L’Encyclopédie/1re édition/FOR-MARIAGE ou FEUR-MARIAGE

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FOR-MARIAGE ou FEUR-MARIAGE, (Jurisp.) est le mariage qu’un homme ou femme de condition servile, contracte sans la permission de son seigneur, ou même avec sa permission, lorsque le mariage est contracté avec une personne franche, ou d’une autre seigneurie & justice que celle de son seigneur, ou hors la terre sujette à son droit de main-morte.

Ce mariage est ainsi appellé en françois & dans la basse latinité, foris maritagium, eo quod fit foras vel foris.

Quelquefois par le terme de for-mariage on entend l’amende pécuniaire que le serf ou main-mortable doit à son seigneur pour s’être ainsi marié. Voyez Ducange, au mot Foris-maritagium.

En certains lieux le seigneur a droit de prendre pour for-mariage, la moitié, le tiers, ou autre portion des biens de celui qui s’est marié à une personne d’une autre condition, ou d’une autre seigneurie & justice. Ce droit est dû au seigneur, quoique son serf ou main-mortable lui ait demandé congé & permission pour-se marier ; il évite seulement par ce moyen l’amende de soixante sous ou autre somme, suivant l’usage qu’il auroit été obligé de payer pour la peine du for-mariage contracté sans le congé du seigneur.

Ce droit seigneurial paroît tirer son origine des Romains, chez lesquels ceux qu’on appelloit gentiles, c’est-à-dire régnicoles, défendoient à leurs esclaves de se marier avec des étrangers, dans la crainte qu’ils n’abandonnassent leurs offices, ou qu’ils ne détournassent les effets de leur maître pour les donner à des étrangers : ceux qui persistoient à demeurer en la compagnie d’un esclave, malgré l’avertissement que leur avoient donné leurs maîtres, devenoient aussi ses esclaves. Les filles régnicoles (gentiles) qui se marioient à des étrangers, perdoient pareillement leur liberté. Voyez Tertul. lib. II. ad uxorem ; l’auteur du grand coûtum. liv. II. c. xvj. à la fin.

Bacquet, en son traité du droit d’aubaine, ch. iij. rapporte un ancien mémoire tiré des registres de la chambre des comptes, concernant les droits & seigneuries appartenans au roi, à cause du gouvernement & administration générale du royaume, & par souveraineté & ancien domaine, à cause des morte-mains & for-mariage par-tout le royaume de France, & spécialement au bailliage de Vermandois ; lesquels droits devoient être cueillis par le collecteur d’iceux & par ses lieutenans & sergens, que pour ce faire il devoit commettre & ordonner.

L’article 2 de ce mémoire porte, que le roi, en érigeant les duchés & comtés pairies qui sont au bailliage de Vermandois, retint les morte-mains & formariages des bâtards, espaves, aubains & manumis, & qu’il en a joüi paisiblement jusqu’à ce que les guerres & divisions sont venues en ce royaume.

L’article 7 porte que nuls bâtards, espaves, aubains, ni manumis, ne se peuvent marier à personne autre que de leur condition, sans le congé du roi ou de ses officiers, qu’ils ne soient tenus payer soixante sous parisis d’amende, lesquelles amendes ont été souvent supportées pour la pauvreté du peuple, vû les guerres & stérilités du pays ; que quand ils demandent congé, ils se montrent obéissans au roi comme ses personnes liges, & que nul n’en doit être éconduit ; qu’en ce faisant ils échevent l’amende ; mais que nonobstant ce ils doivent for-mariage, pour avoir pris parti qui n’est de condition pareille à eux ; que ce for-mariage s’estime à la moitié des biens en la prevôté de Ribemont & en celle de Saint-Quentin ; à Péronne & à Soissons, au tiers ; & aux autres lieux dudit bailliage, selon l’usage de chaque lieu.

Suivant l’article 8, ceux qui se marioient à leurs semblables & de condition pareille à eux, ne devoient amende ni for-mariage, parce qu’ils ne forlignoient point.

Enfin l’article 11 porte que si des hommes de condition servile, sous quelque seigneurie, se sont affranchis de servitude, quand ils sont for-mariés ils doivent for-mariage au roi, comme il a été dit ; mais que les femmes n’en doivent point, parce que si elles ont lignée en mariage d’homme franc, la lignée sera de condition servile à cause du ventre.

Dans le chapitre suivant, Bacquet remarque que ces droits de for-mariage étoient anciennement recueillis au profit du roi par un collecteur, qui étoit comptable en la chambre des comptes ; que depuis, ces droits comme domaniaux ont été reçus par les receveurs ordinaires des lieux.

On tient présentement pour maxime, qu’en formariage le pire emporte le bon, c’est-à-dire que la personne franche, soit la femme ou le mari, qui épouse une personne serve, devient de même condition. Loysel, liv. I. tit. j. régl. 25. & Lauriere, ibid.

Dans les lieux où l’on a coûtume de prendre formariage, le seigneur de la main-morte prend pour le for-mariage de la femme main-mortable, les héritages qu’elle a sous lui, & dans le lieu de sa main-morte, ou la valeur de ce qu’elle emporte en mariage ; ce qui est au choix de ladite femme.

Le for-mariage n’a pas lieu en main-morte, quand la femme n’a point d’héritage ; comme il fut jugé au parlement de Dijon, le 7 Décembre 1606. Taisand sur la coûtume de Bourgogne, tit. jx. artic. 21. note 3. observe que cet arrêt jugea tacitement, que quand une fille est mariée par mariage divis, & qu’on ne lui a point constitué d’héritage en dot, le seigneur ne peut prétendre le droit de for-mariage, parce qu’il est au choix de la femme d’abandonner au seigneur les héritages qu’elle a dans le lieu de la main-morte, ou autant qu’elle a eu en mariage.

Le for-mariage a encore lieu dans quelques coûtumes de main-morte. Voyez l’article 144. de celle de Vitri ; Meaux, art. 5. & 78 ; Troyes, art. 3 ; Chaumont, art. 3 ; & le chap. viij. de la coûtume de Nivernois, art. 22. & 23 ; & Auzanet, pag. 8. de ses mémoires.

Ce droit avoit lieu autrefois dans la coûtume de Reims ; mais il a été aboli. Voyez Pithou sur la coûtume de Troyes, art. 4 ; Taisand sur la coûtume de Bourges, tit. jx. art. 21. (A)