L’Encyclopédie/1re édition/CHEMINÉE

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CHEMINÉE, s. f. terme d’Architecture, du Latin caminus, fait du Grec καμινος, qui a la même signification. On entend sous ce nom une des parties principales de la piece d’un appartement, dans lequel on fait du feu, laquelle est composée d’un foyer, de deux jambages, d’un contre-cœur, d’un manteau, & d’un tuyau. Voy. Foyer, Jambages, Contre-cœur, Manteau, & Tuyau Anciennement les cheminées se faisoient fort grandes ; aujourd’hui, avec plus de raison, on les proportionne au diametre des pieces. Nous ne parlerons point de celles des cuisines & offices, ni de celles pratiquées dans les étages en galetas, celles-ci n’exigeant aucunes décorations, & leur situation étant assez indifférente. A l’égard de celles placées dans les appartemens d’une maison de quelque importance, leur situation, leur construction, & leur décoration demandent une étude particuliere.

La situation d’une cheminée consiste dans la nécessité de la placer toûjours dans le milieu d’une piece, soit sur sa longueur, soit sur sa largeur ; de maniere que dans la face qui lui est opposée, l’on puisse placer quelqu’autre partie essentielle de la décoration, telle qu’un trumeau de glace, une porte ou une croisée. Sa situation dépend encore de la placer de préférence plûtôt sur le mur de refend qui est opposé à la principale entrée, que sur celui où cette porte est percée ; & si par quelque cas indispensable on ne peut éviter de la placer de cette derniere maniere, du moins faut-il observer un dosseret de deux piés entre le chambranle de cette même porte & l’un des jambages de la cheminée. Quelquefois l’on place les cheminées dans des pans coupés ; mais cette situation n’est convenable que pour de petites pieces, & ne peut raisonnablement être admise dans la décoration d’un appartement principal. Il arrive assez souvent que la nécessité oblige de situer les cheminées en face des croisées ; mais cette maniere a son desavantage, parce que les personnes qui sont rangées autour du foyer ne reçoivent la lumiere que par reflet : néanmoins cette situation peut être de quelqu’utilité dans un cabinet consacré à l’étude, & doit être préférée à tous égards à la nécessité de les placer dans les murs de face, lorsqu’absolument il n’est pas possible de les pratiquer dans les autres murs de refend.

La construction des cheminées consiste aujourd’hui dans l’art de dévoyer leurs tuyaux dans l’épaisseur des murs, de maniere que sans nuire à la solidité de ces mêmes murs, les languettes (voy. Languettes) & les faux manteaux de cheminée ne nuisent point à la symmétrie des pieces. Anciennement on se contentoit d’élever les tuyaux de cheminée perpendiculairement, & de les adosser les uns devant les autres à chaque étage ; mais on a reconnu qu’il en résultoit deux abus : le premier, que ces tuyaux élevés perpendiculairement étoient plus sujets à fumer que ceux qui sont inclinés sur leur élévation : le second, que ces tuyaux ainsi adossés les uns sur les autres, non-seulement chargeoient considérablement les planchers, mais aussi diminuoient insensiblement le diametre des pieces des étages supérieurs : aujourd’hui qu’il semble que l’art soit parvenu à surmonter toutes les difficultés, l’on dévoie d’une part les tuyaux sur leur élévation sans altérer la construction ; & de l’autre, quand le cas le requiert, on les incline sur leur plan : ce qui parossoit impossible il y a vingt ans. Une partie essentielle de leur construction consiste encore à donner au foyer une profondeur convenable, qui doit être au moins de dix-huit pouces & au plus de vingt-quatre ; car en leur en donnant moins, elles sont sujettes à fumer ; & en leur en donnant davantage, la chaleur est sujette à s’exhaler par le tuyau. La meilleure construction des cheminées, quant à la matiere, est de faire usage de la brique posée de plat, bien jointoyée de plâtre, & garnie de fantons, à moins qu’on ne puisse les construire de pierre de taille, ainsi qu’on le pratique dans nos maisons royales, édifices publics, &c. en observant néanmoins de ne jamais les dévoyer dans les murs mitoyens.

