L’Encyclopédie/1re édition/DATIF

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DATIF, s. m. (Grammaire.) Le datif est le troisieme cas des noms dans les langues qui ont des déclinaisons, & par conséquent des cas ; telles sont la langue greque & la langue latine. Dans ces langues les différentes sortes de vûes de l’esprit sous lesquelles un nom est considéré dans chaque proposition, ces vûes, dis-je, sont marquées par des terminaisons ou désinances particulieres : or celle de ces terminaisons qui fait connoître la personne à qui ou la chose à quoi l’on donne, l’on attribue ou l’on destine quelque chose, est appellée datif. Le datif est donc communément le cas de l’attribution ou de la destination. Les dénominations se tirent de l’usage le plus fréquent ; ce qui n’exclut pas les autres usages. En effet le datif marque également le rapport d’ôter, de ravir : Eripere agnum lupo, Plaut. enlever l’agneau au loup, lui faire quitter prise ; annos eripuere mihi Musæ, dit Claudien, les Muses m’ont ravi des années, l’étude a abregé mes jours. Ainsi le datif marque non-seulement l’utilité, mais encore le dommage, ou simplement par rapport à ou à l’égard de. Si l’on dit utilis reipublicæ, on dit aussi perniciosus ecclesiæ ; visum est mihi, cela a paru à moi, à mon égard, par rapport à moi ; ejus vitæ timeo, Ter. And. 1. 4. 5. je crains pour sa vie ; tibi soli peccavi, j’ai péché à votre égard, par rapport à vous. Le datif sert aussi à marquer la destination, le rapport de fin, le pourquoi, finis cui : do tibi pecuniam fenori, à usure, à intérêt, pour en tirer du profit ; tibi soli amas, vous n’aimez que pour vous.

Observez qu’en ce dernier exemple le verbe amo est construit avec le datif ; ce qui fait voir le peu d’exactitude de la regle commune, qui dit que ce verbe gouverne l’accusatif. Les verbes ne gouvernent rien ; il n’y a que la vûe de l’esprit qui soit la cause des différentes inflexions que l’on donne aux noms qui ont rapport aux verbes. Voyez Cas, Concordance, Construction, Régime.

Les Latins se sont souvent servis du datif au lieu de l’ablatif, avec la préposition à ; on en trouve un grand nombre d’exemples dans les meilleurs auteurs.

Pœnè mihi puero cognite pœnè puer :
Rerque tot annorum seriem, quot habemus uterque,
Non mihi quàm fratri frater amate minus.

Ovid. de Ponto, lib. IV. ep. xij. v. 22. ad Tutic.
O vous que depuis mon enfance j’ai aimé comme

mon propre frere.

Il est évident que cognite est au vocatif, & que mihi puero est pour à me puero. Dans l’autre vers fratri est aussi au datif, pour à fratre. O Tutieane amate mihi, id est, à me non minus quàm frater amatur fratri, id est, à fratre.

Dolabella qui étoit fort attaché au parti de César, conseille à Cicéron dont il avoit épousé la fille, d’abandonner le parti de Pompée, de prendre les intérêts de César, ou de demeurer neutre. Soit que vous approuviez ou que vous rejettiez l’avis que je vous donne, ajoûte-t-il, du moins soyez bien persuadé que ce n’est que l’amitié & le zele que j’ai pour vous qui m’en ont inspiré la pensée, & qui me portent à vous l’écrire. Tu autem, mi Cicero, si hæc accipies, ut sive probabuntur tibi, sive non probabuntur, ab optimo certe animo ac deditissimo tibi, & cogitata, & scripta esse judices (Cic. epist. lib. IX. ep. jx.), où vous voyez que dans probabuntur tibi, ce tibi n’en est pas moins un véritable datif, quoiqu’il soit pour à te.

Comme dans la langue françoise, dans l’italienne, &c. la terminaison des noms ne varie point, ces langues n’ont ni cas, ni déclinaisons, ni par conséquent de datif ; mais ce que les Grecs & les Latins font connoître par une terminaison particuliere du nom, nous le marquons avec le secours d’une préposition, à, pour, par, par rapport à, à l’égard de ; rendez à César ce qui est à César, & à Dieu ce qui est à Dieu.

Voici encore quelques exemples pour le latin ; itineri paratus & proelio, prêt à la marche & au combat, prêt à marcher & à combattre.

Causa fuit pater his, Horat. Nous disons cause de ; mon pere en a été la cause ; j’en ai l’obligation à mon pere. Instare operi ; rixari non convenit convivio ; mihi molestus ; paululum supplicii satis est patri ; nulli impar ; suppar Abrahamo, contemporain à Abraham ; gravis senectus sibi-met ; la vieillesse est à charge à elle-même.

On doit encore un coup bien observe que le régime des mots se tire du tour d’imagination sous lequel le mot est considéré ; ensuite l’usage & l’analogie de chaque langue destinent des signes particuliers pour chacun de ces tours.

Les Latins disent amare Deum ; nous disons aimer Dieu, craindre les hommes. Les Espagnols ont un autre tour ; ils disent amar à Dios, temer à los hombres, ensorte que ces verbes marquent alors une sorte de disposition intérieure, ou un sentiment par rapport à Dieu ou par rapport aux hommes.

Ces differens tours d’imagination ne se conservent pas toûjours les mêmes de génération en génération, & de siecle en siecle ; le tems y apporte des changemens, aussi-bien qu’aux mots & aux phrases. Les enfans s’écartent insensiblement du tour d’imagination & de la maniere de penser de leurs peres, sur-tout dans les mots qui reviennent souvent dans le discours. Il n’y a pas cent ans que tous nos auteurs disoient servir au public, servir à ses amis (Utopie de Th. Morus traduite par Sorbiere, p. 12. Amst. Blaeu, 1643.) ; nous disons aujourd’hui servir l’état, servir ses amis.

