L’Encyclopédie/1re édition/ENTRÉE

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ENTRÉE, s. f. (Grammaire.) se dit généralement au simple, de toute ouverture qui conduit du dehors d’un lieu au-dedans de ce lieu. Ce mot se prend au figuré, pour le commencement, le début.

Entrée, se dit, en Astronomie, du moment auquel le Soleil ou la Lune commence à parcourir un des signes du zodiaque. Ainsi on dit l’entrée du Soleil ou de la Lune dans le Bélier, dans le Taureau, &c. Voyez Signe, Soleil, &c.

On se sert aussi du mot entrée dans ces phrases : l’entrée de la Lune dans l’ombre, dans la pénombre, &c. Voyez Eclipse. (O)

Entrées, s. f. pl. (Hist. anc.) privilége accordé à des particuliers d’être admis auprès des rois & des princes, dans certains tems & à certaines heures.

La coûtume des rois, des princes, & des grands seigneurs, de distinguer leurs courtisans & les personnes qui leur sont attachées par les différentes entrées qu’ils leur donnent chez eux, est une coûtume sort ancienne. Séneque, dans son livre IV. des bienfaits, chap. xxjv. nous instruit que C. Gracchus & Livius Drusus, tribuns du peuple, en furent les auteurs à Rome. « Parmi nous, dit-il, Gracchus & après lui Livius Drusus, ont commencé à séparer la foule de leurs amis & de leurs courtisans, en recevant les uns en particulier, les autres avec plusieurs, & les autres avec tout le monde ».

Les premiers étoient appellés propiores, ou primi amici, ou primæ admissionis ; les amis de la premiere entrée : les seconds, secundi amici, ou secundæ admissionis ; les amis de la seconde : & les derniers, inferiores amici, ou ultimæ admissionis ; les amis qui n’avoient que les dernieres entrées.

Cet usage qui avoit été long-tems interrompu, & qui ne subsistoit point à la cour d’Auguste, fut rétabli par Tibere, qui, comme Suétone nous l’apprend, partagea sa cour en ces trois classes, & appella la derniere la classe des Grecs ; parce que les Grecs étoient des gens dont on faisoit alors peu de cas, & qui n’entroient que les derniers chez cet empereur.

La coûtume dont je parle se perdit encore après Tibere ; elle fut renouvellée par d’autres empereurs, & elle prit enfin de si fortes racines sous Constantin, qu’elle s’est toûjours conservée depuis, & qu’il n’y a pas d’apparence qu’on la laisse tomber : au fond, il est bien juste que les princes ayent la même prérogative & la même liberté que se donnent les particuliers, de recevoir différentes personnes chez eux à différentes heures, les unes plûtôt, les autres plûtard, selon qu’elles leur sont ou agréables, ou nécessaires. Cependant aujourd’hui ce qu’on appelle entrées dans les cours de l’Europe, est un privilége spécialement attaché à certains emplois & à certaines charges, d’entrer à certaines heures dans la chambre des rois, quand les autres n’y entrent pas. C’est donc un droit que donne la charge, & non la personne ; c’est une pure étiquette qui ne prouve point de confiance particuliere du prince dans ceux qui joüissent de ce droit. Voyez l’article Etiquette. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Entrée, (Hist. mod.) réception solennelle qu’on fait aux rois & aux reines lorsqu’ils entrent la premiere fois dans les villes, ou qu’ils viennent triomphans de quelque grande expédition.

Ces sortes de cérémonies varient suivant le tems, les lieux, & les nations ; mais elles sont toûjours un monument des usages des différens peuples, & de la diversité de ces usages dans une même nation, lesquels font communément un excellent tableau de caractere : c’étoit, par exemple, un spectacle singulier que l’appareil de décorations profanes & de mascarades de dévotion qui se voyoit en France aux entrées des rois & des reines, dans le xv. siecle. L’auteur des essais sur Paris qui parurent l’année passée (1754, in-12.), en donne une esquisse tirée d’après l’histoire, qu’il suffira de rapporter pour exemple : il seroit trop long de transcrire ici, même par extrait, ce que j’ai recueilli sur cette matiere avant & depuis Charles VII.

