L’Encyclopédie/1re édition/ALLÉES DE JARDIN

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ALLÉES DE JARDIN. Les allées d’un jardin sont comme les rues d’une ville, ce sont des chemins droits & paralleles, bordés d’arbres, d’arbrisseaux, de gason &c. elles se distinguent en allées simples & allées doubles.

La simple n’a que deux rangs d’arbres ; la double en a quatre ; celle du milieu s’appelle maîtresse allée, les deux autres se nomment contre-allées.

Les allées vertes sont gasonnées ; les blanches sont toutes sablées, & ratissées entierement.

L’allée couverte se trouve dans un bois touffu ; l’allée découverte est celle dont le ciel s’ouvre par en-haut.

On appelle sous-allée, celle qui est au fond & sur les bords d’un boulingrin, ou d’un canal renfoncé, entouré d’une allée supérieure.

On appelle allée de niveau celle qui est bien dressée dans toute son étendue : allée en pente ou rampe douce, est celle qui accompagne une cascade, & qui en suit la chûte : on appelle allée parallele celle qui s’éloigne d’une égale distance d’une autre allée : allée retournée d’equerre, celle qui est à angles droits : allée tournante ou circulaire, est la même : allée diagonale, traverse un bois ou un parterre-quarré d’angle en angle, ou en croix de Saint-André : allée en zigzag, est celle qui serpente dans un bois sans former aucune ligne droite.

Allée de traverse, se dit par sa position en équerre par rapport à un bâtiment ou autre objet : allée droite, qui suit sa ligne : allée biaisée, qui s’en écarte : grande allée, petite allée, se disent par rapport à leur étendue.

Il y a encore en Angleterre deux sortes d’allées ; les unes couvertes d’un gravier de mer plus gros que le sable, & les autres de coquillages, qui sont de très petites coquilles toutes rondes liées par du mortier de chaux & de sable : ces allées, par leur variété, font quelque effet de loin ; mais elles ne sont pas commodes pour se promener.

Allée en perspective, c’est celle qui est plus large à son entrée qu’à son issue.

Allée labourée & hersée, celle qui est repassée à la herse, & où les carrosses peuvent rouler.

Allée sablée, celle où il y a du sable sur la terre battue, ou sur une aire de recoupe.

Allée bien tirée, celle que le Jardinier a nettoyée de méchantes herbes avec la charrue, puis repassée au rateau.

Allée de compartiment, large sentier qui sépare les carreaux d’un parterre.

Allée d’eau, chemin bordé de plusieurs jets ou bouillons d’eau, sur deux lignes paralleles ; telle est celle du jardin de Versailles, depuis la fontaine de la pyramide, jusqu’à celle du dragon.

Les allées doivent être dressées dans leur milieu en ados, c’est-à-dire, en dos de carpe, ou dos d’âne, afin de donner de l’écoulement aux eaux, & empêcher qu’elles ne corrompent le niveau d’une allée. Ces eaux même ne deviennent point inutiles ; elles servent à arroser les pallissades, les plattebandes, & les arbres des côtés.

Celles des mails & des terrasses qui sont de niveau, s’égoûtent dans les puisarts bâtis aux extrémités.

Les allées simples, pour être proportionnées à leur longueur, auront 5 à 6 toises de largeur, sur 100 toises de long. Pour 200 toises, 7 à 8 de large ; pour 300 toises, 9 à 10 toises ; & pour 400, 10 à 12 toises.

Dans les allées doubles on donne la moitié de la largeur à l’allée du milieu, & l’autre moitié se divise en deux pour les contre-allées ; par exemple, dans une allée de 8 toises, on donne 4 toises à celle du milieu, & 2 toises à chaque contre-allée : si l’espace est de 12 toises, on en donne 6 à l’allée du milieu, & chaque contre-allée en a trois.

Si les contre-allées sont bordées de pallissades, il faut tenir les allées plus larges. On compte ordinairement pour se promener à l’aise trois piés pour un homme, une toise pour deux, & deux toises pour quatre personnes.

Afin d’éviter le grand entretien des allées, on remplit leur milieu de tapis de gason, en pratiquant de chaque côté des sentiers assez larges pour s’y promener.

Voyez la maniere de les dresser & de les sabler à leurs articles. (K)

* Il n’y a personne, qui étant placé, soit au bout d’une longue allée d’arbres plantée sur deux lignes droites paralleles, soit à l’extrémité d’un long corridor, dont les murs de côté, & le platfond & le pavé sont paralleles, n’ait remarqué dans le premier cas que les arbres sembloient s’approcher ; & dans le second cas, que les murs de côté, le platfond & le pavé offrant le même phénomene à la vûe, ces quatre surfaces paralleles ne présentoient plus la forme d’un parallelepipede, mais celle d’une pyramide creuse ; & cela d’autant plus que l’allée & le corridor étoient plus longs. Les Géometres ont demandé sur quelle ligne il faudroit disposer des arbres pour corriger cet effet de la perspective, & conserver aux rangées d’arbres le parallélisme apparent. On voit que la solution de cette question sur les arbres, satisfait en même tems au cas des murs d’un corridor.