C’est par ce principe qu’on explique le datif de succurrere alicui, secourir quelqu’un ; favere alicui, favoriser quelqu’un ; studere optimis disciplinis, s’appliquer aux beaux arts.

Il est évident que succurrere vient de currere & de sub ; ainsi selon le tour d’esprit des Latins, succurrere alicui, c’étoit courir vers quelqu’un pour lui donner du secours. Quidquid succurrit ad te scribo, dit Cicéron à Atticus, je vous écris ce qui me vient dans l’esprit. Ainsi alicui est là au datif par le rapport de fin ; le pourquoi, c’est accourir pour aider.

Favere alicui, c’est être favorable à quelqu’un, c’est être disposé favorablement pour lui, c’est lui vouloir du bien. Favere, dit Festus, est bona fari ; ainsi favent benevoli qui bona fantur ac precantur, dit Vossius. C’est dans ce sens qu’Ovide a dit :

Prospera lux oritur, linguis animisque favete ;
Nunc dicenda bono sunt bona verba die.

Ovid. fast. j. v. 71.

Martinius fait venir faveo de φάω, luceo & dico, parce que, dit-il, favere est quasi luciaum vultum, bene affecti animi indicem ostendere. Dans les sacrifices on disoit au peuple, favete linguis ; linguis est là à l’ablatif, favete à linguis : soyez-nous favorables de la langue, soit en gardant le silence, soit en ne disant que des paroles qui puissent nous attirer la bienveillance des dieux.

Studere, c’est s’attacher, s’appliquer constamment à quelque chose : studium, dit Martinius, est ardens & stabilis volitio in re aliquâ tractandâ. Il ajoûte que ce mot vient peut-être du grec σπουδὴ, studium, festinatio, diligentia ; mais qu’il aime mieux le tirer de στάδιος, stabilis, parce qu’en effet l’étude demande de la persévérance.

Dans cette phrase françoise, épouser quelqu’un, on diroit, selon le langage des Grammairiens, que quelqu’un est à l’accusatif ; mais lorsqu’en parlant d’une fille on dit nubere alicui, ce dernier mot est au datif, parce que dans le sens propre nubere, qui vient de nubes, signifie voiler, couvrir, & l’on sous-entend vultum ou se ; nubere vultum alicui. Le mari alloit prendre la fille dans la maison du pere & la conduisoit dans la sienne ; de-là ducere uxorem domum ; & la fille se voiloit le visage pour aller dans la maison de son mari ; nubebat se marito, elle se voiloit pour, à cause de ; c’est le rapport de fin. Cet usage se conserve encore aujourd’hui dans le pays des Basques en France, aux piés des monts Pyrénées.

En un mot cultiver les lettres ou s’appliquer aux lettres, mener une fille dans sa maison pour en faire sa femme, ou se voiler pour aller dans une maison où l’on doit être l’épouse légitime, ce sont là autant de tours différens d’imagination, ce sont autant de manieres différentes d’analyser le même fonds de pensée ; & l’on doit se conformer en chaque langue à ce que l’analogie demande à l’égard de chaque maniere particuliere d’énoncer sa pensée.

S’il y a des occasions où le datif grec doive être appellé ablatif, comme le prétend la méthode de P. R. En grec le datif, aussi-bien que le génitif, se mettent après certaines prépositions, & souvent ces prépositions répondent à celles des Latins, qui ne se construisent qu’avec l’ablatif. Or comme lorsque le génitif détermine une de ces prépositions greques, on ne dit pas pour cela qu’alors le génitif devienne un ablatif, il ne faut pas dire non plus qu’en ces occasions le datif grec devient un ablatif : les Grecs n’ont point d’ablatif, comme je l’ai dit dans le premier Tome au mot Ablatif ce mot n’est pas même connu dans leur langue. Cependant quelques personnes m’ont opposé le chapitre ij. du liv. VIII. de la méthode greque de P. R. dans lequel on prétend que les Grecs ont un véritable ablatif.

Pour éclaircir cette question, il faut commencer par déterminer ce qu’on entend par ablatif ; & pour cela il faut observer que les noms latins ont une terminaison particuliere appellée ablatif ; musâ, â long, patre, fructu, die.

L’étymologie de ce mot est toute latine ; ablatif, d’ablatus. Les anciens Grammairiens nous apprennent que ce cas est particulier aux Latins, & que cette terminaison est destinée à former un sens à la suite de certaines prépositions ; clam patre, ex fructu, de die, &c.

Ces prépositions, clam, ex, de, & quelques autres, ne forment jamais de sens avec les autres terminaisons du nom ; la seule terminaison de l’ablatif leur est affectée.

Il est évident que ce sens particulier énoncé ainsi en Latin avec une préposition, est rendu dans les autres langues, & souvent même en latin, par des équivalens, qui à la vérité expriment toute la force de l’ablatif latin joint à une préposition, mais on ne dit pas pour cela de ces équivalens que ce soient des ablatifs ; ce qui fait voir que par ce mot ablatif, on entend une terminaison particuliere du nom affectée, non à toutes sortes de prépositions, mais seulement à quelques-unes : cum prudentiâ, avec prudence ; prudentiâ est un ablatif : l’a final de l’ablatif étoit prononcé d’une maniere particuliere qui le distinguoit de l’a du nominatif ; on sait que l’a est long à l’ablatif. Mais prudenter rend à la vérité le même sens que cum prudentiâ ; cependant on ne s’est jamais avisé de dire que prudenter fût un ablatif : de même ἀπὸ τοῦ φρονίμου rend aussi en grec le même sens que prudemment, avec prudence, ou en homme prudent ; cependant on ne dira pas que τοῦ φρονίμου soit un ablatif ; c’est le génitif de φρονίμος, prudens, & ce génitif est le cas de la préposition ἀπὸ, qui ne se construit qu’avec le génitif.