La décoration des cheminées est devenue une partie importante pour l’ornement des pieces, principalement depuis cinquante ans, que les glaces ont pris la place des bas-reliefs de sculpture & des membres d’architecture de plâtre, de marbre, ou de stuc qui les décoroient auparavant. M. Decotte, premier architecte du roi, est celui à qui l’on doit l’usage des glaces sur les cheminées. D’abord on se révolta contre cette nouveauté ; on eut peine à s’accoûtumer à voir un vuide que les glaces représentent sur une partie qui ne pourroit se soutenir sans être un corps opaque & d’une solidité réelle : mais enfin la mode a prévalu au point que la plus grande beauté de la décoration d’une cheminée consiste aujourd’hui, selon quelques-uns, dans la grandeur des glaces. Il n’en est pas moins vrai cependant que les bordures qui les environnent, que les parties qui les couronnent, & les pilastres qui les accompagnent & qui occupent ce qu’on appelle le manteau de la cheminée, doivent être d’une proportion & d’une richesse relative à l’ordonnance qui préside dans la décoration de la piece en général : l’on doit même observer que les glaces qui représentent un vuide, comme nous venons de le remarquer, soient d’une hauteur & d’une largeur proportionnée à l’élégance qu’on aura dû affecter dans la baie ou vuide des portes & des croisées. Il faut encore faire attention que la largeur du manteau & sa hauteur, soient d’une proportion relative à celle des panneaux qui revêtissent la surface des murs de la piece, lorsqu’elle est lambrissée.

À l’égard du chambranle de ces cheminées, dont la matiere doit être de marbre ou de pierre de liais, leur largeur entre deux jambages dépend, comme nous l’avons déjà dit, du diametre des pieces ; mais il faut faire ensorte que cette largeur égale celle du manteau de la cheminée, de maniere que l’épaisseur de ces jambages fasse retraite de chaque côté ; afin que la tablette qui couronne ce chambranle, forme des retours dans ses deux extrémités égaux à sa saillie sur le devant, afin qu’il paroisse servir de soûbassement à la partie supérieure. La hauteur de ces chambranles dépend de l’usage des pieces. Dans les galeries, dans les salons, & grandes salles d’assemblée, où la largeur des foyers est au moins de six ou sept piés, & où l’on fait un feu extraordinaire, il faut leur donner de hauteur depuis cinq jusqu’à six piés ; mais dans les appartemens de sociéte (voyez Appartement), où les plus grandes cheminées ne doivent pas surpasser quatre piés & demi ou cinq piés de largeur, il faut réduire leur hauteur à trois piés & demi ou trois piés huit pouces, afin que ceux qui forment cercle autour du foyer y étant assis, puissent se voir dans les glaces & y remarquer ce qui se passe. Voyez dans les Planc. d’Architecture, la décoration d’une cheminée faisant partie de celle du salon. (P)

Cheminée. (Hist. anc.) On demande si les anciens avoient des cheminées dans leurs chambres, & s’ils y faisoient du feu pendant l’hyver. Plusieurs modernes le nient ; & M. Perrault pense que si les anciens avoient des cheminées, elles étoient fort rares, par la raison que Vitruve n’a point expliqué la maniere dont on devoit les construire, quoique leur construction méritât bien qu’il y donnât ses soins & son attache.

Mais l’on ne peut douter par une foule d’autorités incontestables, que les anciens n’eussent des cheminées, & en grand nombre. Appian Alexandrin, racontant (liv. IV. des guerr. civ.) de quelle maniere se cachoient ceux qui étoient proscrits par les triumvirs, dit que les uns descendoient dans des puits ou des cloaques, que les autres se cachoient sur les toits & dans les cheminées : il croit que le mot Grec χαπνώδεις ύπώροφιας, sumaria sub tecto posita, ne peut s’expliquer autrement ; & cela est très-vrai. De plus, Aristophane dans une de ses comédies, introduit le vieillard Polycléon enfermé dans une chambre, d’où il tâche de se sauver par la cheminée. Virgile dit aussi :

Et jam summa procul villarum culmina fumant :

« Et déjà l’on voit de loin la fumée des bourgades, des maisons de campagne, des villages, s’élever du haut des toits ».