Comme les rois & les reines (dit l’auteur dont je viens de parler) faisoient leurs entrées par la porte Saint Denis, on tapissoit toutes les rues sur leur passage, & on les couvroit en-haut avec des étoffes de soie & des draps camelotés ; des jets-d’eaux de senteurs parfumoient l’air, le lait & le vin couloient de plûsieurs fontaines. Les députés des six corps de marchands portoient le dais. Les corps de métiers suivoient à cheval, représentant en habits de caractere les sept péchés mortels, les sept vertus, foi, espérance, charité, justice, prudence, force, & tempérance, la mort, le purgatoire, l’enfer, & le paradis.

Il y avoit de distance en distance des théatres où des acteurs pantomimes, mêlés avec des chœurs de musique, représentoient des histoires de l’ancien & du nouveau Testament, le sacrifice. d’Abraham, le combat de David contre Goliath, l’ânesse de Balaam prenant la parole pour la porter à ce prophete, des bergers avec leurs troupeaux dans un bocage, à qui l’ange annonçoit la naissance de Notre-Seigneur, & qui chantoient le Gloria in excelsis Deo, &c. & pour lors le cri de joie étoit Noël, Noël. Voy. Comédie sainte.

A l’entrée de Louis XI, en 1461, on imagina un nouveau spectacle : Devant la fontaine du Ponceau, dit Malingre, page 208 de ses antiquités & annales de Paris (ouvrage plus passable que ceux qu’il a publiés depuis) étoient plusieurs belles filles en syrenes toutes nues, lesquelles en faisant voir leur beau sein, chantoient des petits motets de bergerettes, fort doux & charmans.

Il paroît qu’à l’entrée de la reine Anne de Bretagne, on poussa l’attention jusqu’à placer de distance en distance, de petites troupes de dix ou douze personnes, avec des pots-de-chambre pour les dames & demoiselles du cortege qui en auroient besoin.

Ajoûtez sur-tout à ces détails, la description curieuse que le P. Daniel a donnée dans son histoire de France, de l’entrée de Charles VII. & vous conviendrez en rassemblant tous les faits, que quoique ces sortes de réjoüissances ne soient plus du goût, de la politesse, & des mœurs de notre siecle, cependant elles nous prouvent en général deux choses qui subsistent toûjours les mêmes ; je veux dire 1°. la passion du peuple françois pour les spectacles quels qu’ils soient, 2°. son amour & son attachement inviolable pour nos rois & pour nos reines.

Je ne parle pas ici des cérémonies d’entrées de princes étrangers, légats, ambassadeurs, ministres, &c. ce n’est qu’une vaine étiquette de cérémonial dont toutes les cours paroissent lasses, & qui finira quand la principale de l’Europe jugera de son intérêt de montrer l’exemple. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Entrée, (Jurisprud.) signifie dans cette matiere acquisition, prise de possession. On appelle deniers d’entrée, ceux qui sont payés par le nouveau propriétaire au précédent, pour entrer en joüissance. Voyez Deniers. Entrage est ce qui se paye au seigneur pour le droit d’entrée, c’est-à-dire pour la mutation. (A)

Entrée, (Comm.) droit ou impôt qu’on leve au nom du souverain sur les marchandises qui entrent dans un état, soit par terre, soit par mer, suivant le tarif qui en est dressé, & qui doit être affiché en lieu apparent dans les bureaux où l’on exige ces droits.

Les droits d’entrée se payent aussi en France sur les marchandises qui entrent dans les provinces qui sont réputées étrangeres ; & il y en a d’autres encore qui se levent à l’entrée de quelques villes.

Lorsque le droit d’entrée de quelque marchandise n’est pas réglé par le tarif, on le paye par estimation, c’est-à-dire à proportion de ce qu’une autre marchandise, à-peu-près de même qualité, a coûtume de payer.

Les droits d’entrée se payent y compris les caisses, tonneaux, serpillieres, cartons, pailles, toiles, & autres emballages, à la reserve des drogueries & épiceries, sur lesquelles les emballages sont déduits.