Le sens énoncé en latin par une préposition & un nom à l’ablatif, est ordinairement rendu en grec par une préposition ; & un nom au génitif, ἀπὸ χαρᾶς, præ gaudio, de joie, gaudio est à l’ablatif latin ; mais χαρᾶς, est un génitif grec, selon la méthode même de P. R.

Ainsi quand on demande si les Grecs ont un ablatif, il est évident qu’on veut savoir si dans les déclinaisons des noms grecs il y a une terminaison particuliere destinée uniquement à marquer le cas qui en latin est appellé ablatif.

On ne peut donner à cette demande aucun autre sens raisonnable ; car on sait bien qu’il doit y avoir en grec, & dans toutes les langues, des équivalens qui répondent au sens que les latins rendent par la préposition & l’ablatif. Ainsi quand on demande s’il y a un ablatif en grec, on n’est pas censé demander si les Grecs ont de ces équivalens ; mais on demande s’ils ont des ablatifs proprement dits : or aucun des mots exprimés dans les équivalens dont nous parlons, ne perd ni la valeur ni la dénomination qu’il a dans sa langue originale. C’est ainsi que lorsque pour rendre coram patre, nous disons en présence de son pere, ces mots de son pere ne sont pas à l’ablatif en françois, quoiqu’ils répondent à l’ablatif latin patre.

La question ainsi exposée, je répete ce j’ai dit dans l’Encyclopédie, les Grecs n’ont point de terminaison particuliere pour marquer l’ablatif.

Cette proposition est très-exacte, & elle est généralement reconnue, même par la méthode de P. R. p. 49, édit. de 1696, Paris. Mais l’auteur de cette méthode prétend que quoique l’ablatif grec soit toûjours semblable au datif par la terminaison, tant au singulier qu’au plurier, il en est distingué par le régime, parce qu’il est toûjours gouverné d’une préposition expresse ou sousentendue : mais cette prétendue distinction du même mot est une chimere ; le verbe ni la préposition ne changent rien à la dénomination déjà donnée à chacune des désinances des noms, dans les langues qui ont des cas. Ainsi puisque l’on convient que les Grecs n’ont point de terminaison particuliere pour marquer l’ablatif, je conclus avec tous les anciens Grammairiens que les Grecs n’ont point d’ablatif.

Pour confirmer cette conclusion, il faut observer qu’anciennement les Grecs & les Latins n’avoient également que cinq cas, nominatif, génitif, datif ; accusatif, & vocatif.

Les Grecs n’ont rien changé à ce nombre ; ils n’ont que cinq cas : ainsi le génitif est toûjours demeuré génitif, le datif toûjours datif, en un mot chaque cas a gardé la dénomination de sa terminaison.

Mais il est arrivé en latin que le datif a eu avec le tems deux terminaisons différentes ; on disoit au datif morti & morte,

Postquàm est morte datus Plautus, comædia luget.

Gell. noct. attic. i. 24.


morte est au datif pour morti.

Enfin les Latins ont distingué ces deux terminaisons ; ils ont laissé à l’une le nom ancien de datif, & ils ont donné à l’autre le nom nouveau d’ablatif. Ils ont destiné cet ablatif à une douzaine de prépositions, & lui ont assigné la derniere place dans les paradigmes des rudimens, ensorte qu’ils l’ont placé le dernier & après le vocatif. C’est ce que nous apprenons de Priscien dans son cinquieme livre, au chapitre de casu. Igitur ablativus proprius est Romanorum, & quia novus videtur à Latinis inventus, vetustati reliquorum casuum concessit. C’est-à-dire qu’on l’a placé après tous les autres.

Il n’est rien arrivé de pareil chez les Grecs ; ensorte que leur datif n’ayant point doublé sa terminaison, cette terminaison doit toûjours être appellée datif : il n’y a aucune raison légitime qui puisse nous autoriser à lui donner une autre dénomination en quelque occasion que ce puisse être.

Mais, nous dit-on, avec la méthode de P. R. quand la terminaison du datif sert à déterminer une préposition, alors on doit l’appeller ablatif, parce que l’ablatif est le cas de la préposition, casus præpositionis ; ce qui met, disent-ils, une merveilleuse analogie entre la langue greque & la latine.

Si ce raisonnement est bon à l’égard du datif, pourquoi ne l’est-il pas à l’égard du génitif, quand le génitif est précédé de quelqu’une des prépositions qui se construisent avec le génitif, ce qui est fort ordinaire en grec ?

Il est même à observer, que la maniere la plus commune de rendre en grec un ablatif, c’est de se servir d’une préposition & d’un génitif.

L’accusatif grec sert aussi fort souvent à déterminer des prépositions : pourquoi P. R. reconnoît-il en ces occasions le génitif pour génitif, & l’accusatif pour accusatif, quoique précédé d’une préposition ? & pourquoi ces messieurs veulent-ils que lorsque le datif se trouve précisément dans la même position, il soit le seul qui soit métamorphosé en ablatif ? Par ratio paria jura desiderat.

