luminescence. Elles diffèrent précisément de celle que nous venons d’examiner en ce que le corps rendu lumineux par la source solaire ne renvoie pas une lumière de même composition. La lumière reçue et la lumière émise par le corps ont des spectres qui ne sont plus comparables, où certaines couleurs font défaut, où les bandes ne se correspondent plus. C’est le cas pour les corps que la lumière solaire rend fluorescens ou phosphorescens. Les huiles de pétrole sont luminescentes de cette façon. Elles renvoient par leur couche la plus superficielle une lumière bleuâtre. Ce sont les rayons ultra-violets, invisibles, qui sont diffusés : mais ils sont en même temps altérés, transposés, changés en rayons bleus. Le reste du faisceau traverse sans encombre, sans changement ; et, par suite, la masse du liquide, à l’exception de cette écorce bleuâtre, est incolore par transmission.

Ne pourrait-il pas en être de même pour le bleu céleste ? Les couches supérieures de l’atmosphère ne pourraient-elles pas se comporter comme les couches superficielles de l’huile de pétrole et émettre une sorte de luminescence bleuâtre qui serait la voûte azurée ? Non : cette hypothèse est controuvée. L’identité des spectres tranche la question. Le bleu du ciel est bien dû, tout entier, à une simple diffusion.


IV

Quelle est la cause de la diffusion bleue ? Nous l’avons préjugée déjà : nous avons dit que c’est la présence dans l’air de très petites particules, solides, liquides ou gazeuses. La preuve en a été fournie par les expériences classiques de Tyndall. Toutes les fois que des particules très ténues sont en suspension dans un milieu transparent, le passage de la lumière y fait apparaître un nuage bleu. La nature du milieu et celle des particules importent peu. Il suffit que ces dernières soient assez petites, qu’elles soient à peine visibles au microscope, c’est-à-dire que leur diamètre soit inférieur au millième de millimètre (micron). Si elles grossissent, le nuage devient blanc et cesse d’être translucide.

Ces conditions sont réalisées dans beaucoup de circonstances : lorsqu’un précipité très fin se produit lentement dans un Liquide ; lorsqu’une vapeur commence à se condenser dans un gaz. La nuée bleue se montre alors ; C’est pour la même raison que les fumées légères du tabac ou de l’encens sont souvent teintées de bleu.

Les conditions de cette diffusion bleue, si bien étudiée par les physiciens, sont précisément reproduites par la nature dans les hautes régions de l’atmosphère. Celle-ci contient, en effet, à toute altitude, des corpuscules en suspension, poussières, parcelles de glace ou gouttes d’eau. Grossières près du sol, ces particules deviennent extrêmement ténues dans les régions élevées.

Les gouttes de brouillard qui, dans la plaine, ont jusqu’à 127 millièmes de millimètre n’en ont plus que six au flanc des montagnes, à 1 200 mètres de hauteur. Pour ce qui est des poussières, M. Perrotin en a noté à plus de 50 kilomètres au-dessus du niveau de la mer. L’éruption du Krakatoa a projeté à une hauteur de plusieurs kilomètres des cendres fines qui ont mis plusieurs années à retomber. D’après les idées d’Arrhénius, le soleil lance constamment sur notre globe des corpuscules cathodiques qui forment une sorte de voile stationnaire à plus de 200 kilomètres de la surface terrestre.

L’air chargé de ces poussières fines est un type de milieu trouble ; le nuage bleu correspondant, c’est l’azur du ciel[2].

Les théories optiques rendent parfaitement compte de la diffusion bleue des milieux troubles. Elles permettent d’évaluer l’intensité et la coloration de la lumière émergente. En appliquant les règles de la diffraction, Stokes et lord Rayleigh ont établi que l’affaiblissement éprouvé par chaque couleur incidente devait être en proportion de la quatrième puissance de la longueur d’ondulation. Cette loi numérique remarquable a subi l’épreuve du contrôle expérimental. On a décomposé au moyen du prisme le faisceau incident issu du soleil et le faisceau émergent issu du ciel bleu, et l’onde mesurée pour chaque radiation, l’affaiblissement qu’elle subit en passant de l’un des faisceaux à l’autre. Plusieurs physiciens, entre autres Wild et Crova, ont exécuté des déterminations de ce genre. Elles ont été en accord suffisant avec les nombres déduits de la loi théorique. Les écarts, d’ailleurs, ont pu être expliqués.


V

La théorie précédente, qui attribue la diffusion bleue du ciel aux particules solides ou liquides de l’atmosphère, n’a pas complètement satisfait son propre auteur. Ces corps étrangers, dont l’existence est précaire et le destin changeant, peuvent-ils expliquer le phénomène permanent du bleu céleste ?

Le physicien anglais ne le pensa point. A son avis, les jeux de la lumière sur cette catégorie de corps ne rendaient compte que d’une partie de ce grand fait naturel, et précisément de sa partie variable. Il chercha une autre catégorie de particules qui fussent inhérentes à la constitution de l’atmosphère et il ne trouva que les particules de l’air lui-même. Il admit donc, après Brewster, que les rayons du soleil se diffusaient sur les particules gazeuses comme sur les poussières et sur les gouttes d’eau. Le mécanisme restait le même ; l’agent seul était changé : c’était un gaz au lieu d’une poussière.

M. Sagnac a adopté le même principe, mais il en a modifié l’application de manière à éviter une difficulté sérieuse du système de lord Rayleigh. Le physicien de la Faculté de Lille reproche au savant anglais d’universaliser dans toute l’atmosphère la production du bleu du ciel et de l’y répartir uniformément. Une conséquence de cette manière de voir serait que l’intensité du bleu céleste diminuerait en altitude aussi vite que la pression atmosphérique. Ce résultat est contraire aux observations. M. Sagnac substitue à la donnée trop simple d’une diffusion égale pour chaque molécule l’hypothèse d’une diffusion en rapport avec les distances mutuelles des molécules. Le bleu du ciel, alors, n’est plus répandu partout également : le ciel n’est plus confondu avec l’atmosphère. Les couches supérieures reprennent l’influence prépondérante qu’elles doivent avoir. C’est là que la diffusion bleue domine, et comme le dit M. Sagnac, l’illusion de la voûte azurée se trouve ainsi restaurée comme une réalité par la science contemporaine.


A. DASTRE.

  1. Le vide interplanétaire n’est plus le vide immatériel, d’après la nouvelle école. Pour S. Artrenius, J. —J. Thomson et un grand nombre de physiciens contemporains, l’espace interplanétaire est sillonné, rempli, par les corpuscules cathodiques, par les ions émanés du soleil, et ceux-ci sont des fragmens d’atomes, c’est-à-dire une partie de la matière même du soleil.
  2. D’après ce qu’on a vu plus haut, la lumière émise par cette voûte azurée est plus riche que la lumière solaire eu rayons bleus, en rayons violets et en rayons ultra-violets. Lorsqu’un détail de paysage cesse d’être éclairé par le soleil, il reçoit encore la lumière du ciel bleu, et il prend une teinte plus bleue par rapport aux objets qui l’entourent. C’est le phénomène des ombres colorées. — La coloration bleue de l’ombre n’est pas contestable. Elle est évidente lorsqu’il s’agit d’une surface blanche dont une partie est abritée du soleil : c’est le cas pour l’ombre projetée par des arbres sur une route poudreuse. — L’abondance des rayons violets donne lieu à une observation du même genre. — En ce qui concerne les rayons ultra-violets, photographiques, on a bien souvent remarqué que les rayons issus du ciel bleu exerçaient une action photogénique supérieure à celle de la lumière directe du soleil.