Toutes sortes de marchandises ne peuvent entrer en France par toutes sortes de villes & de ports, même en payant les droits, mais seulement pour certaines marchandises par les lieux qui leur sont marqués, ou par les ordonnances, ou par les arrêts du conseil, comme les drogueries & épiceries par la Rochelle, Roüen, & Calais, Bordeaux, Lyon, & Marseille, les chevaux par Dourlens, Peronne, Amiens, &c. les manufactures étrangeres par Saint-Valery, Calais, &c. & ainsi de quelques autres.

Les peines contre ceux qui veulent faire entrer des marchandises en fraude, sont la confiscation de ces marchandises & des équipages & harnois, & une amende statuée par les arrêts & ordonnances. Voy. Contrebande, Droit & Tarif. Dict. de Comm. de Trév. & Chamb. (G)

Entrée, (Comm.) terme de teneur de livres en parties doubles. L’entrée du grand livre, c’est l’état des débiteurs & créditeurs portés par la balance ou le bilan du livre précédent. Voyez Livres. (G)

Entrée, (Danse.) air de violon sur lequel les divertissemens d’un acte d’opéra entrent sur le théatre. On donne aussi ce nom à la danse même qu’on exécute. Ce sont ordinairement les chœurs de danse qui paroissent sur cet air ; c’est pour cette raison qu’on les nomme corps d’entrée. Ils en dansent un commencement ; un danseur ou une danseuse danse un commencement & une fin, & les chœurs reprennent la derniere fin. Chaque danse qu’un danseur ou une danseuse exécute, s’appelle aussi entrée. On lui donne encore le nom de pas. Voyez Pas. Un maître fort supérieur avec qui j’ai conféré souvent sur cette matiere, m’a confié un résultat de ses observations, qui peut être fort utile à l’art. Le voici.

Dans toute entrée de danse, le danseur, à qui on suppose de la vigueur & de l’habileté, a trois objets principaux & indispensables à remplir. Le premier, les contrastes perpétuels de la force & de la grace, en observant que la grace suive toûjours les coups de vigueur. Le second, l’esprit de l’air que ses pas doivent rendre ; car il n’est point d’air de danse, quelque plat que le musicien puisse le faire, qui ne présente une sorte d’esprit particulier au danseur qui a de l’oreille & du goût. Le troisieme, de former toûjours sa danse de pas, & de ne les sacrifier jamais aux sauts : ceux-ci sont plus aisés à faire que les autres. Le mélange sage de tous les deux, forme la danse agréable & brillante.

Chaque partie séparée des ballets anciens étoit nommée entrée. Dans les modernes, on a conservé ce nom à chacune des actions séparées de ces poëmes. Ainsi on dit : l’entrée de Tibulle dans les fêtes greques & romaines est fort ingénieuse, c’est une des meilleures entrées de ballet que nous ayons à l’opéra. Voyez Ballet.

Ce nom qu’on donne encore aux diverses parties de ces sortes d’ouvrages, doit faire connoître aux commençans & quelle est l’origine de ce genre difficile, & quelle doit être leur coupe pour qu’ils soient agréables au public ; c’est sur-tout cette méchanique très-peu connue qui paroît fort aisée, & qui fourmille de difficultés qu’il faut qu’ils étudient. Voyez Coupe.

Il seroit ridicule que l’on y fît commencer l’action dans un lieu, & qu’on la dénoüât dans un autre. Le tems d’une entrée de ballet doit être celui de l’action même. On ne suppose point des intervalles ; il faut que l’action qu’on veut représenter se passe aux yeux lu spectateur, comme si elle étoit véritable. Quant à sa durée, on juge bien que puisque le ballet exige ces deux unités, il exige à plus forte raison l’unité d’action : c’est la seule qu’on regarde comme indispensable dans le grand opéra ; on le dispense des deux autres. L’entrée de ballet, au contraire, est astrainte à toutes les trois. Voyez Ballet, Opéra, Poeme lyrique. (B)

Entrée, (Serrurerie.) c’est l’ouverture par laquelle la clé entre dans la serrure.