Il y a par-tout dans l’esprit des hommes certaines vûes particulieres, ou perceptions de rapports, dont les unes sont exprimées par certaines combinaisons de mots, d’autres par des terminaisons, d’autres enfin par des prépositions, c’est-à-dire par des mots destinés à marquer quelques-unes de ces vûes ; mais sans en faire par eux-mêmes d’application individuelle. Cette application ou détermination se fait par le nom qui suit la préposition ; par exemple, si je dis de quelqu’un qu’il demeure dans, ce mot dans énonce une espece ou maniere particuliere de demeurer, différente de demeurer avec, ou de demeurer sur ou sous, ou auprès, &c.

Mais cette énonciation est indéterminée : celui à qui je parle en attend l’application individuelle. J’ajoûte, il demeure dans la maison de son pere : l’esprit est satisfait. Il en est de même des autres prépositions, avec, sur, à, de, &c.

Dans les langues où les noms n’ont point de cas, on met simplement le nom après la préposition.

Dans les langues qui ont des cas, l’usage a affecté certains cas à certaines prépositions. Il falloit nécessairement qu’après la préposition le nom parût pour la déterminer : or le nom ne pouvoit être énoncé qu’avec quelque-une de ses terminaisons. La distribution de ces terminaisons entre les prépositions, a été faite en chaque langue au gré de l’usage.

Or il est arrivé en latin seulement, que l’usage a affecté aux prépositions à, de, ex, pro, &c. une terminaison particuliere du nom ; ensorte que cette terminaison ne paroît qu’après quelque-une de ces prépositions exprimées ou sous-entendues : c’est cette terminaison du nom qui est appellée ablatif dans les rudimens latins. Sanctius & quelques autres grammairiens l’appellent casus præpositionis, c’est-à-dire cas affecté uniquement non à toutes sortes de prépositions, mais seulement à une douzaine ; de sorte qu’en latin ces prépositions ont toûjours un ablatif pour complément, c’est-à-dire un mot avec lequel elles font un sens déterminé ou individuel, & de son côté l’ablatif ne forme jamais de sens avec quelque-une de ces prépositions.

Il y en a d’autres qui ont toûjours un accusatif, & d’autres qui sont suivies tantôt d’un accusatif & tantôt d’un ablatif ; ensorte qu’on ne peut pas dire que l’ablatif soit tellement le cas de la préposition, qu’il n’y ait jamais de préposition sans un ablatif : on veut dire seulement qu’en latin l’ablatif suppose toûjours quelqu’une des prépositions auxquelles il est affecté.

Or dans les déclinaisons greques, il n’y a point de terminaison qui soit affectée spécialement & exclusivement à certaines prépositions, ensorte que cette terminaison n’ait aucun autre usage.

Tout ce qui suit de-là, c’est que les noms grecs ont une terminaison de moins que les noms latins.

Au contraire les verbes grecs ont un plus grand nombre de terminaisons que n’en ont les verbes latins. Les Grecs ont deux aoristes, deux futurs, un paulo post futur. Les Latins ne connoissent point ces tems-là. D’un autre côté les Grecs ne connoissent point l’ablatif. C’est une terminaison particuliere aux noms latins, affectée à certaines prépositions.

Ablativus latinis proprius, undè & latinus Varroni appellatur : ejus enim vim græcorum genitivus sustinet qui eâ de causâ & apud latinos haud rarò ablativi vicem obit. Gloss. lat. græ. voc. ablat. Ablativus proprius est Romanorum. Priscianus, lib. V. de casu p. 50. verso

Ablativi formâ græci carent, non vi. Caninii Hellenismi, pag. 87.

Il est vrai que les Grecs rendent la valeur de l’ablatif latin par la maniere établie dans leur langue, formâ carent, non vi ; & cette maniere est une préposition suivie d’un nom qui est, ou au génitif, ou au datif, ou à l’accusatif, suivant l’usage arbitraire de cette langue, dont les noms ont cinq cas, & pas davantage, nominatif, génitif, datif, accusatif, & vocatif.

Lorsqu’au renouvellement des lettres les Grammairiens Grecs apporterent en Occident des connoissances plus détaillées de la langue greque & de la grammaire de cette langue, ils ne firent aucune mention de l’ablatif ; & telle est la pratique qui a été généralement suivie par tous les auteurs de rudimens grecs.

Les Grecs ont destiné trois cas pour déterminer les prépositions : le génitif, le datif, & l’accusatif. Les Latins n’en ont consacré que deux à cet usage ; savoir l’accusatif & l’ablatif.

Je ne dis rien de tenus qui se construit souvent avec un génitif pluriel en vertu d’une ellipse : tout cela est purement arbitraire. « Les langues, dit un philosophe, ont été formées d’une maniere artificielle, à la vérité ; mais l’art n’a pas été conduit par un esprit philosophique » : Loquela artificiosè, non tamen accuratè & philosophicè fabricata. (Guillel. Occhami, Logicæ præfat.) Nous ne pouvons que les prendre telles qu’elles sont.

S’il avoit plû à l’usage de donner aux noms grecs & aux noms latins un plus grand nombre de terminaisons différentes, on diroit avec raison que ces langues ont un plus grand nombre de cas : la langue arménienne en a jusqu’à dix, selon le témoignage du P. Galanus Théatin, qui a demeuré plusieurs années en Arménie. (Les ouvrages du P. Galanus ont été imprimés à Rome en 1650 ; ils l’ont été depuis en Hollande).

Ces terminaisons pourroient être encore en plus grand nombre ; car elles n’ont été inventées que pour aider à marquer les diverses vûes sous lesquelles l’esprit considere les objets les uns par rapport aux autres.

Chaque vûe de l’esprit qui est exprimée par une préposition & un nom, pourroit être énoncée simplement par une terminaison particuliere du nom. C’est ainsi qu’une simple terminaison d’un verbe passif latin équivaut à plusieurs mots françois : amamur, nous sommes aimés ; elle marque le mode, la personne, le nombre, le tems, & cette terminaison pourroit être telle, qu’elle marqueroit encore le genre, le lieu, & quelque autre circonstance de l’action ou de la passion.

