L’Encyclopédie/1re édition/CENTROBARIQUE

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 828-830).
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CENTROBARIQUE, méthode centrobarique, (en Méchanique.) c’est une méthode pour mésurer ou déterminer la quantité d’une surface ou d’un solide, en les considérant comme formés par le mouvement d’une ligne ou d’une surface, & multipliant la ligne ou la surface génératrice par le chemin parcouru par son centre de gravité. Cette méthode est renfermée dans le théorème suivant, & ses corollaires.

Toute surface plane ou courbe, ou tout solide produit par le mouvement ou d’une ligne ou d’une surface, est égal au produit de cette ligne ou surface, par le chemin du centre de gravité, c’est-à-dire par la ligne que ce centre de gravité décrit. Voyez Centre de gravité. Voici la démonstration générale que certains auteurs ont crû pouvoir donner de ce théorème.

Supposons le poids de la ligne ou surface génératrice ramassé dans son centre de gravité ; le poids total produit par son mouvement, sera égal au produit du poids mû par le chemin du centre de gravité : mais lorsque les lignes & les figures sont regardées comme des corps pesans homogenes, leurs poids sont alors entre eux comme leur volume ; & par conséquent le poids mû devient alors la ligne ou figure génératrice, & le poids produit est la grandeur engendrée : la figure engendrée est donc égale au produit de la ligne ou de la figure qui l’engendre par le chemin de son centre de gravité. Il ne faut pas être bien difficile à satisfaire en démonstration, pour se payer d’une preuve si insuffisante & si vague, qu’on trouve néanmoins dans M. Wolf, d’où Chambers a tiré une partie de cet article.

Pour mettre nos lecteurs à portée d’en trouver une meilleure preuve, considérons un levier chargé de deux poids, & imaginons un point fixe dans ce levier prolongé ou non : on sait (Voyez Centre & Levier) que la somme des produits faits de chaque poids par sa distance à ce point, est égale au produit de la somme des poids par la distance de leur centre de gravité à ce point ; donc si on fait tourner le levier autour de ce point fixe, il s’ensuit que les circonférences étant proportionnelles aux rayons, la somme des produits de chaque poids par le chemin ou circonférence qu’il décrit, est égale au produit de la somme des poids par la circonférence décrite par le centre de gravité. Cette démonstration faite par deux poids, s’applique également & facilement à tel nombre qu’on voudra.

Corollaire I. Puisqu’un parallélogramme ABCD (Pl. de Méch. fig. 26.) peut être regardé comme produit par le mouvement de la droite AB toûjours parallelement à elle-même le long d’une autre droite AC, & dans la direction de celle-ci, & que dans ce mouvement le chemin du centre de gravité est égal à la droite EF, perpendiculaire à CD, c’est-à-dire à la hauteur du parallélogramme ; son aire est donc égale au produit de la base CD, ou de la ligne qui décrit le parallélogramme par la hauteur EF. Voyez Parallélogramme.

Ce corollaire pourroit faire naître quelque soupçon sur la vérité & la généralité de la regle précédente : car on pourroit dire que la ligne CD se mouvant le long de AC, le centre de gravité de cette ligne, qui est son point de milieu, décrit une ligne égale & parallele à AC ; & qu’ainsi l’aire du parallélogramme ACDB est le produit de CD par AC : ce qui seroit faux. Mais on peut répondre que AC n’est point proprement la directrice de CD, quoique CD se meuve le long de AC ; que cette directrice est proprement la ligne EF, qui mesure la distance de AB à CD ; & que le chemin du centre de gravité par lequel il faut multiplier la ligne décrivante CD, n’est point le chemin absolu de ce centre, mais son chemin estimé dans le sens de la directrice, ou le chemin qu’il fait dans un sens perpendiculaire à la ligne décrivante. Cette remarque est nécessaire pour prevenir les paralogismes dans lesquels on pourroit tomber, en appliquant sans précaution la regle précédente à la mesure des surfaces & des solides.

Coroll. II. On prouvera de la même maniere que la solidité de tout corps décrit par un plan qui descend toûjours parallelement à lui-même le long de la droite AC, & suivant la direction de cette droite, doit se trouver en multipliant le plan décrivant par sa hauteur. Voyez Prisme & Cylindre.

Coroll. III. Puisque le cercle se décrit par la révolution du rayon CL (fig. 27.) autour du centre C, & que le centre de gravité du rayon CL est dans son milieu F, le chemin du centre de gravité est donc ici une circonférence d’un cercle X décrit par un rayon soûdouble ; & par conséquent l’aire du cercle est égale au produit du rayon CL, par la circonférence que décriroit un rayon soûdouble de CF ; ce qu’on sait d’ailleurs. Voyez Cercle.

