L’Encyclopédie/1re édition/DOGMATIQUE

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DOGMATIQUE, adj. (Gram. & Théol.) ce qui appartient au dogme, ce qui concerne le dogme. On dit un jugement dogmatique, pour exprimer un jugement qui roule sur des dogmes ou des matieres qui ont rapport au dogme. Fait dogmatique, pour dire un fait qui a rapport au dogme : par exemple, de savoir quel est le véritable sens de tel ou tel auteur ecclésiastique. On a vivement disputé dans ces derniers tems à l’occasion du livre de Jansenius, sur l’infaillibilité de l’Eglise quant aux faits dogmatiques. Les défenseurs de Jansenius ont prétendu que l’Eglise ne pouvoit porter de jugemens infaillibles sur cette matiere, & qu’en ce cas le silence respectueux étoit toute l’obéissance qu’ils devoient à ces sortes de décisions. Mais les papes ont condamné ces opinions, & divers théologiens ont prouvé contr’eux que l’Eglise étoit infaillible dans la décision des faits dogmatiques, & qu’on devoit à ces décisions une vraie soumission, c’est-à-dire un acquiescement de cœur & d’esprit, comme il est facile de le reconnoître dans les jugemens que l’Eglise a portés sur les écrits d’Arius, d’Origene, de Pelage, de Celestius, de Nestorius, de Théodoret, de Théodore de Mopsueste, & d’Ibas, sur lesquels on peut consulter l’histoire ecclésiastique. Voyez aussi Origénistes, Pélagianisme, & Trois chapitres. (G)

Dogmatique, adj. m. (Medecine.) signifie la méthode d’enseigner & d’exercer l’art de guérir les maladies du corps humain, fondée sur la raison & l’expérience.

Hippocrate est regardé comme l’auteur de la medecine dogmatique ou rationelle, parce qu’il a le premier réuni ces deux fondemens, dont il a fait une doctrine particuliere qui n’étoit point connue avant lui ; car parmi les medecins de son tems les uns s’arrêtoient à la seule expérience, sans raisonner, & c’étoit le plus grand nombre, & les autres au seul raisonnement sans aucune expérience.

La Medecine fut donc alors délivrée du jargon philosophique, & de l’aveuglement avec lequel l’on se conduisoit dans le traitement des maladies ; l’observation éclairée par la raison fut cultivée avec toute la sagacité & toute l’exactitude imaginable par le fondateur de la vraie medecine, & à son exemple on s’y appliqua beaucoup plus qu’on n’avoit fait dans tous les siecles précédens, & qu’on n’a même fait dans la suite.

Ainsi tandis que quelques prétendus medecins ne se remplissoient la tête que de principes & de causes, qu’ils s’efforçoient de rendre raison de tout, & que d’autres livroient au hasard le sort des malades en les traitant, pour ainsi dire, machinalement, Hippocrate s’appliquoit à l’observation du véritable état de la santé & des maladies, & de ce que les medecins appellent les non-naturels, dans la vûe de découvrir en quoi ils consistent, & ce qui produit un changement si considérable, si surprenant, & si ordinaire néanmoins dans le corps humain.

De ce grand principe, que la Nature guérit elle-même les maladies, ou indique à ses ministres les voies qu’il faut suivre pour les guérir, il conclud bien-tôt qu’à l’imitation de la Nature il falloit traiter les maladies qui viennent de replétion par l’évacuation, & l’inanition par la replétion ; qu’ainsi la Medecine n’est que l’art d’ajoûter ou de retrancher, &c.

Cette nouvelle doctrine d’Hippocrate lui attira bien-tôt des sectateurs, qui ayant embrassé sa méthode furent appellés dogmatiques logiciens, parce qu’ils joignoient, comme leur chef, l’analogie raisonnée à l’expérience.

Celse dans la préface de ses œuvres, liv. I. rapporte fort au long le raisonnement des medecins de cette secte si fameuse, pour défendre leur méthode contre celle des empiriques, autre secte de medecins opposés aux premiers.

Celle-ci soûtenoit qu’il est inutile de raisonner dans la Medecine, & qu’il faut s’attacher uniquement à l’expérience.

La différence essentielle qu’il y avoit entre ces deux sectes, c’est que les dogmatiques ne se contentoient pas de connoître les maladies par le concours des accidens qui en désignoient l’espece, ils vouloient de plus pénétrer dans les causes de ces accidens, pour en tirer la connoissance des évenemens & des moyens de guérir ; au lieu que les empiriques ne s’embarrassoient point l’esprit de cette recherche, & s’occupoient uniquement de celle des remedes par la voie de l’expérience.

Les dogmatiques ne nioient pas qu’elle fût nécessaire, mais ils prétendoient qu’elle n’avoit jamais été faite sans être dirigée par le raisonnement ; que les essais que l’on faisoit des remedes, que l’on découvroit par leur moyen, étoient une suite du raisonnement de ceux qui cherchoient à en faire l’application à propos ; que dans les maladies inconnues il falloit nécessairement que le raisonnement suppléât à l’expérience qui manque ; dans ces cas, que comme la plûpart des maladies viennent du vice des parties internes, il est nécessaire d’en connoître la structure & l’action dans l’état naturel, & d’en tirer des conséquences pour l’état contre-nature.

C’est sur ce fondement qu’ils recommandoient beaucoup l’étude de l’anatomie du corps humain, pour laquelle ils vouloient que l’on ouvrît souvent des cadavres pour en visiter les entrailles, & même des hommes vivans, comme faisoient Herophyle & Erasistrate, qui obtenoient pour cet effet des souverains les criminels condamnés à mort.

M. de Maupertuis a proposé en 1751, dans une lettre sur le progrès des Sciences, un projet bien conforme à la façon de penser des dogmatiques, savoir, de rendre plus utiles les supplices des malfaiteurs en les bornant à des essais de medecine & de chirurgie, qui ne seroient que des opérations & des remedes qu’on éprouveroit sur les coupables ; ils y gagneroient la vie, si l’essai n’étoit pas meurtrier : mais il faudroit, selon la juste réflexion du journaliste de Trévoux, à ce sujet, (Août 1752, art. xc.) que l’essai ne fût pas flétrissant pour le chirurgien qui consentiroit à prêter sa main, afin de chercher, comme dit Celse loc. cit. des remedes pour une infinité d’honnêtes gens, en faisant justement souffrir un petit nombre de scélérats. Voyez Empirique, Anatomie, Medecine. Voyez l’histoire de la Medecine de Leclerc, seconde partie, liv. II. l’état de la Medecine ancienne & moderne par Clifton. (d)