Ces vûes particulieres dans les noms peuvent être multipliées presque à l’infini, aussi-bien que les manieres de signifier des verbes, selon la remarque de la méthode même de P. R. dans la dissertation dont il s’agit. Ainsi il n’a pas été possible que chaque vûe particuliere de l’esprit fût exprimée par une terminaison particuliere & unique, ensorte qu’un même mot eût autant de terminaisons particulieres, qu’il y a de vûes ou de circonstances différentes sous lesquelles il peut être considéré.

Je tire quelques conséquences de cette observation.

I°. Les différentes dénominations des terminaisons des noms grecs ou latins, ont été données à ces terminaisons à cause de quelqu’un de leurs usages, mais non exclusivement : je veux dire que la même terminaison peut servir également à d’autres usages qu’à celui qui lui a fait donner sa dénomination, sans qu’on change pour cela cette dénomination. Par exemple en latin, dare aliquid alicui, donner quelque chose à quelqu’un, alicui est au datif ; ce qui n’empêche pas que lorsqu’on dit en latin, rem alicui demere, adimere, eripere, detrahere, ôter, ravir, enlever quelque chose à quelqu’un, alicui ne soit pas également au datif ; de même soit qu’on dise, accusare aliquem, accuser quelqu’un, ou aliquem culpâ liberare, ou de re aliquâ purgare, justifier quelqu’un, aliquem est dit également être à l’accusatif.

Ainsi les noms que l’on a donnés à chacun des cas distinguent plûtôt la différence de la terminaison, qu’ils n’en marquent le service : ce service est déterminé plus particulierement par l’ensemble des mots qui forment la proposition.

II°. La dissertation de la méthode de P. R. p. 476, dit que ces différences d’offices, c’est-à-dire les expressions de ces différentes vûes de l’esprit peuvent être réduites à six en toutes les langues : mais cette observation n’est pas exacte, & l’on sent bien que l’auteur de la méthode de P. R. ne s’exprime ainsi que par préjugé ; je veux dire qu’accoûtumé dans l’enfance aux six cas de la langue latine, il a cru que les autres langues n’en devoient avoir ni plus ni moins que six.

Il est vrai que les six différentes terminaisons des mots latins, combinées avec des verbes ou avec des prépositions, en un mot ajustées de la maniere qu’il plaît à l’usage & à l’analogie de la langue latine, suffisent pour exprimer les différentes vûes de l’esprit de celui qui sait énoncer en latin ; mais je dis que celui qui sait assez bien le grec pour parler ou pour écrire en grec, n’a besoin que des cinq terminaisons des noms grecs, disposées selon la syntaxe de la langue greque ; car ce n’est que la disposition ou combinaison des mots entre eux, selon l’usage d’une langue, qui fait que celui qui parle excite dans l’esprit de celui qui l’écoute la pensée qu’il a dessein d’y faire naître.

Dans telle langue les mots ont plus ou moins de terminaisons que dans telle autre ; l’usage de chaque langue ajuste tout cela, & y regle le service & l’emploi de chaque terminaison, & de chaque signe de rapport entre un mot & un mot.

Celui qui veut parler ou écrire en arménien a besoin des dix terminaisons des noms arméniens, & trouve que les expressions des différentes vûes de l’esprit peuvent être réduites à dix.

Un Chinois doit connoître la valeur des inflexions des mots de sa langue, & savoir autant qu’il lui est possible le nombre & l’usage de ces inflexions, aussi bien que des autres signes de sa langue.

Enfin ceux qui parlent une langue telle que la nôtre où les noms ne changent point leur derniere syllabe, n’ont besoin que d’étudier les combinaisons en vertu desquelles les mots forment des sons particuliers dans ces langues, sans se mettre en peine des six différences d’office à quoi la méthode de P. R. dit vainement qu’on peut réduire les expressions des différentes vûes de l’esprit dans toutes les langues.

Dans les verbes hébreux il y a à observer, comme dans les noms, les trois genres, le masculin, le féminin, & le genre commun : ensorte que l’on connoît par la terminaison du verbe, si c’est d’un nom masculin ou d’un féminin que l’on parle.

Verborum hebraicorum tria sunt genera, ut in nominibus, masculinum, femininum, & commune ; variè enim pro ratione ac genere personarum verba terminantur. Undè per verba facile est cognoscere nominum, à quibus reguntur, genus. Francisci Masclef, gram. heb. cap. iij. art. 2. pag. 74.

Ne seroit-il pas déraisonnable d’imaginer une sorte d’analogie pour trouver quelque chose de pareil dans les verbes des autres langues ?

Il me paroît que l’on tombe dans la même faute, lorsque pour trouver je ne sai quelle analogie entre la langue greque & la langue latine, on croit voir un ablatif en grec.

Qu’il me soit permis d’ajoûter encore ici quelques réflexions, qui éclairciront notre question.

En latin l’accusatif peut être construit de trois manières différentes, qui font trois différences spéciales dans le nom, suivant trois sortes de rapports que les choses ont les unes avec les autres. Meth. greq. ibid. pag. 474.

1°. L’accusatif peut être construit avec un verbe actif : vidi Regem, j’ai vû le Roi.

2°. Il peut être construit avec un infinitif, avec lequel il forme un sens total équivalent à un nom. Hominem esse solum non est bonum : Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Regem victoriam retulisse, mihi dictum fuit : le Roi avoir remporté la victoire, a été dit à moi : on m’a dit que le Roi avoit remporté la victoire.