Il est d’abord évident que, pour paroître paralleles, il faudroit que les arbres ne le fussent pas ; mais que les rangées s’écartassent l’une de l’autre. Les deux lignes de rangées devroient être telles que les intervalles inégaux de deux arbres quelconques correspondants, c’est-à-dire, ceux qui sont le premier, le second, le troisieme, &c. de sa rangée, fussent toûjours vûs égaux ou sous le même angle, si c’est de cette seule égalité des angles visuels que dépend l’égalité de la grandeur apparente de la distance des objets ; ou si en général la grandeur des objets ne dépend que de celle des angles visuels.

C’est sur cette supposition que le P. Fabry a dit sans démonstration, & que le P. Taquet a démontré d’une maniere embarrassée, que les deux rangées devoient former deux demi-hyperboles ; c’est-à-dire, que la distance des deux premiers arbres étant prise à volonté, ces’deux arbres seront chacun au sommet de deux hyperboles opposées. L’œil sera à l’extrémité d’une ligne partant du centre des hyperboles, égale à la moitié du second axe, & perpendiculaire à l’allée. M. Varignon l’a trouvé aussi par une seule analogie : mais le problème devient bien plus général, sans devenir gueres plus compliqué, entre les mains de M. Varignon ; il le résout dans la supposition que les angles visuels seront non-seulement toûjours égaux, mais croissans ou decroissans selon tel ordre que l’on voudra, pourvû que le plus grand ne soit pas plus grand qu’un angle droit, & que tous les autres soient aigus. Comme les sinus des angles sont leur mesure, il suppose une courbe quelconque dont les ordonnées représenteront les sinus des angles visuels, & qu’il nomme par cette raison courbe des sinus. De plus, l’œil peut être placé où l’on voudra, soit au commencement de l’allée, soit en de-çà, soit en de-là : cela supposé, & que la premiere rangée soit une ligne droite, M. Varignon cherche quelle ligne doit être la seconde qu’il appelle courbe de rangée ; il trouve une équation générale & indéterminée, où la position de l’œil, la courbe quelconque des sinus ; & la courbe quelconque de rangée, sont liées de telle maniere, que deux de ces trois choses déterminées, la troisieme le sera nécessairement.

Veut-on que les angles visuels soient toûjours égaux, c’est-à-dire, que la courbe des sinus soit une droite, la courbe de rangée devient une hyperbole, l’autre rangée ayant été supposée ligne droite : mais M. Varignon ne s’en tient pas-là ; il suppose que la premiere rangée d’arbres soit une courbe quelconque, & il cherche quelle doit être la seconde, afin que les arbres fassent à la vûe tel effet qu’on voudra.

Dans toutes ces solutions, M. Varignon a toûjours supposé avec les PP. Fabry & Taquet, que la grandeur apparente des objets ne dépendoit que de la grandeur de l’angle visuel ; mais quelques Philosophes prétendent qu’il y faut joindre la distance apparente des objets qui nous les font voir d’autant plus grands, que nous les jugeons plus éloignés : afin donc d’accommoder son problème à toute hypothèse, M. Varignon y a fait entrer cette nouvelle condition. Mais un phénomene remarquable, c’est que quand on a joint cette seconde hypothèse sur les apparences des objets, à la premiere hypothèse, & qu’ayant supposé la premiere rangée d’arbres en ligne droite, on cherche, selon la formule de M. Varignon, quelle doit être la seconde rangée, pour faire paroître tous les arbres paralleles, on trouve que c’est une courbe qui s’approche toûjours de la premiere rangée droite, ce qui est réellement impossible ; car si deux rangées droites paralleles font paroître les arbres non paralleles & s’approchans, à plus forte raison deux rangées non paralleles & qui s’approchent, feront-elles cet effet. C’est donc là, si on s’en tient aux calculs de M. Varignon, une très-grande difficulté contre l’hypothèse des apparences en raison composée des distances & des sinus des angles visuels. Ce n’est pas là le seul exemple de suppositions philosophiques ; qui, introduites dans des calculs géométriques, menent à des conclusions visiblement fausses ; d’où il résulte que les principes sur lesquels une solution est fondée, ou ne sont pas employés par la nature, ou ne le sont qu’avec des modifications que nous ne connoissons pas. La Géométrie est donc en ce sens là une bonne, & même la seule pierre de touche de la Physique. Hist. de l’Acad. année 1718, pag. 57.

Mais il me semble que pour arriver à quelque résultat moins équivoque, il eût fallu prendre la route opposée à celle qu’on a suivie ; on a cherché dans le problème précédent quelle loi devoient suivre des distances d’arbres mis en allées, pour paroître toûjours à la même distance, dans telle ou telle hypothèse sur la vision ; au lieu qu’il eût fallu ranger des arbres de maniere que la distance de l’un à l’autre eût toûjours paru la même, & d’après l’expérience déterminer quelle seroit l’hypothèse la plus vraissemblable sur la vision.

Nous traiterons plus à fond cette matiere à l’article Parallelisme, & nous tâcherons de donner sur ce sujet de nouvelles vûes, & des remarques sur la méthode de M. Varignon. Voyez aussi Apparent.