Il paroît donc certain que les anciens avoient des cheminées, comme l’a prouvé par plusieurs autres passages Octavio Ferrari, ce savant Italien, qui fut tout-à-la-fois honoré des bienfaits de la république de Venise, de Louis XIV. & de la reine Christine ; mais faute de plans & de description des cheminées des anciens, nous n’en avons qu’une légere connoissance. Nous savons cependant qu’elles n’étoient pas faites comme les nôtres, qu’elles étoient construites au milieu de la chambre, qu’elles n’avoient ni tuyau ni manteau, & qu’il y avoit seulement au haut de la chambre & au milieu du toit, une ouverture pour la fumée, laquelle sortoit d’ordinaire par cette ouverture : c’est pourquoi Horace dit : (ode xj. l. IV.)

Sordidum flammæ trepidant volantes
             Vertice fumum.

« Le feu pétille dans ma cuisine, & fait rouler en l’air de gros tourbillons de fumée ».

Et dans un autre endroit : (ode ij. lib. V.)

Positosque vernas, ditis examen domus
        Circum renidentes lares.

« Quel plaisir de voir autour d’un foyer bien propre une troupe de valets, dont le grand nombre marque la richesse de la maison » !

Ailleurs il conseille à son ami de mettre force bois dans le foyer pour chasser le froid :

Dissolve frigus, ligna super foco
Large reponens.

Tous ces passages confirment encore l’existence des cheminées parmi les anciens, mais ils montrent aussi que leur luxe ne s’étoit pas tourné de ce côté-là. Peut-être que l’usage des étuves a fait naturellement négliger chez les anciens cette partie du bâtiment, que nous avons assujettie à des proportions symmétriques & décorées, en même tems que le froid de notre climat nous a contraint de multiplier le nombre des cheminées, & de rechercher les moyens d’augmenter les effets du feu, quoique par habitude ou par nécessité nous ne mettions pas toûjours ces moyens en pratique.

En effet, il est certain que la disposition des jambages paralleles, & la hotte inclinée des cheminées ordinaires, ne tendent pas à refléchir la chaleur. La méchanique apprend que des jambages en lignes paraboliques, & la situation horisontale du dessous de la tablette d’une cheminée, sont les plus propres à répandre la chaleur dans les chambres. C’est ce qu’a prouvé M. Gauger dans un ouvrage intitulé la Méchanique du feu, imprimé pour la premiere fois à Paris en 1713, in-12.

Mais nos cheminées par leur multiplication & la forme de leur construction, ont un inconvénient très-commun & très-incommode, c’est celui de fumer.

Pour obvier à cette incommodité, on a employé plusieurs inventions, comme les éolipiles de Vitruve, les soûpiraux de Cardan, les moulinets à vent de Jean Bernard, les chapiteaux de Sebastien Serlio, les tabourins & les giroüettes de Paduanus, & plusieurs artifices de Philibert de Lorme : mais tous ces moyens sont fautifs. Il est de plus souvent nécessaire pour remédier à la fumée, de rendre les cheminées plus profondes, d’en abaisser le manteau, de changer le tuyau de communication, de faire des soûpapes, & principalement de diversifier les remedes suivant la position des lieux, & les causes de la fumée ; cependant on employe d’ordinaire à cette besogne des ouvriers qui n’ont en partage qu’une routine aveugle. Cet art seroit uniquement du ressort d’Architectes éclairés par les lumieres de la Physique, & ils ne s’en mêlent guere.

L’auteur ancien qui en a le mieux raisonné, est M. Savot, dans son livre d’Architecture Françoise des bâtimens particuliers, imprimé d’abord en 1624, ensuite en 1673, & en 1683, avec les notes de M. Blondel. Consultez aussi les mémoires critiques d’Architecture de M. Fremin, mis au jour à Paris en 1702, in-12. & autres modernes, comme M. Brizeux. Article de M. le chevalier de Jaucourt.

Cheminée, (Lutherie.) on appelle ainsi dans les orgues un petit tuyau de plomb ouvert par les deux bouts, soudé sur la plaque percée qui ferme un autre tuyau. Voyez la figure XXXII. Planc. d’Orgue. C’est un tuyau à cheminée complet, 4 la plaque percée soudée à sa partie supérieure, 2 la cheminée qui doit être soudée sur l’ouverture de la plaque.

Tous les tuyaux à cheminée doivent avoir des oreilles aux deux côtés de leur bouche, pour les pouvoir accorder.