3°. Enfin un nom se met à l’accusatif, quand il est le complément d’une des trente prépositions qui ne se construisent qu’avec l’accusatif.

Or que l’accusatif marque le terme de l’action que le verbe signifie, ou qu’il fasse un sens total avec un infinitif, ou enfin qu’il soit le complément d’une préposition, en est-il moins appellé accusatif ?

Il en est de même en grec du génitif, le nom au génitif détermine un autre nom ; mais s’il est après une préposition, ce qui est fort ordinaire en grec, il devient le complément de cette préposition. La préposition greque suivie d’un nom grec au génitif, forme un sens total, un ensemble qui est équivalent au sens d’une préposition latine suivie de son complément à l’ablatif : dirons-nous pour cela qu’alors le génitif grec soit un ablatif ? La méthode greque de P. R. ne le dit pas, & reconnoit toûjours le génitif après les prépositions qui sont suivies de ces cas. Il y a en grec quatre prépositions qui n’en ont jamais d’autres : ἐξ, ἀντί, πρό, ἀπό, n’ont que le génitif ; c’est le premier vers de la regle VI. c. ij. l. VII. de la méthode de P. R.

N’est-il pas tout simple de tenir le même langage à l’égard du datif grec ? Ce datif a d’abord, comme en latin, un premier usage : il marque la personne à qui l’on donne, à qui l’on parle, ou par rapport à qui l’action se fait ; ou bien il marque la chose qui est le but, la fin, le pourquoi d’une action. Ῥᾴδια πάντα θεῷ (supple εἰσι, sunt) toutes choses sont faciles à Dieu, θεῷ est au datif, selon la méthode de P. R. mais si je dis παρὰ τῷ θεῷ, apud Deum, θεῷ sera à l’ablatif, selon la méthode de P. R. & ce qui fait cette différence de dénomination selon P. R. c’est uniquement la préposition devant le datif : car si la même préposition étoit suivie d’un génitif ou d’un accusatif, tout Port-Royal reconnoîtroit alors ce génitif pour génitif. παρὰ θεῶν καὶ ἀνθρώπων, devant les dieux & devant les hommes, θεῶν & ἀνθρώπων ce sont-là des génitifs selon P. R. malgré la préposition παρὰ. Il en est de même de l’accusatif παρὰ τοὺς πόδας τῶν ἀποστόλων, aux piés des apôtres, τοὺς πόδας est à l’accusatif, quoique ce soit le complément de la préposition παρὰ. Ainsi je persiste à croire, avec Priscien, que ce mot ablatif, dont l’étymologie est toute latine, est le nom d’un cas particulier aux Latins, proprius est Romanorum, & qu’il est aussi étranger à la grammaire greque, que le mot d’aoriste le seroit à la grammaire latine.

Que penseroit-on en effet d’un grammairien latin qui, pour trouver de l’analogie entre la langue greque & la langue latine, nous diroit que lorsqu’un prétérit latin répond à un prétérit parfait grec, ce prétérit latin est au prétérit : si honoravi répond à τέτικα, honoravi est au prétérit ; mais si honoravi répond à ἔτισα qui est un aoriste premier, alors honoravi sera en latin à l’aoriste premier.

Enfin si honoravi répond à ἔτιον, qui est l’aoriste second, honoravi sera à l’aoriste second en latin.

Le datif grec ne devient pas plus ablatif grec par l’autorité de P. R. que le prétérit latin ne deviendroit aoriste par l’idée de ce grammairien.

Car enfin un nom à la suite d’une préposition, n’a d’autre office que de déterminer la préposition selon la valeur qu’il a, c’est-à-dire selon ce qu’il signifie ; ensorte que la préposition ne doit point changer la dénomination de la terminaison du nom qui suit cette préposition ; génitif, datif, ou accusatif, selon la destination arbitraire que l’usage fait alors de la terminaison du nom, dans les langues qui ont des cas, car dans celles qui n’en ont point, on ne fait qu’ajouter le nom à la préposition, dans la ville, à l’armée ; & l’on ne doit point dire alors que le nom est à un tel cas, parce que ces langues n’ont point de cas ; elles ont chacune leur maniere particuliere de marquer les vûes de l’esprit : mais ces manieres ne consistant point dans la désinance ou terminaison des noms, ne doivent point être regardées comme on regarde les cas des Grecs & ceux des Latins ; c’est aux Grammairiens qui traitent de ces langues à expliquer les différentes manieres en vertu desquelles les mots combinés font des sens particuliers dans ces langues.

Il est vrai, comme la méthode greque l’a remarqué, que dans les langues vulgaires même les Grammairiens disent qu’un nom est au nominatif ou au génitif, ou à quelqu’autre cas : mais ils ne parlent ainsi, que parce qu’ils ont l’imagination accoûtumée dès l’enfance à la pratique de la langue latine ; ainsi comme lorsqu’on dit en latin pietas Reginæ, on a appris que Reginæ étoit au génitif ; on croit par imitation & par habitude, que lorsqu’en françois on dit la piété de la Reine, de la Reine est aussi un génitif.

Mais c’est abuser de l’analogie & n’en pas connoître le véritable usage, que de tirer de pareilles inductions : c’est ce qui a séduit nos Grammairiens & leur a fait donner six cas & cinq déclinaisons à notre langue, qui n’a ni cas ni déclinaisons. De ce que Pierre a une maison, s’ensuit-il que Paul en ait une aussi ? Je dois considérer à part le bien de Pierre, & à part celui de Paul.

Ainsi le grammairien philosophe doit raisonner de la langue particuliere dont il traite, relativement à ce que cette langue est en elle-même, & non par rapport à une autre langue. Il n’y a que certaines analogies générales qui conviennent à toutes les langues, comme il n’y a que certaines propriétés de l’humanité qui conviennent également à Pierre, à Paul, & à tous les autres hommes.