Corol. IV. Si un rectangle ABCD (Pl. de Méch. fig. 28.) tourne autour de son axe AD, le rectangle décrira par ce mouvement un cylindre, & le côté BC la surface de ce cylindre : mais le centre de gravité de la droite BC, est dans son milieu F ; & le centre de gravité du plan qui engendre le cylindre, est dans le milieu G de la droite EF. Ainsi le chemin de ce dernier centre de gravité est la circonférence d’un cercle décrit du rayon EG ; & celui du premier, la circonférence d’un cercle décrit du rayon EF : donc la surface du cylindre est le produit de la hauteur BC, par la circonférence d’un cercle décrit du rayon EF ; & la solidité du cylindre est le produit du rectangle ABCD, qui sert à sa génération, par la circonférence d’un cercle décrit du rayon EG soûdouble de EF, demi-diametre du cylindre. Supposons, par exemple, la hauteur du plan qui engendre le cylindre, & par conséquent celle du cylindre BC = a, le diametre de la base DC = r, on aura donc  ; & supposant que le demi diametre soit à la circonférence comme 1 est à m, la circonférence décrite par le rayon sera  ; d’où il s’ensuit que multipliant par l’aire du rectangle , on aura la solidité du cylindre  ; mais  : or = l’aire du cercle décrite par le rayon EG. Il est donc évident que le cylindre est égal au produit de sa base par sa hauteur, ce qu’on sait d’ailleurs.

De même, puisque le centre de gravité de la droite AB (Pl. de Méch. fig. 17.) est dans son milieu M, & qu’on décrit la surface du cone en faisant mouvoir le triangle ABC autour d’un de ses côtés AB pris pour axe, on en peut conclurre que si , la surface du cone sera égale au produit de son côté AB par la circonférence du cercle décrit du rayon PM, c’est-à-dire d’un rayon soûdouble du demi-diametre de la base BC.

Supposons, par exemple, , le rayon étant à la circonférence, comme 1 est à m ; on aura donc , & la circonférence décrite de ce rayon  ; & ainsi multipliant par le côté AB du cone, le produit qui sera devra représenter la surface du cone : mais est aussi le produit de 1/2 a par mr ; donc la surface du cone est le produit de la circonférence de sa base par la moitié de son côté, ce qu’on sait d’aïlleurs.

Coroll. V. Si le triangle ACB (Pl. de Méchan. fig. 29.) tourne autour d’un axe, il décrit un cone : mais si on coupe CB en deux également au point D, qu’on tire la droite AD, & que AO = 2/3 AD, il est démontré que le centre de gravité sera alors situé en O ; donc la solidité du cone est égale au produit du triangle CAB par la circonférence du cercle décrit du rayon PO. Or AD est à AO, comme BD est à OP : d’ailleurs , & , donc . Supposons, par exemple, , & la raison du rayon à la circonférence celle de 1 à m, on aura donc , la circonférence décrite de ce rayon , le triangle , & par conséquent la solidité du cone , mais , ou le produit de la base du cone par le tiers de sa hauteur, ce qu’on sait d’ailleurs.

Ce théorème si général & si beau sur le centre de gravité, peut être mis au nombre des plus curieuses découvertes qu’on ait faites en Géométrie. Il avoit été apperçû il y a long-tems par Pappus : mais le P. Guldin, Jésuite, est le premier qui l’ait mis dans tout son jour, & qui en ait montré l’usage dans un grand nombre d’exemples.

Plusieurs autres Géometres s’en sont servis aussi après Pappus & Guldin, pour mesurer les solides & les surfaces produites par une rotation autour d’un axe fixe, sur-tout avant qu’on eût les secours que le calcul intégral a fournis pour cela ; & on peut l’employer encore à présent dans certains cas où le calcul intégral seroit plus difficile.

M. Leibnitz a observé que cette méthode seroit encore bonne, quand même l’axe ou le centre changeroit continuellement durant le mouvement.

M. Varignon a donné dans le volume de l’Académie de 1714. un mémoire qui a pour titre, Réflexions sur l’usage que la Méchanique peut avoir en Géométrie. Il y démontre la propriété du centre de gravité, dont nous avons parlé dans cet article, & plusieurs autres propriétés encore plus générales & aussi curieuses. On peut se servir utilement de ces propriétés pour résoudre avec plus de facilité certains problèmes de Méchanique. Par ex. si on demande quelle figure doit avoir une courbe GAH (fig. 25. Géom. n°. 2.) pour qu’en tournant autour de l’axe GH elle produise une surface courbe plus grande que celle que produiroit en tournant autour de GH toute autre ligne courbe qui passeroit par les mêmes points G, H, & qui seroit de la même longueur que la courbe qu’on cherche ; on trouveroit sans aucun calcul, en se servant du théorème précédent, que la courbe GAH qu’on demande doit être celle que prendroit une chaîne chargée d’une infinité de petits poids, & qu’on attacheroit aux points G & H : car une chaîne qui est ainsi attachée, doit se disposer de maniere que le centre de gravité des poids qui la composent, c’est-à-dire le centre de gravité de la courbe même, descende le plus bas qu’il est possible ; d’où il s’ensuit que la courbe formée par cette chaîne aura son centre de gravité plus éloigné de l’horisontale GH que toute autre ligne courbe de la même longueur, & passant par les mêmes points : par conséquent le cercle décrit par le centre de gravité de la courbe formée par la chaîne, lorsque cette courbe tourne autour de GH, est plus grand que le cercle décrit par le centre de gravité de toute autre courbe de même longueur, & passant par les mêmes points G, H ; donc la sur face du solide produit par la premiere courbe, est plus grande que toute autre. On voit donc que le probleme se réduit à trouver la courbe formée par la chaîne ; courbe connue par les Géometres sous le nom de chaînette, & dont ils ont donné la construction il y a long-tems. Voyez Chaînette.

Le mot centrobarique est formé des mots κέντρον, centrum, centre, & βάρος, poids, pesanteur. (O)