L’Encyclopédie/1re édition/CATÉGORIE
CATÉGORIE, s. f. (Log.) ce mot signifie une classe d’êtres, ou de manieres d’être. Quoique l’on pût fort commodément distinguer toutes nos idées, en idées de substances, idées de modes, & idées de relations, Aristote jugea à propos de former dix classes, dont la premiere exprime la substance, & les autres les accidens ; savoir, la quantité, la qualité, la relation, l’action, la passion, le lieu, le tems, la situation, & enfin l’habillement. Toute cette nomenclature a été tirée par Aristote du tour & du génie de la langue Greque ; & ce philosophe a sacrifié ici la justesse de son génie à l’envie de rendre sa doctrine agréable à ses compatriotes, en leur indiquant de quoi fournir à leur babil. C’est à cette complaisance que l’on doit le livre où il explique fort au long ces dix classes, & les diverses distinctions dont elles sont susceptibles. Cette division de termes plûtôt que d’idées, a trop long-tems occupé les Philosophes, qui l’ont enrichie de leurs éclaircissemens. Porphyre surtout s’est signalé dans cette futile carriere par son traité de prædicabilibus sive universalibus. Il y parle aussi des idées des genres & des especes, sur lesquelles on ne trouve rien aujourd’hui dans Aristote. Diogene Laerce témoigne pourtant qu’il avoit écrit sur cette matiere. Le P. Rapin fait à cette occasion la remarque suivante ; savoir, que Gassendi n’auroit peut-être pas jugé la Logique d’Aristote imparfaite, par le supplément de Porphyre, qu’il a cru nécessaire pour y servir d’introduction, s’il eût fait réflexion que ce traité qui a été mis à la tête de la Logique d’Aristote, est pris de sa Métaphysique d’où Porphyre l’a tiré ; & qu’il y a apparence que ce supplément eût été inutile, s’il ne se fût rien perdu des livres de la Logique d’Aristote, dont Diogene Laerce fait mention.
Il n’y a pas long tems qu’on est revenu de ces sottises : encore a-t-il bien fallu combattre pour les détruire. On a représenté d’abord qu’elles n’étoient pas à leur place dans la Logique, puisqu’il s’y agit des relations des êtres universels, qui sont du ressort de l’Ontologie. On a ajoûté que les distinctions exprimées dans les catégories, étoient frivoles, & qu’on y discernoit la différence du propre, tandis qu’on omettoit la distinction entre l’essence & l’accident. M. le Clerc a fort bien remarqué que les catégories ne nous apprennent autre chose, sinon quelles étoient les classes d’idées dans la tête d’Aristote, & non ce qu’elles sont dans la nature des choses, & qu’ainsi ce n’est pas la peine de donner tant de tems à les étudier. Si pourtant quelqu’un desire une conviction pleine & entiere de l’inutilité des catégories, il peut encore recourir à l’Art de penser, partie premiere, chap. iij. & à M. Crouzaz dans la deuxieme partie de sa Logique. (X)