Encore un coup, en chaque langue particuliere les différentes vûes de l’esprit sont désignées de la maniere qu’il plaît à l’usage de chaque langue de les désigner.

En françois si nous voulons faire connoître qu’un nom est le terme ou l’objet de l’action ou du sentiment que le verbe actif signifie, nous plaçons simplement ce nom après le verbe, aimer Dieu, craindre les hommes, j’ai vû le roi & la reine.

Les Espagnols, comme on l’a déjà observé, mettent en ces occasions la préposition à entre le verbe & le nom, amar à Dios, temer à los hombres ; hè visto al rey y à la reyna.

Dans les langues qui ont des cas, on donne alors au nom une terminaison particuliere qu’on appelle accusatif, pour la distinguer des autres terminaisons. Amare patrem, pourquoi dit-on que patrem est à l’accusatif ? c’est parce qu’il a la terminaison qu’on appelle accusatif dans les rudimens latins.

Mais si selon l’usage de la langue latine nous mettons ce mot patrem après certaines prépositions, propter patrem, adversùs patrem, &c. ce mot patrem sera-t-il également à l’accusatif ? oui sans doute, puisqu’il conserve la même terminaison. Quoi, il ne deviendra pas alors un ablatif ? nullement. Il est cependant le cas d’une préposition ? j’en conviens ; mais ce n’est pas de la position du nom après la préposition ou après le verbe que se tirent les dénominations des cas.

Quand on demande en quel cas faut-il mettre un nom après un tel verbe ou une telle préposition, on veut dire seulement : de toutes les terminaisons d’un tel nom, quelle est celle qu’il faut lui donner après ce verbe ou après cette préposition, suivant l’usage de la langue dans laquelle on parle ?

Si nous disons pro patre, alors patre sera à l’ablatif, c’est-à-dire que ce mot aura la terminaison particuliere que les rudimens latins nomment ablatif.

Pourquoi ne pas raisonner de la même maniere à l’égard du grec ? pourquoi imaginer dans cette langue un plus grand nombre de cas qu’elle n’a de terminaisons différentes dans ses noms selon les paradigmes de ses rudimens ?

L’ablatif, comme nous l’avons déjà remarqué, est un cas particulier à la langue latine, pourquoi en transporter le nom au datif de la langue greque, quand ce datif est précédé d’une préposition, ou pourquoi ne pas donner également le nom d’ablatif au génitif ou à l’accusatif grec, quand ils sont également à la suite d’une préposition, qu’ils déterminent de la même maniere que le datif détermine celle qui le précéde ?

Transportons-nous en esprit au milieu d’Athenes dans le tems que la langue greque, qui n’est plus aujourd’hui que dans les livres, étoit encore une langue vivante. Un Athénien qui ignore la langue & la grammaire latine, conversant avec nous, commence un discours par ces mots : παρὰ τοῖς ἐμφυλίοις πολέμοις, c’est-à-dire, dans les guerres civiles.

Nous interrompons l’Athénien, & nous lui demandons en quel cas sont ces trois mots, τοῖς ἐμφυλίοις πολέμοις. Ils sont au datif, nous répond-il. Au datif ! vous vous trompez, répliquons-nous, vous n’avez donc pas lû la belle dissertation de la méthode de P. R. ils sont à l’ablatif à cause de la préposition παρὰ, ce qui rend votre langue plus analogue à la langue latine.

L’Athénien nous réplique qu’il sait sa langue ; que la préposition παρὰ se joint à trois cas, au génitif, au datif, ou enfin à l’accusatif ; qu’il n’en veut pas savoir davantage ; qu’il ne connoît pas notre ablatif, & qu’il se met fort peu en peine que sa langue ait de l’analogie avec la langue latine : c’est plutôt aux Latins, ajoûte-t-il, à chercher à faire honneur à leur langue, en découvrant dans le latin quelques façons de parler imitées du grec.

En un mot, dans les langues qui ont des cas, ce n’est que par rapport à la terminaison que l’ont dit d’un nom qu’il est à un tel cas plutôt qu’à un autre. Il est indifférent que ce cas soit précédé d’un verbe, d’une préposition, ou de quelqu’autre mot. Le cas conserve toûjours la même dénomination, tant qu’il garde la même terminaison.

Nous avons observé plus haut qu’il y a un grand nombre d’exemples en latin, où le datif est mis pour l’ablatif, sans que pour cela ce datif soit moins un datif, ni qu’on dise qu’alors il devienne ablatif ; frater amate mihi, pour à me.

Nous avons en françois dans les verbes deux prétérits qui répondent à un même prétérit latin : j’ai lû ou je lûs, legi ; j’ai écrit ou j’écrivis, scripsi.

Supposons pour un moment que la langue françoise fût la langue ancienne, & que la langue latine fût la moderne, l’auteur de la méthode de P. R. nous diroit-il que quoique legi quand il signifie je lûs, ait la même terminaison qu’il a lorsqu’il signifie j’ai lû, ce n’est pourtant pas le même tems, ce sont deux tems qu’il faut bien distinguer ; & qu’en admettant une distinction entre ce même mot, on fait voir un rapport merveilleux entre la langue françoise & la langue latine.

Mais de pareilles analogies, d’une langue à une autre, ne sont pas justes : chaque langue a sa maniere particuliere, qu’il ne faut point transporter de l’une à l’autre.

La méthode de P. R. oppose qu’en latin l’ablatif de la seconde déclinaison est toûjours semblable au datif, que cependant on donne le nom d’ablatif à cette terminaison, lorsqu’elle est précédée d’une préposition. Elle ajoute qu’en parlant d’un nom indéclinable qui se trouve dans quelque phrase, on dit qu’il est ou au génitif ou au datif, &c. Je répons que voilà l’occasion de raisonner par analogie, parce qu’il s’agit de la même langue ; qu’ainsi puisqu’on dit en latin à l’ablatif à patre, pro patre, &c. & qu’alors patre, fructu, die, &c. sont à l’ablatif, domino étant considéré sous le même point de vûe, dans la même langue, doit être regardé par analogie comme étant un ablatif.

A l’égard des noms indéclinables, il est évident que ce n’est encore que par analogie que l’on dit qu’ils sont à un tel cas, ce qui ne veut dire autre chose, si ce n’est que si ce nom n’étoit pas indéclinable, on lui donneroit telle ou telle terminaison, parce que les mots déclinables ont cette terminaison dans cette langue ; au lieu qu’on ne sauroit parler ainsi dans une langue où cette terminaison n’est pas connue, & où il n’y a aucun nom particulier pour la désigner.

Pour ce qui est des passages de Cicéron où cet auteur après une préposition latine met, à la vérité, le nom grec avec la terminaison du datif, il ne pouvoit pas faire autrement ; mais il donne la terminaison de l’ablatif latin à l’adjectif latin qu’il joint à ce nom grec ; ce qui seroit un solécisme, dit la méthode de P. R. si le nom grec n’étoit pas aussi à l’ablatif.

Je répons que Cicéron a parlé selon l’analogie de sa langue, ce qui ne peut pas donner un ablatif à la langue greque. Quand on employe dans sa propre langue quelque mot d’une langue étrangere, chacun le construit selon l’analogie de la langue qu’il parle, sans qu’on en puisse raisonnablement rien inférer par rapport à l’état de ce nom dans la langue d’où il est tiré. C’est ainsi que nous dirions qu’Annibal défia vainement Fabius au combat ; ou que Sylla contraignit Marius de prendre la fuite, sans qu’on en pût conclure que Fabius, ni que Marius fussent à l’accusatif en latin, ou que nous eussions fait un solécisme pour n’avoir pas dit Fabium après défia, ni Marium après contraignit.

Enfin, à l’égard de ce que prétend la méthode de P. R. que les Grecs, dans des tems dont il ne reste aucun monument, ont eu un ablatif, & que c’est delà qu’est venu l’ablatif latin ; le docte Perizonius soûtient que cette supposition est sans fondement, & que les deux ou trois mots que la méthode de P. R. allegue pour la prouver sont de véritables adverbes, bien loin d’être des noms à l’ablatif. Enfin ce savant grammairien compare l’idée de ceux qui croient voir un ablatif dans la langue greque, à l’imagination de certains grammairiens anciens, qui admettoient un septieme & même un huitieme cas dans les déclinaisons latines.

Eadem est ineptia horum grammaticorum fingentium inter græcos sexti casûs vim quandam, quæ aliorum in latio, nobis obtrudentium septimum & octavum. Illa οὐρανόθεν sunt adverbia, locum undè quid venit aut proficiscitur, denotantia, quibus aliquandò per pleonasmum, præpositio ἐξ quæ idem fermè notat à poëtis, præmittitur. (Jacobus Perizonius, notâ quartâ in cap. vj. libri primi Miner. Sanctii, édit. 1714.)

Mais n’ai-je pas lieu de craindre qu’on ne trouve que je me suis trop étendu sur un point qui au fond n’intéresse qu’un petit nombre de personnes ?

C’est l’autorité que la méthode de P. R. s’est acquise, & qu’on m’a opposée, qui m’a porté à traiter cette question avec quelque étendue, & il me semble que les raisons que j’ai alléguées doivent l’emporter sur cette autorité ; d’ailleurs je me flatte que je trouverai grace auprès des personnes qui connoissent le prix de l’exactitude dans le langage de la Grammaire, & de quelle importance il est d’accoûtumer de bonne heure, à cette justesse, les jeunes gens auxquels on enseigne les premiers élémens des lettres.

Je persiste donc à croire qu’on ne doit point reconnoître d’ablatif dans la langue greque, & je me réduis à observer que la préposition ne change point la dénomination du cas qui la détermine, & qu’en grec le nom qui suit une préposition est mis ou au génitif ou au datif, ou enfin à l’accusatif, sans que pour cela il y ait rien à changer dans la dénomination de ces cas.

Enfin, j’oppose Port Royal à Port Royal, & je dis des cas, ce qu’ils disent des modes des verbes. En grec, dit la grammaire générale, chap. xvj. il y a des infléxions particulieres qui ont donné lieu aux Grammairiens de les ranger sous un mode particulier, qu’ils appellent optatif ; mais en latin comme les mêmes inflexions servent pour le subjonctif & pour l’optatif, on a fort bien fait de retrancher l’optatif des conjugaisons latines, puisque ce n’est pas seulement la maniere de signifier, mais les différentes inflexions qui doivent faire les modes des verbes. J’en dis autant des cas des noms, ce n’est pas la différente maniere de signifier qui fait les cas, c’est la différence des terminaisons. (F)

Datif, (Jurisprud.) se dit de ce qui est donné par justice, à la différence de ce qui est déféré par la loi ou par le testament, comme la tutelle & la curatelle datives, qui sont opposées aux tutelles & curatelles légitimes & testamentaires : on dit dans le même sens un tuteur ou curateur datif. En France toutes les tutelles & curatelles comptables sont datives, & doivent être déférées par le juge sur l’avis des parens. Arrêtés de M. de Lamoignon. (A)